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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 24 octobre 2024, n° 24/04142

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Financière Seropyan (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pacaud

Conseillers :

Mme Tarin-Testot, Mme Neto

Avocats :

Me Culioli, Me Guedj

TJ Nice, du 30 janv. 2024, n° 23/00924

30 janvier 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 7 décembre 2020, monsieur [U] [T] a donné à bail à madame [I] [B], se présentant comme 'agissant au nom de [3]', société en formation, un local commercial à usage de boulangerie-pâtisserie, sis [Adresse 2] à [Localité 4].

Ce contrat de location a été conclu moyennant un loyer mensuel de 15 600 euros et pour une durée de neuf années courant du 1er décembre 2020 au 30 novembre 2029. Il était convenu d'une indexation automatique et annuelle de 2,5 %.

Par acte authentique en date du 24 mars 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Financière Seropyan est venu aux droits du bailleur en faisant l'acquisition du local.

Elle a constaté qu'aucune société [3] n'avait été constituée et que la boulangerie-pâtisserie était exploitée sous l'enseigne 'Les Bienfaits d'Elaa'.

Elle a alors fait le lien avec l'association 'Les Bienfaits', immatriculée le 28 octobre 2020, dont l'objet est l'insertion professionnelle de personnes en difficulté par le biais d'ateliers boulangerie et pâtisserie, association domiciliée au [Adresse 2] à [Localité 4].

Au constat que sa locataire n'honorait ses échéances de loyers que de manière très irrégulière, la SAS Financière lui a fait signifier, le 28 février 2023, un commandement, visant la clause résolutoire du bail, de payer la somme de 5 700 euros, correspondant à une dette locative arrêtée au 6 janvier précédent.

Par acte de commissaire de justice en date du 30 janvier 2024, elle l'a fait assigner devant le président du tribunal judiciaire de Nice, statuant en référé, aux fins, au principal, d'entendre constater la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire, ordonner la liberation sous astreinte des lieux et l'expulsion de la locataire, et de se voir allouer une provision de 8 275,66 euros à valoir sur la dette locative, arrêtée au mois de mars 2023, ainsi que 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance contradictoire en date du 30 janvier 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice a dit n'y avoir lieu à référé, débouté la SAS Financière Seropyan de toutes ses demandes et laissé les dépens du référé à sa charge.

Il a notamment considéré que l'absence de production par le bailleur de l'état des inscriptions émis, le mettait dans l'impossibilité de vérifier l'existence d'éventuels créanciers inscrits et, par la-même, la nécessité de procéder ou non à la dénonciation aux créanciers inscrits.

Selon déclaration reçue au greffe le 29 mars 24, la SAS Financière Seropyan a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.

Par dernières conclusions transmises le 2 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle infirme l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :

- constate l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail au 28 mars 2023 ;

- dise que Mme [I] [B] devra libérer les locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4] dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision, et, faute de l'avoir fait, ordonne son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef, avec le cas échéant, le concours de la force publique,

- rappelle que le sort des meubles sera réglé conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

- à titre principal, condamne Mme [I] [B] à lui payer :

' une indemnité d'occupation provisionnelle journalière de 335,99 euros, équivalente à 2 % du prix du loyer annuel à compter du 29 mars 2023, et ce, jusqu'à libération effective des lieux et avec intérêts à compter de chaque échéance et capitalisation ;

' la somme de 8 275,56 €uros à titre de provision à valoir sur les loyers,

charges et indemnités d'occupation échus, mensualité de mars 2023 incluse, avec intérêts à compter du 28 mars 2023 et capitalisation ;

- à titre subsidiaire, condamne Mme [I] [B] à lui payer la somme de 22 059,93 euros à titre de provision à valoir sur les loyers et charges échus, mensualité de mai 2024 incluse, avec intérêts à compter de chaque échéance et capitalisation ;

- en toute hypothèse :

' condamne Mme [I] [B] à lui payer la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamne Mme [I] [B] aux entiers de première instance et d'appel dont le coût du commandement de payer du 28 février 2023 ;

' rappelle qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire.

Mme [I] [B], régulièrement intimée à étude, n'a pas constitué avocat.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 4 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'absence de production d'un état d'inscription des créanciers

Aux termes de l'article L. 143-2 du Code de commerce, le propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l'immeuble dans lequel s'exploite un fonds de commerce grevé d'inscriptions doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits, au domicile élu par eux dans leurs inscriptions : le jugement ne peut intervenir qu'après un mois écoulé depuis la notification.

Cet article n'a pour but que de faire savoir aux créanciers inscrits qu'ils disposent d'un délai d'un mois pour se substituer au débiteur afin de sauver leur gage sans leur conférer la qualité de partie à l'instance en résiliation du bail. Il s'ensuit que l'absence de notification régulière n'a d'autre effet que de rendre la résiliation ainsi que la procédure suivie inopposable à ceux-ci et ne leur ouvre pas le droit d'appel. Elle n'empêche en rien le bailleur d'intenter ou poursuivre une action en résiliation du bail et/ou paiement d'une provision à valoir sur la dette locative.

