CA Chambéry, 1re ch., 19 décembre 2023, n° 21/00666
CHAMBÉRY
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Destination Immobilier (Selarl) (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pirat
Conseillers :
Mme Reaidy, Mme Real del Sarte
Avocats :
SAS SR Conseil, Selarl Lexavoué Grenoble - Chambéry, AARPI Arc Paris Avocats
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Faits et procédure
Suivant acte authentique en date du 29 décembre 2006, M. [W] [H] a acquis auprès de la société Les Sources de [Localité 6] (Sarl), en l'état futur d'achèvement, un bien immobilier, lot dans la copropriété dénommée « [Adresse 7] », situé à [Localité 3], en Guadeloupe ([Localité 3]), moyennant un prix de vente de 238 000 euros frais inclus.
Suivant acte authentique en date du 14 novembre 2011, M. [H] a acquis auprès de la société [Adresse 4] (Sarl), en l'état futur d'achèvement, un bien immobilier, lot 11011 dans la copropriété dénommée « [Adresse 4] », situé au Gosier, en Guadeloupe (97100), moyennant un prix de vente de 270 000 euros frais inclus.
Suivant actes sous seing privé en date des 24 mai et 12 juin 2012, M. [H] a confié à la société Destination Immobilier (Sarl) la gestion locative et technique annuelle de ses deux biens immobiliers susvisés, moyennant une rémunération du mandataire à hauteur de 6,5 % HT du loyer charges comprises pour chacun des biens. Les mandats de gestion locative ont été prolongés par tacite reconduction.
Par courrier recommandé en date du 8 février 2018, M. [H] a mis en demeure la société Destination Immobilier de l'indemniser de ses préjudices du fait des manquements de cette dernière dans l'exécution des mandats de gérance précités. Puis par courrier recommandé en date du 19 juillet 2018, il a notifié à la société Destination Immobilier sa volonté de résilier le contrat de mandat les liant.
Par acte d'huissier du 8 août 2018, M. [H] a fait assigner la société Destination Immobilier devant le tribunal de grande instance d'Annecy notamment aux fins de se faire indemniser de ses préjudices subis.
Par jugement du 9 février 2021, le tribunal de grande instance d'Annecy, devenu le tribunal judiciaire d'Annecy à compter du 1er janvier 2020, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- Révoqué l'ordonnance de clôture du 2 septembre 2020 ;
- Ordonné la réouverture des débats ;
- Autorisé en conséquence M. [H] à produire dans le cadre de cette procédure ses conclusions rectificatives de l'erreur matérielle figurant au dispositif de celles-ci ;
- Fixé la nouvelle date de clôture au 9 décembre 2020 ;
- Condamné la société Destination Immobilier à payer à M. [H] la somme de 19 082 euros au titre de la perte de loyers sur la période d'octobre 2017 à mars 2020 inclus s'agissant de l'appartement sis « [Adresse 7] » ;
- Condamné la société Destination Immobilier à payer à M. [H] la somme de 6 000 euros au titre de son préjudice moral s'agissant de l'appartement sis « [Adresse 7] » ;
- Condamné la société Destination Immobilier à payer à M. [H] la somme de 8 000 euros au titre de son préjudice moral s'agissant de l'appartement sis « [Adresse 4] » ;
- Dit que ces sommes emporteront intérêts au taux légal à compter du 12 février 2018, date de réception de la mise en demeure ;
- Ordonné la capitalisation des intérêts ;
- Condamné la société Destination Immobilier à verser à M. [H] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejeté la demande de la société Destination Immobilier formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Destination Immobilier aux entiers dépens.
Au visa principalement des motifs suivants :
Sur le mandat relatif à l'appartement sis « [Adresse 7] », la société Destination Immobilier n'a pas accompli les diligences normales et raisonnables dans la gestion des travaux et l'entretien de l'appartement, et a donc commis des manquements à son devoir d'informations du mandant. L'absence de réalisation de travaux de réfection suffisants ou de travaux de rénovation de l'appartement, au vu de son état général, est sans aucun doute en lien avec l'absence de nouveau locataire de l'appartement ;
Sur le mandat relatif à l'appartement sis « [Adresse 4] », la société Destination Immobilier a été négligente dans l'exécution de son mandat notamment dans le cadre des procédures judiciaires de recouvrement de loyers et d'expulsion ;
M. [H] a subi un préjudice moral important du fait des manquements et des défaillances de son mandataire qui a manqué de diligences dans la gestion du bien immobilier et dans le choix du locataire et dans la procédure de recouvrement qui s'en est suivie.
