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Décisions

CA Colmar, 2e ch. A, 17 octobre 2024, n° 21/02744

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Yv (Époux), M & M (SCI), Bd (Consorts), S, Ligne Bleue (SARL), Caisse d'Assurance Mutuelle du Bâtiment et des Travaux Publics, Mje (SELAS), Mutuelle des Architectes Français (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diepenbroek

Vice-président :

M. Laethier

Conseiller :

Mme Robert-Nicoud

Avocats :

Me Chevallier-Gaschy, Me Spieser-Dechristé, Me Laurence Frick, Me Patricia Chevallier-Gaschy, Me Olszak, Me Serra, Me Valérie Spieser-Dechriste, Me Benoit Arnaud, Me Guillaume Harter, Me Julien Demarche, Me Thierry Cahn, Me Lebon, Me Anne Crovisier

CA Colmar n° 21/02744

16 octobre 2024

FAITS ET PROCÉDURE

Le 28 décembre 2004, la SCI [...] a acquis auprès des époux [K] et [WY] - [F] [BD]-[C] différentes parcelles sises à [Adresse 37], en contrebas d'un talus. Les vendeurs ont conservé la propriété d'un terrain supportant une maison située en haut du talus.

La SCI [...] a fait procéder, en qualité de maître de l'ouvrage, à la construction sur ce terrain d'un groupement d'habitations constitué de deux maisons bi-famille et d'une maison mono-famille qu'elle a vendues en l'état futur d'achèvement, courant 2006, respectivement aux époux [N], à la SCI M&M, aux époux [YV], aux époux [J] et à M. [Y], ceux-ci les destinant à la location.

Le dossier de permis de construire a été établi par M. [GX] [S], architecte, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (ci-après la MAF), sur la base de palns établis par M. [IU].

Sont intervenus à l'opération de construction :

- la SARL Ligne bleue, architectes, assurée auprès de la CAMBTP, en tant que maître d'oeuvre de conception,

- la SARL Iseo concept, également assurée auprès de la CAMBTP, en tant que maître d'oeuvre d'exécution.

Pour cette opération, la SCI [...] avait souscrit une police d'assurance constructeur non réalisateur et une police dommages-ouvrage, auprès de la CAMBTP, et obtenu une garantie d'achèvement de la société BNP Paribas.

La livraison des maisons est intervenue selon procès-verbaux du 16 avril 2007, pour les consorts [Y] et [J], et du 20 juin 2007 pour les autres acquéreurs.

La déclaration d'achèvement des travaux a été déposée en mairie le 30 septembre 2007.

Par courrier du 7 avril 2008, la commune de [Localité 36] a mis en demeure la SCI [...] d'interdire l'accès aux immeubles en raison de dangers pour la sécurité des personnes, et de veiller à prévenir tous risques d'éboulements sur la voie publique.

Se plaignant de ce que les opérations de construction auraient provoqué la déstabilisation du talus, Mme [K] [BD] -[C] a fait assigner la SCI [...] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Strasbourg aux fins d'expertise. M. [Y] a parallèlement agi aux mêmes fins. Le juge des référés a désigné M. [L], en qualité d'expert judiciaire. La SCI [...] a sollicité l'extension des opérations d'expertise aux autres acquéreurs, ainsi qu'à la société Iseo concept, à la CAMBTP, à la société Ligne bleue, et à M. [S].

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 1er juillet 2009.

En suite de ce rapport, M. [Y] a, le 16 avril 2010, fait assigner la société BNP Paribas devant le tribunal de grande instance de Strasbourg. Celle-ci a appelé en garantie la SCI [...].

Courant septembre 2010, les autres acquéreurs ont également assigné la société BNP- Paribas devant le même tribunal. La SCI [...] a appelé en garantie M. [S] et la MAF.

Les différentes procédures ont été jointes.

Par ordonnance du 8 juillet 2015, le juge de la mise en état a ordonné une nouvelle expertise confiée à M. [A], qui a été remplacé par M. [H] [MN].

Parallèlement, Mme [K] [BD] - [C] a assigné la SCI [...] et ses co-indivisaires, son époux étant décédé, devant le tribunal de grande instance de Saverne, aux fins d'obtenir la condamnation de la SCI à réaliser les travaux préconisés par M. [L], expert judiciaire.

Le juge de la mise en état a constaté la connexité de cette procédure avec celle pendante devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, et renvoyé l'affaire devant cette juridiction. Le juge de la mise en état du tribunal de Strasbourg a ordonné la jonction des procédures et l'extension des opérations d'expertise en cours aux consorts [BD]-[C].

