CA Chambéry, 1re ch., 8 octobre 2024, n° 22/00174
CHAMBÉRY
Autre
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Albingia (SA)
Défendeur :
Groupe Ud (SARL), Charvin (SAS), Generali Iard (SA), Smabtp (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pirat
Conseillers :
Mme Reaidy, M. Sauvage
Avocats :
Me Forquin, SCP Raffin & Associes, Me Houmani, SELARL Deniau Avocats Grenoble, Me Fillard, SELAS Chevalier - Marty - Pruvost, Me Hermes, SELARL Ducrot Associes - Dpa
Faits et procédure
Suivant acte authentique du 13 novembre 2012, la société Les Vergers du Lac (SCCV) a vendu en l'état futur d'achèvement à M. [E] [T] une maison à [Localité 6] qui a été livrée avec réserves le 25 juin 2013, renouvelées ensuite.
Par ordonnance du 24 octobre 2014, le président du tribunal de grande instance d'Annecy a, sur assignation de M. [T], ordonné une expertise au contradictoire de divers intervenants à la construction et commis M. [V] pour y procéder.
L'expert a déposé son rapport le 28 juillet 2017.
Par actes d'huissier des 20, 21, 22 et 26 mars 2018, M. [T] a assigné devant le tribunal de grande instance d'Annecy notamment aux fins de réparation des désordres et dommages et intérêts :
- la société Les Vergers du Lac,
- la société Albingia, assureur dommages ouvrage et constructeur non réalisateur de la SCCV Les Vergers du Lac,
- la société Groupe UD, maître d''uvre,
- la société Maaf Assurances, en qualité d'assureur de la société Groupe UD,
- la société Charvin Entreprises (terrassement gros 'uvre),
- la société Generali Iard, en qualité d'assureur de la société Charvin Entreprises,
- la société Hi Home Partners, assistant du maitre d'ouvrage,
- la société L'auxiliaire, en qualité d'assureur de la société Hi Home Partners.
Par acte du 16 août 2018, la société Groupe UD a appelé en cause la société SMABTP son propre assureur au 1 janvier 2011 et en tant qu'assureur de la société TCCS (lot chauffage géothermie) placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Annecy du 17 décembre 2013.
Par ordonnance du 6 mars 2019, il a été constaté le désistement d'instance et d'action de M. [T] contre la société MAAF, accepté par cette dernière.
Par jugement du 5 janvier 2022, le tribunal judiciaire d'Annecy, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- déclaré la société Albingia hors de cause en qualité d'assureur dommages ouvrage ;
- déclaré M. [T] forclos et irrecevable en son action relative aux désordres relatifs au dysfonctionnement du chauffage
- condamné in solidum la société Les Vergers du Lac, la société Albingia, la société Groupe Ud, la société SMABTP, la société Charvin Entreprises et la société Générali à payer à M. [T] la somme de 16 000 euros TTC au titre des travaux de mise en conformité suite à l'inondation du terrain ;
- condamné in solidum la société Albingia, la société SMABTP et la société Generali à relever et garantir la société Les Vergers du Lac de la condamnation qui précède ;
- condamné la société SMABTP à relever et garantir la société Groupe UD de la condamnation qui précède ;
- condamné in solidum la société Groupe UD, la société SMABTP, la société Charvin Entreprises et la société Generali à relever et garantir la société Albingia de la condamnation qui précède ;
- dit que dans leurs rapports de coobligés, la charge définitive de la dette in solidum laquelle ils ont été condamnés précédemment sera supportée par :
- la société Groupe UD et la société SMABTP à concurrence de 8o %,
- la société Charvin Entreprises et la société Generali à concurrence de 20 % ;
- condamné in solidum la société Les Vergers Du Lac, la société Groupe UD, la société SMABTP, la société Charvin Entreprises à payer à M. [T] la somme de 850 euros à titre de préjudice de jouissance ;
- condamné la société SMABTP à relever et garantir la société Les Vergers du Lac de la condamnation qui précède ;
- condamné la SMABTP à relever et garantir la société Groupe UD de la condamnation qui précède ;
- dit que dans leurs rapports de coobligés, la charge définitive de la dette in solidum à laquelle ils ont été condamnés précédemment sera supportée par :
- la société Groupe UD et la société SMABTP à concurrence de 8o %,
- la société Charvin Entreprises à concurrence de 20 % ;
- débouté M. [T] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- condamné la société Albingia à verser à M. [T] la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Albingia aux dépens comprenant les frais de la procédure de référé expertise, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société Bremant-Gojon-Glessinger-Sajous ;
- débouté les parties toutes autres demandes.
Au visa principalement des motifs suivants :
sur les désordres affectant le chauffage, l'assignation en référé expertise de la société Les Vergers du Lac par M. [T] est intervenue hors délai le 27 août 2014, soit 14 mois après au lieu de 13 ;
sur les désordres relatifs à l'inondation du terrain, il y a une impropriété à destination, quand bien même ces accumulations d'eau n'ont actuellement pas eu d'incidence sur le bâti, le désordre relève donc de la garantie décennale ;
M. [T] ne justifie pas d'un préjudice moral distinct du préjudice de jouissance qui lui a été précédemment accordé au titre des accumulations d'eau sur son terrain et sera don débouté de ce chef.