Par déclaration au greffe du 25 mars 2021, la société Destination Immobilier a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis des chefs relatifs à la révocation de l'ordonnance de clôture.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures en date du 14 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Destination Immobilier sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :
A titre principal,
- Dire et juger que la société Destination Immobilier n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses mandats relatifs aux appartements « Les sources de [Localité 6] » et « Le clos de [Localité 5] » ;
- En conséquence, débouter M. [H] de l'intégralité de ses demandes en ce compris son appel incident ;
- Condamner M. [H] à rembourser à la société Destination Immobilier la somme de 49 363,18 euros correspondant à la somme dont s'est acquittée la concluante ensuite de la réception du commandement de payer qui lui a été délivré le 3 février 2023 ;
À titre subsidiaire,
- Dire et juger que M. [H] ne démontre aucun lien de causalité entre la prétendue faute commise par la société Destination Immobilier et les préjudices qu'il allègue ;
- Dire et juger que M. [H] ne rapporte la preuve d'aucun préjudice moral ou d'une perte de chance de pouvoir vendre ses biens immobiliers à un prix comparable à leur prix d'achat ;
- En conséquence, débouter M. [H] de l'intégralité de ses demandes ;
A titre infiniment subsidiaire,
- Dire et juger que le préjudice de M. [H] s'agissant des loyers perdus concernant le bien des « Sources de [Localité 6] » sera cantonné à la période d'octobre 2017 à juillet 2018, le mandat de la société Destination Immobilier ayant pris fin le 19 juillet 2018 ;
- Dire et juger que la réparation du préjudice moral prétendument subi par M. [H] ne saurait être supérieure à la somme de 500 euros et ce concernant les prétendues fautes commises par la société Destination Immobilier au titre du Clos de [Localité 5] et des Sources de [Localité 6] ;
- Débouter M. [H] de toutes ses autres demandes ;
Reconventionnellement,
- Déclarer la demande de la société Destination Immobilier recevable et bien fondée ;
- En conséquence, juger que la signification du jugement rendu le 9 février 2021 par le tribunal judiciaire d'Annecy, effectuée par la SELARL Officialis le 3 février 2023 est nulle et de nul effet ;
- Condamner M. [H] à rembourser à la société Destination Immobilier les sommes suivantes :
- 9 391,08 euros au titre du trop versé au titre des intérêts,
- 382,21 euros au titre des dépens réclamés sur un acte nul ;
- Juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de leur paiement, le 3 février 2023 ;
- Condamner M. [H] à payer à la société Destination Immobilier la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
En tout état de cause,
- Condamner M. [H] à payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles de première instance et à la somme de 5 000 euros s'agissant des frais irrépétibles d'appel ;
- Condamner M. [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Mme Anne-Lise Barbier, avocat sur son affirmation de droit.
Au soutien de ses prétentions, la société Destination Immobilier conteste toute faute dans ses obligations résultant des deux mandats de gestion des biens immobiliers de M. [W] [H].
Par dernières écritures en date du 27 février 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [H] sollicite de la cour de :
- En premier lieu, confirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Annecy en ce qu'il a :
- Condamné la société Destination Immobilier à réparer le préjudice de M. [H] constitué par la perte de loyers afférents à l'appartement sis « [Adresse 7] » mais, actualiser ce préjudice pour tenir compte de la période réelle de vacance locative dont il est justifié du 15 septembre 2017 à juin 2020 inclus et fixer ce préjudice à un montant de 22 277,50 euros ;
- Condamné la société Destination Immobilier à payer à M. [H] la somme de 6 000 euros au titre de son préjudice moral s'agissant de l'appartement sis « [Adresse 7] » ;
- Condamné la société Destination Immobilier à payer à M. [H] la somme de 8 000 euros au titre de son préjudice moral s'agissant de l'appartement sis « [Adresse 4] » ;
- Dit que les sommes que la société Destination Immobilier est condamnée à payer portent intérêts à compter du 8 février 2018 ;
- Ordonné la capitalisation des intérêts ;
- Ordonné l'exécution provisoire.
