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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 3 octobre 2024, n° 24/00354

BOURGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Philippentreprise (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clement

Conseillers :

M. Perinetti, Mme Ciabrini

Avocats :

Me Milet, SELAS Elexia Associes

CA Bourges n° 24/00354

2 octobre 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [R] [X] veuve [Z], propriétaire d'un bien immobilier sis [Adresse 3] (18), a mandaté la SAS Philippentreprise aux fins de réalisation de travaux d'isolation par l'extérieur et de ravalement du pignon gauche et de la façade arrière de sa propriété, selon devis signé le 21 juin 2013.

Quelques mois après la réalisation des travaux, elle informait la société Philippentreprise de la présence de fissures ainsi que du décollement de la peinture par endroits.

Cette dernière est alors réintervenue en 2015.

Les désordres persistant, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne, assureur de la société Philippentreprise, a diligenté une expertise amiable en 2020. Sur la base du rapport d'expert, elle a conclu que les garanties du contrat de sa sociétaire ne s'appliquaient pas.

Mme [X] a alors fait dresser un procès-verbal de constat d'huissier le 13 avril 2021 et assigner la société Philippentreprise devant le tribunal judiciaire de Bourges aux fins d'obtenir une mesure d'expertise judiciaire.

Par ordonnance en date du 4 novembre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bourges a notamment ordonné une expertise aux fins d'examiner les désordres et d'en déterminer la cause, ainsi que les moyens propres à y remédier.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 4 juillet 2022.

Selon acte d'huissier en date du 24 janvier 2023, Mme [X] veuve [Z] a assigné la société Philippentreprise devant le tribunal judiciaire de Bourges en paiement de la somme de 17 583,30 euros en réparation des désordres chiffrés par l'expert judiciaire.

Par acte d'huissier en date du 20 juillet 2023, elle a fait assigner M. [E] [N], ès qualités de liquidateur de la société Philippentreprise.

M. [N], ès qualités, a soulevé l'irrecevabilité des demandes de Mme [X] veuve [Z] comme étant prescrites.

Par ordonnance d'incident en date du 14 mars 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bourges a :

' déclaré recevable l'incident formé par la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société,

' déclaré bien fondée la fin de non-recevoir soulevée par la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société,

' déclaré Mme [X] veuve [Z] irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société,

' condamné Mme [X] veuve [Z] à verser à la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société, ensemble, la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' débouté Mme [X] veuve [Z] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamné Mme [X] veuve [Z] aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration en date du 10 avril 2024, Mme [X] veuve [Z] a interjeté appel de cette ordonnance en l'ensemble de ses dispositions.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 juin 2024, Mme [X] veuve [Z] demande à la cour de :

' infirmer l'ordonnance d'incident de mise en état en ce qu'elle a :

* déclaré recevable l'incident formé par la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société,

* déclaré bien fondée la fin de non-recevoir soulevée par la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société,

* l'a déclarée irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société,

* l'a condamnée à verser à la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société, ensemble, la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance,

' la déclarer recevable en ses demandes à l'encontre de la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société,

' condamner solidairement la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société, au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamner solidairement la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société, au paiement des dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 27 mai 2024, la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société, demandent à la cour de :

' confirmer la décision attaquée en toutes ses dispositions,

' condamner Mme [X] veuve [Z] à leur payer et porter une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamner la même aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE

Il est constant que la société Philippentreprise n'a plus d'existence légale, ayant été radiée le 21 avril 2023 ensuite de la clôture des opérations de liquidation. Il ne pourra donc être prononcé aucune condamnation au profit ou à l'encontre de cette société.

Sur la recevabilité de l'action de Mme [X] veuve [Z]

Aux termes de l'article 1792, alinéa 1, du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

L'article 1792-4-3 du même code prévoit qu'en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux.

Le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n'est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription (cass. civ. 3e, 10 juin 2021, no 20-16.837).

Le constructeur est tenu à l'égard du maître de l'ouvrage d'une responsabilité pour faute prouvée en ce qui concerne les désordres intermédiaires (cass. civ. 3e, 16 janvier 2020, no 18-22.748), c'est-à-dire les désordres apparus après la réception des travaux qui n'affectent pas la solidité de l'ouvrage et ne rendent pas celui-ci impropre à sa destination.

En l'espèce, Mme [X] veuve [Z] fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré irrecevables ses demandes à l'encontre de la société Philippentreprise et de M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société.

Pour considérer que les désordres allégués ne relèvent pas de la garantie décennale prévue par les articles 1792 et suivants du code civil, le juge de la mise en état a retenu que les travaux de ravalement et d'isolation par l'extérieur n'ont pas nécessité de travaux de gros 'uvre concernant la structure du bâtiment et qu'il s'agit tout au plus de prestations d'habillage de la façade, de sorte qu'ils ne constituent pas un ouvrage.

