CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 24 octobre 2024, n° 23/13759
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Bottero (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pacaud
Conseillers :
Mme Tarin-Testot, Mme Neto
Avocats :
Me Simon-Thibaud, Me Juston, Me Montagard
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 23 août 2021, monsieur [N] [Y] et son épouse, madame [F] [I] ont donné à bail à la société à responsabilité limitée (SARL) Bottero, moyennant un loyer de 460 euros par mois hors taxe, un local commercial sis [Adresse 2] à [Localité 5] [Localité 5].
Par acte de commissaire de justice, en date du 17 août 2022, ils ont fait délivrer à leur locataire un commandement, visant la clause résolutoire du bail, de payer la somme de 4 600 euros correspondant à dix échéances de loyers impayées.
Par exploit en date du 26 octobre suivant, il ont fait assigner la SARL Bottero devant le président du tribunal judiciaire de Nice, statuant en référé, aux fins d'entendre, au principal, constater l'acquisition de la clause résolutoire, ordonner son expulsion et de la voir condamner à lui verser la somme provisionnelle de 4 600 euros, à valoir sur la dette locative, ainsi que 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance contradictoire en date du 23 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice a :
- dit n'y avoir lieu à référé ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des époux [Y] ;
- laissé les dépens à la charge de M. [N] [Y] et Mme [F] [I] épouse [Y].
Il a notamment considéré :
- qu'il convenait de se déclarer incompétent pour statuer sur le présent litige, le juge du fond étant saisi depuis le 16 septembre 2022, antérieurement à l'assignation, d'une opposition au commandement de payer délivré et donc d'une contestation du montant de la dette locative réclamée, l'instance étant actuellement pendante devant le juge de la mise en état ;
- que seul le juge du fond (pourrait) dire si le bailleur a, en l'espèce, manqué à son obligation de délivrance en s'abstenant de remettre un double des clés d'entrée du local, la clé de la grille de protection extérieure, le bip ou la clé de l'immeuble etc ..., l'exception d'inexécution soulevée par la défenderesse caractérisant une contestation sérieuse.
Selon déclaration reçue au greffe le 7 novembre 2023, M. [N] [Y] et Mme [F] [I] épouse [Y] ont interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.
Par dernières conclusions transmises le 15 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, ils sollicitent de la cour qu'elle infirme l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau :
- constate le jeu de la clause résolutoire inscrite au contrat de bail commercial en date du 23 août 2021 ;
- prononce l'expulsion de la société Bottero et de tous occupants de son chef des lieux objet du contrat de bail ;
- condamne, par provision, la SARL Bottero à payer aux époux [Y] la somme de 4 600 euros, correspondant aux loyers impayés à compter du 1er septembre 2021 ;
- condamne la SARL Bottero à payer la somme de 460 euros par mois correspondant au dernier loyer à titre d'indemnité d'occupation jusqu'à son départ effectif des lieux ;
- condamne la SARL Bottero aux entiers dépens, outre le paiement d'une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL Bottero, régulièrement intimée par procès-verbal de recherches infructueuses, n'a pas constitué avocat.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 4 septembre 2024.
Par soit-transmis en date du 26 septembre 2024, la cour a demandé au conseil des l'appelants de bien vouloir lui indiquer, par le truchement d'une note en délibéré, à quelle date le juge de la mise en état a été saisi dans le cadre de l'instance au fond, initiée par une assignation délivrée le 16 septembre 2022 aux fins d'annulation du commandement de payer.
Par note en délibéré transmise le 2 octobre suivant, le conseil de l'appelante a justifié par la production de la 'fiche e-barreau de l'affaire n° RG 22/03679" que lors d'une audience, dite de conférence, tenue le 16 janvier 2023, le président de la 3ème chambre civile du tribunal judiciaire de Nice avait renvoyé cette affaire à la mise en état du 27 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient de relever à titre liminaire qu'après s'être déclaré incompétent pour statuer sur le présent litige, ce qui aurait dû clôre sa motivation, le premier juge s'est étonnamment prononcé sur l'existence d'une contestation sérieuse et donc sur 'le fond du référé'.
