CA Aix-en-Provence, ch. 1-5, 24 octobre 2024, n° 21/05074
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lohan (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Magnon
Conseillers :
Mme Hoarau, Mme Carpentier
Avocats :
Me Alias, Me Prospéri, Me Salomon
EXPOSE DU LITIGE
Selon acte authentique en date du 7 mars 2013, la Sci Lohan a acquis auprès des époux [I] un bien immobilier situé au [Adresse 3], consistant en une villa composée au rez-de-chaussée d'un studio, d'un appartement de deux pièces et d'un garage, et au premier étage d'un appartement de trois pièces.
[W] [I] est décédé le 21 janvier 2016, laissant pour lui succéder son épouse et son fils [T].
Soutenant avoir découvert postérieurement que les deux appartements du rez-de-chaussée n'apparaissaient pas dans le permis de construire délivré le 5 juin 1957 à Monsieur [W] [I] et que cette situation l'empêche de modifier légalement son bien, la Sci Lohan a par actes en date du 24 février 2016 fait assigner [Z] [H] épouse [I] et [T] [I] devant le tribunal de grande instance de Grasse.
Par décision du 13 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Grasse a :
- déclaré irrecevables toutes les prétentions formulées à l'encontre de M. [W] [I],
- débouté la Sci Lohan, M. [E] [F] et Mme [C] [G] de leur demande d'annulation de la vente reçue par Me [P], notaire à [Localité 4], le 07 mars 2013,
- débouté en conséquence la Sci Lohan, M. [E] [F] et Mme [C] [G] de leur demande de restitution du prix de vente et sommes exposées par l'acquéreur,
- débouté la Sci Lohan de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [Z] [I] et M. [T] [I] de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la Sci Lohan aux dépens;
Pour statuer en ce sens le tribunal a considéré que la description du bien dans l'acte authentique correspond à l'état réel du bien litigieux, tel que les acquéreurs ont pu Ie visiter, que les appartements ont pu être habités, que la preuve de l'intention dolosive des vendeurs n'est pas rapportée car dès l'acte de donation de la nue-propriété du bien par les parents [I] à leur fils le 5 octobre 1990, soit plus de vingt ans avant la vente à la société LOHAN, l'immeuble était déclaré comme comportant les trois logements, que Monsieur [W] [I] a obtenu pour sa maison individuelle un certificat de conformité le 1er avril 1959, que ces informations permettaient à tout acquéreur normalement vigilant de se renseigner sur la conformité au permis de construire délivré le 5 juin 1957 du bien qu 'il projetait d'acheter.
Par acte du 11 octobre 2018 Sci Lohan a interjeté appel de la décision.
Par décision du 12 mars 2021 le conseiller de la mise en état a ordonné la radiation de l'instance en l'absence de régularisation suite au décès de Mme [Z] [H] veuve [I] survenu le 31 août 2020.
Par conclusions en date du 1er avril 2021, la Sci Lohan a sollicité le ré-enrôlement à l'encontre de M. [T] [I], pris en son nom personnel et en sa qualité d'unique héritier de Mme [Z] [H] veuve [I].
Par ordonnance du 6 juillet 2021 la demande d'expertise judiciaire au titre de vices cachés sollicitée par la Sci Lohan a été rejetée par le conseiller de la mise en état.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 novmebre 2020 la Sci Lohan demande à la cour de:
REFORMER le jugement rendu le 13 septembre 2018 par le Tribunal de grande instance de Grasse en toutes ses dispositions,
Dire et juger que le silence volontaire des vendeurs sur la non conformité des constructions réalisées (...) est constitutif d'une réticence dolosive ;
CONDAMNER Monsieur [W] [I] à payer à la Sci Lohan la somme de 12.329,17 euros (à parfaire) à titre de dommages et intérêts et plus précisément au titre du préjudice financier résultant de cette réticence dolosive ;
CONDAMNER Monsieur [W] [I] à payer à la Sci Lohan la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral résultant de cette réticence dolosive ;
CONDAMNER Monsieur [W] [I] à verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La Sci Lohan fait valoir :
- que les consorts [I], par l'intermédiaire de l'agence immobilière en charge de la vente litigieuse, ont diffusé une annonce publicitaire mettant en avant l'existence d'un immeuble comprenant 3 appartements outre un garage ;
- qu'elle peut faire l'objet de poursuites pénales si elle ne régularise pas dans les meilleurs délais le dépôt d'un permis de construire ;
- qu'elle ne peut procéder à aucune modification extérieure du bien litigieux sans déposer un permis dit de régularisation.
