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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 23 octobre 2024, n° 21/22295

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Lideo (SAS)

Défendeur :

Leaseplan France (SAS), Temsys (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Cancel, Me Bellichach, Me Vaugelas

T. com. Paris, 13e ch., du 13 sept. 2021…

13 septembre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

La société LeasePlan a pour activité la location de longue durée de véhicules automobiles neufs ou d'occasion. Suite à apport d'actif en date du 1er mai 2024, la société Temsys lui est subrogée dans ses droits et obligations.

La société Lideo (anciennement dénommée société Ader) a pour activité la gestion d'un réseau réunissant des experts indépendants auxquels elle confie des missions d'évaluation des risques et dommages automobiles sur des véhicules appartenant à des particuliers ou à des professionnels de la location de longue durée de véhicules.

A compter du mois de juin 1999, la société LeasePlan a commencé à confier à la société Lideo (anciennement dénommée Ader) l'accomplissement d'expertises de partie faisant suite à un sinistre ou à une panne mécanique à distance ou sur le terrain.

Les relations entre les deux sociétés ont, par la suite, été formalisées par la conclusion de plusieurs conventions dites "réseau expertise" successives, chacune pour une durée d'un an avec tacite reconduction pour une année supplémentaire sauf dénonciation avec préavis.

En 2018, la société LeasePlan a informé la société Lideo de la mise en place de nouveaux processus d'expertise avec l'aide d'un prestataire informatique.

Le 26 septembre 2018 les parties ont conclu une nouvelle convention "réseau expertise" prévoyant une augmentation des tarifs de la société Lideo applicables à compter du 16 juillet 2018 jusqu'au 31 décembre 2018.

Le 7 novembre 2018, la société Lideo, constatant que la société LeasePlan ne lui avait plus confié de missions d'expertise à compter du 23 octobre 2018 et n'avait pas réglé certaines factures, lui a adressé un mail l'interrogeant sur le devenir de leur relation commerciale. N'ayant eu aucun retour, elle lui a adressé un courrier recommandé de relance le 10 décembre 2018.

Les parties ont échangé au premier semestre 2019, en vain.

La société Lideo a adressé à la société LeasePlan le 22 juillet 2019, par recommandé, une mise en demeure de régler le montant des factures impayées et de payer la somme de 55 000 euros au titre du préjudice causé par la rupture des relations commerciales.

S'estimant victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie, la société Lideo a, par acte du 26 décembre 2019, assigné la société LeasePlan devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 13 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- Déclaré sa compétence pour statuer sur les demandes de la requérante, en application des dispositions des articles D. 442-3 du code de commerce ;

- Condamné la société LeasePlan France au paiement d'une indemnisation de 18 577,11 euros au titre du préjudice subi par la société Lideo anciennement dénommée Ader du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;

- Condamné la société LeasePlan France à payer à la société Lideo anciennement dénommée société Ader la somme de 4 000 euros au titre de l'article du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

- Condamné la société LeasePlan France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 euros dont 12,12 euros de TVA.

La société Lideo a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 17 décembre 2021, intimant la société LeasePlan.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 15 mars 2022, la société Lideo demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce (dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 29 avril 2019),

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 13 septembre 2021 en ce qu'il a fait droit à la société Lideo sur le fondement de sa demande au titre d'une rupture brutale de la relation commerciale établie ;

- L'infirmer en ce qu'il a :

* Condamné la société LeasePlan France au paiement d'une indemnisation de 18 577,11 euros au titre du préjudice subi par la société Lideo anciennement dénommée Ader du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;

* Condamné la société LeasePlan France à payer à la société Lideo anciennement dénommée société Ader la somme de 4 000 euros au titre de l'article du code de procédure civile ;

* Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires ;

En conséquence, statuant à nouveau :

- Dire que les relations commerciales entre les parties sont établies depuis plus de 18 ans ;

- Dire que la société LeasePlan a rompu ces relations sans préavis écrit ;

- Dire que la société LeasePlan engage sa responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales établies ;

- Dire que compte tenu de la durée des relations et de leur importance en termes de chiffre d'affaires, LeasePlan aurait dû accorder à Lideo (anciennement dénommée Ader) un préavis de 18 mois ;

- Dire que le préjudice subi par Lideo (anciennement dénommée Ader) du fait de cette rupture s'élève à 1 111 462,66 euros.