M. [MN] a déposé son rapport définitif le 29 juin 2018.

Par acte sous seing privé du 27 février 2019, les acquéreurs des maisons ont conclu un protocole d'accord avec la CAMBTP, en sa qualité d'assureur des sociétés Iseo concept et Ligne bleue, et avec la SCI [...], portant sur le financement des travaux de reprise recommandés par M. [MN].

Par ordonnance du 28 janvier 2020, le juge de la mise en état a constaté l'interruption de l'instance à l'égard de la société Iseo concept placée en redressement judiciaire le 23 octobre 2018, puis en liquidation judiciaire le 29 janvier 2019. L'instance n'a pas été reprise.

Par ordonnance du 15 juillet 2020, le juge de la mise en état a donné acte aux propriétaires de leur désistement d'instance à l'égard de la société BNP Paribas et a constaté l'extinction de l'instance à son égard.

Par jugement réputé contradictoire en date du 23 mars 2021, le tribunal judiciaire de Strasbourg a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- constaté le désistement d'instance et d'action des époux [N], [YV], [J], de la SCI M&M et de M. [Y] de leurs demandes en indemnisation de leur dommages matériels à l'encontre de la SCI [...] et de la CAMBTP, en qualité d'assureur des sociétés Iseo concept et Ligne bleue,

- déclaré irrecevable les demandes présentées à l'égard des sociétés Iséo concept et BNP Paribas ;

- déclaré irrecevables les demandes des époux [N], [YV], [J], de la SCI M&M et de M. [Y] au titre des frais annexes ;

- condamné la SCI [...] à payer aux époux [N], [YV], [J], à la SCI M&M et à M. [Y] différents montants au titre de la perte de loyers, de frais d'électricité, ainsi que différents montants au titre de la perte d'avantages fiscaux aux époux [YV] et [J] et à M. [Y], et au titre de frais supplémentaires de crédit à la SCI M&M et à M. [Y],

- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

- déclaré irrecevable la demande présentée par la SCI [...] à l'encontre des époux [N], [YV], [J], de la SCI M&M et de M. [Y], au titre du remboursement des sommes versées en application du protocole d'accord,

- condamné la SCI [...] à payer à la CAMBTP la somme de 420 449,32 euros au titre du remboursement des sommes versées par elle en application du protocole d'accord du 27 février 2019 ;

- constaté l'accord de Mme [K] [BD]-[C] pour la réalisation des travaux préconisés par M. [L], respectivement M. [MN],

- condamné la SCI [...] à payer à Mme [K] [BD] -[C] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné la SCI [...] à payer aux consorts [BD] - [C] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- donné acte aux consorts [BD] de leur accord pour la servitude de tréfonds sollicitée par les demandeurs,

- condamné la SCI [...] aux dépens comprenant les frais d'expertise et les dépens des différentes procédures de référé expertise, ainsi que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, 10 000 euros aux époux [N], [YV], [J], à la SCI M&M et à M. [Y], 3 000 euros à Mme [K] [BD] -[C], et 1 200 euros aux consorts [BD],

- admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- déclaré le jugement commun à Mme [U] [BD], épouse [OR] et Mme [X] [BD] -[C],

- rejeté toutes conclusions plus amples ou contraires des parties.

La SCI [...] a interjeté appel de ce jugement le 18 mai 2021, en ce qu'il a prononcé des condamnations contre elle, déclaré irrecevables certaines de ses demandes, rejeté toutes ses autres demandes en particulier ses appels en garantie, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens, intimant toutes les parties à l'exception de la société Iseo concept.

Par déclaration d'appel complémentaire du 3 décembre 2021, elle a également intimé la SELAS MJE associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Iseo concept, et a étendu la saisine de la cour au chef du jugement ayant déclaré irrecevable sa demande dirigée contre cette société.

Les deux procédures ont été jointes le 14 février 2022.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 6 février 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 septembre 2023, la SCI [...] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions qui lui sont défavorables et statuant à nouveau de :

- constater que la réception tacite des lots terrassement et gros oeuvre est intervenue respectivement les 19 décembre 2006 et 23 janvier 2007;

- constater que la réception tacite de l'ensemble de l'opération est intervenue au plus tard le 17 juillet 2007 ;

- rejeter les demandes indemnitaires formulées à son encontre par les époux [N], [YV], [J], la SCI M&M et M. [Y] en tant qu'elles sont fondées sur la responsabilité contractuelle de droit commun ;

- rejeter la demande d'indemnisation du préjudice de perte de loyers des époux [N], [YV], [J], de la SCI M&M et de M. [Y], subsidiairement la limiter a une perte de chance d'au plus 50% du montant calculé par l'expert judiciaire ;

- rejeter la demande d'indemnisation du préjudice de perte d'un avantage fiscal des époux [YV], [J], et de M. [Y], subsidiairement la limiter à une perte de chance d'au plus 30% du montant calculé par l'expert judiciaire ;

- rejeter la demande indemnitaire formulée par époux [N], [YV], [J], de la SCI M&M et de M. [Y] au titre des frais d'électricité ;

- rejeter la demande indemnitaire formulée par la SCI M&M, et M. [Y] au titre des frais supplémentaires de crédit ;

- rejeter toutes les autres demandes plus amples ou contraires dirigées contre elle par les époux [N], [YV], [J], la SCI M&M et M. [Y].