C'est donc à tort que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé au motif que la SAS Financière Seropyan n'avait par produit un 'état des inscriptions' et ce, d'autant qu'il ne s'induit pas des termes de son ordonnance qu'il a soumis ce moyen, soulevé d'office, au contradictoire des parties.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée de ce chef.

Sur l'acquistion de la clause résolutoire

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux : le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

En application des dispositions de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

Le bail commercial signé le 7 décembre 2020 par Mme [I] [B] et M. [T], auteur de la SAS Financière Seropyan, stipule en son article 17 : A défaut de paiement à échéance d'un seul terme du loyer ou de tout rappel de loyer consécutif à une augmentation de celui-ci, comme à défaut de remboursement des frais, taxes, charges ou à défaut de l'exécution d'une clause du présent bail, et un mois après un commandement de payer ou une sommation de s'exécuter restée sans effet, le présent bail sera résilié de plein droit. Si le preneur refusait de quitter les lieux, son expulsion, ainsi que celle de tous les occupants de son chef, pourrait avoir lieu sans délai, en vertu d'une simple ordonnance de référé rendu par M. le président du tribunal de grande instance compétent, à qui compétence de juridiction est expressément attribuée aux termes des présentes.

Il s'induit de l'exorde de l'ordonnance entreprise que Mme [B], qui s'est contentée de solliciter des délais de paiement, n'a, par définition, pas contesté, en première instance, qu'elle ne s'était pas acquittée des causes du commandement de payer dans le mois de la signification du commandement de payer.

Il convient dans ces conditions de constater la résiliation, à la date du 28 mars 2023, du bail commercial liant les parties, par l'acquisition de la clause résolutoire.

En conséquence, Mme [I] [B] devra libérer les lieux situés [Adresse 2] à [Localité 4] dans le mois suivant la signification du présent arrêt, faute de quoi il sera procédé à son expulsion et celle de tous occupants de son chef avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier, si besoin est.

En outre, par application de l'article 18 du bail, Mme [I] [B] sera condamnée à verser à la SAS Financière Seropyan, à compter du 29 mars 2023 et jusqu'à libération effective des lieux, une indemnité d'occupation journalière provisionnelle de 2 % du dernier loyer annuel, soit 335,99 euros.

Sur la provision à valoir sur la dette locative

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ... le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence ... peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

L'absence de constestation sérieuse implique l'évidence de la solution qu'appelle le point contesté. Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant, celle-ci n'ayant alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Aux termes de l'article 1728 du code civil, le locataire a pour obligation principale le paiement du loyer.

En l'espèce, il résulte du compte locatif versé aux débats par l'appelante que, déduction faite des versements réalisés les 26 août 2022 (1 300 euros), 2 septembre 2022 (1 000 euros) et 6 janvier 2023 (5 000 euros), Mme [B] demeurait débitrice d'une somme de 7 523,54 euros au 28 mars 2023, date de résiliation.

Après application de la clause pénale de 10 % stipulée à l'article 18 alinéa 1 du bail, le montant non sérieusement contestable de sa dette locative peut être évalué à 8 275,56 euros.

Elle sera donc condamnée à verser à la SAS Financière Seropyan une provision d'un montant correspondant avec intérêts au taux légal, à compter du 28 février 2023 sur la somme de 5 700 euros et du 11 mars suivant pour le reliquat.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il convient d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné la SAS Financière Seropyan aux dépens et l'a déboutée de sa demande formulée au titre de ses frais irrépétibles.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais non compris dans les dépens, qu'elle a exposés en première instance et appel. Il lui sera donc alloué une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [I] [B] supportera en outre les dépens de la procédure d'appel.

Il sera enfin de rappeler, comme sollicité par l'appelante, que le présent arrêt est éxécutoire de droit, dès lors qu'un pourvoi en cassation n'a pas d'effet suspensif en matière civile. Il est néanmoins rendu en matière de référé ce qui signifie qu'il s'agit d'une décision provisoire qui ne lie en rien le juge du fond susceptible d'être ultérieurement saisi du présent litige.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Constate la résiliation, par l'acquisition de la clause résolutoire, du bail commercial liant les parties, à la date du 28 mars 2023;

Ordonne à Mme [I] [B] de libérer les lieux, situés [Adresse 2] à [Localité 4], dans le mois suivant la signification du présent arrêt et dit, qu'à défaut de ce faire, il sera procédé à son expulsion et celle de tous occupants de son chef avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier, si besoin est ;

Dit que le sort des meubles sera réglé conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

Condamne Mme [I] [B] à verser à la SAS Financière Seropyan, à compter du 29 mars 2023 et jusqu'à libération effective des lieux, une indemnité d'occupation journalière provisionnelle d'un montant de 335,99 euros ;

Condamne Mme [I] [B] à verser à la SAS Financière Seropyan la somme provisionnelle de 8 275,56 euros augmentée des intérêts au taux légal, à compter du 28 février 2023, sur la somme de 5 700 euros, et du 11 mars suivant pour le reliquat ;

Condamne Mme [I] [B] à verser à la SAS Financière Seropyan la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [I] [B] aux dépens de première instance et appel, incluant le coût du commandemdent de payer signifié le 28 février 2023.