CA Montpellier, 4e ch. civ., 13 juin 2024, n° 22/01061
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseillers :
M. Bruey, Mme Franco
Avocats :
Me Auche-Hedou, Me Auche, Me Aurengo, Me Ayral
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FAITS ET PROCÉDURE
M. [P] [D] et Mme [X] [K] ont entretenu une relation au cours de laquelle M. [D] a consenti une procuration à Mme [K] sur son compte bancaire ouvert au sein de la Banque Populaire du Sud.
Leur relation a pris fin aux environs de l'année 2000 et M.[D] s'est aperçu, des années plus tard, que des retraits étaient réalisés sur son compte bancaire entre 2015 et 2018 à hauteur de 5 020 euros, sans son consentement.
M. [D] a alors révoqué la procuration le 06 août 2018.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 29 avril 2019, M. [D] a mis en demeure Mme [K] de lui rembourser la somme de 5 020 euros.
Dans ce contexte, M. [D] a fait assigner Mme [K], par acte du 03 octobre 2019, aux fins de remboursement des sommes prélevées sur son compte.
Par jugement contradictoire en date du 10 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Perpignan a débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à Mme [K] la somme de 450 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Le 23 février 2022, M. [D] a relevé appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 27 septembre 2022, M. [D] demande en substance à la cour d'infirmer la décision rendue dans toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :
- Faire droit à l'appel jugé recevable et bien fondé ;
- Juger que les sommes prélevées sur le compte bancaire de M. [D] ont été faits par Mme [K] sans aucune justification, pour ses besoins personnels ;
- Juger que Mme [K] a agi en violation des dispositions de l'article 1993 du code civil, ne prévenant pas le titulaire du compte et ne rendant aucun compte ;
- Condamner Mme [K] à payer à M. [D] :
5 020 € correspondant au montant des prélèvements, dire que cette somme sera productive d'intérêts à compter du 30 avril 2019 ;
1 500 € en remboursement du préjudice financier ;
1 000 € en réparation du préjudice moral ;
- Juger que la somme de 5 020 € sera productive d'intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2015 ;
- Faire application de l'article 700 du code de procédure civile et condamner Mme [K] au paiement de la somme de 1 500 €, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Constater que M. [D] bénéficie de l'aide juridictionnelle.
Par uniques conclusions remises par voie électronique le 10 août 2022, Mme [K] demande en substance à la cour de confirmer le jugement entrepris, et partant, de :
- Déclarer irrecevable la demande de M. [D] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral à hauteur de 1 000 €, comme étant nouvelle en cause d'appel;
- Débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamner M. [D] à payer à Mme [K] la somme de 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens engagés par celle-ci devant la cour, en sus de la somme de 450 € attribuée en première instance, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel.
Vu l'ordonnance de clôture du 13 mars 2024.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la recevabilité de la demande relative au préjudice moral
Mme [K] sollicite que soit déclarée irrecevable la demande d'indemnisation formulée par M. [D] au titre du préjudice moral, au motif que cette demande serait nouvelle en cause d'appel.
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions en cause d'appel, sous peine d'irrecevabilité relevée d'office.
En l'espèce, il ressort de l'assignation signifiée à Mme [K] le 03 octobre 2019 que M. [D] sollicite la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral. Cette demande est par ailleurs reprise dans le dispositif, de sorte que la demande formulée au titre du préjudice moral n'est pas nouvelle.
La demande de M. [D] à ce titre est ainsi parfaitement recevable.
Sur l'existence de la procuration et son usage
Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 1984 du code civil, le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.
Selon l'article 1989 du code civil 'Le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat : le pouvoir de transiger ne renferme pas celui de compromettre.'
L'article 1993 du code civil ajoute que 'Tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu'il aurait reçu n'eût point été dû au mandant.'
Il appartient au juge de fixer souverainement, lorsque des retraits ont été effectués en vertu d'une procuration, les dépenses estimées pour les besoins du mandant, des retraits non justifiés (Civ. 1re, 2 févr. 1999, n° 96-21.460).
Enfin, l'article 1996 du code civil dispose que le mandataire doit l'intérêt des sommes qu'il a employées à son usage, à dater de cet emploi ; et de celles dont il est reliquataire, à compter du jour qu'il est mis en demeure.
En l'espèce, M. [D] a donné procuration sur ses comptes bancaires à Mme [K] lorsqu'ils entretenaient une relation, laquelle a pris fin avant 2000.
Il ressort des pièces produites par les parties et notamment des relevés bancaires de M. [D] et de la lettre de la Banque Postale du 05 mars 2019, que les cartes bancaires n°[XXXXXXXXXX05] et n°[XXXXXXXXXX04] appartiennent à Mme [K] et que des prélèvements au moyen de ces deux cartes bancaires ont été réalisés sur le compte de M. [D] à hauteur de 5 020 euros, entre 2015 et 2018.
Mme [K] n'a pas rendu compte de sa gestion au mandant. Au contraire, il est établi que les parties n'ont plus de contact depuis leur séparation, survenue il y a plus de 20 ans.
Au surplus, aucune pièce produite par les parties ne prouve la présence d'un prétendu prêt octroyé par Mme [K] au moment de l'ouverture de compte de M. [D] qui justifierait les prélèvements réalisés par Mme [K].
Il résulte de ce qui précède que Mme [K] doit restitution des retraits litigieux, faute pour elle d'en avoir justifié l'usage, eu égard à la procuration.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande de remboursement des retraits effectués par Mme [K] et la cour, statuant à nouveau, condamnera le mandataire à restitution de la somme de 5 020 euros, majoré des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 avril 2019.
Sur les préjudices
L'article 1996 du code civil n'exclut pas la condamnation du mandataire, lorsqu'il est de mauvaise foi, à des dommages-intérêts supplémentaires, à la condition que le mandant ait subi un préjudice indépendant de celui causé par le simple retard (Civ. 1re, 9 mai 1990, n° 88-10.082).
En l'espèce, M. [D] rapporte la preuve qu'au cours des années 2015 à 2018, il se trouvait dans une situation précaire financièrement, aggravée par les retraits réalisés par Mme [K]. Cette situation lui a également provoqué un préjudice moral, sa situation financière ne pouvant que le préoccuper.
Il justifie ainsi d'un préjudice financier qu'il convient de fixer à la somme de 1 000 euros et un préjudice moral évalué à 500 euros.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [K] supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
Déclare recevable la demande indemnitaire au titre du préjudice moral présentée par M. [D],
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne Mme [K] à payer à M. [D] la somme de 5 020 euros, majoré des intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2019, date de la mise en demeure,
Condamne Mme [K] à payer à M. [D] la somme de 1 000 euros au titre du préjudice financier et 500 euros au titre du préjudice moral,
Condamne Mme [X] [K] à payer à M. [P] [D] la somme de 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [K] aux dépens de première instance et d'appel.