S'agissant des appels en garantie, dans les limites du succès partiel ou total des demandes principales,

- juger les appels en garantie de la SCI [...] recevables et bien fondés ;

- juger que la responsabilité décennale des sociétés Iseo concept et Ligne bleue ainsi que celle de M. [S] est établie ;

- condamner solidairement la CAMBTP, ès qualité d'assureurs CNR, in solidum, ès qualité d'assureur décennal de la société Iseo concept et d'assureur décennal de la société Ligne bleue, la société Ligne bleue, M. [S], et la MAF, ès qualité d'assureur décennal de M. [S] in solidum, à rembourser à la SCI [...] la somme de 226 395,78 euros qu'elle a versée aux acquéreurs pour le compte de qui il appartiendra dans le cadre de la transaction du 27 février 2019 ;

- condamner solidairement la CAMBTP, ès qualités d'assureurs CNR, in solidum d'assureur décennal de la société Iseo concept et d'assureur décennal de la société Ligne bleue, la société Ligne bleue, M. [S], et la MAF ès qualité d'assureur décennal de M. [S] in solidum à garantir la SCI [...] de toute condamnation en principal, intérêts, frais et accessoires qui pourrait être prononcée contre elle au titre des préjudices immatériels réclamés par les acquéreurs, dans la limite des plafonds de garantie applicables pour ce qui concerne les assureurs ;

- juger que les condamnations sont solidaires dans les rapports entre les assureurs et leurs assurés ;

- rejeter la demande de remboursement de la somme de 420 449,32 euros la CAMBTP, ès qualités d'assureur décennal de la société Iseo concept et d'assureur décennal de la société Ligne bleue ;

- rejeter toutes les autres demandes plus amples ou contraires de la CAMBTP, ès qualités d'assureurs CNR, d'assureur décennal de la société Iseo concept et d'assureur décennal de la société Ligne bleue, la société Ligne bleue, M. [S], et la MAF, ès qualité d'assureur décennal de M. [S] ;

- assortir toutes les sommes dues à la SCI [...] des intérêts moratoires à compter de l'arrêt à intervenir, et de la capitalisation des intérêts ;

- rejeter les demandes formées par la MAF, par la CAMBTP et M. [S] contre elle ;

- déclarer la demande indemnitaire de Mme [BD]-[C] irrecevable comme étant prescrite et mal fondée en tant qu'elle est dirigée contre l a SCI [...] ;

- rejeter la demande indemnitaire de Mme [Z] [BD] - [TE], Mme [R] [BD], épouse [VH], M. [P] [BD] et M. [W] [BD] comme étant mal fondée ;

Subsidiairement,

- condamner solidairement la CAMBTP, ès qualité d'assureur CNR, et in solidum d'assureur décennal de Iseo concept et de Ligne bleue, ainsi que la société Ligne bleue, M. [S] et la MAF in solidum à garantir la SCI [...] de toute condamnation en principal, intérêts, frais et accessoires ;

En tout état de cause,

- rejeter l'appel incident des consorts [BD]-[C], les débouter de leurs fins et conclusions,

- rejeter toutes conclusions plus amples ou contraires prises par les autres parties contre elle,

- condamner solidairement, subsidiairement in solidum la CAMBTP, ès qualités d'assureur CNR, d'assureur décennal de la société Iseo concept et d'assureur décennal de la société Ligne bleue, la société Ligne bleue, l'architecte M. [S], et la MAF, ès qualité d'assureur décennal de M. [S] aux entiers dépens, de première instance, et des procédures de référé expertise, ainsi qu'au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,

- condamner solidairement, subsidiairement in solidum la CAMBTP, ès qualités d'assureurs CNR, d'assureur décennal de la société Iseo concept et d'assureur décennal de la société Ligne bleue, la société Ligne bleue, l'architecte M. [S], et la MAF es qualité d'assureur décennal de M. [S], Mme [K] [BD] -[C] et les consorts [BD]-[C] aux entiers dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- rejeter les autres demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 février 2024, les époux [N], [YV], [J], la SCI M&M et M. [Y] concluent au rejet de l'appel principal, à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.

