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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 23 octobre 2024, n° 24/01485

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 24/01485

23 octobre 2024

N° RG 24/01485 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JUO7

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 23 OCTOBRE 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

22/04230

Ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rouen du 11 avril 2024

APPELANTE :

SARL ARGENTIFOLIA

RCS de Rouen 410 222 186

[Adresse 3]

[Localité 9]

représentée et assistée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de Rouen

INTIMEES :

SCP MANDATEAM

ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl ARGENTIFOLIA

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée et assistée par Me Christophe OHANIAN de la SELARL CAMPANARO NOEL OHANIAN, avocat au barreau de l'Eure

Syndicat secondaire des copropriétaires de l'ensemble immobilier dénommé [Adresse 8] situé entre la [Adresse 10] et la [Adresse 11] à [Localité 9]

représenté par son administrateur provisoire, la Selarl AJ ASSOCIES

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Jean-Baptiste LELANDAIS de la SELARL JBL AVOCAT, avocat au barreau de Rouen et assistée par Me Jérôme CHAMARD, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Hugo DELHOUME

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 25 septembre 2024 sans opposition des avocats devant Mme WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l'audience publique du 25 septembre 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 octobre 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 23 octobre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La Sarl Argentifolia est propriétaire de lots correspondant à des appartements et emplacements de stationnement, au sein de la copropriété, [Adresse 8] située entre la [Adresse 10] et la [Adresse 11] à [Localité 9].

En raison de difficultés financières affectant la copropriété, par ordonnance du 11 juillet 2012, le président du tribunal de grande instance de Rouen a désigné la Selarl Aj associés en qualité d'administrateur provisoire. Cette désignation a été renouvelée régulièrement.

La Sarl Argentifolia a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Rouen du 18 septembre 2018 ; le liquidateur judiciaire désigné était la Scp Diesbecq-Zolotarenko, désormais dénommée Scp Mandateam.

De nombreuses procédures ont opposé le copropriétaire à l'administrateur provisoire de l'ensemble immobilier. Les charges de copropriété de différents copropriétaires sont demeurées impayées.

En 2022, la Scp Mandateam, en sa qualité de liquidateur judiciaire, a vendu le lot 57 appartenant à la Sarl Argentifolia à Mme [N]. Le 4 juillet 2022, la Selarl Aj associés a fait opposition au paiement du prix de vente de ce lot afin d'obtenir paiement des charges de copropriété dues.

Par exploit extrajudiciaire du 3 octobre 2022, la Scp Mandateam, ès qualités, a fait assigner le syndicat secondaire des copropriétaires de l'ensemble immobilier [Adresse 8] en la personne de son administrateur provisoire devant le tribunal judiciaire de Rouen en nullité de l'opposition.

Par conclusions d'incident notifiées le 14 décembre 2023, la Sarl Argentifolia a demandé de déclarer recevable son intervention volontaire et de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale, une instruction étant en cours devant le magistrat instructeur du tribunal judiciaire de Rouen.

Par ordonnance du 11 avril 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rouen a :

- déclaré la Sarl Argentifolia irrecevable en son intervention volontaire à défaut de qualité à agir,

- rejeté la demande de sursis à statuer,

- réservé les dépens qui suivront le sort de ceux de l'instance au fond,

- rejeté toutes demandes plus ou contraires,

- renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience de mise en état du 11 septembre 2024 à 9 heures.

Par déclaration reçue au greffe le 23 avril 2024, la Sarl Argentifolia a formé appel de l'ordonnance.

Par décision du président de chambre du 13 mai 2024, l'affaire a été fixée à bref délai en application des articles 905 et suivants du code de procédure civile à l'audience du 25 septembre 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 1er août 2024, la Sarl Argentifolia demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel de l'ordonnance susvisée,

- la réformer,

- la déclarer recevable et bien fondée en son intervention volontaire devant le tribunal judiciaire,

- surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale initiée contre la Selarl Aj associés devant le juge d'instruction du tribunal judiciaire selon le n° parquet 14/328-202 et n°de l'instruction 15-56,

- débouter le syndicat des copropriétaires de toutes ses demandes,

- réserver les dépens.