- que lorsque la concluante a entendu déclarer la création de baies vitrées , les services de l'urbanisme lui ont indiqué que la construction litigieuse et plus précisément l'existence des deux appartements du rez-de-chaussée étaient illégaux.
- que la valeur de l'immeuble litigieux qui disposait en réalité d'une superficie autorisée de 78,86,m2 était donc moindre que celle qu'elle pensait avoir acquise ;
- qu'il ressort clairement de l'acte de vente que l'acquisition de la Sci Lohan était un investissement locatif.
- qu'elle sera tenue de déposer une demande d'autorisation de construire afin de régulariser l'existence légale des deux appartements situés au rez-de-chaussée de l'immeuble, et de solliciter le concours d'un architecte afin de déposer ledit permis de construire.
- qu'elle sera contrainte d'exposer a minima la somme de 5.129,17 euros (à parfaire) au titre du paiement de la taxe d'aménagement qui sera appliquée lors de la délivrance du permis de construire régularisant la surface litigieuse ;
Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 janvier 2024 [T] [I] demande à la cour de :
CONFIRMER le jugement du 13 septembre 2018 rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRASSE ;
DEBOUTER en conséquence la Sci Lohan de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions telles que formulées à l'encontre de Monsieur [T] [I] ;
CONDAMNER la Sci Lohan à verser à Monsieur [T] [I] la somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la Sci Lohan aux entiers dépens de l'instance.
Il réplique:
- que la maison est habitée depuis qu'elle a été vendue par les consorts [I] (pour partie par les associés de la Sci Lohan et pour partie au gré de contrats de location) et que le bien répond à sa destination d'habitation ;
- que les infractions au droit de l'urbanisme invoquées par la Sci Lohan sont prescrites depuis longtemps (délai légal de 3 ans), étant souligné à cet égard que la mairie de [Localité 5] n'a manifestement jamais eu une quelconque intention belliqueuse ou procédurale malgré sa connaissance du "problème" depuis 2013,
- que la Sci Lohan a exprimé dans son courrier du 26 février 2014 que son objectif en acquérant le bien des consorts [I] était de disposer de trois appartements ;
- que la régularisation de la situation sur le plan urbanistique est tout à fait possible.
- que le bien a été défini en un lot de copropriété unique,
- qu'il n'est pas démontré que les vendeurs aient commis une faute en cachant volontairement à l'acquéreur une information ou un élément portant sur les biens dont ils savaient qu'il était déterminant aux yeux de leur contractant.
- que dans la correspondance de février 2016 la commune de [Localité 5] n'exprime pas son refus à la demande d'autorisation de travaux mais en pose les conditions ;
- qu'aucun préjudice ne peut être invoqué en l'état puisque le bien est habitable dans les conditions telles que découlant de l'acte de vente, c'est-à-dire en jouissant de 3 appartements différents.
- que selon l'acte de donation du 5 octobre 1990, soit 23 ans avant la vente litigieuse, le bien immobilier était déjà présenté comme étant constitué de 3 appartements.
- qu'elle ne prouve pas l'existence de son préjudice puisque la Sci Lohan souhaite obtenir le remboursement des honoraires d'un architecte alors même que rien ne prouve l'engagement de la SCI auprès de ce dernier.
- qu'elle n'est tenue d'aucune taxe d'aménagement à régler et ne le sera éventuellement dans le cas où elle procéderait à une modification de son bien.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 juin 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande indemnitaire au titre du dol
La Sci Lohan soutient que ses vendeurs ont diffusé une annonce publicitaire mettant en avant l'existence d'un immeuble comprenant 3 appartements outre un garage et qu'à l'occasion du projet de dépôt d'une déclaration de travaux auprès des services de l'urbanisme concernant la création de baies vitrées, elle a été informée que les deux appartements situés au rez-de-chaussée n'avaient pas été autorisés par le permis de construire délivré en 1957 à M. [I], ce comportement étant constitutif selon elle d'une réticence dolosive.
L'article 1116 du code civil dans sa version en vigueur avant le 1er octobre 2016 énonce que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Pour voir reconnaître un tel vice du consentement, il appartient à celui qui s'en plaint de rapporter la preuve que l'auteur des manoeuvres dolosives a agi intentionnellement pour tromper le contractant. Même dans l'hypothèse où il est relevé l'existence de manoeuvres, le consentement n'est considéré comme vicié que s'il est démontré que lesdites manoeuvres ont conduit la victime à la conclusion du contrat.
Le point de litige a trait à l'absence d'autorisations administratives au titre des modifications du bâtiment entre 1957 et l'acquisition en 2013.