Subsidiairement, ils demandent à la cour de condamner la SCI [...] sur le fondement de l'article 1646-1 du code civil au paiement à chacun d'eux ou à certains d'entre eux de différents montants, après 'entérinement' du rapport d'expertise judiciaire, en réparation des préjudices subis au titre des pertes de loyer, de la perte d'avantage fiscal loi De Robien, du remboursement de frais de électricité, du supplément d'intérêts de crédit immobilier, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance et capitalisation des intérêts dans les conditions fixées à l'article 1343-2 du code civil.

Ils demandent en outre à la cour de :

- rejeter les appels incidents de la CAMBTP, et de la société Ligne bleue, de M. [S] et de la MAF,

- les débouter de leurs conclusions dirigées contre eux,

- condamner la SCI [...] à payer la somme de 20 000 euros à chacun des acquéreurs intimés, les époux [N], les époux [YV], les époux [J], la SCI M&M et M. [Y] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens des deux instances.

* Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 avril 2023, la CAMBTP et la société Ligne bleue demandent à la cour, à titre principal de :

- confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. [S] de son appel en garantie tendant à la condamnation de la CAMBTP en qualité d'assureur de la société Iseo concept, débouter la MAF, la SCI [...] et les consorts [BD]-[C] de leurs appels incidents, demandes, fins et prétentions,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et condamner la SCI [...] à payer à chacune d'elles une somme de 10 000 euros au titre des frais exposés en première instance ;

y ajoutant,

- débouter la SCI [...] de ses demandes à l'encontre de la CAMBTP en sa qualité d'assureur de la société Iseo concept, la SCI [...] n'ayant pas dans sa déclaration d'appel interjeté appel du dispositif du jugement qui déclarait irrecevables les demandes présentées à l'encontre de la société Iseo concept, ce chef de dispositif du jugement étant donc définitif par la force de chose jugée ;

- juger que la seconde déclaration d'appel, en date du 29 novembre 2021, n'a pas permis de régulariser la première déclaration d'appel ;

- juger que la responsabilité de la société Iseo concept, non mise en cause à hauteur d'appel, ne peut plus être recherchée, ni la garantie de son assureur, la CAMBTP.

- prononcer en conséquence la mise hors de cause de la CAMBTP en sa qualité d'assureur de la société Iseo concept.

- rejeter toutes les demandes de la SCI [...],

- condamner la SCI [...] à verser à la CAMBTP, d'une part et à la société Ligne bleue, d'autre part une indemnité de 20 000 euros, chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel. - condamner la SCI [...] et tous succombants définitifs aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Cahn, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la responsabilité de la société Ligne bleue et/ou la garantie de la CAMBTP, son assureur, ainsi que la garantie de la CAMBTP, assureur de la société Iseo concept, seraient engagées :

- déclarer à titre principal irrecevable, et subsidiairement infondé, l'appel incident de M. [S] tendant à la condamnation en garantie de la CAMBTP, es-qualité d'assureur de la société Iseo concept qui n'est pas partie à la procédure,

- juger que la seconde déclaration d'appel, en date du 29 novembre 2021, n'a pas permis de régulariser la première déclaration d'appel,

- débouter la MAF, M. [S], la SCI [...] et les consorts [BD]-[C] de leurs appels incidents, demandes, fins et prétentions contraires aux présentes écritures,

- rejeter toute demande de condamnation à garantie formée par la SCI [...] à l'encontre de la CAMBTP et de la société Ligne bleue.

- fixer la part de responsabilité de la SCI [...] à 100 % et subsidiairement, pour un montant qui ne saurait être inférieur à 90 %,

- fixer la part de responsabilité de la société Iseo concept à un montant maximal de 5 % et celle de la société Ligne bleue à un montant maximal de 2 %.

- fixer la part de responsabilité de Monsieur [S] entre 5 et 8 %.

- limiter la garantie de la CAMBTP es-qualité d'assureur des sociétés Iseo concept et Ligne Bleue à la part de responsabilité individuelle qui serait éventuellement délaissée à ses deux assurées.

En conséquence,

- condamner la SCI [...] à relever et garantir à concurrence de 100 % et subsidiairement, pour une part qui ne saurait être inférieure à 90 %, la société Ligne Bleue, ainsi que la CAMBTP, prise en sa qualité d'assureur de la société Ligne Bleue et de la société Iseo concept, de toutes condamnations qui pourraient être mises à leur charge tant en principal qu'intérêts, frais et dépens.

- condamner in solidum M. [S] et la MAF à garantir la société Ligne Bleue, à due concurrence de sa part de responsabilité, des condamnations qui seraient mises à sa charge tant en principal qu'intérêts, frais et dépens.