- En second lieu, infirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Annecy en ce qu'il a :
- Rejeté les demandes de M. [H] tendant à la condamnation de la société Destination Immobilier à lui verser des dommages-intérêts au titre de la dévalorisation de ses biens immobiliers sis aux « Sources de [Localité 6] » et au « Clos de [Localité 5] » ;
Et jugeant à nouveau,
- Condamner la société Destination Immobilier à verser à M. [H] la somme de 40 600 euros au titre de la perte de chance de pouvoir vendre son bien immobilier sis les « Sources de [Localité 6] » à un prix comparable à son prix d'achat ;
- Condamner la société Destination Immobilier à verser à M. [H] la somme de 72 982 euros au titre de la perte de chance de pouvoir vendre son bien immobilier sis le « [Adresse 4] » à un prix comparable à son prix d'achat ;
- Condamner la société Destination Immobilier à verser à M. [H] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en complément de la somme de 5 000 euros au paiement de laquelle la société Destination Immobilier a été condamnée en première instance, ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [H] invoque la faute de la société Destination Immobilier dans l'exécution des deux mandats de gestion qu'il avait contractés avec elle, faute qui lui a causé des préjudices directs.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 3 juillet 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 3 octobre 2023.
MOTIFS ET DÉCISION
I - Sur les demandes principales
La société Destination Immobilier avait la gestion de deux biens immobiliers, situés en Guadeloupe, appartenant à M. [W] [H] : une maison mitoyenne dans la copropriété 'les sources du [Localité 6]' à [Localité 3], réceptionnée le 20 septembre 2007, selon mandat de gérance en date du 12 juin 2012, et un appartement dans la copropriété '[Adresse 4], livré au cours du premier trimestre 2012, selon mandat de gérance du 24 juin 2012. Le mandat de gestion a été résilié le 19 juillet 2018 pour le bien de [Localité 3] et en août 2021 pour le bien du Gosier. Il sera successivement, pour chaque bien, examiné les fautes reprochées à la société Destination Immobilier et les éventuels préjudices subis par le mandant.
Selon les dispositions de l'alinéa 1 de l'article 1991 du code civil, 'Le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution' et selon les dispositions de l'article 1992 du même code, 'Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion. Néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire'.
Selon la jurisprudence, « si le mandataire est, sauf cas fortuit, présumé en faute du seul fait de l'inexécution de son mandat, cette présomption ne saurait être étendue à l'hypothèse d'une mauvaise exécution » ( Cass. 1re civ., 18 janv. 1989 ; Cass, 1re civ., 16 mai 2006 : Bull. civ. I, n° 241 ). En cas d'inexécution pure et simple, il convient d'appliquer l'article 1991 du code civil. Il en résulte que la faute du mandataire est présumée et qu'il ne peut échapper à sa responsabilité qu'en prouvant un cas fortuit. En cas de mauvaise exécution, c'est au mandant qui réclame réparation à prouver la faute du mandataire
Aux termes des deux mandats de gestion, la société Destination Immobilier avait pour mission (article 1 - Mission - Pouvoirs') :
- la gestion des loyers ;
- les procédures de recouvrement ;
- la gestion des travaux (notamment faire exécuter les réparations inférieures à 150 euros et les réparations urgentes, pour les autres travaux, les faire exécuter après accord écrit du mandant) ;
- les changements de locataires
- les assurances dont faire toute déclaration de sinistre, en assurer la gestion et en percevoir toutes les indemnités versées par les compagnies d'assurance ;
- d'autres missions (diagnostics, représentation du mandant aux assemblées générales.....) ;
A - Sur le bien d'habitation 'source du [Localité 6]' à [Localité 3]
1 - sur la ou les fautes
Deux sinistres liés à des fuites d'eau ont été déclarées le 3 mars 2017 et le 18 septembre 2017. M. [W] [H] reproche à son mandant de ne pas avoir déclaré un sinistre d'ordre décennal dans le cadre de l'assurance dommages ouvrage, soutenant que la reprise de l'intégralité du réseau à l'origine des fuites et de l'humidité et une remise en état complète auraient dû être préconisées, de ne pas l'avoir informé en cas de refus de garantie de l'assurance DO ou d'une insuffisance de prise en charge, d'engager d'autres actions et de ne pas avoir fait réaliser les réparations pour les dommages ne relevant pas des garanties constructeurs.
