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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. A, 3 octobre 2024, n° 22/02940

NÎMES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Axa France Iard (SA), La Compagnie de l'Éco-Habitat (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Azouard

Conseiller :

Mme Huet

Avocats :

Me Favre de Thierrens, Me Chabadel

TJ Nimes, du 11 juill. 2022, n° 20/01845

11 juillet 2022

Exposé du litige

Monsieur [E] [S] est propriétaire de deux maisons individuelles, situées côte à côte, et ce sur la commune de [Localité 6] (Gard).

En novembre 2013, Monsieur [E] [S] commande pour un montant global de 28.000 € TTC auprès de la société la compagnie de l'Eco-Habitat :

- Deux pompes à chaleur et deux ballons d'eau chaude thermodynamique pour les deux maisons individuelles

- Un ballon en titane pour la piscine.

Se plaignant du dysfonctionnement de ce matériel, M. [S] a saisi la juridiction des référés, laquelle par ordonnance en date du 28 février 2018 a ordonné une mesure d'expertise judiciaire confié à M.[K] [W], au contradictoire de la Société La compagnie de l'Eco-Habitat, de son sous-traitant la Société Enerpac anciennement dénommée la Sarl Losange et l'assureur de cette dernière - le Gan-.

Par ordonnance en date du 8 aout 2018, les opérations d'expertise judiciaire ont été déclarées communes et opposables à la Compagnie Axa Assurances, assureur de la compagnie de l'Eco-Habitat.

Monsieur [K] [W] a déposé son rapport le 11 avril 2019.

Par exploit en date du 5 Mars 2020, Monsieur [E] [S] a assigné la société SAS la compagnie de l'Eco-Habitat et sa compagnie d'assurance Axa Assurances aux fins de les voir condamnées à lui payer :

- Pour l'habitation numéro 1 : 8 088.76 € TTC

- Pour l'habitation numéro 2 : 2 147.20 € TTC

- Pour la pompe à chaleur Daikin : 574.20 €TT + 1353.03 € TTC

- Au titre du préjudice de jouissance 500 € par mois du mois de mars 2017 au mois de janvier 2020, somme à parfaire.

- Au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 5000 €

- Aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

Par jugement en date du 11 juillet 2022, le Tribunal judiciaire de NIMES a :

- Rejeté les demandes de Monsieur [S] concernant l'habitation numéro 1

- Sur l'habitation n°2

o Déclaré la société La compagnie de l'Eco-Habitat responsable de ce désordre

sur le fondement de l'article 1792 du code civil

o Condamné la compagnie Axa à garantir son assuré dans les termes et limites de la

police souscrite

o Condamné in solidum la compagnie Eco Habitat et la compagnie Axa à payer à Monsieur [S] au titre de la réparation du désordre relatif à l'habitation numéro 2 la

somme de 2474 € HT, somme à réactualiser en fonction de l'évolution de l'incident BT01

depuis le 8 mars 2019

o Rejeté la demande de Monsieur [S] au titre du préjudice de jouissance

o Condamné in solidum la société la compagnie de l'Eco-Habitat et la compagnie Axa à payer à Monsieur [S] une somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de

procédure civile et aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Par déclaration effectuée le 26 août2022, Monsieur [S] a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 9 mars 2023 , M. [S] demande à la cour de :

- Prendre acte du désistement d'appel partiel de Monsieur [S] à l'encontre exclusivement de la société La compagnie de l'Eco-Habitat

- Débouter la Compagnie Axa Assurances de son appel incident, ainsi que de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions

- Réformer le jugement dont appel en ce que cette décision a :

* Rejeté ses demandes concernant l'habitation numéro1

* Rejeté sa demande formulée au titre du préjudice de jouissance

Statuant de nouveau

- Condamner la compagnie d'assurances Axa à lui payer

* Pour l'habitation 1 : 8 088.76 € TTC

* Pour l'habitation 2 : 2 147.20 € TTC

* Pour la pompe à chaleur Daikin : 574.20 €TT + 1353.03 € TTC

* au titre du préjudice de jouissance une somme de 500 € par mois soit du mois mars

2017 au mois de janvier 2020, soit 34 mois, soit la somme arrêtée à 17 000 €, somme à parfaire jusqu'à complète indemnisation

- Débouter la compagnie Axa Assurances de son appel incident ainsi que de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions.

Suivant conclusions notifiées par voie dématérialisée le 16 janvier 2023, la société d'assurances Axa demande à la cour de :

- Reformer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a debouté Monsieur [E] [S] de l'ensemble de ses demandes en paiement envers la Compagnie Axa France Iard au titre :

* de la réparation des désordres relatifs à l'habitation n°1

* de la réparation des désordres relatifs à l'habitation n°2

* de la pompe à chaleur Daikin

* du préjudice de jouissance allégué

* de l'article 700 du CPC

* des dépens

- Debouter Monsieur [E] [S] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner Monsieur [E] [S] à payer à la Compagnie Axa France Iard

la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du CPC.