- juger que la CAMBTP est bien fondée en toute hypothèse à opposer à son assuré la SCI [...] une non- garantie sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun au titre de la police CNR ainsi qu'aux tiers lésés les limites contractuelles de garantie contenues dans sa police d'assurance, à savoir pour les dommages immatériels un plafond de garantie à 18 000,00 euros, et une franchise de 750,00 euros venant en déduction de tout règlement éventuel de la CAMBTP.

- débouter la SCI [...] de sa demande de remboursement de la somme de 226 395,78 euros versée dans le cadre du protocole d'accord.

Au cas où contre attente la CAMBTP et la société LIGNE BLEUE seraient condamnées à garantir une partie des préjudices subis par les acquéreurs,

- condamner la SCI [...] pour un montant égal à la différence entre la somme de 420 449,32 euros prévue dans le cadre du protocole transactionnel pour les dommages matériels avec les acquéreurs, et le montant de la part contributive des sociétés

Ligne Bleue et Iseo concept, au paiement de la somme différentielle correspondante excédant la part mise à la charge des sociétés Iseo concept et Ligne Bleue.

- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé les montants suivants de préjudices : [...],

et statuant à nouveau, débouter les époux [N], [YV], [J], la SCI M&M et M. [Y] de leurs demandes, très subsidiairement, dire que les préjudices sont tout au plus des pertes de chance et réduire les montants,

- à titre infiniment subsidiaire, limiter la part de responsabilité de la société Iseo concept à 5% et celle de la société Ligne bleue à 3% ,

- dire que la CAMBTP est fondée à opposer ses franchises et plafonds de garanties,

En tout état de cause,

- condamner la SCI [...] à verser à la CAMBTP une indemnité de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel et le même montant à la société Ligne Bleue,

- condamner in solidum toutes parties succombantes aux entiers dépens de la présente instance, en ceux compris celles de référé précédentes et d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de Maître Cahn, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

* Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 avril 2023la MAF demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause ainsi que M. [S], rejeter toutes demandes de condamnations dans le cadre de l'appel principal ou d'appels incidents formulés à l'encontre de la MAF, très subsidiairement juger que la condamnation de la MAF ne pourra pas excéder 5 à 8 %, et la condamner dans cette seule limite.

Dans cette hypothèse,

- condamner la société Ligne bleue, son assureur la CAMBTP, et cette dernière en qualité d'assureur de la société Iseo concept à la relever et garantir indemne de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre,

- rejeter toute demande de condamnation in solidum,

- juger que la MAF ne peut être tenue que dans les limites de son contrat relativement à sa franchise et à son plafond, en faire application,

- condamner la SCI [...] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

* Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 septembre 2022, M. [S] demande à la cour de :

Sur l'appel principal :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter la SCI [...] et tout autre appelant en garantie de leurs demandes dirigées contre lui, à titre subsidiaire, réduire la quote-part mise à sa charge à de plus justes proportions, juger qu'il ne prendra en charge que 2 à 3 % des sommes mises à la charge de la SCI [...].

Sur son appel provoqué :

- le déclarer recevable et bien fondé,

- infirmer la décision dont appel en ce qu'elle a rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires et notamment l'appel en garantie formé par M. [S] à l'encontre de la société d'architecture Ligne Bleue et la CAMBTP, es qualité d'assureur de la société Iseo concept et de la société Ligne Bleue ;

- condamner in solidum la société d'architecture Ligne Bleue et la CAMBTP, es qualité d'assureur de la société Iseo concept et de la société Ligne Bleue, à le garantir de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre au profit de la SCI [...] , en principal, intérêts, frais, dépens et accessoires et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la SCI [...] ainsi que tout autre appelant en garantie, de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, en ce que dirigées à son encontre ;

En tout état de cause,

- débouter la SCI [...], ainsi que tout autre appelant en garantie, de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, en ce que dirigées à son encontre, en ce qui concerne les frais et dépens ;

- condamner la SCI [...] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

* Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 août 2023, Mmes [Z] [BD], épouse [TE], [R] [BD], épouse [VH], MM. [P] [BD] et [W] [BD], concluent au rejet de l'appel principal, au débouté de la SCI [...], à la confirmation du jugement dans la limite de leur appel incident.

Sur appel incident, ils sollicitent que la cour :

- le déclare recevable et bien fondé,

- infirme le jugement en ce qu'il leur a alloué la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

et statuant à nouveau,

- condamne la SCI [...] à leur payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- confirme le jugement pour le surplus,

en tout état de cause,

- condamne la SCI [...], subsidiairement tout succombant à leur payer une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

* La déclaration d'appel et les conclusions d'appel ont été signifiées à Mme [K] [GR], épouse [BD] - [C] le 19 août 2021, par acte remis à sa personne. Les conclusions des acquéreurs lui ont été signifiées par exploit déposé en l'étude.