Cependant, contrairement à la position de M. [W] [H], il ressort des éléments du dossier parfaitement mis en évidence par le premier juge que l'agence immobilière a géré les sinistres avec diligence s'agissant de la phase avant réparations et il ne peut être reprochée à celle-ci les conclusions de l'expert d'assurance dommage-ouvrages, lequel n'a pas retenu l'existence de désordres nécessitant des réparations couteuses.
Sur le premier sinistre, l'expert a constaté d'importantes auréoles sur les murs et plafonds du rez de chaussée et a estimé que la cause des dégâts (fuite sur canalisation de la salle de bains de l'étage) nécessitait le remplacement de la canalisation de l'alimentation du lavabo de la salle de bains de l'étage et la reprise des peintures pour un montant total de 1 643,65 euros TTC. M. [W] [H] ne justifie d'aucun élément en contradiction avec ces préconisations et si l'assurance dommage-ouvrage a pris en compte ce sinistre, c'était bien parce qu'elle avait considéré qu'il relevait de la garantie décennale.
Sur le second sinistre, l'expert a constaté trois désordres dont deux ont été pris en charge par l'assurance dommages-ouvrage : les infiltrations en pignon de la chambre R+1 qui ont causé deux auréoles au niveau d'une micro fissures verticale du pignon dont le coût des réparations a été chiffré à 380 euros ; l'infiltration en angles du chassis de la chambre R+1 dont le coût des réparations a été chiffré à 340 euros ; le troisième désordre non pris en charge étant les coulures au-dessus du chassis de la chambre R+1 dont la cause était liée à la pose de grillages contre les volatiles dans les extrémités de toiture (partie commune). M. [W] [H], comme pour le sinistre précédent, n'établit pas que les désordres avaient une cause plus importante et que la société Destination Immobilier en aurait été informée. La société Destination Immobilier indique que les réparations suite à ces sinistres ont été faites.
En réalité, M. [W] [H] ne forme aucune contestation dans ses dernières écritures devant la cour sur le fait que les réparations en suite de ces sinistres ont été faites : il soutient que l'agence immobilière ne l'a pas informé de l'état réel dans lequel se trouvait son bien et estime le démontrer avec le constat d'huissier réalisé le 27 septembre 2018 détaillé dans le jugement entrepris. Il est certain que cet appartement, au vu de ce constat, nécessite des travaux notamment de rafraîchissement des peintures et de changement du mobilier, ce qui n'est pas anormal dès lors qu'il avait loué pendant une dizaine d'années et qu'il est situé près de la mer dans une île au climat tropical. Les photographies prises par la société Destination Immobilier, quelque soit leur date, ne peuvent être exploitées dès lors qu'il ne s'agit pas de vues rapprochées et que les constatations faites par l'huissier ne mettent pas en évidence un état de dégradations majeur ni un état d'insalubrité et correspondent globalement à l'état des lieux de sortie du 20 octobre 2017, mis à part l'état de saleté.
En outre, M. [H] avait été contacté directement par le locataire, M. [S], par courrier du 14 septembre 2017 pour faire un historique des difficultés mentionnant à nouveau les deux sinistres. Fin 2017, alors qu'il avait eu le rapport Saretec du premier sinistre, il demandait le rapport du second sinistre. Dans son courrier du 8 février 2018 adressé à l'agence, il faisait état d'un état délabré de son bien et dans son courrier du 23 juin 2018, il reprochait à l'agence de ne pas s'être rapproché de lui en vue de la réalisation de travaux de rénovation, mais pour autant ne donnait aucun ordre en ce sens, alors que son accord était nécessaire pour réaliser de tels travaux.