D'une part, elle invoque le droit propre du débiteur placé en liquidation judiciaire pour voir son intervention volontaire admise. D'autre part, elle se prévaut du rapport d'expertise judiciaire de MM. [K] et [M] du 28 novembre 2024 mettant en évidence des mouvements financiers irréguliers entre la [Adresse 8] et [Adresse 6] puisqu'il n'existe pas d'union entre ces copropriétés.

Elle précise que les experts judiciaires ont relevé que l'utilisation d'un compte bancaire unique par l'administrateur provisoire entraîne une difficile traçabilité externe des multiples écritures et pourrait entraîner un risque de confusion entre les différents syndicats ; que ceux-ci ont décrit les conséquences notamment pour les charges d'eau, opaques. Elle liste les manquements qu'elle entend reprocher à l'administrateur judiciaire.

Elle affirme dès lors que les éléments de l'enquête pénale sont de nature à démontrer le caractère injustifié des demandes en paiement des charges de copropriété formées par l'administrateur judiciaire et dès lors de l'opposition au paiement du prix de vente du lot susvisé.

Par dernières conclusions notifiées le 4 juillet 2024, la Scp Mandateam, en qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl Argentifolia demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise,

- déclarer recevable l'intervention volontaire de la Sarl Argentifolia,

- statuer ce que de droit sur la demande de sursis à statuer,

- condamner la Selarl Aj associés, ès qualités d'administrateur provisoire du syndicat secondaire des copropriétaires de l'ensemble immobilier dénommé [Adresse 8] aux dépens.

Elle reprend le moyen relatif au droit propre du débiteur à intervenir dans les procédures le concernant pour soutenir la recevabilité de l'intervention volontaire de la Sarl Argentifolia. Elle ajoute que les premières conclusions des experts judiciaires dans le cadre de la procédure d'instruction mettent à mal la sincérité des comptes établis par l'administrateur judiciaire.

Par dernières conclusions notifiées le 3 juillet 2024, le syndicat secondaire des copropriétaires de l'ensemble immobilier [Adresse 8], représenté par son administrateur provisoire, demande à la cour, au visa des articles L. 641-9 du code de commerce, 112 du code de procédure civile, des articles 4 et 11 du code de procédure pénale, de :

- le recevoir en ses demandes, de les juger recevables et bien fondées,

- débouter en conséquence la Sarl Argentifolia de ses demandes,

en conséquence,

- confirmer l'ordonnance entreprise,

- condamner la Sarl Argentifolia à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance,

- fixer au passif de la Sarl Argentifolia représentée par la Scp Mandateam en qualité de liquidateur judiciaire les créances du syndicat des copropriétaires à hauteur de

5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient au visa des articles 122 du code de procédure civile et L. 641-9 du code de commerce que seul le liquidateur judiciaire a la capacité juridique à agir de sorte que l'intervention volontaire de la Sarl Argentifolia est irrecevable, l'ordonnance entreprise devant être confirmée.

En second lieu, elle souligne que la procédure pénale a pour origine une plainte avec constitution civile qui n'est pas fondée ; qu'en application de l'article 4 du code de procédure pénale la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension des autres actions exercées devant la juridiction civile, ce même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement une influence sur la solution du procès civil.

Elle ajoute qu'en l'espèce, la Sarl Argentifolia ne démontre pas l'incidence qu'aurait la procédure pénale sur l'instance civile ; que la partie civile n'est pas considérée comme concourant à la procédure d'information judiciaire au sens de l'article 11 al. 2 du code de procédure pénale et n'est pas tenue au secret de l'instruction que sauf à produire la plainte avec constitution de partie civile et à démontrer que les faits dénoncés à l'égard de l'administrateur provisoire sont susceptibles de remettre en cause les créances de la copropriété et donc l'opposition au paiement du prix de vente des lots apparetnant à la Sarl Argentifolia, la débitrice ne peut bénéficier d'un sursis à statuer dans la procédure en cours.

Elle fait état de l'ancienneté de la plainte et de l'existence d'une cinquantaine de procédure opposant la Sarl Argentifolia à la copropriété.

Elle demande dès lors la confirmation de l'ordonnance.

La clôture de l'instruction est intervenue le 25 septembre 2024.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire

L'article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité.

