CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 9 octobre 2024, n° 22/11579
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Mutuelle des Architectes Français (MAF)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jariel
Conseillers :
Mme Boutie, Mme Szlamovicz
Avocats :
Me Saidon, Me Dominique Tournier, Me Pauline Tournier
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [Y] a souhaité réaliser des travaux de rénovation complète de l'appartement dont elle est propriétaire située au [Adresse 2].
Le 13 juin 2018, Mme [Y] a conclu un contrat de maîtrise d''uvre complète avec M. [L], architecte assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), moyennant des honoraires forfaitaires de 5 500 euros TTC.
Suivant un devis accepté le 29 juin 2018, la société Zebra construction (la société ZC) s'est vue confier l'intégralité des prestations de fournitures et main d''uvre pour un montant de 48 946,70 euros TTC.
La fin du chantier a été fixée au 28 septembre 2018
Par une lettre recommandée du 15 novembre 2018, Mme [Y] a mis en demeure la société ZC de reprendre les travaux suite à son abandon du chantier.
Le 27 mars 2019, Mme [Y] a mis en demeure la société ZC de procéder aux réparations nécessaires à la levée des réserves listées dans un procès-verbal de réception datée du 18 décembre 2018.
Le 6 juin 2019, Mme [Y] a assigné, devant le tribunal judiciaire de Paris, la société ZC, la société Assurdix en qualité d'assureur de la société ZC, M. [L] et la MAF, en qualité d'assureur de M. [L].
Par jugement du 13 mai 2022, le tribunal judiciaire de Paris a statué en ces termes :
Condamne la société ZC et son assureur la société Assurdix in solidum à verser à Mme [Y] :
- La somme de 20 272 euros TTC au titre des travaux de reprise ;
- La somme de 12 150 euros au titre des pénalités de retard ;
Condamne la société Assurdix à garantir la société ZC ;
Déboute Mme [Y] de ses demandes formées au titre du préjudice de jouissance ;
Déboute Mme [Y] de ses demandes formulées à l'encontre de M. [L] et de son assureur la MAF ;
Condamne Mme [Y] à verser à M. [L] la somme de 1 375 euros TTC au titre du solde de ses honoraires ;
Déboute M. [L] de sa demande de dommages et intérêts ;
Déboute la société Assurdix de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne in solidum la société ZC et la société Assurdix à verser à Mme [Y] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [Y] à verser à M. [L] la somme de 1 500 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
Dit que la MAF supportera ses propres frais irrépétibles ;
Condamne in solidum la société ZC et la société Assurdix aux entiers dépens ;
Ordonne l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration en date du 20 juin 2022, Mme [Y] a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour :
- M. [L] ;
- la MAF.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 9 septembre 2022, Mme [Y] demande à la cour de :
Juger Mme [Y] recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions,
Confirmer le jugement de 1ère instance en qu'il a décidé que les non conformités, malfaçons, non façons, absence de finitions et retards constatés et reconnus par le maître d''uvre relèvent de la responsabilité civile contractuelle et de la garantie de parfait achèvement de la société ZC compte tenu de son obligation de résultat,
Confirmer le jugement de 1ère instance en ce qu'il a condamné la société ZC à verser à Mme [Y] :
- La somme de 20 272 euros ttc au titre des travaux de reprise ;
- La somme de 12 150 euros au titre des pénalités de retard ;
Infirmer le jugement de 1ère instance en ce qu'il :
- Déboute Mme [Y] de ses demandes formées au titre du préjudice de jouissance ;
- Déboute Mme [Y] de ses demandes formulées à l'encontre M. [L] et de son assureur la MAF ;
- Condamne Mme [Y] à verser à M. [L] la somme de 1 375 euros TTC au titre du solde de ses honoraires ;
- Condamne Mme [Y] à verser à M. [L] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
Juger que la responsabilité contractuelle de M. [L] est engagée compte tenu de sa carence dans la direction du chantier, en contravention avec ses obligations contractuelles et légales,
Juger que la responsabilité contractuelle de M. [L] est engagée pour avoir manqué à son devoir de conseil en communiquant une fausse information au maître de l'ouvrage en certifiant à tort que l'entrepreneur était assuré pour les travaux à exécuter, privant ainsi Mme [Y] de toute possibilité d'être garantie des condamnations prononcées à son profit à l'encontre de l'assureur de la société ZC, cette dernière étant radiée, le préjudice causé par cette faute est le défaut d'indemnisation de l'assureur de l'entreprise condamné en 1ère instance.