En conséquence,

- Condamner LeasePlan au paiement d'une indemnisation de 111 462,66 euros au titre du préjudice subi par Lideo (anciennement dénommée Ader) du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;

- Débouter LeasePlan de ses éventuelles demandes dirigées contre Lideo (anciennement dénommée Ader) ;

- Condamner LeasePlan au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner LeasePlan aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 11 juin 2022, la société LeasePlan demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

A titre principal,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 13 septembre 2021 en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société LeasePlan et l'a condamnée au paiement d'une indemnisation de 18 577,11 euros au titre du préjudice subi par la société Lideo (anciennement dénommée Ader) du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies,

A titre subsidiaire,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 13 septembre 2021, en ce qu'il a condamné la société LeasePlan au paiement de la somme de 18 577,11 euros,

Statuant à nouveau,

- Débouter la société Lideo (anciennement dénommée Ader) de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- A tout le moins, réduire le quantum de toute condamnation prononcée à l'encontre de la société LeasePlan,

- Condamner la société Lideo au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Lideo aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Jacques Bellichach, avocat.

Par conclusions en interventions volontaire, déposées et notifiées par la voie électronique le 17 juin 2022, la société Temsys demande à la Cour de :

Vu les articles 325 et suivants du code de procédure civile,

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

- Prendre acte de l'intervention volontaire de la société Temsys, subrogée dans les droits et obligations de la société LeasePlan France,

A titre principal,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 13 septembre 2021 en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société LeasePlan et l'a condamnée au paiement d'une indemnisation de 18 577,11 euros au titre du préjudice subi par la société Lideo anciennement dénommée Ader du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies,

- Débouter la société Lideo anciennement dénommée Ader de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris, en date du 13 septembre 2021, en ce qu'il a condamné la société LeasePlan France aux droits et obligations de laquelle se trouve subrogée la société Temsys, au paiement de la somme de 18 577,11 euros,

Statuant à nouveau,

- Réduire le quantum de toute condamnation prononcée à l'encontre de la société Temsys subrogée dans les droits et obligations de la société LeasePlan,

- Condamner la société Lideo (anciennement dénommée Ader) à verser à la société Temsys subrogée dans les droits et obligations de la société LeasePlan France, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Lideo anciennement dénommée Ader aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Jacques Bellichach, avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 juin 2024.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, ces dispositions ne faisant pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Sur le caractère établi de la relation commerciale

Exposé des moyens

La société Lideo soutient que sa relation commerciale avec la société LeasePlan a débuté en 1999 et a été constante et régulière jusqu'en 2018, représentant un chiffre d'affaires de 310 699 euros par an entre 2015 et 2017 (soit 60 % de son chiffre d'affaires pour la branche "collision" de son activité).

La société Temsys venant aux droits de la société LeasePlan ne discute pas le caractère établi de la relation commerciale.

Réponse de la cour

La relation commerciale pour être établie au sens du texte susvisé doit être suffisamment prolongée, significative et stable de sorte que la victime de la rupture brutale pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires.

En l'espèce, le caractère établi de la relation commerciale n'est pas contesté par les parties, lesquelles sont entrées en relation en juin 1999 (pièce n° 8, société Lideo). Le flux d'affaires a été régulier et constant jusqu'en 2018, année de la rupture, le chiffre d'affaires réalisé par la société Lideo avec la société LeasePlan ayant oscillé de 178 886,79 euros à 152 239,35 euros entre 2008 et 2018 (pièce n° 15, société Lideo).