- Condamner Monsieur [E] [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'appelant prétend avoir payé l'intégralité des installations posées par la société la compagnie de l'Eco-Habitat de sorte que les conditions de la réception tacite sont remplies.

Il estime que la pompe à chaleur mise en place dans l'habitation numéro1 était destinée à permettre d'assurer le chauffage dans la maison de sorte que sa défaillance l'empêche de pouvoir jouir de l'habitation dans des conditions normales en raison de l'impropriété de l'ouvrage.

L'intimée soutient que les travaux relatifs à l'habitation numéro 2 n'ont été ni réceptionnés, ni facturés et que les désordres affectant l'installation de M. [S] au titre de l'habitation numéro1 ne portent pas atteinte à la destination de l'ouvrage. Elle en déduit que la société la compagnie de l'Eco-Habitat n'a pas engagé sa responsabilité décennale et qu'elle-même n'est pas tenue à garantie .

La clôture de la procédure a été fixée au 25 avril 2024.

L'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 23 mai 2024 et mise en délibéré par mise à disposition au 26 septembre 2024.

Motifs de la décision

M. [S] a indiqué se désister de l'appel dirigé à l'encontre de la société la compagnie de l'Eco-Habitat , qui a fait l'objet d'une radiation du RCS.

Par ordonnance du 7 novembre 2022, le magistrat de la mise en état a constaté ce désistement partiel.

Ainsi, dans le cadre de la présente instance, la cour n'est saisie que de l'appel de M. [S] à l'encontre de la société d'assurances Axa ainsi que de l'appel incident de cette dernière.

Le litige soumis à la cour porte sur la prise en charge par la société Axa des désordres affectant d'une part la pompe à chaleur Auer installé dans l'habitation numéro 1et d'autre part le ballon thermodynamique installé dans l'habitation numéro 2 , la pompe à chaleur Dakin, ainsi que sur le préjudice de jouissance subi par M. [S].

Selon l'article L124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable .

Il en résulte que le désistement de M. [S] à l'égard de la société la compagnie de l'Eco-Habitat n'a aucune incidence sur son droit d'exercer l'action directe dont il dispose à l'encontre de la société d'assurances Gan - assureur de la société la compagnie de l'Eco-Habitat - mais il incombe à M. [S] d'établir la responsabilité de la société la compagnie de l'Eco-Habitat.

Par ailleurs, en application de l'article L 112-6 du code des assurances, l'assureur peut opposer au tiers lésé qui invoque le bénéfice de la police les exceptions opposables au souscripteur originaire.

M. [S] agit à l'encontre de la société d'assurances Axa Iard, pris en sa qualité d'assureur décennal de la société la compagnie de l'Eco-Habitat , sur le fondement de la garantie décennale, étant relevé que la garantie souscrite auprès d'Axa ne couvre que les garanties légales à l'exclusion des garanties contractuelles.

La mise en oeuvre de la responsabilité légale des constructeurs prévue aux articles 1792 et suivants du code civil suppose la démonstration par le maitre de l'ouvrage d'une part de l'existence d'une réception (a) ainsi que de la nature décennale des désordres (b).

a) Sur la réception

La réception est définie à l'article 1792-6 alinéa 1 du code civil comme l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves.

La réception peut être expresse, tacite ou judiciaire.

En l'espèce, en l'absence de tout procès-verbal de réception , M. [S] invoque la réception tacite des ouvrages litigieux.

La réception tacite résulte de la volonté non équivoque du maitre de l'ouvrage de le recevoir . Cette volonté est révélée notamment par la prise de possession de l'ouvrage et le paiement de la quasi-totalité des travaux, étant précisé qu'un seul critère ne suffit pas à caractériser l'existence d'une réception tacite.

En l'espèce, il importe de relever que le bon de commande manuscrit et peu lisible en date du 7 novembre 2013 mentionne :

- s'agissant de l'habitation numéro1,la pose d'une pompe à chaleur (pac) AUER, d'un ballon d'eau chaude sanitaire thermodynamique + 3 sèche serviettes

- s'agissant de l'habitation numéro 2, la pose d'une pompe à chaleur Dakin, et d'un ballon d'eau chaude sanitaire thermodynamique.