Dès lors, la cour considérera ce second paragraphe comme un développement surabondant.
Sur la compétence du juge des référés
Il convient de rappeler, à titre liminaire que l'exercice d'une action au fond, à l'origine du défaut de pouvoir juridictionnel du juge des référés, constitue, non une exception d'incompétence, comme retenu par le premier juge, mais une fin de non-recevoir qui peut, en tant que telle, être proposée en tout état de cause.
Aux termes de l'article 789 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
- statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance : les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;
- allouer une provision pour le procès ;
- accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5, 517 et 518 à 522 ;
- ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
- ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction ;
- statuer sur les fins de non-recevoir.
En application des dispositions de ce texte, le juge des référés perd son pouvoir d'accorder une provision ou d'ordonner une mesure provisoire si le juge de la mise en état est saisi antérieurement à la signification de l'assignation en référé.
En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats et notamment de la 'fiche e-barreau de l'affaire n° RG 22/03679" que lors d'une audience, dite de conférence, tenue le 16 janvier 2023, le président de la 3ème chambre civile du tribunal judiciaire de Nice a renvoyé cette affaire à la mise en état du 27 mars 2023.
Le juge de la mise en état de la mise en état de Nice a donc été saisi le 16 janvier 2023 dans l'affaire au fond référencée n° RG 22/03679. Il en résulte que, saisi par une assignation délivrée le 26 octobre 2022, le juge des référés de Nice conservait les pouvoirs juridictionnels lui permettant de statuer sur le présent litige.
C'est donc à tort qu'il s'est déclaré 'incompétent'.
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée de ce chef.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection, dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En application des dispositions de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement et de bonne foi.
Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux : le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Le contrat de 'bail de commercial' signé par les parties le 23 août 2021 contient, en son paragraphe XVI, une clause résolutoire ainsi rédigée : à défaut de paiement d'un seul terme de loyer à son échéance ou d'exécution d'une seule des conditions du présent bail, sans aucune formalité judiciaire et un mois après un simple commandement de payer rappelant la présente clause résolutoire et resté sans effet durant ce délai, le présent bail sera résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, et l'expulsion du preneur pourra avoir lieu en vertu d'une simple ordonnance de référé, sans préjudice de tous les dépens et dommages et intérêts, et sans que l'effet de la présente clause puisse être annulé par des offres réelles, passé le délai sus-indiqué.
Il n'est pas contesté que la SARL Bottero ne s'est pas acquittée des causes du commandement de payer dans le mois de sa délivrance.
Par ailleurs, la motivation du premier juge selon laquelle une contestation sérieuse s'induirait du fait que le bailleur aurait manqué à son obligation de délivrance est contredite par les pièces versées aux débats par l'appelante, pièces non discutées (puisque l'intimée est défaillante) et dont il résulte que :
- le contrat de bail, signé par les parties, mentionne la remise d'une clé pour la porte d'entrée et d'une autre pour la grille extérieure ;
- le gérant de la SARL Bottero ne s'est pas présenté à la réunion conciliation organisée le 13 janvier 2022 par M. [K] [X] ;
- un pannonceau apposé sur le local atteste que la SARL Bottero a tenté de sous-louer le bien.
Il en résulte que, même à supposer qu'elle n'ait pas, comme elle soutient, été mise en possession d'un double des clés d'entrée du local, de la clé de la grille de protection extérieure, du bip ou de la clé de l'immeuble, la SARL Bottero a bien eu accès au local loué en sorte qu'elle ne peut arguer d'une exception d'inexécution.