L'article L. 641-9 du code de commerce précise que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Toutefois, le débiteur dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens, dont les droits et actions sur son patrimoine sont exercés par le liquidateur, conserve le droit propre de défendre aux instances relatives à la détermination de son passif et aux mesures subséquentes affectant directement son patrimoine.

Ainsi, en l'espèce, la Sarl Argentifolia est intervenue volontairement à l'instance entreprise par le liquidateur judiciaire, la Scp Mandateam, ayant pour objet la nullité de l'opposition au paiement du prix de vente du lot appartenant à la société et ce, afin d'obtenir le règlement des charges de copropriété contestées par la Sarl Argentifolia.

En conséquence, l'intervention volontaire de la Sarl Argentifolia est recevable et dès lors, l'ordonnance entreprise sera infirmée sur ce point.

Sur le sursis à statuer

En application de l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

La production du rapport d'expertise de MM. [K] et [M] du 28 novembre 2023 permet de vérifier que :

- les experts ont été commis le 22 septembre 2022 par le magistrat instructeur chargé de la procédure ouverte contre X pour tentative d'escroquerie, abus de confiance qui auraient été commis entre le 17 mars 2011 et le 15 février 2015 ;

- la Sci Argentifolia s'est constituée partie civile.

Les experts relèvent dès la création du syndicat des copropriétaires le 18 septembre 1997 un montage complexe entre le syndicat des copropriétaires horizontal principal [Adresse 7] et plusieurs syndicats secondaires verticaux [Adresse 6], [Adresse 8] et [Adresse 8] bis emportant des difficultés d'analyse des règlements de copropriété et des charges dans un contexte conflictuel ancien. Ils ont souligné la distinction à opérer entre les règles applicables à la copropriété sous syndic et à la copropriété sous administration provisoire.

Par ailleurs, ils ont visé une dette de la Sarl Argentifolia à hauteur de 183 908 euros au 28 septembre 2023.

Les professionnels saisis ont relevé des anomalies dans la tenue des comptes de l'écosystème constitué par les différentes copropriétés, unies comptablement et pour partie de fait, durant la période examinée. Mais ils ont également observé que 'le refus de règlements des charges par certains copropriétaires, motivé par leur opposition systématique aux décisions des différents syndics et administrateurs a également pénalisé la gestion quotidienne des copropriétés.'

En toute hypothèse, la mission des experts ne comportaient pas le rétablissement des comptes de la copropriété de 2011 à 2015. En outre, quelles que soient les responsabilités pénales éventuellement encourues, les charges de copropriété, hors expertise, ont continué à courir au-delà de cette date et constituent partie des sommes réclamées.

L'action portant sur la nullité de l'opposition initiée par l'administrateur provisoire du syndicat des copropriétaires est liée à la reconnaissance de l'existence d'une dette au titre de ces charges. En revanche, l'issue de la procédure pénale n'a pas d'incidence sur la procédure civile puisque la seule pièce pénale utile dans le débat civil relatif à la dette de la société copropriétaire au titre des charges de copropriété est produite.

Enfin, il revient au syndicat des copropriétaires dans l'instance civile au fond de justifier de sa créance. Le débat à ce titre n'est pas amputé en l'absence des données complètes de la procédure d'instruction en cours.

En conséquence, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de sursis à statuer, le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur les frais de procédure

S'agissant du sursis à statuer, la Sarl Argentifolia, représentée par son liquidateur judiciaire, la Scp Mandateam, succombe à l'instance et en supportera les dépens.

La somme de 2 000 euros sera fixée au passif de la Sarl Argentifolia au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la Sarl Argentifolia,

Statuant à nouveau de ce chef,

Déclare recevable l'intervention volontaire de la Sarl Argentifolia dans l'instance engagée par la Scp Mandateam en qualité de liquidateur judiciaire à l'encontre du syndicat secondaire des copropriétaires de l'ensemble immobilier [Adresse 8],

Confirme l'ordonnance entreprise pour le surplus,

Y ajoutant,

Fixe au passif de la Sarl Argentifolia, représentée par la Scp Mandateam en qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du syndicat secondaire des copropriétaires de l'ensemble immobilier [Adresse 8] représenté par son administrateur provisoire,

Condamne la Sarl Argentifolia en la personne de la Scp Mandateam ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl Argentifolia aux dépens.

Le greffier, La présidente de chambre,