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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-3, 24 octobre 2024, n° 20/09097

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 20/09097

24 octobre 2024

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-3

ARRÊT AU FOND

DU 24 OCTOBRE 2024

N° 2024/130

Rôle N° RG 20/09097 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGJ3V

[K] [I] épouse [F]

[P] [F]

C/

S.A. COFIDIS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Audrey TOUTAIN

Me Joseph MAGNAN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 03 Septembre 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/02243.

APPELANTS

Madame [K] [I] épouse [F]

née le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 3],

demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Audrey TOUTAIN, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

Monsieur [P] [F]

né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 6]

représenté par Me Audrey TOUTAIN, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

S.A. COFIDIS, venant aux droits de la SA GROUPE SOFEMO, agissant poursuites et diligences de son représentant légal,

dont le siège social est sis [Adresse 4]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 03 Septembre 2024 en audience publique devant la cour composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Françoise PETEL, Conseillère, magistrat rapporteur

Mme MAGALI VINCENT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Octobre 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Octobre 2024,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Selon offre acceptée le 6 mars 2009, la SA Groupe Sofemo a consenti à Mme [K] [I] et M. [P] [F] un crédit accessoire à une vente, destiné à financer un toit photovoltaïque intégré, acquis suivant bon de commande du 6 mars 2008 auprès de la SA BSP Groupe VPF, d'un montant de 28.000 euros, remboursable en 180 mensualités.

Une « attestation de livraison-demande de financement » a été signée, et les fonds libérés le 20 mars 2009.

Par jugement du 19 novembre 2009, le tribunal de commerce d'Avignon a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la SA BSP Groupe VPF, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 6 janvier 2010.

Selon un courrier du 25 janvier 2010, en réponse à une lettre qu'elle lui aurait adressée le 18 janvier, le liquidateur judiciaire de la SA BSP Groupe VPF a indiqué à Mme [K] [I] ne pouvoir « envisager de terminer l'installation des panneaux solaires de (sa) villa ».

Les échéances du prêt étant impayées, la SA Groupe Sofemo a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure les emprunteurs de lui régler la somme de 34.124,25 euros par courriers recommandés du 26 juillet 2010.

Par exploit du 10 février 2012, la SA Groupe Sofemo a fait assigner Mme [K] [I] et M. [P] [F] en paiement devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence.

Le 12 février 2012, Mme [K] [I] a déposé plainte pour escroquerie et faux en écriture, contestant avoir contracté un crédit auprès de Sofemo et signé l'attestation de livraison-demande de financement.

Par jugement du 19 février 2015, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a dit que la signature figurant sur l'attestation de livraison-demande de financement était la signature de Mme [K] [I], en conséquence a condamné Mme [K] [I] et M. [P] [F] à payer à la SA Groupe Sofemo la somme de 34.124,25 euros outre intérêts conventionnels au taux de 6,48 % l'an à compter du 27 juillet 2010, et les a déboutés de toutes leurs demandes.

Par arrêt du 6 avril 2017, la cour d'appel d'Aix en Provence a déclaré irrecevable la nouvelle demande de Mme [K] [I] et M. [P] [F] tendant à la résolution judiciaire du contrat de prêt, et confirmé le jugement du 19 février 2015 en toutes ses dispositions.

Entre-temps, par un jugement du 28 septembre 2016, le tribunal correctionnel d'Avignon a déclaré deux responsables de la SA BSP coupables de diverses infractions, dont notamment escroquerie et pratique commerciale trompeuse, la SA Cofidis, absorbante de la SA Groupe Sofemo, étant déclarée coupable de faits qui lui étaient reprochés sous la prévention de pratique commerciale trompeuse par personne morale, remise d'une offre écrite de prêt immobilier ne contenant pas les mentions obligatoires, non remise d'une offre écrite gratuite de prêt immobilier, et non mention du taux effectif global dans un contrat de prêt, faits commis de janvier 2008 à décembre 2009 à Avignon et sur le territoire national, et rejeté, en vertu du principe « una via electa » les demandes de M. [P] [F].

