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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 10 octobre 2024, n° 23/01782

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Époux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Larcheres

CA Lyon n° 23/01782

9 octobre 2024

Selon devis accepté le 11 mars 2021, M. et Mme [P] ont confié à la société [N] toiture des travaux de rénovation de la toiture d'un bâtiment attenant à leur maison d'habitation, située [Adresse 2] à [Localité 7] (Rhône), pour un montant global de 33.714,95 euros.

Les époux [P] se sont acquittés courant mars et septembre 2021 de deux acomptes de 6.000 euros et 6.600 euros TTC. Leurs voisins ont également participé au financement des travaux à concurrence de 6.500 euros.

Par courriel du 22 novembre 2021, la société [N] toiture a sollicité un acompte supplémentaire de 5.500 euros TTC.

Par courriel du 23 novembre 2023, les époux [P] ont contesté cette demande, en rappelant avoir réglé 60 % du prix convenu et en enjoignant à la société [N] toiture d'achever ses prestations pour le 10 décembre 2021.

Par lettre recommandée du 24 novembre 2021, les époux [P] se sont plaints d'écoulements d'eau dans le bâtiment en travaux et leur résidence principale attenante, en la mettant en demeure de terminer le chantier sans interruption.

Le 03 octobre 2021, les maître de l'ouvrage ont formé une déclaration de sinistre auprès de leur assureur.

L'expert mandaté par cet assureur a indiqué à la société [N] toiture qu'il avait constaté des infiltrations d'eau le 27 décembre 2021 et lui a demandé d'intervenir sans délai pour reprendre le bâchage de la toiture.

Par courriel du 20 janvier 2022, la société [N] toiture s'est prévalue d'un manque de matériaux et d'une incompatibilité d'humeur pour justifier l'arrêt du chantier. Elle a fait consécutivement carence à la seconde réunion d'expertise organisée le 28 janvier 2022.

Par note du 31 janvier 2022 l'expert mandaté par la compagnie d'assurance a fait connaître que les infiltrations en toiture avaient endommagé des fenêtres en bois et causé une saturation aqueuse des murs. Il a proposé une indemnisation de 3.010 euros correspondant au coût de l'assèchement des locaux et de remplacement des deux fenêtres endommagées.

Relancée par les époux [P], la société [N] toiture a fait connaître par courriel du 07 février 2022 qu'elle entendait intervenir le 11 février 2022 pour reprendre le bâchage du toit.

Par courriel du 08 février 2022, les époux [P] ont demandé à la société [N] toiture de venir reprendre le bâchage du toit le 11 février 2022, puis de reprendre le chantier le 7 mars 2022.

La société [N] toiture est intervenue ponctuellement le 22 février 2022.

Par lettre recommandée d'avocat du 23 février 2023, M. et Mme [P] ont mis la société [N] toiture en demeure de reprendre les travaux le 07 mars 2022 et de les terminer pour le 31 mars 2022.

Constatant la carence réitérée de leur cocontractante, ils l'ont convoquée par lettre recommandée du 06 avril 2022 à une réunion de réception des travaux prévue le 15 avril 2022.

La société [N] toiture ne s'étant pas présentée, les époux [P] ont procédé à la réception des travaux avec réserves et ont fait constater le même jour leur état d'inachèvement par huissier de justice.

Par lettre recommandée du 04 mai 2022, ils ont mis la société [N] toiture en demeure de lever les réserves pour le 20 mai 2022.

Par assignation signifiée le 22 mai 2022, les époux [P] ont fait citer la société [N] toiture devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon, en sollicitant qu'elle soit condamnée à leur verser une provision à valoir sur le coût d'achèvement des travaux.

Par ordonnance contradictoire du 20 décembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande en paiement d'une provision de 44.200,85 euros pour l'achèvement des travaux commandés, eu égard à l'existence de contestations sérieuses portant sur la nature et le coût des travaux de levée des réserves ;

- condamné la société [N] toiture à payer aux époux [P] la somme provisionnelle de 3.000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de leurs préjudices, avec intéréts au taux légal à compter du prononcé de son ordonnance ;

- débouté les époux [P] du surplus de leurs demandes de provision de ce chef ;

- condamné la société [N] aux dépens de l'instance, ainsi qu'à payer aux époux [P] la somme de 1.500 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté la demande de la société [N] toiture sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé l'exécution provisoire de sa décision.

Les époux [P] ont relevé appel de cette ordonnance selon déclaration enregistrée le 02 mars 2023.

Aux termes de leurs conclusions, déposées le 05 avril 2023, les appelants demandent à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile et 1792-6 du code civil de :

- infirmer l'ordonnance de référé du 20 décembre 2022 en ce que le président du tribunal judiciaire de Lyon a rejeté leur demande de provision correspondant au montant des travaux de reprise et limité à la somme de 3.000 euros la provision allouée au titre du préjudice subi du fait des retards et des dommages causés au bâtiment,

- condamner la société [N] toiture à leur verser la somme de 25.507,28 euros TTC à titre de provision pour l'achèvement des travaux, outre intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2022,

- condamner la société [N] toiture à leur verser la somme de 46.170 euros à titre de provision pour le préjudice subi arrêté provisoirement au 31 mars 2023,

- condamner la société [N] toiture à leur verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société [N] toiture aux entiers dépens d'appel et de première instance.