En effet, pour pouvoir articuler un tel moyen de défense, susceptible de justifier le non-paiement des loyers, il faudrait que le bailleur ait manqué à son obligation de délivrance et l'ait donc mise dans l'incapacité absolue d'exploiter son fonds de commerce. Tel n'est pas le cas en l'espèce puisqu'elle en a les clés, a refusé la tentative de conciliation et a même tenté de sous-louer le local qui, par définition, a bien été mis à sa disposition et dans lequel, elle aurait, selon les affirmations non démenties des appelants, réalisé des travaux de rénovation.
Le moyen tiré de l'absence de remise d'un double des clés d'entrée du local, de la clé de la grille de protection extérieure, du bip ou de la clé de l'immeuble est inopérant. Ce différend aurait, en outre, pu être levé si la SARL Bottero s'était présentée à la tentative de conciliation initiée par ses bailleurs et à laquelle elle avait été régulièrement convoquée.
Il convient, dans ces conditions, d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a, surabondamment, dit n'y avoir lieu à référé et de constater que le bail a été résilié, par acquisition de la clause résolutoire, à la date du 17 septembre 2022.
L'expulsion de la locataire sera en outre prononcée, à défaut de départ volontaire des lieux, et elle sera condamnée à verser à ses bailleurs, à compter du 18 septembre 2022 et jusqu'à son départ, une indemnité provisionnelle d'occupation équivalente au dernier loyer soit une somme de 460 euros par mois.
Sur la demande de provision à valoir sur la dette locative
Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection, dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point. A l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle, le montant de la provision n'ayant alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée. C'est enfin au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse.
Comme indiqué supra, la SARL Bottero n'a jamais contesté le montant de la dette locative et s'est contentée, en première instance, d'articuler une exception d'incompétence.
Celle-ci ayant été écartée pour les motifs sus-mentionnés, son obligation de payer ses loyers n'est pas sérieusement contestable.
Elle sera donc condamnée à verser à M. [N] [Y] et Mme [F] [I] épouse [Y] une somme provisionnelle de 4 600 euros correspondant aux loyers impayés échus entre le 30 septembre 2021et le 30 juin 2022, récapitulés dans le commandement de payer. Cette somme produira en outre intérêts au taux légal à compter du 17 août 2022, date de signification dudit commandement.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a laissé les dépens à la charge de M. [N] [Y] et de Mme [F] [I] épouse [Y] et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de ces derniers.
Il serait, en effet, inéquitable de laisser à la charge des appelants les frais non compris dans les dépens, qu'ils ont exposés en première instance et appel. Il lui sera donc alloué une somme de 3 000 euros sur le fondement du texte précité.
La SARL Bottero supportera en outre les dépens de première instance et appel incluant le coût du commandement de payer.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Constate la résiliation, à la date du 17 septembre 2022, du bail commercial liant les parties, ainsi que l'occupation sans droit ni titre, à compter de cette date, du local à usage commercial situé [Adresse 2], par la SARL Bottero ;
Ordonne à la SARL Bottero de libérer de corps et de biens ainsi que de tous occupants de son chef, les locaux litigieux dans le mois de la signification du présent arrêt ;
Ordonne, à défaut de ce faire, l'expulsion de la SARL Bottero et de tous occupants de son chef des lieux loués au besoin avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier ;
Dit qu'en cas d'expulsion, le sort des meubles sera régi conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
Condamne la SARL Bottero à payer à M. [N] [Y] et Mme [F] [I] épouse [Y], ensemble, une provision de 4 600 euros à valoir sur la dette locative, avec intérêts au taux légal à compter du 17 août 2022 ;
Condamne la SARL Bottero à payer à M. [N] [Y] et Mme [F] [I] épouse [Y], ensemble, une indemnité provisionnelle d'occupation de 460 euros par mois à compter du 18 août 2022 et jusqu'à la libération effective de lieux ;
Condamne la SARL Bottero à payer à M. [N] [Y] et Mme [F] [I] épouse [Y], ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Bottero aux dépens de première instance et appel incluant le coût du commandement de payer délivré le 17 août 2022.