En conséquence, et statuant à nouveau,
Condamner in solidum M. [L], au titre de sa responsabilité civile contractuelle, ainsi que son assureur responsabilité civile professionnelle la MAF, à régler à Mme [Y] le coût des travaux de reprise des malfaçons, pour un montant 20 272 euros TTC au titre des travaux de reprise (montant retenu par le juge de 1ère instance) ;
Condamner in solidum M. [L], au titre de sa responsabilité civile contractuelle, ainsi que son assureur responsabilité civile professionnelle la MAF, à régler à Mme [Y], la somme de 12 150 euros en règlement des pénalités de retard (montant retenu par le juge de 1er instance),
Condamner in solidum M. [L], au titre de sa responsabilité civile contractuelle, ainsi que son assureur responsabilité civile professionnelle la MAF, à régler à Mme [Y], la somme de 20 000 euros en réparation de son trouble de jouissance, et de son préjudice moral subi, compte tenu des conditions de vie dégradées durant 4 ans étant contrainte d'évoluer dans un bien affecté de 53 réserves, conformément à l'article 1231-1 et 1217 du code civil,
Condamner in solidum M. [L], au titre de sa responsabilité civile contractuelle, ainsi que son assureur responsabilité civile professionnelle la MAF, à régler à Mme [Y] la somme de 10 000 euros au titre de l'art. 700 du code de procédure civile,
Condamner in solidum M. [L], au titre de sa responsabilité civile contractuelle, ainsi que son assureur responsabilité civile professionnelle la MAF, à régler à Mme [Y], aux entiers dépens, comprenant le cout des constats d'huissier et d'expertise.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 19 octobre 2022, M. [L] et la MAF demandent à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Débouter Mme [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions, comme dirigées contre M. [L] et la MAF ;
La débouter de plus fort de toutes ses demandes tendant à faire condamner in solidum l'architecte M. [L], ou au titre de la garantie de parfait achèvement, ou en règlement des pénalités de retard ;
Dire et juger opposables à l'ensemble des parties les conditions de la MAF tant de franchise que de plafond ;
Et en tout état de cause, condamner Mme [Y] à payer 5 000 euros à M. [L] et 5 000 euros à la MAF au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 2 juillet 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 11 septembre 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
MOTIVATION
Sur la responsabilité de l'architecte
Moyens des parties
Mme [Y] soutient que confronté aux défaillances de la société Zebra constructions, M. [L] n'a, d'une part, pas constaté les manquements de l'entrepreneur à ses obligations en cours de chantier et ne les a pas consignés dans les comptes rendus de chantier qu'il était tenu de dresser et, d'autre part, a omis d'organiser des réunions de chantier lui permettant de faire le constat des manquements de l'entrepreneur.
Elle précise que l'architecte, défaillant dans sa mission de direction du chantier, est responsable des désordres et du retard pris par le chantier sur le calendrier d'exécution des travaux qu'il avait lui-même établi.
Elle ajoute que M. [L] a manqué à son obligation contractuelle prévue par son contrat de maîtrise d''uvre en date du 13 juin 2018 en ne déconseillant pas le choix de la société ZC qui ne justifiait pas d'une assurance apte à couvrir les risques professionnels, cette faute ayant entraîné un préjudice caractérisé par le défaut d'indemnisation de l'entreprise condamnée en première instance.
M. [L] et la MAF font, quant à eux, valoir qu'il appartient à Mme [Y] de prouver qu'un manquement ou une faute a été commis par la maîtrise d''uvre en relation directe avec le dommage allégué ou le préjudice et que la demande fondée sur la garantie de parfait achèvement ne peut prospérer utilement envers l'architecte dès lors que l'article 1792-6 du code civil en exclut précisément le maître d''uvre.
Ils précisent que l'abandon du chantier, que le cabinet d'architectes ne pouvait pas prévoir, a eu pour conséquence directe le retard dans l'exécution des travaux ainsi que le préjudice de jouissance allégué par Mme [Y].
En outre, ils ajoutent que Mme [Y] se contredit au détriment de M. [L] en soutenant que le tribunal a condamné par erreur la société Assurdix à couvrir la société Zebra construction dans la mesure où elle a elle-même assigné cette société en première instance et n'a jamais modifié ses demandes sans relever appel à l'encontre de la société Assurdix aux fins de contester cette condamnation.
Les intimés avancent aussi que l'attestation d'assurance fournie par la société Assurdix couvre les chantiers ouverts entre le 10 juillet 2017 et le 9 juillet 2018 alors que le marché concernant la société ZC ayant été signé le 29 juin 2018 et, qu'en tout état de cause, il n'est pas justifié d'un lien de causalité entre l'abandon du chantier par l'entreprise et la prétendue carence de l'architecte au titre du défaut d'assurance.
Ils arguent, enfin, qu'il n'est pas justifié d'un préjudice distinct de celui résultant du retard dans l'exécution des travaux.