Dans ces conditions, le tribunal a à raison retenu que la relation commerciale des parties présente le caractère établi nécessaire à l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Sur les circonstances de la rupture

Exposé des moyens

Selon la société Lideo, l'interruption soudaine et sans préavis de ses commandes par la société LeasePlan à compter du 23 octobre 2018 constitue une rupture brutale de leur relation commerciale. Elle expose que les parties avaient conclu une convention les liant jusqu'au 31 décembre 2019 que la société LeasePlan n'avait pas dénoncée. Elle conteste, en outre, sue la rupture lui soit imputable en ce qu'elle aurait refusé de modifier son intervention et aurait imposé de nouvelles conditions tarifaires à la société LeasePlan. Elle fait valoir, à ce titre, que l'intimée l'a informée au mois de mai 2018 de son projet d'internaliser certaines tâches et qu'ainsi 80 % des missions qui lui étaient confiées seraient des missions de terrain contre 37,9 % en 2016 et 41,7 % en 2017, et que de tels changements étaient de nature à bouleverser l'équilibre économique des relations, ce qui l'a conduite à se rapprocher de la société LeasePlan pour solliciter une révision tarifaire, ses tarifs antérieurs ayant été élaborés en considération du nombre d'expertises confiées et de leur nature. Elle ajoute que la société LeasePlan a accepté l'évolution de ses tarifs à compter du 1er juillet 2018 sans jamais indiquer que cette révision tarifaire puisse remettre en cause le partenariat.

En réponse, la société Temsys venant aux droits de la société LeasePlan soutient que la rupture ne peut lui être imputée dans la mesure où la société Lideo non seulement s'est opposée à la mise en place de sa nouvelle organisation mais a également tenté d'imposer une augmentation de ses tarifs par la voie d'un ultimatum en menaçant de refuser toutes nouvelles missions en cas d'opposition. Elle allègue avoir informé la société Lideo de son intention de faire évoluer ses processus internes et externes compte tenu de l'évolution du marché, la modification des solutions techniques, les contraintes économiques et l'adaptation nécessaire pour rester compétitif. Elle fait valoir que malgré la réticence de l'appelante et son refus de modifier son intervention, elle a maintenu la relation pendant plusieurs mois afin de lui laisser le temps nécessaire pour prendre d'éventuelles mesures en suite des changements en cours et que même à considérer qu'elle serait à l'origine de la rupture, le caractère brutal n'est pas rapporté puisque la seule baisse brutale des commandes et du chiffre d'affaires de la victime de la rupture alléguée sont insuffisantes à établir la brutalité de la rupture. Elle ajoute qu'en l'espèce il n'y a pas eu de baisse brutale du nombre de dossiers puisque l'évolution était négative depuis 2017 (- 16,3 % en 2017, puis - 21,9 % en 2018).

Réponse de la cour

La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à indemnisation au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, doit être brutale, c'est-à-dire effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels.

Cette disposition prévoit, toutefois, la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution suffisamment grave par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Il est constant que pour que la rupture soit imputable à l'auteur d'une modification des conditions tarifaires ou non tarifaires de la relation commerciale, une telle modification doit être substantielle et non négociable (en ce sens : Cass. com., 6 nov. 2012, n° 11-26.554, Cass. com., 20 mai 2014, n° 13-16.398).

Il est, également de jurisprudence établie que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis (en ce sens : Cass. com., 6 sept. 2016, n°14-25.891).

S'agissant, en premier lieu, de l'imputabilité de la rupture, il ressort des pièces versées aux débats qu'au mois de février 2018, la société LeasePlan a informé la société Lideo de son intention de mettre en place une nouvelle organisation et de nouveaux outils en particulier une "analyse et validation possible automatique" des devis des réparateurs ayant vocation à automatiser en partie les expertises (pièce n° 6, société LeasePlan et pièces n° 16, 26 et 27, société Lideo).

Les échanges entre les parties font, en outre, apparaître que la société Lideo a accepté d'accompagner la société LeasePlan dans la mise en place de ses nouveaux outils sans augmentation tarifaire dans l'attente des premiers résultats de ces processus notamment de ses conséquences sur les volumes d'échanges entre les parties (pièce n°26, société Lideo et pièce n° 6, société LeasePlan) :

"Pour le reste de nos échanges sur le nouveau process et les outils/applications Lacour, je vous renouvelle notre volonté de vous accompagner" (') "A ce jour n'ayant pas connaissance précise de la proposition opérationnelle qu'a pu vous faire la société Lacour, des développements envisagés ou pas de leur part, etc' il nous est difficile de nous prononcer sur les implications et/ou contraintes" (courriel adressé par le directeur général de la société Lideo à la société LeasePlan - pièce n° 26, société Lideo).