La déclaration d'appel et les conclusions d'appel ont été signifiées à Mme [X] [BD] - [C] par exploit du 10 septembre 2021, selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile. Les conclusions des acquéreurs lui ont été signifiées selon les mêmes modalités.

La déclaration d'appel et les conclusions d'appel ont été signifiées à Mme [U] [BD], épouse [OR] par exploit du 26 août 2021, selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile. Les conclusions des acquéreurs lui ont été signifiées selon les mêmes modalités.

La déclaration d'appel et les conclusions d'appel ont été signifiées à la SELAS MJE associés, prise en la personne de Me [E], en qualité de liquidateur de la société Iséo concept, selon exploit du 14 février 2022 remis à personne habilitée. Les conclusions ultérieures de la SCI [...] lui ont été signifiées selon les mêmes modalités.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

A titre liminaire, il sera rappelé qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, les parties n'ayant pas constitué avocat sont réputées s'approprier les motifs du jugement entrepris, et que la cour n'est tenue de statuer que sur les prétentions figurant au dispositif des dernières écritures des parties et n'a pas à répondre, dans le dispositif de son arrêt, à des demandes tendant à voir 'dire et juger' ou 'constater' qui correspondent seulement à la reprise de moyens développés dans les motifs des conclusions et sont dépourvues d'effets juridiques.

1- Sur l'appel dirigé contre la SELAS MJE associés, prise en la personne de Me [E], en qualité de liquidateur de la société Iséo concept

La CAMBTP demande que la cour juge que la seconde déclaration d'appel en date du 29 novembre 2021 par laquelle la SCI [...] a intimé le liquidateur de la société Iséo concept et étendu la portée de l'appel à la disposition du jugement ayant déclaré les demandes dirigées contre la société Iséo concept irrecevables, n'a pas permis de régulariser la première déclaration d'appel. Elle se prévaut du caractère tardif de cette seconde déclaration d'appel, formée après expiration du délai imparti à l'appelante pour conclure par l'article 909 du code de procédure civile, et du fait qu'elle est sans effet sur la dévolution, soulignant qu'il s'agit d'une fin de non-recevoir susceptible d'être soulevée en tout état de cause. Elle demande sa mise hors de cause, en qualité d'assureur de cette société.

La SCI [...] soutient que la demande de mise hors de cause de la CAMBTP est irrecevable pour n'avoir pas été soulevée in limine litis devant le conseiller de la mise en état, s'agissant d'une exception de procédure, et conteste la prétendue tardiveté de la déclaration d'appel complémentaire, s'agissant d'un appel provoqué en réponse à l'appel incident de la CAMBTP.

Sur ce :

Bien que concluant, dans les motifs de ses conclusions, à l'irrecevabilité de la demande de la CAMBTP, la SCI [...] ne formule pas cette prétention dans le dispositif desdites conclusions. En tout état de cause, la prétention de la CAMBTP telle que formulée dans le dispositif de ses conclusions tend à voir juger que la seconde déclaration d'appel est dépourvue d'effet dévolutif, ce qui relève de l'appréciation de la cour.

Si la seconde déclaration d'appel a certes été formée après expiration du délai imparti à la SCI [...], appelante principale, pour conclure, et ne peut donc être considérée comme une déclaration d'appel complémentaire s'incorporant à la première pour étendre les chefs du jugement dévolus à la cour, elle n'en demeure pas moins recevable comme constituant un appel provoqué, suite à l'appel incident de la CAMBTP dans ses conclusions du 10 novembre 2021.

La cour est donc bien saisie de la disposition du jugement ayant déclaré les demandes dirigées contre la société Iséo concept irrecevables et la demande de mise hors de cause de la CAMBTP, en qualité d'assureur de cette société, tirées de l'autorité de la chose jugée du jugement sur ce point et de l'absence de l'assuré au procès en appel, laquelle n'est pas exigée pour l'exercice de l'action directe, doit être rejetée.