Réponse de la cour
Aux termes des dispositions de l'article 1231-1 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Il est établi que l'architecte n'est tenu que d'une obligation de moyens dans l'exécution de ses missions (3e Civ., 3 octobre 2001, pourvoi n° 00-13.718) et que l'obligation de surveillance qui lui incombe ne lui impose pas une présence constante sur le chantier et ne se substitue pas à celle que l'entrepreneur doit exercer sur son personnel (3e Civ., 4 juillet 1973, pourvoi n° 72-11.158, Bull.1973, III, n° 463).
En outre, l'architecte engage sa responsabilité contractuelle de droit commun pour n'avoir pas vérifié les attestations d'assurance des entrepreneurs (3e Civ., 16 mars 2005, pourvoi n°04-12-950).
Au cas d'espèce, il résulte de l'examen du contrat de maîtrise d''uvre de conception et d'exécution conclu par les parties le 13 juin 2018 que l'architecte avait une mission complète de maîtrise d''uvre dans les différentes phases de la réalisation des travaux :
" - L'architecte produit le calendrier indicatif d'exécution des travaux,
- La mise au point des marchés de travaux (propose au Maître d'ouvrage la liste des entreprises à retenir, il déconseille le choix d'une entreprise lorsqu'elle ne lui paraît ne pas présenter les compétences suffisantes).
Troisième phase : Direction et comptabilité des travaux
- Rédige et signe les ordres de service, pour l'exécution des travaux des différents corps d'état,
- Organise et dirige les réunions de chantier et en dirige les comptes rendus, qu'il diffuse à tous les intéressés, vérifie l'avancement des travaux et leur conformité avec les pièces du marché.
- Tout manquement de l'entrepreneur à ses obligations est constaté dans les comptes rendus de chantier de l'architecte,
- Assistance aux opérations de réception.
La fréquence des visites est hebdomadaire. "
Si Mme [Y], à qui incombe la charge de la preuve d'une faute commise par M. [L] dans l'exercice de sa mission, invoque une carence de l'architecte dans la direction du chantier, elle ne procède que par voie d'allégations alors que le tribunal a justement relevé qu'il résulte des pièces aux débats que M. [L] a réalisé l'intégralité de sa mission en transmettant notamment, un planning particulièrement détaillé au titre de la réalisation des travaux de l'appartement, en échangeant de nombreux courriels attestant d'un suivi régulier des travaux et notamment de l'organisation de réunions de travail, en effectuant de nombreux points précis, détaillés et récapitulatifs au représentant de la société ZC pour l'informer des différentes prestations ou finitions restant à réaliser ou à reprendre, en relançant à plusieurs reprises l'entrepreneur afin que les travaux soient achevés dans les délais et enfin en assistant aux opérations de réception et en établissant un récapitulatif de comptabilité du chantier.
En outre, alors qu'il n'est pas contesté que la société Zebra construction a cessé d'intervenir sur le chantier à compter de la fin du mois d'octobre 2018, sans que cette situation puisse être valablement opposée à l'architecte, M. [L] justifie avoir fait preuve de réactivité dans l'exercice de sa mission en, d'une part, faisant appel à la société MDA rénovation pour les reprises et finitions, un devis ayant été établi le 9 novembre 2018 et, d'autre part, en synthétisant l'état d'avancement du chantier, détaillant point par point les éléments restant à terminer par courriel du 13 novembre 2018.
Par ailleurs, si en cause d'appel, Mme [Y] invoque le défaut d'assurance de la société Zebra construction, le seul courriel du 17 juin 2022 de la société Entoria produit aux débats faisant état de la seule qualité de courtier de la société Assurdix ne saurait suffire à caractériser l'existence d'une faute commise par M. [L] dans la vérification de l'attestation d'assurance de l'entrepreneur en charge de la réalisation des travaux ni dans le choix de ce dernier alors même qu'une attestation d'assurance professionnelle de la société Zebra construction garantissant les travaux réalisés au profit de Mme [Y] avait été valablement communiquée à l'architecte au jour de l'ouverture du chantier.
En outre, il convient de relever que Mme [Y] ne conteste pas le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Assurdix à garantir la société Zebra construction des condamnations prononcées à son encontre, cette dernière n'étant pas intimée en cause d'appel.
Ainsi, l'allégation, sans offre de preuve, de Mme [Y] selon laquelle M. [L] aurait commis une faute en lien de causalité avec la mauvaise réalisation des travaux n'est pas démontrée.
En l'absence de démonstration d'une faute commise par M. [L] dans l'exécution de sa mission d'architecte, il y a lieu de rejeter l'ensemble des demandes formulées par Mme [Y] à son encontre.
En conséquence, la décision entreprise sera confirmée de ce chef.
Sur les frais du procès
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, Mme [Y], partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer à M. [L] et à la MAF la somme globale de 4 000 euros, au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne Mme [Y] aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [Y] et la condamne à payer à M. [L] et à la Mutuelle des architectes français la somme globale de 4 000 euros.