Le 18 juin 2018, la société Lideo a adressé à la société LeasePlan un suivi de leur activité faisant apparaître d'une part une baisse de 25 % des missions attribuées par rapport à 2017 et d'une autre part une évolution du ratio entre les expertises sur le terrain en augmentation et les expertises à distance en diminution. Elle a annoncé, compte tenu de cette évolution, une augmentation de ses tarifs applicable au 1er juillet 2018 faute de quoi elle refuserait toutes nouvelles missions à compter de cette même date (pièce n° 6, société LeasePlan).

Le 26 septembre 2018, les parties ont conclu une convention de réseau d'expertise pour une durée d'un an, applicable à compter du 1er janvier 2018, jusqu'au 31 décembre 2018 dont l'annexe 1, intitulé " Procédure d'expertise mise en place entre le réseau Ader et LeasePlan - service assurance " prévoit une augmentation des tarifs de la société Lideo applicables du 16 juillet 2018 au 31 décembre 2018 (pièce n° 17, société Lideo) :

"FACTURATION DES HONORAIRES :

Chaque facture doit être libellée au nom du Groupe LeasePlan France pour les véhicules immatriculés aux noms de LeasePlan ou Dial ou LOC-Action et au nom de Please si le véhicule appartient à Please ; pour tout véhicule au nom de DCS, la facture doit être libellée au nom du Groupe LeasePlan France, locataire-gérant de DCS :

Applicable du 01/01/2018 au 15/07/2018 :

1) Expertise "EAD" (Expertise A Distance) : 32.00 €HT (tarif forfaitaire)

2) Expertise "Terrain" : 60.00 €HT (tarif forfaitaire)

3) Gestion des dossiers "déclaration erronée" : 160 €HT (tarif forfaitaire)

4) Gestion des véhicules non réparables, incluant l'appel d'offres et la gestion administrative des documents : 50 €HT (tarif forfaitaire)

5) Procédure VE : 270 €HT (tarif forfaitaire)

6) Carence : 25,08 €HT (tarif forfaitaire)

Applicable du 16/07/2018 au 31/12/2018 :

1) Expertise "EAD" (Expertise A Distance) : 40.00 €HT (tarif forfaitaire)

2) Expertise "Terrain" : 78.00 €HT (tarif forfaitaire)

3) Gestion des dossiers "déclaration erronée" : 160 €HT (tarif forfaitaire)

4) Gestion des véhicules non réparables, incluant l'appel d'offres et la gestion administrative des documents : 50 €HT (tarif forfaitaire)

5) Procédure VE : 270 €HT (tarif forfaitaire)

6) Carence : 25,08 €HT (tarif forfaitaire)

Les dates d'application des tarifs s'entendent "date de facturation"."

Il se déduit de l'ensemble que, contrairement à ce qu'allègue la société Temsys venant aux droits de la société LeasePlan, l'augmentation des tarifs de la société Lideo consécutive à l'automatisation d'une partie de ses missions par la société LeasePlan a été convenue entre les parties et qu'il ne peut utilement être prétendu qu'elle lui aurait été imposée.

La Cour observe, en outre, que la société LeasePlan ne démontre pas le caractère substantiel des augmentations tarifaires de 25 % et 30 % respectivement pour l'expertise à distance, et pour l'expertise terrain. Ces évolutions ne concernant en toute hypothèse que deux des six services réalisés par la société Lideo pour le compte de la société LeasePlan.

Il s'ensuit que la rupture est imputable à la société LeasePlan, laquelle a cessé de passer commandes auprès de la société Lideo à compter du 23 octobre 2018, malgré son accord sur ses nouveaux tarifs selon convention de réseau d'expertise conclue le 26 septembre 2018.

S'agissant, en second lieu, de la brutalité de la rupture, la Cour observe qu'à compter du 7 novembre 2018, date de la dernière mission enregistrée pour son compte, la société LeasePlan a cessé de passer commande auprès de la société Lideo sans lui notifier la cessation par écrit de leur relation commerciale assortie d'un délai de préavis (pièce n° 16, société Lideo).