Mme [X] veuve [Z] soutient que les travaux d'isolation thermique par l'extérieur et de ravalement réalisés par la société Philippentreprise constituent un ouvrage et que les désordres constatés sont des dommages intermédiaires relevant du délai de « prescription » prévu par l'article 1792-4-3 du code civil. Elle estime qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre la finalité d'imperméabilisation et d'étanchéité des travaux

M. [N] réplique que la « prescription » décennale prévue par les articles 1792 et suivants du code civil ne s'applique pas à des travaux de ravalement de façade, qui sont de simples travaux sur existants non assimilables à la construction d'un ouvrage. Il ajoute que les travaux réalisés sont à visée esthétique, qu'ils avaient un objectif d'imperméabilisation et non d'étanchéité et qu'ils ne présentaient pas un caractère important. Il prétend enfin que les travaux n'ont visé qu'à procéder à l'adjonction d'équipements sur un ouvrage existant.

Il résulte de la facture du 21 juin 2013 que la société Philippentreprise a réalisé des travaux d'isolation par l'extérieur consistant en la mise en place d'un complexe isolant en polystyrène d'une épaisseur de 160 mm fixé, collé et chevillé avec rosaces aux points sensibles, y compris un isolant hydrofuge en sous-bassement, la passe des deux couches d'enduit, avec incorporation d'une trame sur l'isolation et retour des angles avec la pose de baguettes alu, la passe d'une couche d'impression sur l'ensemble et de deux couches de peinture, la réparation partielle de l'enduit, la confection d'un sous-bassement et la passe d'un anti-mousse, d'un fixateur et de deux couches de peinture.

Il y a tout d'abord lieu de considérer que les travaux litigieux ne sont pas constitutifs d'un élément d'équipement, contrairement à ce que soutient M. [N], dès lors que l'isolation par l'extérieur n'est pas destinée à fonctionner (cass. civ. 3e, 13 février 2020, no 19-10.249).

Sur la qualification d'ouvrage, il est ensuite rappelé que des travaux de rénovation ou de transformation d'un bâtiment peuvent constituer un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil s'ils sont d'une ampleur suffisante pour être assimilables à des travaux de construction.

Contrairement à ce que prétend M. [N], les travaux litigieux ne sont pas de simples travaux de ravalement et de peinture ayant une visée esthétique.

Au regard de leur fonction d'isolation thermique et du fait qu'ils ont affecté, par la technique de pose des plaques de polystyrène impliquant un collage et un chevillage sur la façade, le revêtement qui assurait l'étanchéité du bâtiment, ils s'analysent en des travaux de rénovation suffisamment importants, quant à leur nature et à leur consistance, pour constituer un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil.

Dès lors, il n'y a pas lieu de rechercher si les travaux litigieux tendent à l'imperméabilisation ou à l'étanchéité du bâtiment, critère jurisprudentiel dégagé à propos de simples travaux de ravalement de façade ou de peintures extérieures ' qui ne correspondent pas au cas d'espèce ' pour déterminer si ceux-ci constituent un ouvrage.

Il n'est pas contesté que les dommages relevés par l'expert judiciaire ne revêtent pas la gravité requise par l'article 1792 du code civil, en ce qu'ils ne portent pas atteinte à la solidité de l'ouvrage et ne le rendent pas impropre à sa destination.

L'action en responsabilité intentée par Mme [X] veuve [Z] à l'encontre de la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités, est donc soumise au délai de forclusion de dix ans de l'article 1792-4-3 du code civil, qui commence à courir à compter de la réception des travaux.

En l'absence de signature d'un procès-verbal de travaux et d'indications fournies par les parties quant à la date d'achèvement de ces derniers, il doit être considéré que la réception tacite de l'ouvrage est intervenue le 21 juin 2013, date à laquelle la société Philippentreprise a établi une facture confirmant le paiement intégral des travaux et à l'entrée en possession non contestée du bien par Mme [X] veuve [Z].

L'assignation en paiement devant le tribunal judiciaire étant intervenue le 24 janvier 2023, il en résulte que l'action de Mme [X] veuve [Z] a été intentée dans le délai prévu par l'article précité.

L'ordonnance attaquée sera donc infirmée en ce qu'elle a déclaré bien fondée la fin de non-recevoir soulevée par la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités de liquidateur de ladite société, et déclaré Mme [X] veuve [Z] irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités.

Mme [X] veuve [Z] sera déclarée recevable en son action en responsabilité dirigée contre la société Philippentreprise et M. [N], ès qualités.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'ordonnance entreprise est infirmée en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance.

Partie succombante, M. [N], ès qualités de liquidateur de la société Philippentreprise, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

L'issue de la procédure et l'équité commandent de le condamner, ès qualités, à payer à Mme [X] veuve [Z] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et de le débouter de sa propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a déclaré recevable l'incident formé par la SAS Philippentreprise et M. [E] [N], ès qualités de liquidateur de ladite société,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DÉCLARE Mme [R] [X] veuve [Z] recevable en son action en responsabilité dirigée contre la SAS Philippentreprise et M. [E] [N], ès qualités de liquidateur de ladite société,

CONDAMNE M. [E] [N], ès qualités de liquidateur de la SAS Philippentreprise, aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE M. [E] [N], ès qualités de liquidateur de la SAS Philippentreprise, à payer à Mme [R] [X] veuve [Z] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE M. [E] [N], ès qualités de liquidateur de la SAS Philippentreprise, de sa propre demande à ce titre.

L'arrêt a été signé par O. CLEMENT, Président, et par S. MAGIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.