S'agissant du reproche fait par M. [W] [H] vis à vis à de l'agence sur la recherche d'un autre locataire, celui-ci n'est pas fondé et la cour se réfère expressément à la motivation pertinente du premier juge de ce chef.
En réalité, la faute commise par la société Destination Immobilier est celle de ne pas avoir attiré l'attention de M. [W] [H] de façon formelle au départ du locataire M. [S], de la nécessité de faire des travaux de rénovation et de changement d'une partie au moins du mobilier avant une nouvelle location, la cour écartant la faute retenue par le tribunal sur la mauvaise exécution des travaux de réfection suite aux sinistres, à défaut d'éléments probants.
2 - sur le préjudice
Il est certain que la société Destination Immobilier n'a pas retrouvé de locataire entre le 17 septembre 2017 et la résiliation de son mandat en juillet 2018. Un appartement nécessitant des travaux minimum de rafraîchissement, avec un loyer élevé, n'a pas favorisé la location et la faute commise par la société Destination Immobilier dans l'accomplissement des diligences raisonnables et habituelles a donc un lien direct avec cet état de fait qui s'analyse en une perte de chance, mais pas, comme l'a justement écarté le premier juge, par des motifs que la cour adopte, une dévaluation de la valeur vénale du bien.
Pour évaluer le préjudice financier et moral allégués par M. [W] [H], il y a lieu cependant de tenir compte de l'attitude même de M. [W] [H] qui n'a donné aucun ordre pour entreprendre de tels travaux alors même qu'il connaissait la situation de ce logement depuis de nombreux mois. IL n'établit pas en outre, par la production de factures qu'il a fait des travaux pour pouvoir louer à nouveau et surtout l'appartement n'a pas été reloué entre juillet 2018 et le 1er juillet 2020, alors même que la société Destination Immobilier n'en avait plus la gestion. Par ailleurs, la période concernant l'absence de location est limitée entre octobre 2017 et juillet 2018 et ne saurait être étendue jusqu'à juin 2020, puisque la société Destination Immobilier n'était plus en charge de la gestion de ce bien à partir d'août 2018 et il n'est aucunement rapporté la preuve de ce que les constations faites par l'huissier en septembre 2018 auraient nécessité des travaux d'une durée de presque deux années.
Ainsi, la perte de chance de relouer l'appartement entre octobre 2017 et juillet 218 (10 mois), au regard de la faute établie à l'encontre de la société Destination Immobilier, doit être fixée à 50 % du montant du loyer soit la somme de 4 700 euros (940 x10x50%) et le préjudice moral sera fixé à 1 500 euros.
B - Sur le bien d'habitation '[Adresse 4]
1 - sur la ou les fautes
M. [W] [H] fait état de l'état déplorable de son bien en janvier 2020 lors de l'occupation de l'appartement du locataire, M. [X] [N] [R], entre le 11 septembre 2011 et son expulsion en juin 2021, reprochant à la société Destination Immobilier ne pas s'être enquis de l'état de l'appartement pendant la durée de la présence de M. [N]. Mais il ne rentre pas dans les obligations de l'agence immobilière de vérifier l'état de propreté d'un appartement loué, ce qui à l'évidence constituerait une violation du respect de chacun à sa vie privée et l'état de l'appartement au départ du locataire ne peut être reproché qu'à ce dernier. Il y a lieu de constater que M. [W] [H] a fait faire un constat en janvier 2020 en alléguant le souhait de vendre l'appartement et de voir si des travaux étaient nécessaires avant la vente de sorte que le locataire a accepté que l'huissier entre à son domicile.
M. [W] [H] reproche aussi à la société Destination Immobilier ne pas avoir vérifié avec suffisamment d'attention le dossier de M. [X] [N] [R], au moment de sa candidature , ce dernier ayant cessé de régler son loyer au cours du deuxième trimestre 2013 et de ne pas avoir fait de diligences suffisantes pour que l'expulsion de ce dernier intervienne dans un délai raisonnable.
M. [X] [N] [R] a loué l'appartement le 11 septembre 2012 et a cessé de régler son loyer de 790 euros par mois en mai 2013.