Les époux [P] approuvent le premier juge d'avoir retenu que l'obligation de la société [N] toiture de terminer les travaux sur le fondement de l'article 1792-6 du code civil n'était pas sérieusement contestable.

Ils rappellent qu'en application de ce même article, ils se trouvent fondés à faire réaliser les travaux de levée des réserves aux frais de l'intimée.

Ils contestent en revanche le raisonnement par lequel le premier juge a retenu l'existence d'une contestation sérieuse tenant à l'absence de démonstration de ce que les travaux chiffrés portaient sur les inachèvements et désordres réservés et n'emportaient pas d'amélioration.

Ils affirment que le nouveau devis produit à hauteur de cour correspond en tout points aux inachèvements et désordres réservés, ainsi que le confirme l'expert amiable consulté par leurs soins.

Ils ajoutent que le retard d'achèvement dure depuis 19 mois et les a privés des loyers attendus ensuite de la rénovation du bâtiment annexe.

Le greffe a invité les appelants à signifier leur déclaration d'appel à l'intimée par avis du 30 mars 2023.

La déclaration d'appel et les conclusions des appelants ont été signifiées le 07 avril 2023 à la société [N] toiture, selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile.

L'intimée n'a pas constitué ministère d'avocat. Elle est donc réputée s'approprier les motifs du premier juge, aux termes desquels :

- l'obligation d'achever les travaux et de lever les réserves, en exécution de la garantie de parfait achèvement prévue à l'article 1792-6 du code civil, n'est pas sérieusement contestable,

- l'octroi de l'indemnité réclamée sur la base d'un devis de la société Toiture bardage du 06 avril 2022, excédant de plus de 10.000 euros le montant inital des travaux, se heurte en revanche à des contestations sérieuses tenant à l'absence de preuve de ce que les prestations devisées n'emportent pas amélioration de la commande et correspondent aux inachèvements et désordres constatés, le constat d'huissier ne permettant de surcroît de déterminer l'état d'achèvement exact de l'ouvrage,

- les demandeurs ne justifient pas de ce que le bien objet des travaux était destiné à la location, non plus que du montant des loyers dont ils auraient été privés et du coût des travaux de reprise des dommages causés par les infiltrations, pour lesquels ils ont perçu une somme de 2.625 euros versée par leur assureur, circonstances commandant de limiter le montant des dommages-intérêts à la somme de 3.000 euros.

Mme la présidente de chambre a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 14 février 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 21 février 2024, à laquelle elle a été mise en délibéré au 27 juin 2024. Le délibéré a été prorogé au 10 octobre 2024.

MOTIFS

Sur la demande de condamnation au paiement du prix de levée des réserves :

Vu l'article 835 du code de procédure civile ;

Vu l'article 1792-6 du code civil ;

Vu l'article 1231-7 du même code ;

Conformément à l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Aux termes de l'article 1792-6 du code civil : ' La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

La garantie de parfait achèvement, à laquelle l'entrepreneur est tenu pendant un délai d'un an, à compter de la réception, s'étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception.

Les délais nécessaires à l'exécution des travaux de réparation sont fixés d'un commun accord par le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur concerné.

En l'absence d'un tel accord ou en cas d'inexécution dans le délai fixé, les travaux peuvent, après mise en demeure restée infructueuse, être exécutés aux frais et risques de l'entrepreneur défaillant'.

L'obligation de l'entrepreneur mis en demeure de lever les réserves est de résultat et il doit être condamné à défaut à supporter le coût de reprise et d'achèvement correspondant.

Le constat d'huissier du 15 avril 2022 et le rapport d'assistance technique du 18 avril 2023, produit pour la première fois à hauteur de cour, confirment le bien-fondé des réserves émises le 15 avril 2022 et établissent suffisamment la réalité des désordres et inachèvements correspondants.

Il en résulte notamment :

- que le bâchage réalisé est incomplet et défaillant,

- que la dépose de la gouttière et de l'évacuation en PVC n'a pas été réalisée,

- que certains chevrons n'ont pas été changés,

- que d'autres l'ont été de manière inadaptée, par absence de scellements latéraux des moissages et voliges parfois manquantes,

- que les bandeaux de rives posés n'ont été fixés qu'en partie inférieure et se sont déformés sous leur propre poids en l'absence de fixation en partie supérieure, qu'ils sont désormais à changer,

- que certaines gouttières n'ont pas été posées, alors que d'autres ont été posées en contre-pente,

- que les descentes en zinc n'ont pas été réalisées,

- que certains ouvrages de zinguerie n'ont pas été réalisés, non plus que la pose de l'isolant et des trois fenêtres velux,

- que le litelage n'a pas été réalisé,

- que le pare-vapeur a été mal posé,

- que la pose des nouvelles tuiles n'a pas été réalisée, non plus que les solins et moraines en ciment.

La société [N] toiture ayant été mise en demeure de lever ces réserves et s'étant abstenue de ce faire, son obligation d'en supporter le coût de reprise n'est pas sérieusement contestable.

