CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 4 octobre 2024, n° 24/03805
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Syndicat Interdépartemental pour l'Assainissement de l'Agglomération Parisienne (Sté)
Défendeur :
Entreprise Plesséenne d'Electricité (SARL), Inforomu (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseiller :
Mme Gaffinel
Avocats :
Me Landivaux, Me Gentes, Me Toulon
Le syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (ci-après SIAAP), établissement public à caractère administratif, en charge de l'assainissement et de la dépollution des eaux usées, pluviales et industrielles, a notifié, le 13 janvier 2016, à la société Entreprise Plesséenne d'Electricité (ci-après EPE) un marché public ayant pour objet 'Maintenance et travaux sur les équipements électriques et d'automatismes des installations du SIAAP - lot n°6 - Equipements CFO/CFA pour les installations tertiaires et administratives du secteur Ouest'.
Dans le cadre de l'exécution de ce marché, la société EPE a établi, le 4 mars 2019, un devis pour la fourniture et la pose de deux bornes de recharge pour véhicule électrique, pour un montant de 15.009,38 euros HT. Le 21 mars suivant, le SIAAP a émis un bon de commande n° 474338, relatif à cette prestation pour le montant précité.
Cette prestation a été partiellement sous-traitée par la société EPE à la société Inforomu, spécialisée dans l'installation de ces bornes, laquelle a été régulièrement déclarée en qualité de sous-traitant auprès du maître de l'ouvrage, qui a agréé ses conditions de paiement.
A la suite de la réalisation des travaux, la société Inforomu a établi, le 19 octobre 2020, à l'attention de la société EPE, une facture d'un montant de 9.261,50 euros HT correspondant à la part des travaux qu'elle a exécutée.
La société EPE a, pour sa part, émis une facture le 20 octobre 2020 adressé au SIAAP, comprenant le coût des travaux qu'elle a réalisés pour la somme de 5.747,88 euros HT et celui des travaux entrepris par son sous-traitant pour la somme de 9.261,50 euros HT.
Cette facture a été enregistrée sur la plate-forme Chorus, solution mutualisée de facturation mise en place pour tous les fournisseurs de la sphère publique.
N'ayant pu obtenir le paiement de sa prestation en dépit de lettres de relance et d'une lettre de mise en demeure reçue le 27 novembre 2023 par la société EPE, et des démarches entreprises à cet effet par cette société envers le SIAAP, vis à vis duquel elle bénéficie d'un droit au paiement direct, la société Inforomu a, par acte du 29 décembre 2023, assigné la société EPE devant le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil afin, notamment, d'obtenir sa condamnation, par provision, au paiement de la somme de 9.764,75 euros au titre de sa facture impayée, de la pénalité de retard de 5 % et de la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement outre intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2023.
Par acte du 8 janvier 2024, la société EPE a assigné en intervention forcée, devant cette juridiction, le SIAAP afin, notamment, qu'il soit condamné à régler à la société Inforomu, bénéficiaire du paiement direct, les sommes réclamées par celle-ci et, subsidiairement, à la relever et garantir de toute condamnation pécuniaire susceptible d'être prononcée à son encontre.
Par ordonnance du 24 janvier 2024, le premier juge a :
prononcé la jonction des deux instances ;
ordonné le paiement, par provision, par l'établissement SIAAP de la somme de 9.261,50 euros, outre la pénalité de 5% du montant en principal, avec les intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2024 ;
ordonné le paiement, par provision, par l'établissement SIAAP de la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement ;
ordonné la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;
rejeté la demande de la société Inforomu à l'encontre de la société Entreprise Plesséenne Electricité ;
condamné l'établissement SIAAP au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
rejeté toutes autres demandes.
Par déclarations des 16 et 27 février 2024, le SIAAP a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif et en intimant respectivement la société Inforomu (instance enregistrée sous le n° 24/03805) et la société EPE (instance enregistrée sous le n° 24/04395).