Par déclaration au greffe du 1er février 2022, la société Albingia a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a :
- condamné la société Albingia à verser à M. [T] la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Albingia aux dépens comprenant les frais de la procédure de référé expertise, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société Bremant-Gojon-Glessinger-Sajous ;
- débouté les parties toutes autres demandes.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 27 septembre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Albingia sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
- condamner in solidum la société Groupe UD et la société Charvin Entreprises et leurs assureurs les sociétés SMABTP et Generali Iard à la garantir et relever indemne des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du tribunal judiciaire d'Annecy du 5 janvier 2022 au profit de M. [T] au titre des dépens (soit 18 240,79 euros) et des frais de justice (soit 4 000 euros) ;
- condamner in solidum la société Groupe UD et la société Charvin Entreprises et leurs assureurs les sociétés SMABTP et Generali Iard aux entiers dépens d'appel, ainsi qu'à lui la somme de 2 600 euros au titre des frais de justice.
Au soutien de ses prétentions, la société Albingia fait valoir notamment que :
elle n'a pas été condamnée au titre du préjudice de jouissance de M. [T] résultant de l'inondation du terrain ;
elle a intégralement été garantie par les sociétés Groupe UD et Charvin Entreprises et leurs assureurs les sociétés SMABTP et Generali s'agissant des sommes allouées à M. [T] pour remédier au désordre de l'inondation du terrain ;
par conséquent, elle n'a pas à supporter la charge finale des condamnations prononcées au titre de l'unique grief pour lequel le tribunal a fait droit aux demandes de M. [T] ;
elle ne peut être considérée comme une partie perdante, tenue aux dépens, au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Par dernières écritures du 29 février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Groupe UD demande à la cour de :
- A titre principal, sur la confirmation des chefs de jugement critiqué confirmer le jugement du 5 janvier 2022 en ce qu'il a :
- condamné la société Albingia à verser à M. [T] la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Albingia aux dépens comprenant les frais de la procédure de référé, expertise, avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la société Bremant ' Gojon-Glessinger-Sajous ;
A titre subsidiaire, sur son action récursoire à l'égard de la société SMABTP,
- condamner la société SMABTP à la relever et garantir pour toutes les condamnations principales et accessoires dont article 700 du code de procédure civile et dépens qui pourraient être prononcées à son encontre ès qualité d'assureur ;
En toute hypothèse,
- condamner la société Albingia, ou tout succombant à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même, ou tout succombant, aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Houmani.
Au soutien de ses prétentions, la société Groupe UD fait valoir notamment que :
le juge dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour répartir les dépens dès lors que plusieurs parties sont perdantes ;
la société Albingia, est l'une des parties perdantes en ce qu'elle a été condamnée in solidum aux côtés des défendeurs à l'égard de M. [T] ;
les travaux ont démarré le 14 avril 2011 de sorte qu'elle était assurée auprès de la société SMBATP au jour du démarrage des travaux.
Par dernières écritures du 8 juillet 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, les sociétés Charvin Entreprises et Generali Iard demandent à la cour de :
- Confirmer le jugement du 5 janvier 2022 du tribunal judiciaire d'Annecy en ce qu'il a :
- condamné la société Albingia à verser à M. [T] la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Albingia aux dépens comprenant les frais de la procédure de référé expertise, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la société Bremant-Gojon-Glessinger-Sajous,
- débouté de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamner la société Albingia à leur verser la somme de 2 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, les sociétés Charvin Entreprises et Generali Iard font valoir notamment que :
la société Albingia a été condamnée in solidum avec les intimées à la présente instance et avec son assurée la société Les Vergers du Lac à indemniser M. [T] à hauteur de 16 000 euros TTC au titre des travaux de mise en conformité suite à l'inondation de son terrain ;
le désordre était de nature décennale et était imputable aussi bien à la société Les Vergers du Lac qu'à la société Groupe UD et à la société Charvin Entreprises ;
c'est donc l'équité qui a conduit le premier juge à faire supporter le coût de la réparation aux seuls maitre d''uvre et constructeur et de laisser les dépens et par voie de conséquence les frais irrépétibles à la charge de la société Albingia.
Par dernières écritures du 13 juillet 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société SAMBTP demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Annecy le 5 janvier 2022 ;
A titre subsidiaire,
- condamner la société Charvin Entreprises et son assureur, la société Generali Iard, à hauteur de 20 % des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de la société Albingia ;
En tout état de cause,
- condamner la société Albingia à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Albingia à lui payer les entiers dépens dont distraction au profit de Me Hermès, avocat aux offres de droit.