Lorsque M. [X] [N] [R] a candidaté pour la location de l'appartement, il a fourni à l'agence la copie de sa carte d'avocat, sa copie de passeport, un justificatif de domicile, une attestation de son comptable, BRC Gestion en date du 27 juillet 2012 faisant état d'un revenu encaissé en 2011 de 37 639,28 euros, avec un compte détaillé des encaissements, un document de la CARPAG en date du 4 juillet 2011 faisant état des honoraires d'aide juridictionnelle à hauteur de 19 881 euros, d'un avis d'imposition 2010 sur les revenus 2009 de 25 000 euros et un détail de l'imposition des revenus 2010 de 19 644 euros. L'assureur garantie des loyers impayés a donné un avis favorable. Contrairement à ce que le premier juge a indiqué, l'agence immobilière a bien sollicité les revenus sur deux ans ce qui était obligatoire d'ailleurs pour le dossier d'assurance. Il est certain que l'attestation comptable ne faisait pas état d'un revenu net mais brut, au vu de l'état des encaissements, sans que les charges ne soient mentionnées et il est certain également que l'agence, en complétant le dossier d'assurance, a indiqué le revenu brut mensuel et non le revenu net mensuel comme demandé dans la fiche (3 136 euros contre 2 083 euros en 2009 et 1 637 euros en 2010). Il est établi que la société Destination Immobilier n'a pas été particulièrement diligente dans la constitution du dossier de ce locataire et ni dans son examen, en ne sollicitant pas des pièces complémentaires notamment eu égard à la variation importante des revenus nets de l'intéressé entre 2009 et 2010, l'avis d'imposition 2011 ayant pu être demandé au moment de la souscription du contrat, puisque le loyer avec charges représentait 52 % des revenus de M. [X] [N] [R] (860 euros sur 1 637 euros). C'est donc à bon droit que le premier juge a estimé que la société Destination Immobilier avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à ce titre.
S'agissant des démarches en vue d'obtenir le départ du locataire indélicat, de nombreuses démarches ont été diligentées :
- M. [X] [N] [R] a cessé de régler son loyer en mai 2023. Après deux rappels en mai 2013 et une mise en demeure en juin 2013, un commandement de payer a été délivré le 10 juillet 2013. Une première procédure a été engagée devant le tribunal d'instance de Pointe à Pitre par l'assureur garantie des loyers impayés au nom de M. [W] [H] en appui avec la société Destination Immobilier. Cette procédure s'est déroulée avec diligence et a abouti à une ordonnance de référé ayant débouté le bailleur de ses demandes, dès lors que si le décompte du bailleur faisait apparaître fin mars 2014 un débit de 4 589 euros, M. [X] [N] [R] a produit un reçu émanant de la société Destination Immobilier daté d'avril indiquant qu'il était à jour. la société Destination Immobilier ne s'explique sur cette pièce et il n'est pas précisé s'il pouvait s'agir d'un faux.
- la société Destination Immobilier a fait délivrer un congé par commandement en date du 23 février 2015 pour le 5 septembre 2015. Une seconde procédure était engagée à nouveau par l'assureur avec un délibéré attendu en octobre 2015, mais en réalité aucune nouvelle n'était donnée à la société Destination Immobilier qui parallèlement avait fait toute diligence vis à vis de l'assureur qui n'avait plus le même courtier et afin également que M. [W] [H] soit réglé.
- une nouvelle tentative judiciaire avait lieu mais l'avocat mandaté ne se manifestait pas pour obtenir la grosse de l'ordonnance. La société Destination Immobilier écrivait en outre à M. [W] [H] pour lui demander s'il voulait engager un avocat hors assurance loyers impayés (voir courriel du 25 mars 2016). A priori, elle n'obtenait pas de réponse.
- ayant suivi ce dossier jusque fin février 2019 mais ayant cédé sa branche d'activité à une autre agence ce dont M. [W] [H] avait été avisé, elle cessait ce suivi avant de le reprendre compte tenu de sa non prise en charge par la nouvelle agence. L'assureur Cameic écrivait un courrier en date du 24 octobre 2019 pour expliquer que la mauvaise gestion de ce dossier était dû au courtier et au cabinet d'avocats choisi par lui pour la procédure.
