Cass. 3e civ., 17 octobre 2024, n° 23-11.682
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Sud Méditerranée (SA)
Défendeur :
Pernod Ricard France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Vernimmen
Avocat général :
M. Brun
Avocats :
Me Yves et Blaise Capron, Me Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 15 novembre 2022), le 15 mars 2018, la société Pernod Ricard France, venant aux droits de la société Pernod (la société Pernod), a confié l'exécution de travaux de terrassement et de gros oeuvre à la société François Fondeville, qui a sous-traité à la société Farines TP les travaux de démolition du dallage et de création de réseaux enterrés, dont le paiement a été garanti par un cautionnement de la société compagnie européenne de garantie et cautions (la CECG).
2. Le 5 juillet 2018, la société François Fondeville a cédé la totalité des créances résultant du marché de travaux conclu avec la société Pernod à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (la CRCAM).
3. Par deux avenants des 16 juillet et 5 septembre 2018, la société François Fondeville a confié à la société Farines TP la réalisation de travaux supplémentaires.
4. La société François Fondeville a été placée en redressement judiciaire par jugement du 9 octobre 2018.
5. Se heurtant au refus de la société Pernod de payer, en exécution de la cession de créance, la situation n° 4 de travaux, la CRCAM l'a assignée en paiement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. La CRCAM fait grief à l'arrêt de dire que la cession de créances du 5 juillet 2018 qu'elle a conclue avec la société François Fondeville est inopposable à la société Farines TP, sous-traitant, et de rejeter sa demande en paiement à l'encontre de la société Pernod, maître de l'ouvrage et débiteur cédé, alors « que la cession par l'entrepreneur principal de créances résultant du marché passé avec le maître de l'ouvrage et correspondant à des travaux qu'il a sous-traités n'est pas inopposable, en son intégralité, au sous-traitant et, partant, au maître de l'ouvrage, dans le cas où l'action directe est exercée à son encontre, pour les raisons que le paiement d'une partie seulement de ces créances, correspondant à des travaux supplémentaires, n'a pas été garanti par le cautionnement visé à l'article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et n'a pas donné lieu à une délégation de paiement par l'entrepreneur principal du maître de l'ouvrage au sous-traitant ; qu'en énonçant, par conséquent, après avoir relevé que le paiement au sous-traitant des créances cédées à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée à hauteur d'un montant de 86 532,50 euros, correspondant aux travaux initialement sous-traités par la société François Fondeville à la société Farines TP le 17 avril 2018, avait bien été garanti par un cautionnement souscrit par la société Compagnie européenne de garantie et cautions à hauteur de la somme de 86 532,50 euros avant la cession de créances conclue entre la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée et la société François Fondeville, pour dire que la cession de créances conclue entre la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée et la société François Fondeville était inopposable à la société Farines TP, sous-traitant, et pour rejeter, en conséquence, la demande en paiement formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée, cessionnaire, à l'encontre de la société Pernod Ricard France, maître de l'ouvrage et débiteur cédé, qu'il n'était pas contesté qu'aucune délégation n'avait été régularisée et que l'absence de cautionnement des travaux supplémentaires sous-traités, les 16 juillet et 5 septembre 2018, et de délégation de paiement relative à ces travaux rendait inopposable au sous-traitant la cession de créances relative à ces travaux que l'entrepreneur principal n'avait pas effectué lui-même et en déduisant que le maître de l'ouvrage, débiteur cédé, demeurait débiteur sur le fondement de l'action directe, peu important la date de cette cession de créance, quand les circonstances qu'elle relevait ne rendaient pas, à elles seules, inopposable, en son intégralité, la cession de créances, conclue entre la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée et la société François Fondeville, à la société Farines TP, sous-traitant et, partant, à la société Pernod Ricard France, maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 13-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 13-1 et 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 :
7. D'une part, il résulte de la combinaison de ces textes que l'entrepreneur principal ne peut céder la part de sa créance sur le maître de l'ouvrage correspondant à sa dette envers le sous-traitant sans avoir obtenu, préalablement et par écrit, un cautionnement personnel et solidaire garantissant les paiements de toutes les sommes qu'il doit au sous-traitant en application du sous-traité.
8. Il est, en conséquence, jugé qu'en l'absence d'un tel cautionnement, la cession par l'entrepreneur principal de créances correspondant à des travaux qu'il a sous-traités est inopposable au sous-traitant, peu important qu'une telle cession et le paiement effectué pour en assurer l'exécution soient intervenus antérieurement à l'exercice de l'action directe du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage (Com., 16 mai 1995, pourvoi n° 92-21.876, publié), de sorte que le sous-traitant, qui exerce l'action directe prévue à l'article 12 de la loi précitée, doit être payé par préférence au cessionnaire de la créance de l'entrepreneur principal (3e Civ., 29 mai 1991, pourvoi n° 89-13.504, publié).
9. Cette primauté du paiement du sous-traitant, qui vise à sanctionner une cession de créance intervenue en méconnaissance de ses droits, ne s'applique que pour les travaux sous-traités dont le paiement n'a pas été garanti.
10. D'autre part, il est jugé que la banque, qui a fourni le cautionnement prévu à l'article 14 susvisé, subrogée, après paiement, dans les droits et actions du sous-traitant, est fondée à exercer l'action directe dont disposait celui-ci contre le maître de l'ouvrage (3e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-10.719, publié).
11. Il en résulte que, si le cautionnement ne couvre pas les travaux confiés ultérieurement au sous-traitant par la conclusion d'autres contrats, la cession par l'entrepreneur principal de créances correspondant aux travaux sous-traités n'est inopposable au sous-traitant et à la caution subrogée que dans la limite des travaux dont le paiement n'a pas été garanti. Le maître de l'ouvrage ne peut donc se prévaloir d'une telle inopposabilité qu'à concurrence des sommes correspondant au montant des travaux sous-traités non garanti.
12. Pour rejeter la demande du cessionnaire en paiement de la situation de travaux n° 4, d'un montant de 77 458,26 euros, l'arrêt retient que la société François Fondeville a cédé à la CRCAM la totalité des créances nées du marché conclu avec la société Pernod dont une partie correspondait à sa dette envers le sous-traitant et que si le paiement des travaux figurant au sous-traité a fait l'objet d'un acte de cautionnement, celui des travaux supplémentaires n'a pas été garanti.
13. Il constate que, pour un montant total de travaux sous-traités par l'entreprise principale de 120 282,50 euros, la société Pernod, maître de l'ouvrage et débiteur cédé, a remboursé à la caution la somme de 86 532,50 euros et payé à la société Farines TP, au titre de l'action directe exercée par celle-ci, celle de 28 709,98 euros, correspondant aux travaux supplémentaires non couverts par un cautionnement, de sorte que le maître de l'ouvrage n'est redevable d'aucune somme à la CRCAM.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que seuls les travaux supplémentaires confiés au sous-traitant à hauteur des sommes de 26 750 euros et de 7 000 euros n'avaient pas été garantis par un cautionnement, de sorte que le maître de l'ouvrage ne pouvait se prévaloir de l'inopposabilité de la créance cédée qu'à concurrence de ces sommes, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de nullité du jugement, l'arrêt rendu le 15 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la société Pernod Ricard France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille vingt-quatre.