2- Sur les demandes des époux [N], [YV], [J], de la SCI M&M et de M. [Y]

2-1 sur la responsabilité décennale des constructeurs

Le tribunal a retenu que la matérialité des désordres consistant en une instabilité du talus générant des éboulements et chutes de pierre, était établie, et qu'une réception tacite était intervenue le 18 septembre 2007, puisque la SCI [...] avait pris possession des maisons en procédant à leur livraison aux acquéreurs en avril et juin 2007, et qu'il n'était pas contesté qu'elle s'était acquittée du paiement du prix, des procès-verbaux de 'réception' ayant en outre été signés par les entreprises le 18 septembre 2007. Après avoir rappelé que le caractère apparent des désordres s'appréciait en la personne du maître de l'ouvrage au jour de la réception, il a considéré que le désordre était apparent et connu de la SCI [...] dans toute son ampleur au moment de la réception, et que n'ayant pas émis de réserves, elle ne pouvait agir contre les constructeurs et leurs assureurs sur le fondement de la garantie décennale, ni sur celui de la garantie contractuelle, et qu'il en était de même des acquéreurs, qui exercent l'action du maître de l'ouvrage, et ne peuvent avoir plus de droits que lui.

Au soutien de son appel, la SCI [...] soutient, en substance, que :

- la garantie décennale est le seul fondement juridique mobilisable,

- le tribunal ne pouvait retenir la date du 18 septembre 2007, qui est celle de procès-verbaux de réception qu'elle n'a pas signés, comme étant celle de la réception tacite,

- la date de la déclaration d'achèvement des travaux est sans emport,

- la réception tacite est intervenue le 19 décembre 2006 pour le lot terrassement et le 23 janvier 2007 pour le lot gros oeuvre, qui sont seuls concernés,

- la réception tacite de l'ensemble de l'opération est intervenue, au plus tard, le 19 juillet 2007, date à laquelle la totalité des travaux ayant été réglée, à l'exception de la retenue de garantie, elle a demandé le transfert des compteurs d'eau et d'électricité au nom de la société s'occupant de la gestion locative des maisons pour le compte des acquéreurs ;

- elle n'a pu avoir connaissance des désordres dans toutes leur ampleur et conséquences avant septembre 2007, voire décembre 2007, date de remise des derniers rapports techniques ;

- à la date de la réception tacite, elle n'avait pas à formuler de réserves sur la stabilité du talus car hormis des coulées de sable, qui ne pouvait être regardées comme constitutives du désordre dans toute son ampleur, aucun éboulement grave n'avait été constaté en cours de chantier et les travaux qu'elle avait fait réaliser consistant en la mise en oeuvre d'un mur de soutènement semblaient donner satisfaction, aucun des intervenants du chantier ne l'ayant alertée ;

- il a fallu 2 rapports d'expertises judiciaires et 4 études géotechniques pour mettre en évidence l'ampleur des désordres ; le courrier du maire ne faisait état que d'un risque potentiel lié à la hauteur du talus, or ce n'est pas la hauteur du talus qui pose problème mais sa composition géologique, en outre, le caractère certain d'un désordre futur n'était pas pour autant établi à la date de la réception ; enfin une confusion a été opérée entre le risque de chutes de personnes depuis le haut du talus et l'immeuble appartenant à Mme [K] [BD] - [C] signalé par la société Iséo concept, et le risque lié à la stabilité du talus lui-même ;

- il n'y a pas eu d'aveu judiciaire de sa part.

Subsidiairement, le tribunal ne pouvait retenir sa responsabilité contractuelle en l'absence de faute personnelle qui lui soit imputable. Elle relève que les acquéreurs ne se sont pas plaints d'une non-conformité au permis de construire mais d'une insécurité en raison de l'instabilité du talus, et soutient que le non-respect des plans du permis de construire n'est pas de son fait mais de celui des différents architectes qui ont commis des erreurs.

Elle considère que la modification structurelle des ouvrages n'est pas à l'origine de l'entier dommage, même si elle a pu contribuer à l'aggraver ; qu'elle n'a pas délibérément omis de réaliser des travaux confortatifs, car elle n'avait pas été alertée par les constructeurs sur l'insuffisance de ceux déjà réalisés.

Les acquéreurs se prévalent quant à eux de l'établissement par le maître d'oeuvre, la société Iséo concept, de procès-verbaux de réception qui ont été signés par les entreprises, le 18 septembre 2007, ainsi que de la déclaration d'achèvement des travaux signée par la SCI [...], le 30 septembre 2007, et soutiennent que celle-ci ayant expressément refusé de signer les procès-verbaux de réception ne peut revenir sur son opposition et prétendre, pour bénéficier de la garantie décennale, que les travaux auraient déjà été reçus antérieurement à cette date, soulignant que les maisons ont été livrées pour éviter des pénalités de retard et que les entreprises ont continué à intervenir pour achever leurs prestations, après la livraison.

Sur le caractère apparent des désordres, ils font valoir que dès le mois de janvier 2007, puis en mai, juillet et août 2007, la SCI [...] avait été dûment informée de l'existence d'un danger pour la sécurité des personnes concernant les maisons situées en contrebas du talus, en raison d'un risque de glissements de terrain et d'éboulement ; qu'elle a été en possession de devis en mars et juillet 2007 pour une stabilisation du terrain ; qu'elle opère une confusion entre la connaissance du risque et celle de la solution technique permettant d'y remédier.