- ce n'était que le 10 septembre 2020 que le nouvel avocat mandaté faisait délivrer l'assignation en paiement et expulsion à M. [X] [N] [R], l'arriéré de loyers s'élevant en août 2020 à 59 965 euros. Le jugement ordonnant l'expulsion était rendu le 14 avril 2021.
Contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, la société Destination Immobilier a correctement exécuté son mandat. Elle n'était pas tenue d'une obligation de résultat mais d'une obligation de moyens. Elle s'est heurtée à de nombreuses difficultés et à un traitement peu diligent de certains professionnels notamment avocats pour obtenir l'expulsion de M. [X] [N] [R]. La dernière décision en est encore une illustration : M. [X] [N] [R] et son avocat ont sollicité un renvoi à une audience mais ne se sont pas présentés à l'audience suivante de plaidoirie.
2 - sur le préjudice
M. [W] [H] n'a subi aucun préjudice matériel puisque les loyers impayés ont été pris en charge par l'assurance contractée par l'intermédiaire de la société Destination Immobilier. Il n'a formé aucune demande d'ailleurs en ce sens.
S'agissant du préjudice lié à la moins value subie par son appartement, la cour se réfère à la motivation du premier juge, en insistant sur l'absence de lien entre cette moins value et la faute de la société Destination Immobilier retenue par la cour, tout en précisant que quand bien même une faute eut-elle été retenue contre l'agence dans la gestion de la procédure d'expulsion, comme l'avait fait le premier juge, aucun lien n'aurait cependant été démontré. M. [W] [H] avait une assurance contre les dégradations, il n'a fourni aucun devis de réparation et ne justifie aucunement que les travaux de réfection dans un appartement de 55, 81 M² puissent correspondre à presque 40 % de la valeur du dit appartement. C'est donc à bon droit que le premier juge a rejeté toute demande à ce titre.
S'agissant du préjudice moral, il est certain que si la société Destination Immobilier avait été plus exigeante dans la constitution du dossier de M. [X] [N] [R], elle se serait aperçue que ce dernier ne pouvait pas faire face au loyer avec les revenus dont il disposait et toute la longue phase de procédures judiciaires ayant enfin abouti à l'expulsion de l'intéressé n'auraient sans doute pas été nécessaires. Toutefois, si la situation est toujours source de préoccupation pour le bailleur, elle l'était moins dans le cas d'espèce puisque M. [W] [H] percevait les indemnités d'assurance.
Ainsi, au vu de l'ensemble de ces éléments, le préjudice moral de M. [W] [H] sera fixé à la somme de 3 500 euros.
Les condamnations produiront intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 8 août 2018. Les intérêts dus pour une année entière seront capitalisés.
II - Sur les demandes accessoires
Si les indemnités allouées devant la cour ont été diminuées, des fautes à la charge de la société Destination Immobilier ont cependant été retenues, de sorte qu'elle sera condamnée aux dépens d'appel et sera tenue, eu égard à l'équité, de payer à M. [W] [H] une indemnité procédurale de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement entrepris sur les mesures accessoires et en ce qu'il a débouté M. [W] [H] de sa demande au titre du préjudice lié à la moins-value de ses appartements,
Infirme le jugement entrepris en ces autres dispositions,
Statuant des chefs infirmés,
Condamne la société Destination Immobilier à payer à M. [W] [H] la somme de 4 700 euros au titre de son préjudice financier lié à la perte de chance de percevoir des loyers entre octobre 2017 à juillet 2018 s'agissant de l'appartement 'les sources du [Localité 6]',
Condamne la société Destination Immobilier à payer à M. [W] [H] la somme de 1 500 euros au titre de son préjudice moral s'agissant de l'appartement 'les sources du [Localité 6]',
Condamne la société Destination Immobilier à payer à M. [W] [H] la somme de 3 500 euros au titre de son préjudice moral s'agissant de l'appartement 'le clos de [Localité 5]',
Dit que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter du 8 août 2018, date de l'assignation,
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
Y ajoutant,
Condamne la société Destination Immobilier aux dépens d'appel,
Condamne la société Destination Immobilier à payer à M. [W] [H] une indemnité procédurale de 3 000 euros.