En l'espèce l'acte authentique du 7 mars 2013 conclu entre les parties mentionne ceci :
'en page 4, au titre de l'objet du contrat que "l'acquéreur déclare parfaitement connaître lesdits biens pour les avoir visités en vue du présent acte et s'être entouré de tous les éléments d'information nécessaires à tous égards" ;
'en page 14 et 15, des informations sur les constructions au travers d'une attestation délivrée le 14 janvier 2013 par le service de l'urbanisme de la Mairie de [Localité 5] portant mention :
d'un arrêté municipal du 5 juin 1957 portant permis de construire la construction de deux maisons individuelles ; d'une déclaration d'achèvement des travaux effectués le 2 février 1959 et d'un certificat de conformité délivré le 1er avril 1959 et d'un arrêté municipal du 14 novembre 1966 portant permis de construire un garage
Et avec mention que "à ce jour, et à notre connaissance, ces immeubles ne font pas l'objet d'une procédure au titre du code de l'urbanisme".
'en page 17, que "l'immeuble est vendu dans son état actuel".
Il s'évince de ces informations que le bien est constitué de trois appartements, tel que décrit dans l'acte de vente et tel que réellement acquis par l'appelante. Il n'est pas contesté par l'appelante que celle-ci a pu utiliser le bien conformément à sa destination d'habitation, compte tenu de la configuration des lieux.
Le courrier daté du 1er février 2016 adressé par la commune de [Localité 5] mentionne que selon le permis délivré le 5 juin 1957 et le certificat de conformité délivré le 16 mars 1960, rappelés dans l'acte authentique d'acquisition du bien, la construction principale consiste en une maison individuelle d'habitation d'un seul logement, que cette construction a bénéficié d'une autorisation d'extension par la création d'un garage selon le permis délivré le 14 novembre 1966, rappelé également dans l'acte authentique.
Cette correspondance indique par ailleurs que les opérations de modifications du bâtiment par la subdivision en trois logements et la création d'un abri de jardin n'ont pas été autorisées et ajoute que la demande de création d'une porte-fenêtre envisagée par l'appelante devra s'accompagner d'une demande d'autorisation d'urbanisme portant régularisation des modifications réalisées sans autorisation.
Les termes de ce courrier n'évoquent pas une position contraignante de la part de la commune concernant les modifications réalisées avant l'acquisition par l'appelante mais simplement l'explication d'une procédure de régularisation nécessaire dans le cadre du projet de nouveaux travaux, et n'expose pas par ailleurs une difficulté prégnante quant à la situation du bien puisqu'aucun obstacle administratif majeur n'y est évoqué de nature à empêcher sa régularisation.
La Sci Lohan ne rapporte à cet égard aucun élément permettant de considérer que la régularisation du bien s'avère administrativement impossible.
Au surplus, la Sci Lohan a dès l'acquisition du bien disposé de l'ensemble des informations relatives aux autorisations administratives délivrées lors des modifications du bien et a ainsi manifesté sa connaissance de la situation juridique du bien par la mention « l'acquéreur déclare parfaitement connaître lesdits biens pour les avoir visités en vue du présent acte et s'être entouré de tous les éléments d'information nécessaires à tous égards ». Cette acquisition correspond au souhait manifesté par la Sci Lohan dans son courrier du 26 février 2014 de disposer de trois appartements, situation non contestée.
Enfin la description du bien comportant l'existence de trois logements correspond également au contenu de l'acte notarié du 5 octobre 1990 portant donation par les époux [I] à leur fils [T] de la nue-propriété du bien immobilier ensuite vendu à l'appelante.
L'ensemble de ces éléments conduit à considérer que la Sci Lohan qui a souhaité acquérir trois logements en dispose effectivement, que l'absence d'autorisations administratives des travaux de subdivision en trois logements est en l'état des pièces communiquées régularisable et n'empêche pas l'utilisation du bien dans un but locatif, que ces informations étaient soit communiquées dès l'acte de vente soit accessibles auprès des services compétents.
La Sci Lohan échoue en conséquence à démontrer l'existence de man'uvres dolosives menées intentionnellement par les vendeurs pour la tromper à l'occasion de l'acquisition du bien.
En conséquence, en l'absence de caractérisation de l'existence de réticences dolosives, les demandes indemnitaires sont sans objet et le jugement sera confirmé.
sur les demandes accessoires
En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement dans ses dispositions concernant les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
La Sci Lohan qui succombe sera condamnée aux dépens et aux frais irrépétibles qu'il est inéquitable de laisser à la charge de [T] [I].
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la Sci Lohan aux entiers dépens ;
Condamne la Sci Lohan à verser à [T] [I] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;