Selon ce qu'indiquent Mme [K] [I] et M. [P] [F], la cour d'appel de Nîmes, par arrêt du 31 octobre 2018, devenu définitif, a infirmé ce jugement s'agissant de la SA Cofidis, au motif que la fusion-absorption opérée emportait le transfert de la responsabilité civile entre les mains de Cofidis mais pas de la responsabilité pénale, et a confirmé les dispositions civiles les concernant.

Par exploit du 7 mai 2019, Mme [K] [I] et M. [P] [F] ont fait assigner la SA Cofidis en nullité du contrat de prêt et paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence.

Par jugement du 3 septembre 2020, ce tribunal a :

' déclaré irrecevables les demandes de M. et Mme [P] [F],

' débouté la SA Cofidis de sa demande au titre de la procédure abusive,

' dit n'y avoir lieu exécution provisoire,

' rejeté les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamné M. et Mme [P] [F] aux dépens.

Suivant déclaration du 23 septembre 2020, Mme [K] [I] et M. [P] [F] ont interjeté appel de cette décision.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 16 juillet 2021, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les appelants demandent à la cour de :

' recevoir l'appel interjeté par eux, les y déclarer recevables et bien fondés,

' infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence le 3 septembre 2020 en ce qu'il :

' a déclaré irrecevables leurs demandes,

' a rejeté les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' les a condamnés aux entiers dépens,

et ce faisant, statuant à nouveau :

' juger recevables les demandes formées par eux en ce qu'elles ne portent pas atteinte au principe de l'autorité de la chose jugée, ni au principe de la concentration des moyens,

' juger que la prescription de la demande en nullité n'est pas acquise,

à titre principal :

' juger que le contrat conclu entre eux et la SA BSP est entaché de nullité absolue,

' juger que le contrat de prêt est l'accessoire du contrat principal de prestation conclu avec la SA BSP,

' ordonner en conséquence la nullité du contrat de prêt accessoire au contrat principal conclu entre eux et la SA Cofidis,

à titre subsidiaire :

' juger que la SA Cofidis ne pouvait procéder au déblocage des fonds à défaut d'exécution par la SA BSP de la prestation principale,

' juger que la SA Cofidis a commis un manquement à ses obligations en ce que l'exécution complète du contrat de vente était une condition suspensive du décaissement des fonds,

' juger que la condition suspensive était défaillante faute d'exécution du contrat par la SA BSP,

' ordonner la caducité du contrat de prêt avec la SA Cofidis du fait de l'absence d'exécution par la première entreprise de la prestation qu'il était destiné à financer,

en tout état de cause :

' constater qu'ils n'ont jamais consenti au décaissement du crédit au profit de la SA BSP,

' juger que la SA Cofidis a manqué de diligence en manquant à son obligation de vérifier si les travaux avaient été réalisés par la SA BSP en ce qu'ils conditionnaient la délivrance des fonds,

' constater la faute de la SA Cofidis et ce faisant retenir sa responsabilité extracontractuelle,

' condamner la SA Cofidis à leur rembourser les sommes versées en exécution du contrat de prêt soit 8.022,07 euros à parfaire,

' condamner la SA Cofidis à leur verser la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice matériel subi,

' condamner la SA Cofidis à leur verser la somme de 20.000 euros chacun au titre du préjudice moral subi,

' condamner la SA Cofidis à leur verser la somme de 2.500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamner la SA Cofidis aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées et déposées le 10 mars 2021, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la SA Cofidis demande à la cour de :

' dire et juger M. [P] [F] et Mme [K] [I] épouse [F] prescrits, irrecevables et subsidiairement mal fondés en leurs demandes, fins et conclusions, et les en débouter,

' confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

' condamner solidairement M. [P] [F] et Mme [K] [I] épouse [F] à lui payer la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

' condamner solidairement M. [P] [F] et Mme [K] [I] épouse [F] à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamner solidairement M. [P] [F] et Mme [K] [I] épouse [F] aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur l'autorité de la chose jugée :

Invoquant les dispositions de l'article 1355, reprenant celles de l'ancien article 1351, du code civil, les appelants font grief au tribunal de les avoir déclarés irrecevables en leur action, alors que la contestation soulevée par la présente procédure est étrangère aux contestations antérieures de sorte que la condition nécessaire relative à l'objet fait défaut, empêchant toute reconnaissance d'autorité de la chose jugée.