Or, la circonstance que le volume des commandes ait baissé en 2017 et en 2018 (- 16,3 % en 2017 par rapport à 2016 et - 21,9 % en 2018 par rapport à 2017), en particulier dans un contexte d'automatisation d'une partie des missions d'expertise confiées à la société Lideo, ne dispensait pas la société LeasePlan de notifier un délai de préavis à son partenaire commercial.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société LeasePlan a brutalement rompu sa relation commerciale avec la société Lideo.

C'est à tort que le tribunal, dans la décision attaquée, d'une part s'est appuyé sur le contenu d'un échange du 18 juin 2018 qui intervenait dans le cadre des négociations et ne constituait qu'une étape provisoire, et d'autre part a estimé qu'Ader, en formulant une demande d'augmentation d'honoraires, avait rendu la continuation de la convention plus difficile et avait ainsi contribué à son propre dommage, d'autre part.

En effet, à supposer même qu'un manquement ait été établi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, sa gravité doit être telle qu'elle justifie la résiliation unilatérale et immédiate du contrat, la rupture pouvant intervenir dans ce cas sans préavis. En revanche, si un manquement n'atteint pas le seuil de gravité requis, il ne peut être pris en considération pour diminuer le délai de préavis du au partenaire délaissé.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a considéré que le montant des dommages et intérêts alloués à Temsys devait être réduit de moitié.

Sur le préavis nécessaire

Exposé des moyens

La société Lideo soutient qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 18 mois compte tenu de la durée (18 ans) et de la teneur des relations entretenues avec la société LeasePlan (en moyenne 301 699 euros de chiffre d'affaires annuel entre 2015 et 2017). Elle conteste, en outre, l'application du délai de préavis contractuel de 3 mois aux motifs d'une part, que le seul respect d'un préavis contractuel ne suffit pas à exonérer l'auteur de la rupture de la responsabilité prévue par le texte si celui-ci ne prend pas en compte la durée de la relation commerciale établie et d'autre part, que le préavis contractuel ne trouve à s'appliquer qu'en cas de résiliation expresse de la convention et non dans le cas très spécifique d'une rupture brutale de la relation.

La société Temsys venant aux droits de la société LeasePlan répond qu'en vertu de l'arrêt Granarolo rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 14 juillet 2016 (aff. C-196/15) la responsabilité pour rupture brutale d'une relation commerciale établie est de nature contractuelle et qu'il convient, en conséquence, de se référer au contrat pour apprécier la durée raisonnable de préavis. Elle fait valoir qu'en l'espèce le délai de préavis contractuellement prévu est de 3 mois et qu'ainsi le préavis retenu ne saurait être supérieur à cette durée.

Réponse de la cour

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Il est constant qu'en droit interne l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce institue une responsabilité de nature délictuelle (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 04-13.178).

Il est, en outre, de jurisprudence établie que l'existence d'une stipulation contractuelle de préavis ne dispense pas le juge, s'il en est requis, de vérifier si le délai de préavis contractuel tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres circonstances (Cass. com., 20 mai 2014, n° 13-06.398).

En l'espèce, l'article 4 du contrat de réseau d'expertise du 26 septembre 2018 relatif à la "résiliation du contrat" prévoit un délai de préavis de 3 mois à la résiliation de la convention par chacune des parties (pièce n° 17, société Lideo).

La Cour observe, toutefois, que la relation commerciale des parties a duré 18 ans et a représenté une part significative du chiffre d'affaires total de l'appelante.

Il ressort, en effet, de l'attestation d'expert-comptable du 2 octobre 2019, non contredite, qu'entre 2008 et 2018, la société Lideo a réalisé chaque année environ 50 % de son chiffre d'affaires total hors taxe avec la société LeasePlan :

« Année

LeasePlan

Allianz

AGF La Lilloise

Total

2008

178 886,79 €

49 236,77 €

228 123,56 €

2009

348 063,27 €

5 558,37 €

353 621,64 €

2010

267 922,17 €

102 391,01 €

24 520,70 €

394 833,91 €

2011

260 008,31 €

105 639,14 €

7 627,33 €

373 274,78 €

2012

306 281,85 €

111 694,10 €

417 975,95 €

2013

119 378,36 €

92 427,20 €

211 805,56 €

2014

178 107,03 €

107 016,57 €

285 123,59 €

2015

169 094,29 €

134 371,48 €

303 456,77 €

2016

159 147,07 €

159 469,92 €

318 616,98 €

2017

161 115,55 €

121 900,95 €

283 016,14 €

2018

152 239,35 €

132 928,93 €

285 168,28 € »

(Pièces n° 15 et 24, société Lideo)

Compte tenu de la durée particulièrement longue de la relation commerciale et de l'importance du volume d'affaires réalisé entre les parties, il convient de fixer le délai de préavis nécessaire et suffisant à 8 mois.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu que l'indemnisation devait compenser le gain manqué pendant 3 mois.