Ces instances ont été jointes le 17 mai 2024.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 24 juillet 2024, le SIAAP demande à la cour de :
In limine litis,
dire que le litige en cause relève de la compétence de la juridiction administrative ;
en conséquence,
réformer l'ordonnance entreprise en ce que le premier juge, ayant retenu sa compétence, a prononcé la jonction des deux instances, ordonné qu'il procède au paiement, par provision, au profit de la société Inforomu de la somme de 9.261,50 euros, outre la pénalité de 5% du montant en principal, avec les intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2024 ainsi que de la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement ;
renvoyer la société EPE et la société Inforomu à mieux se pourvoir ;
à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour retiendrait sa compétence,
dire que la créance de la société Inforomu est sérieusement contestable et qu'il ne peut être procédé au paiement direct ;
en conséquence,
infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions dont il a relevé appel ;
dire et juger n'y avoir lieu à référé ;
en tout état de cause,
condamner la société EPE et la société Inforomu à lui payer, chacune, la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 3 septembre 2024, la société EPE demande à la cour de :
débouter le SIAAP de toutes ses demandes ;
débouter la société Inforomu de ses demandes de paiement dirigées contre elle ;
la juger recevable et bien fondée en ses demandes ;
confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
y ajoutant
ordonner sa mise hors de cause ;
à titre subsidiaire,
condamner le SIAAP à la relever et garantir de toutes les condamnations pécuniaires qui pourraient être prononcées contre elle dans l'instance qui l'oppose à la société Inforomu ;
condamner le SIAAP à lui régler la somme de 5.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec faculté de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 19 juillet 2024, la société Inforomu demande à la cour de :
à titre principal,
confirmer l'ordonnance critiquée en toutes ses dispositions ;
à titre subsidiaire,
infirmer l'ordonnance critiquée en ce qu'elle a rejeté sa demande en paiement formée à l'encontre de la société EPE ;
condamner la société EPE à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 9.764,57 euros TTC en principal, correspondant à la facture en date du 19 octobre 2020 à ce jour impayée ;
dire que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2023, date de réception de la mise en demeure, et ce, avec anatocisme ;
en tout état de cause,
condamner le SIAAP et la société EPE à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 4 septembre 2024.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la compétence
Pour soulever l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire, le SIAAP soutient, tout comme il l'avait fait devant le premier juge, qui n'a pas statué sur ce point, que le présent litige porte sur l'exécution d'un marché public et les conditions de paiement liées à celui-ci et non sur le contrat de droit privé conclu entre la société EPE et la société Inforomu et rappelle que les litiges relatifs au paiement direct au sous-traitant par le maître de l'ouvrage du prix des prestations réalisées dans le cadre d'un marché public sont de la seule compétence de la juridiction administrative. Il en déduit que l'action directe du sous-traitant engagée à son encontre ne peut que relever de la compétence des juges administratifs.
La société EPE, qui ne conteste pas la compétence de la juridiction administrative au regard de la nature du marché conclu avec le SIAAP, fait cependant valoir que la société Inforomu l'a assignée en première instance sans invoquer le bénéfice du paiement direct dont elle bénéficie à l'encontre du maître de l'ouvrage ; que ne pouvant de ce fait régler directement le sous-traitant, elle a été contrainte d'assigner en intervention forcée le SIAAP devant le premier juge, sur le fondement de l'article 331, alinéa 1 du code de procédure civile ; que les parties initiales au litige sont liées par un contrat de droit privé, le contrat de sous-traitance ; qu'il en résulte que le juge judiciaire est compétent pour connaître de l'action engagée dès lors que deux des participants à l'exécution des travaux (les sociétés Inforomu et EPE) sont unis par un contrat de droit privé.
La société Inforomu s'oppose également à l'exception d'incompétence soulevée en indiquant n'avoir pas mis en cause le SIAAP contre lequel elle n'a pas exercé une action directe en paiement mais précise n'avoir agi qu'à l'encontre de son cocontractant, la société EPE. Elle conclut donc à la compétence du juge judiciaire pour connaître de son action et de celle en garantie engagée par la société EPE contre le maître de l'ouvrage.
Elle ajoute, en tout état de cause, que le litige qui l'oppose à la société EPE relève des juridictions de l'ordre judiciaire de sorte qu'a minima, la cour devra statuer sur son action, la jonction prononcée par le premier juge ne faisant pas disparaître l'autonomie des deux instances introduites tant par elle-même à l'encontre de la société EPE que par cette dernière à l'encontre du SIAAP et rappelle avoir formé un appel incident, la société Inforomu ayant en effet, à titre subsidiaire, sollicité l'infirmation de l'ordonnance entreprise et la condamnation de la société EPE.
Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux public et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative quel que soit le fondement juridique de l'action engagée, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé et que le litige concerne l'exécution de ce contrat.
Selon l'article L.2193-11 du code de la commande publique, le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par l'acheteur est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution. Toute renonciation au paiement direct est réputée non écrite.
Il résulte de ce texte issu des dispositions de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et de celles-ci, que le sous-traitant dispose d'un droit au paiement direct par le maître de l'ouvrage auquel il ne peut renoncer.
Cependant, l'institution du paiement direct du sous-traitant par le maître de l'ouvrage ne fait pas disparaître le contrat de sous-traitance et laisse au sous-traitant la faculté d'agir en paiement contre l'entrepreneur principal sans être contraint d'épuiser auparavant les voies de recours contre le maître de l'ouvrage.