Au soutien de ses prétentions, les sociétés Charvin Entreprises et Generali Iard font valoir notamment que :
la condamnation des parties perdantes relève du pouvoir discrétionnaire des juges du fond;
le caractère décennal des inondations du terrain, au sens des dispositions de l'article 1792 du code civil, était contestable dès lors qu'elles ne portent pas atteinte à la solidité de de l'ouvrage ni le rendent impropre à sa destination ;
la société Albingia ne conteste pas ce caractère, il lui aurait appartenu, en sa qualité d'assureur CNR de la société Les Vergers Du Lac, de financer les travaux de reprise nécessaires, permettant ainsi l'économie de l'expertise judiciaire confiée à M. [V] ;
ce faisant, il apparaît que la société Albingia doit être qualifiée de « partie perdante » au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 25 mars 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 21 mai 2024.
Motifs de la décision
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, 'la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie'. Il est par ailleurs de jurisprudence constante que lorsqu'une partie ne succombe que partiellement, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de procéder à une répartition des dépens, ainsi que de mettre l'intégralité des dépens à la charge de l'une des parties perdantes. Il n'est tenu de motiver sa décision de ce chef que s'il met les dépens ou une partie des dépens à la charge du gagnant.
L'article 700 du code de procédure civile prévoit quant à lui que 'le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens'.
En l'espèce, le tribunal judiciaire d'Annecy a notamment, aux termes du jugement entrepris, dans ses chefs devenus définitifs, condamné la société Albingia à garantir la SCCV Les Vergers du Lac des sommes allouées à M. [T] au titre des travaux de mise en conformité suite à l'inondation du terrain.
Il convient d'observer que, dans le cadre de ce litige, l'appelante a contesté le caractère décennal du désordre, et que son argumentation n'a pas été retenue par le tribunal. Le premier juge a en effet constaté que l'existence de ce désordre, ainsi que son ampleur, n'étaient 'guère contestables', et qu'il entraînait bien impropriété à destination de l'ouvrage, de sorte que la garantie CNR (constructeur non réalisateur) de la société Albingia était due.
La société Albingia apparaît bien ainsi comme étant 'une partie perdante' au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, bien qu'elle ait été relevée et garantie de la condamnation mise à sa charge au titre des travaux de mise en conformité par la société Groupe UD, la société SMABTP, la société Charvin Entreprises et la société Generali.
Il ne peut cependant être considéré que ce serait en raison d'un refus de prise en charge qui aurait été opposé par l'appelante à M. [T] que celui-ci a été contraint d'engager une procédure de référé-expertise. Il est constant, en effet, qu'aucune déclaration de sinistre n'a été régularisée auprès de cet assureur avant la mise en oeuvre de la procédure d'expertise judiciaire, de sorte que la société Albingia n'a pas été en mesure de se positionner sur sa garantie éventuelle avant l'engagement de l'action en référé.
Dans ces conditions, la mise à sa seule charge de l'intégralité des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, dont le cumul représente une somme supérieure aux indemnités allouées à M. [T], apparaît inéquitable.
Il convient par conséquent de condamner in solidum la société Groupe UD et la société Charvin Entreprises et leurs assureurs les sociétés SMABTP et Generali Iard à garantir et relever indemne la société Albingia à hauteur de la moitié des condamnations prononcées à son encontre au titre des dépens de première instance, et de l'article 700 du code de procédure civile, et de dire que dans leurs rapports entre ces coobligés, la charge définitive de la dette in solidum laquelle ils ont été condamnés sera supportée par :
la société Groupe UD et la société SMABTP à concurrence de 8o %,
la société Charvin Entreprises et la société Generali à concurrence de 20 %.
La société Albingia conservera la charge des dépens d'appel. Et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Infirme le jugement rendu le 5 janvier 2022 par le tribunal judiciaire d'Annecy en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société Albingia tendant à être relevée et garantie des condamnations prononcées à son encontre au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant de nouveau de ce chef,
Condamne in solidum la société Groupe UD et la société Charvin Entreprises et leurs assureurs les sociétés SMABTP et Generali Iard à garantir et relever indemne la société Albingia à hauteur de la moitié des condamnations prononcées à son encontre au titre des dépens de première instance, comprenant les frais de la procédure de référé expertise, et de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que dans leurs rapports entre ces coobligés, la charge définitive de la dette in solidum à laquelle ils ont été condamnés sera supportée par :
- la société Groupe UD et la société SMABTP à concurrence de 8o %,
- la société Charvin Entreprises et la société Generali à concurrence de 20 %,
Condamne la société Groupe UD et la société SMABTP à relever et garantir la société Charvin Entreprises et la société Generali à hauteur de 80 % de cette condamnation,
Condamne la société Charvin Entreprises et la société Generali à relever et garantir la société Groupe UD et la société SMABTP à hauteur de 20 % de cette condamnation,
Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Albingia aux dépens exposés en cause d'appel, avec distraction au profit de Me Hermès et de Me Houmani, avocats,
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.