Le devis MCT du 17 novembre 2022, d'un montant de 25.507,28 euros correspond aux travaux nécessaires à la levée des réserves. A la différence du devis produit en première instance, son montant raisonnable permet d'écarter l'hypothèse d'une amélioration des prestations convenues.

L'obligation de la société [N] toiture d'indemniser les époux [P] à concurrence de cette somme n'est donc pas sérieusement contestable.

Il convient, sur la foi des éléments nouveaux versés en cause d'appel, d'infirmer l'ordonnance de première instance et de condamner la société [N] toiture à payer aux époux [P] la somme provisionnelle de 25.507,28 euros.

La carence réitérée de la société [N] toiture dans l'accomplissement de ses obligations justifie que le point de départ de l'intérêt légal soit fixé au 22 mai 2022, date de l'assignation.

Sur la demande indemnitaire formée au titre des pertes de loyer :

Vu l'article 835 du code de procédure civile ;

Vu l'article 1231-1 du code civil ;

Les époux [N] justifient suffisamment de leur intention originelle de donner le bien en location, par la production d'une attestation de la société Lyonnaise de banque dont il résulte que le prêt ayant servi à financer les travaux a été accordé pour le financement de la 'résidence principale d'un locataire', en considération d'un loyer mensuel global attendu de 1.800 euros.

L'avis de valeur de la société Primmo immobilier, selon laquelle le bien en cours de restauration pourrait générer un loyer mensuel de 1.820 euros pour la maison de 4 pièces et un loyer additionnel de 610 euros pour l'appartement de 2 pièces attenant, n'est absolument pas détaillé et n'emporte pas la conviction de la cour. Le loyer susceptible d'être tiré de la location de l'immeuble doit donc être évalué à 1.800 euros, correspondant au montant retenu lors de l'octroi du prêt.

La mention manuscrite portée au devis et prévoyant un délai d'achèvement fixé 'fin avril début mai 2021' n'a pas été signée par la société [N] toiture et ne présente pas de caractère contractuel. La demande des époux [P] visant à ce que l'indemnisation des pertes de loyer débute en mai 2020 se heurte en conséquence à une difficulté sérieuse.

Il est constant en revanche que l'intimée s'est engagée par courriel du 23 novembre 2021 à achever les travaux le 10 décembre 2021.

Cet engagement n'a pas été tenu et les travaux n'étaient pas achevés à la date du 31 mars 2023.

Or, la société [N] toiture ne justifie d'aucun motif valable de nature à l'exonérer de cette inexécution. Son obligation de réparer les pertes locatives n'est donc pas sérieusement contestable, pour la période du 10 décembre 2021 au 31 mars 2023 (date à laquelle les appelants arrêtent leur décompte), à concurrence d'une perte de chance de donner l'immeuble à bail de 60 %.

Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fixé le montant de l'indemnité provisionnelle à 3.000 euros et rejeté la demande pour le surplus, et de condamner la société [N] toiture à payer aux époux [P] la somme provisionnelle de (1.800 X 15,3 X 0,6) 16.524 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2022.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile ;

La société [N] toiture succombe en cause d'appel et il convient de la condamner à en supporter les dépens.

Les dispositions de l'ordonnance de première instance relatives aux dépens ne sont pas visées par la déclaration d'appel et la cour n'en est pas saisie. Il n'y a donc pas lieu de statuer à cet égard.

L'équité commande enfin de condamner la société [N] toiture à payer aux époux [P] la somme de 3.200 euros en indemnisation des frais irrépétibles exposés à hauteur de cour.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt par défaut prononcé en dernier ressort,

- Infirme l'ordonnance prononcée le 20 décembre 2022 entre les parties par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon sous le numéro RG 22/00992 en ce que le juge des référés a :

dit n'y avoir lieu à référé sur la demande des époux [P] en paiement d'une provision de 44.200,85 euros pour l'achèvement des travaux commandés à la société [N] toiture, eu égard à l'existence de contestations sérieuses portant sur la nature et le coût des travaux de levée des réserves,

condamné la société [N] toiture à payer aux époux [P] une provision à valoir sur l'indemnisation définitive de leurs préjudices d'un montant de 3.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de sa décision,

débouté les époux [P] du surplus de leurs demande de provision de ce chef ;

Statuant à nouveau des chefs de dispositif infirmés et y ajoutant :

- Condamne la société [N] toiture à payer à M. [V] [P] et Mme [D] [P], ensemble, une provision de 25.507,28 euros à valoir sur le coût de reprise des désordres et inachèvements, augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du 22 mai 2022 ;

- Condamne la société [N] toiture à payer à M. [V] [P] et Mme [D] [P], ensemble, une provision de 16.524 euros à valoir sur l'indemnisation de leurs pertes locatives, augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du 22 mai 2022 ;

- Condamne la société [N] toiture aux dépens de l'instance d'appel ;

- Constate qu'elle n'est pas saisie des dispositions relatives aux dépens de première instance ;

- Condamne la société [N] toiture à payer à M. [V] [P] et Mme [D] [P], ensemble,la somme de 3.200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.