M. [S] produit seulement deux factures émises par la Compagnie de l'Eco-Habitat

- une facture portant le numéro 146010-1 au nom de Mme [F] [S], correspondant aux travaux d'isolation des combles

- une facture portant le numéro 146010-2 au nom des époux [Z], correspondant à la fourniture, l'installation et la mise en service de la pompe à chaleur Auer.

Bien que ces factures soient établies au nom de tiers, (la fille et le gendre de M. [S]) elles indiquent comme lieu d'installation l'adresse figurant sur le bon de commande et la compagnie de l'Eco-Habitat n'a pas contesté que M. [S] les avaient bien réglées.

- la pompe à chaleur Auer de l'habitation numéro 1

La facture 1406010-2 en date du 7 octobre 2014 qui a été réglée par M. [S] ainsi que la prise de possession de l'ouvrage découlant de l'installation de l'ouvrage sans opposition de la part du maitre de l'ouvrage, constituent deux indices concordants de la réception tacite par M. [S] de la pompe à chaleur Auer.

- le ballon thermodynamique et la pompe à chaleur Daikin de l'habitation numéro 2

La cour observe que les factures produites ne concernent pas l'installation du ballon thermodynamique de cette habitation et la pompe à chaleur Daikin. En effet, s'agissant du ballon thermodynamique et la pompe à chaleur Daikin de l'habitation numéro 2, il n'est produit aucun document afférant tant à la facture de ces prestations qu'à leur règlement , de sorte que contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, M. [S] ne rapporte pas la preuve d'une réception tacite ni du ballon thermodynamique ni de la pompe à chaleur Daikin de l'habitation numéro 2 supposant le paiement des travaux.

Il s'ensuit que les conditions de la réception tacite des éléments d'équipement installés par la société la compagnie de l'Eco-Habitat sont réunies seulement pour la pompe à chaleur de marque Auer de l'habitation numéro1.

Par voie de conséquence la demande d'indemnisation de M. [S] à l'encontre de la société Axa fondée sur la garantie légale des articles 1792 du code civil ne peut prospérer en ce qui concerne le ballon thermodynamique et la pompe à chaleur Daikin de l'habitation numéro 2.

Ainsi, il y a lieu d'infirmer la décision du premier juge en ce qu'il a condamné in solidum la société d'assurances Axa France Iard à payer à M. [S] au titre de la réparation du désordre relatif à l'habitation numéro 2 la somme de 2.474 euros HT.

b) sur la nature et la qualification des désordres

Selon l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit envers le maitre de l'ouvrage des dommages, même résultant d'un vice du sol qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'equipement le rendent impropre à destination, une telle responsabilité n'ayant point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

La pompe à chaleur Aeur constitue un élément d'équipement.

L'expert a constaté que pour la pompe à chaleur Auer, l'installateur n'a pas respecté les prescriptions du fournisseur sur plusieurs points

* non-respect des espaces libres autour du groupe extérieur

* mauvais montage du pot à boue (horizontal au lieu de vertical)

* non-respect de la section des tuyaux de raccordement entre les modules extérieurs et intérieurs

* capacité tampon insuffisant

* bloc récepteur du thermostat mal positionné

Ces constatations expertales caractérisent des défauts de conformité .

Toutefois, en l'absence de désordre de nature décennale, les défauts de conformité affectant un immeuble n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 1792 du code civil.

Or, en l'espèce, l'expert judiciaire indique en page 18 de son rapport qu'après avoir relevé la pression du circuit de chauffage à 1,5 bars (la pression étant à peine d'un bar), la pompe à chaleur s'est remise en service.

Ainsi, après cette simple manipulation, la pompe fonctionnait lors de l'accédit de l'expert.

Il s'en déduit que les désordres affectant la pompe à chaleur Auer qui n'empêchent pas le fonctionnement de l'appareil, ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination.

Ces désordres ne relèvent donc pas de la garantie décennale.

Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a dit que l'absence de conformité de l'équipement ne pouvait à elle seule permettre de retenir la responsabilité décennale de l'entreprise et par voie de conséquence la garantie de son assureur.

Le jugement sera confirmé à cet égard.

Sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La cour ayant écarté toute condamnation de l'assureur au titre de la garantie décennale, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Axa à indemniser M. [S] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens .

En revanche, l'équité doit conduire la cour à ne pas faire application des dispositions de cet article en faveur de la société d'assurance Axa.

M. [S] qui succombe en son recours sera condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant après débats en audience publique par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la société d'assurances Axa à payer à M. [E] [S] au titre de la réparation du désordre relatif à l'habitation numéro 2 la somme de 2.474 euros HT , au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 1.500 euros et aux dépens comprenant les frais d'expertise,

Statuant des chefs infirmés,

Déboute M. [S] de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la société d'assurances Axa Iard,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne M. [E] [S] aux dépens d'appel.