Ils précisent qu'en effet, il n'a jamais été statué sur la demande de nullité, ni de résolution, du contrat de prêt, demandes parfaitement différentes de celles soulevées par eux en défense lors de la première procédure, où ils se bornaient à s'opposer à la SA Sofemo, laquelle persistait dans sa volonté de les voir condamner au paiement alors qu'ils n'avaient jamais signé l'attestation de livraison, et, à cette occasion, sollicitaient que la responsabilité de la SA Sofemo pour préjudice moral soit retenue, et non la nullité du contrat ni sa résolution.

Mme [K] [I] et M. [P] [F] ajoutent que les demandes qu'ils forment ne se heurtent pas même au principe de la concentration des moyens dans la mesure où l'analyse de la plaquette publicitaire de la SA BSP faisait défaut, et où le moyen qu'ils en tirent ne pouvait dès lors être soulevé.

L'intimée réplique que la demande des emprunteurs, qui prétendent depuis l'origine que Mme [K] [I] n'a pas signé l'attestation de livraison et qu'ils n'ont jamais consenti à la libération des fonds au profit du vendeur, se heurte à l'autorité de la chose jugée et au principe de la concentration des moyens.

Elle expose que la demande que les emprunteurs formulent de manière constante est d'être dispensés de lui régler quoi que ce soit, qu'en revanche, à chaque nouvelle procédure, ils modifient uniquement leurs moyens, passant de la responsabilité du prêteur à la résolution et maintenant à la nullité du contrat de crédit.

La SA Cofidis fait valoir que, l'arrêt du 6 avril 2017 étant aujourd'hui définitif, il s'impose aux emprunteurs comme à la juridiction saisie, que le jugement devra donc être confirmé en ce qu'il a déclaré les époux [I]-[F] irrecevables en leurs demandes.

Sur ce, s'il est constant que l'arrêt, définitif, du 6 avril 2017 a confirmé le jugement du 19 février 2015 en ce qu'il a dit que la signature figurant sur l'attestation de livraison-demande de financement était la signature de Mme [K] [I], et en conséquence condamné cette dernière et M. [P] [F] à payer à la SA Groupe Sofemo, aux droits de laquelle vient la SA Cofidis, la somme de 34.124,25 euros outre intérêts, il reste que cette même décision a déclaré irrecevable la demande de Mme [K] [I] et M. [P] [F] tendant à la résolution judiciaire du contrat de prêt au motif qu'elle était nouvelle.

Ainsi la cour, comme le font à juste titre remarquer les appelants, a considéré que la demande de résolution judiciaire du contrat de prêt alors présentée par ces derniers, ayant pour objet de mettre à néant le contrat, ne tendait pas aux mêmes fins que la demande indemnitaire fondée sur la responsabilité contractuelle du prêteur initialement soutenue qui laisse subsister le contrat.

Dans ces conditions, la demande de nullité de ce contrat, qui pas plus que celle de résolution ne peut donc être considérée comme un simple moyen, n'est pas davantage atteinte par l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt confirmatif du 6 avril 2017.

L'action de Mme [K] [I] et M. [P] [F] n'est donc pas irrecevable de ce chef.

Sur la prescription :

Au visa de l'article 2224 du code civil, l'intimée soulève la prescription de la demande de nullité, dont elle fait remarquer que le fondement n'est pas précisé, que ce soit pour dol ou pour un quelconque prétendu vice du consentement.