Sur le préjudice

Exposé des moyens

La société Lideo expose que son taux de marge moyen réalisé avec la société LeasePlan au cours des trois dernières années de la relation a été de 24,63 %, que son chiffre d'affaires moyen réalisé au cours des trois derniers exercices antérieurs à la rupture (2015 à 2017) s'est élevé en moyenne à 301 699 euros et qu'elle aurait ainsi pu réaliser une marge brute annuelle de 74 308,46 euros en cas de poursuite des relations (soit 6 192,37 euros). Elle en déduit que le fait d'avoir été privée d'un préavis de 18 mois a eu pour conséquence de la priver d'une marge brute de 111 462,66 euros.

En réponse, la société Temsys venant aux droits de la société LeasePlan fait valoir que Lideo n'a pas communiqué les éléments permettant de déduire de la marge brute alléguée les coûts qu'elle n'a pas engagé du fait de l'absence de missions réalisées pour la société LeasePlan. Elle affirme qu'il ressort de l'attestation d'expert-comptable versée au dossier par la société Lideo que les recettes de l'année 2018 sont supérieures à celles de l'année 2017 (295 222,12 euros / 280 134,86 euros) et que les dépenses ont été moindre entre 2018 et 2017 (205 832,68 euros / 224 639,56 euros) et qu'ainsi l'absence de missions n'a eu aucun effet.

Réponse de la cour

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, qui doit être évalué au jour de la rupture, est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé.

Le calcul consiste à déterminer la moyenne mensuelle de la marge sur les deux ou trois exercices précédant la rupture et à multiplier le montant obtenu par le nombre de mois de préavis dont aurait dû bénéficier la victime de la rupture.

Au cas présent, il résulte des pièces versées aux débats et non utilement contredites, que le taux de marge moyen réalisé par la société Lideo sur les prestations confiées par la société LeasePlan s'est élevé au cours des trois derniers exercices ayant précédé la rupture, à savoir les années 2016, 2017 et 2018 à 24,63 % en moyenne (pièce n° 23, société Lideo) et que le chiffre d'affaires moyen réalisé au cours des exercices 2015, 2016 et 2017 était de 301 699 euros soit une marge brute annuelle de 74 308,46 euros et par voie de conséquence une marge brute mensuelle de 6 192,37 euros (pièce n° 15, société Lideo).

Pour déterminer le montant du préjudice subi par la société Lideo résultant de la brutalité de la rupture il convient de multiplier la marge brute mensuelle à savoir 6 192,37 euros par le nombre de mois de préavis dont elle aurait dû bénéficier à savoir 8 mois, soit 6 192,37 x 8 = 49 538,96 euros.

Dès lors, le préjudice subi par la société Lideo doit être fixé à la somme de 49 538,96 euros.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné LeasePlan à payer à Ader la somme de 18 577,11 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Exposé des moyens

La société Lideo fait valoir qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits et sollicite la condamnation de la société LeasePlan à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Temsys venant aux droits de la société LeasePlan demande la condamnation de la société LeasePlan à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Réponse de la cour

La société Temsys, qui succombe et à qui il revient de s'acquitter des dépens à hauteur d'appel, sera déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles et condamnée à verser à la société Lideo la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a condamné la société LeasePlan France à payer à la société Lideo anciennement dénommée Ader la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Temsys venant aux droits de la société LeasePlan à verser à la société Lideo la somme de 49 538,96 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie,

Condamne la société Temsys venant aux droits de la société LeasePlan à verser à la société Lideo la somme supplémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Temsys venant aux droits de la société LeasePlan aux entiers dépens d'appel.