Au cas présent, l'action en paiement a été engagée par la société Inforomu à l'encontre de la société EPE, toutes deux sociétés de droit privé, afin d'obtenir le paiement du prix des travaux qu'elle a réalisés en qualité de sous-traitante pour le compte d'une personne publique, maître de l'ouvrage, le SIAAP. Cette action ne peut avoir d'autre fondement que le contrat de sous-traitance conclu entre les sociétés EPE et Inforomu. Ainsi, même s'il est relatif à l'exécution de travaux publics, ce contrat conclu entre deux personnes de droit privé, présente le caractère d'un contrat de droit privé de sorte qu'il appartient aux juridictions de l'ordre judiciaire de connaître du litige en résultant.
L'action engagée à l'encontre de la société EPE par la société Inforomu, qui, en première instance, n'a pas entendu se prévaloir du paiement direct dont elle seule bénéficie à l'égard du maître de l'ouvrage, relevait donc de la compétence du premier juge et, par suite, de la cour saisie du litige.
En revanche, l'action exercée par la société EPE à l'encontre du SIAAP en paiement direct, alors que celui-ci ne lui bénéficie pas, et en garantie, qui est exercée contre une personne publique et a pour origine l'exécution d'un marché public, ressort à la compétence du juge administratif.
La jonction prononcée par le premier juge entre les instances introduites par la société Inforomu d'une part, et la société EPE d'autre part, n'ayant pas eu pour effet de créer une procédure unique, il convient de déclarer les juridictions de l'ordre judiciaires compétentes pour connaître de l'action opposant les sociétés Inforomu et EPE et incompétentes pour statuer sur celle opposant la société EPE au SIAAP.
Au regard de l'exception d'incompétence soulevée par le SIAAP et retenue par la cour, l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a condamné cet établissement public, ne peut être qu'infirmée en toutes ses dispositions.
Sur la provision
Selon l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce, dans les limites de la compétence de ce tribunal, peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Ainsi qu'il a été précédemment rappelé, l'institution du paiement direct du sous-traitant par le maître de l'ouvrage n'a pas pour effet de décharger l'entreprise principale, titulaire du marché, de son obligation contractuelle au paiement des travaux réalisés.
Il en résulte que la société EPE n'est pas fondée à invoquer une impossibilité de règlement de son cocontractant.
La société EPE ne conteste pas la bonne exécution des travaux sous-traités à la société Inforomu pour un montant de 9.261,50 euros HT, lequel résulte notamment de son devis du 2 juin 2020, de sa facture en date du 19 octobre 2020, et de celle établie par la société EPE le 20 octobre suivant à destination du SIAAP.
L'obligation de la société EPE ne se heurtant à aucune contestation sérieuse, il convient de la condamner, par provision, au paiement de la somme susvisée, qui produira intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2023, date de réception de la lettre de mise en demeure qui lui a été adressée et qui ne visait que cette somme.
A celle-ci s'ajoutera une pénalité de retard de 5 % prévue dans la facture, soit la somme de 463,07 euros ( 9.261,50 x 5 %) ainsi que la somme de 40 euros à titre de pénalité forfaitaire de recouvrement également prévue dans la facture et conformément à l'article L.441-10 du code de commerce.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant en ses prétentions, la société EPE supportera les dépens de première instance et d'appel.
Ayant contraint la société Inforomu à exposer des frais irrépétibles pour assurer sa défense, la société EPE sera tenue de lui verser la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera également condamnée à payer au SIAAP la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés pour se défendre.
PAR CES MOTIFS
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau,
Déclare compétentes les juridictions de l'ordre judiciaire pour connaître de l'action engagée par la société Inforomu à l'encontre de la société Entreprise Plesséenne d'Electricité ;
Déclare incompétentes les juridictions de l'ordre judiciaire pour connaître de l'action engagée par la société Entreprise Plesséenne d'Electricité à l'encontre du syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne ;
Renvoie la société Entreprise Plesséenne d'Electricité à mieux se pourvoir ;
Condamne, par provision, la société Entreprise Plesséenne d'Electricité à payer à la société Inforomu les sommes de :
- 9.261,50 euros HT assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2023, avec capitalisation de ces derniers dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
- 463,07 euros au titre de la pénalité contractuelle de 5 % ;
- 40 euros au titre de la pénalité pour frais de recouvrement ;
Condamne la société Entreprise Plesséenne d'Electricité aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Inforomu d'une part, et au syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne d'autre part, la somme de 2.500 euros à chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.