La SA Cofidis ajoute qu'il en est de même en ce qui concerne la demande de résolution, dissimulée une fois de plus dans les conclusions adverses mais qui semble être encore une cause de l'assignation, les emprunteurs sachant pertinemment que la société venderesse n'avait pas exécuté l'intégralité de ses obligations puisqu'un courrier du mandataire liquidateur du 25 janvier 2010 les a informés de l'impossibilité de terminer l'installation.

Invoquant les dispositions des articles 2241 et 2242 du code civil, les appelants répliquent qu'en l'espèce, une assignation a été délivrée à la requête de l'organisme de prêt le 10 février 2012, laquelle procédure a donné lieu à un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 6 avril 2017, qu'un acte introductif d'instance étant, sans équivoque, interruptif de prescription, le délai de prescription a commencé à courir à compter de cette dernière date pour une durée de cinq ans, que l'action n'est donc pas prescrite.

Mme [K] [I] et M. [P] [F] font valoir que l'intimée ne saurait, de bonne foi, soutenir que l'action est prescrite, puisqu'elle est à l'origine même de l'interruption de la prescription.

Cependant, l'argumentation ainsi développée par les appelants est inopérante.

En effet, si, par application des articles 2241 et 2242 précités, l'introduction d'une instance emporte interruption du délai de prescription, encore faut-il que ladite instance concerne la demande litigieuse susceptible de prescription.

Et les époux [I]-[F] ne sauraient prétendre se prévaloir de l'action en paiement engagée à leur encontre par l'établissement prêteur qui a donné lieu à l'arrêt définitif du 6 avril 2017, alors même que, ainsi que précédemment retenu, ladite procédure ne comportait de leur part aucune demande de nullité du contrat.

Ainsi, le délai quinquennal de prescription de leur action ayant, conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil, commencé à courir, s'agissant d'un financement qu'ils contestent avoir jamais sollicité, dès le moment où ils ont été avisés du déblocage des fonds, avis que Mme [K] [I], dans sa plainte du 12 février 2012, reconnaît avoir reçu sans cependant en préciser la date, et à tout le moins lors du prélèvement que l'appelante, dans cette même plainte, indique avoir observé en novembre 2009, voire au plus tard le 29 juin 2011, date d'un courrier qu'elle déclare alors avoir adressé au procureur de la République de Marseille, la prescription était acquise le 7 mai 2019, date à laquelle ils ont fait délivrer assignation à la SA Cofidis.

Mme [K] [I] et M. [P] [F] sont donc irrecevables en leur demande de nullité du contrat de prêt.

Il en est de même en ce qui concerne leur demande subsidiaire de caducité dudit contrat, les appelants ayant eu connaissance du caractère définitif de l'inexécution qu'ils invoquent dès décembre 2009 ainsi que cela ressort de la plainte précitée du 12 février 2012.

Quant à leur action en responsabilité extracontractuelle, fondée sur les mêmes faits, elle est également prescrite.

Sur la procédure abusive :

Exposant qu'il est inacceptable qu'elle ait fait l'objet d'une nouvelle assignation par les emprunteurs alors qu'elle détient un jugement définitif les condamnant à lui payer le capital et les intérêts depuis la déchéance du terme, que cette procédure est manifestement abusive, d'autant qu'ils récidivent en appel, que, par ailleurs, les appelants lui causent nécessairement un préjudice puisqu'elle doit une nouvelle fois engager des frais pour obtenir, en justice, la reconnaissance de ses droits les plus légitimes, la SA Cofidis sollicite leur condamnation à lui verser des dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.

Cependant, outre qu'elle n'établit pas que, par mauvaise foi ou intention de nuire, Mme [K] [I] et M. [P] [F] aient laissé dégénérer en abus leur droit d'agir en justice ou d'exercer un recours qui leur était ouvert, l'intimée ne justifie d'aucun préjudice particulier, les frais dont elle fait état relevant des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sa demande est donc rejetée, et le jugement également confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris,

Condamne in solidum Mme [K] [I] et M. [P] [F] à payer à la SA Cofidis la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Les condamne aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT