CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 octobre 2024, n° 22/04326
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
L'Encas (SARL)
Défendeur :
Société Générale (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Autier, Me Mimran, Me Fournier Gille
EXPOSÉ DU LITIGE
La société L'Encas commercialise et exploite des appareils de distribution automatique de boissons et friandises. Dans le cadre de son activité, elle dépose fréquemment en banque d'un volume important de pièces.
Le 6 octobre 2008, la Société marseillaise de crédit lui a ouvert dans ses livres, à l'agence de [Localité 8] Capelette, un compte courant professionnel et un compte d'instruments financiers et de services.
Le 20 avril 2011, la société L'Encas a signé avec la Société marseillaise de crédit une convention régissant les dépôts d'espèces placées dans des sacoches de sécurité, destinée à faciliter les remises au guichet par la suppression de toute reconnaissance de versement contradictoire.
Le 10 juin 2020, la société L'Encas a fait constater par acte d'huissier le refus de dépôt des sacs de pièces dans trois agences de la Société Marseillaise de Crédit : l'agence Capelette, situé au [Adresse 2] ; l'agence Foch, situé au [Adresse 5] ; et l'agence Monticelli, situé au [Adresse 6].
Par lettre du 16 juin 2020, la Société marseillaise de crédit a dénoncé la convention de compte courant avec un préavis de 60 jours.
Le 10 décembre 2020, faisant valoir que la banque avait, à compter du mois de décembre 2019, brutalement manqué à son obligation conventionnelle d'accepter les dépôts d'espèces, la société L'Encas l'a faite assigner devant le tribunal de commerce de Marseille et a sollicité la somme de 25.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour violation de ses obligations légale et conventionnelle compte tenu de la rupture brutale de la relation d'affaires.
Par jugement du 2 novembre 2021, le tribunal de commerce de Marseille a débouté la société L'Encas de toutes ses demandes, la condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Suite au désistement et à l'extinction de l'instance initialement portée devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la société L'Encas a relevé appel par déclaration au greffe de la cour d'appel de Paris du 22 février 2022.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 19 mai 2022, la société L'Encas demande à la Cour, au visa des articles L. 311-1 et L. 313-12 du code monétaire et financier, de l'article L. 442-6 alinéa 5 du code de commerce ainsi que des articles 1103, 1193 et suivants du code civil, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- condamner la Société marseillaise de crédit à lui payer la somme de 25.000 €, 'à titre de dommages-intérêts découlant de la violation de ses obligations légales et contractuelles, en ce qu'elle a refusé les pièces de monnaie présentées par la société L'Encas, mais, également, compte tenu de la rupture brutale de la relation d'affaire, ayant entraîné la désorganisation la plus totale de la société L'Encas',
- condamner la Société marseillaise de crédit à lui payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 3 février 2023, venant aux droits et obligations de la Société marseillaise de crédit ensuite de l'opération de fusion-absorption intervenue, d'une part entre la Société Générale, absorbante, d'autre part le Crédit du nord et ses filiales dont la Société marseillaise de crédit, sociétés absorbées, ladite fusion étant devenue définitive le 1er janvier 2023, la Société Générale demande à la Cour, au visa de l' article L. 313-12 du code monétaire et financier et de l'article L. 442-1 II du code de commerce, de :
- prendre acte de son intervention comme venant aux droits et obligations de la Société marseillaise de crédit dans la présente procédure,
- débouter la société L'Encas des fins de son appel,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement,
- condamner la société L'Encas à lui payer la somme de 4.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 21 mai 2024.
La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la demande en dommages et intérêts formulée au visa des articles L. 313-12 du code monétaire et financier et L. 442-6 alinéa 5 du code de commerce
Moyens des parties
La société L'Encas reproche à la Société marseillaise de crédit, aux droits et obligations de laquelle se trouve maintenant la Société Générale, d'avoir brutalement, sans motif ni préavis, refusé le dépôt de ses sacs de pièces à compter de décembre 2019 et par la suite pendant le préavis de 2 mois avant la clôture de son compte courant. Elle critique le jugement, notamment, en ce qu'il a retenu qu'elle ne rapportait pas la preuve du refus d'exécution de la convention de dépôt d'espèces en sacoches sécurisées, alors qu'elle a fait constater ce fait par huissier de justice le 10 juin 2020.
L'appelante soutient que la banque a manqué à son obligation d'accepter le dépôt d'espèces, en violation de ses obligations contractuelles mais aussi des articles L. 311-1 et L. 313-12 du code monétaire et financier, les opérations de banque comprenant la réception de fonds publics.
L'appelante fait encore valoir que le refus brutal de la banque s'analyse en un abus de droit et constitue une rupture brutale de la relation commerciale établie depuis 12 ans, lui ouvrant droit à réparation par application de l'article L. 442-6 alinéa 5 du code de commerce.
Pour réclamer la somme de 25.000 €, à titre de dommages-intérêts, elle allègue avoir subi un préjudice de par la privation de trésorerie, laquelle lui permettait de régler ses fournisseurs et salariés et fait valoir s'être trouvée exposée à un risque inconsidéré en terme de sécurité du fait qu'elle devait stocker les espèces.
L'intimée conteste avoir commis la moindre faute en soutenant :
- que le constat d'huissier de justice du 10 juin 2020 ne prouve aucunement son refus d'accepter les dépôts de sacs d'espèces, mais seulement l'impossibilité de les déposer dans trois de ses agences non équipées du dispositif adéquat, à savoir des automates ;
- qu'elle-même démontre, par les relevés de compte du 31/12/2019 au 31/12/2020, que la société L'Encas pouvait déposer ses espèces ;
- que cette société connaissait le procédé de remise des espèces par automates pour l'avoir pratiqué comme le montrent ses relevés de compte d'octobre et novembre 2019 ;
- que contrairement à ce qui est prétendu, les dépôts d'espèces via les automates ne sont pas limités à quelques dizaines de pièces ;
- que l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ne s'applique qu'aux concours financiers et ne peut donc être utilement invoqué par l'appelante ;
- qu'en l'absence d'un refus de sa part d'accepter les dépôts d'espèces, il n'y a pas eu de rupture brutale de la relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-1 II du code de commerce ;
- que la dénonciation de la convention de compte courant est intervenue régulièrement, en respectant le délai légal de 60 jours, et a entraîné la fin de la convention du 22 avril 2011.
L'intimée ajoute que la société L'Encas ne démontre aucun préjudice et que le montant des dommages-intérêts demandé est totalement arbitraire. Elle n'a pas manqué de trésorerie pendant cette période, comme l'attestent ses relevés de compte. Elle ne craignait pas de stocker ses propres espèces, puisqu'elle a procédé elle-même à des retraits en espèces importants.
Réponse de la Cour
En application de l'article L 442-1, II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit.
L'article L. 313-12 du code monétaire et financier dispose que tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours et que le non-respect de ces dispositions peut entraîner la responsabilité pécuniaire de l'établissement de crédit.
Au cas présent, la convention de dépôt d'espèces conclue le 20 avril 2011 pour une durée indéterminée, qui stipulait que la clôture du compte du client entraînerait de plein droit et sans préavis la fin de la convention, précisait :
- que le client reconnaissait avoir procédé au comptage détaillé des espèces qu'il remettait dans une sacoche fermée avec annotation du montant versé, du compte à créditer et de la date de dépôt ;
- qu'un bordereau de versement espèces, rempli et signé par le client, avec le détail des sommes versées, serait joint aux valeurs ;
- que le compte du client serait crédité dès remise conforme effectuée au guichet avec délivrance d'un reçu provisoire.
La société L'Encas, alléguant que son agence bancaire de La Capelette lui refusait le dépôt de pièces, s'est adressée à un huissier de justice aux fins de procéder à des constatations, lequel a dressé un procès-verbal selon lequel le 10 juin 2020 le gérant de la société L'Encas s'est présenté :
- à l'agence de la Capelette pour y déposer trois sacs transparents remplis de pièces de monnaie, que le directeur de l'agence lui a précisé que l'agence était en travaux et non équipée d'un automate recevant les pièces, qu'il l'a invité à se rendre dans d'autres agences équipées ;
- à l'agence SMC Foch et a demandé si le dépôt de ses sacs était accepté, qu'il a voulu s'entretenir avec le directeur mais n'a pu le faire celui-ci était en rendez-vous, qu'il lui a été proposé de trouver une agence disposant d'un automate, qu'il a insisté mais que ses sacs de pièces ont été refusés ;
- à l'agence SMC [Adresse 6] pour demander si elle acceptait le dépôt de sacs de pièces, qu'une gestionnaire de portefeuille lui a répondu que désormais cette agence n'acceptait plus les sacs de pièces, que les consignes étaient désormais de les refuser et qu'elle l'invitait à se rapprocher directement de son conseiller.
La Cour retient que ce constat ne démontre pas que la banque a refusé le dépôt de pièces, mais seulement que trois de ses agences ont objecté le 10 juin 2020 que le dépôt des sacs de pièces n'était plus accepté, deux d'entre elles renvoyant la société L'Encas à se rendre dans des agences équipées d'automates permettant le dépôt de pièces.
Il est relevé, après le tribunal, qu'aucune preuve de refus de dépôt de sacs de pièces à compter de décembre 2019 n'est versée aux débats.
L'intimée justifie par ailleurs :
- par sa pièce 23, intitulée 'Gestion automatisée des espèces' que les automates ont une capacité de stockage de 13.500 billets et de 21.000 pièces d'un poids total de 120 kg et que chaque dépôt peut contenir 1.100 pièces, la banque ajoutant sans être contredite que le déposant peut faire plusieurs dépôts successifs ;
- par sa pièce 20, que ses principales agences de [Localité 8] sont équipées d'automates dans des espaces sécurisés permettant le dépôt d'espèces ;
- par ses pièces 24 et 25 correspondant à des relevés de compte d'octobre 2019 et novembre 2019, qu'avant décembre 2019, la société L'Encas avait déjà eu recours à des dépôts GAB (gestion automatisée).
Il s'en déduit que c'est uniquement le mode de dépôt des espèces dans ses agences qui a été automatisé par la banque, la société L'Encas ne démontrant en aucune façon qu'il s'agirait d'une modification substantielle de leurs relations susceptible de constituer une faute contractuelle, ni qu'il y aurait eu rupture brutale des relations commerciales établies relatives au dépôt des espèces, pouvant être à l'origine d'un préjudice.
Le refus de trois agences de la Société marseillaise de crédit d'accepter les dépôts de pièces de monnaie constaté par constat d'huissier du 10 juin 2020 ne constitue pas non plus une violation de l'article 313-12 du code monétaire et financier.
En conséquence, la société L'Encas sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
L'appelante qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure, l'appelante devra payer à l'intimée la somme supplémentaire de 3.000 €, sa propre demande à ce titre étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Donne acte à la Société Générale de ce qu'elle vient aux droits et obligations de la Société marseillaise de crédit,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société L'Encas à payer la somme de 3.000 € à la Société Générale, venant aux droits et obligations de la société marseillaise de crédit par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société L'Encas de toutes ses demandes,
Condamne la société L'Encas aux dépens d'appel.