Pour la société Ligne bleue et la CAMBTP, il n'y a jamais eu d'accord pour une réception par lots, ce qui est démenti par le fait que tous les procès-verbaux de réception ont été régularisés le 18 septembre 2017, la date de réception ne pouvant être antérieure à cette date, la preuve du paiement effectif des travaux en juillet 2007 n'étant pas rapportée. Le tribunal a parfaitement caractérisé le caractère apparent des désordres, outre un aveu judiciaire de la SCI [...] qui, devant les premiers juges, a opposé aux acquéreurs le caractère apparent du vice. Elles considèrent que le fait même que les immeubles se retrouvent bâtis au pied d'un talus vertical de 14 mètres, de structure fragile, non sécurisé, est une situation objectivement à risque qui rend les immeubles impropres à leur usage d'habitation, puisque dangereux pour les occupants, et constitue donc un désordre de nature décennale, qui devait faire l'objet d'une réserve lors de la réception faute de quoi le vice est purgé. Elle discute la valeur probante des avis d'expertise produits par la SCI [...] et se fonde sur un autre avis d'expert.

M. [S] et la MAF approuvent quant à eux le jugement tant en ce qui concerne la date de la réception tacite, que le caractère apparent du désordre pour la SCI [...].

Sur ce :

- sur la réception des travaux

Conformément à l'article 1792 du code civil, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle est en principe unique, et ne peut intervenir de manière partielle que si le contrat le prévoit expressément ou s'il s'agit d'un ensemble cohérent de travaux, ce qui n'est pas soutenu, et n'est certainement pas le cas des seuls travaux de terrassement ou de gros oeuvre, pris isolément.

Au contraire, il ressort des productions que la réception de l'ensemble des lots techniques de toutes les maisons, y compris les lots terrassement et gros oeuvre, avait été fixée au 18 septembre 2007, puisque des procès-verbaux de réception ont été établis, à cette date, par le maître d'oeuvre, la société Iséo concept, qui n'ont toutefois été signés que par les entreprises.

En l'absence de réception expresse, il convient donc de rechercher si les conditions d'une réception tacite sont réunies, et à quelle date le maître de l'ouvrage a manifesté une intention non équivoque d'accepter l'intégralité des travaux, avec ou sans réserves.

Il importe de relever que la SCI [...] ne conteste nullement l'existence d'une réception tacite, mais qu'elle soutient que cette réception serait intervenue antérieurement à la date du 18 septembre 2007 retenue par le tribunal, raison pour laquelle elle n'a pas signé les procès-verbaux de réception, et au plus tard le 19 juillet 2007.

La cour relève, comme le tribunal, d'une part, que la SCI [...] a pris possession des maisons puisqu'elle les a livrées aux acquéreurs, et a remis les clés au mandataire en charge de la location, respectivement en avril et juin 2007, et d'autre part qu'il n'est pas contesté que la SCI s'est acquittée de la quasi totalité du prix des travaux, ces éléments constituant une présomption de réception tacite.

Pour soutenir que la réception serait intervenue, le 19 juillet 2007, l'appelante se prévaut d'une pièce n°56 constituée par un document adressé par télécopie par sa gérante, la société IC conseil, à la société Iséo concept, le 7 mai 2009, auquel est joint un tableau des paiements indiquant qu'à la date du 19 juillet 2007, la SCI avait réglé l'intégralité des situations présentées, à l'exception de la retenue de garantie, ainsi que des courriers qu'elle a adressé aux fournisseurs d'eau et d'électricité pour le transfert des compteurs.

Il ressort toutefois du Grand livre de clôture fournisseurs, que des paiements sont encore intervenus après le 19 juillet 2007, à savoir le 22 août 2007 pour le lot 'menuiseries extérieures', le 27 août 2007 pour le lot 'peinture', les 1er et 27 août 2007 pour le lot 'sanitaire', le 20 août 2007 pour le lot 'menuiseries intérieures', et le 29 août 2007 pour le lot 'ravalement', de sorte que la date du 19 juillet 2007 ne peut être retenue comme étant celle de la réception tacite, la date de dépôt du DIUO (dossier d'intervention ultérieure sur l'ouvrage) établi par le coordonnateur SPS, ou le fait que la case 'réception' soit cochée dans le rapport du contrôleur technique du 22 mai 2007 étant sans emport, dès lors que ces documents n'émanent pas du maître de l'ouvrage qui peut seul réceptionner l'ouvrage.

Il ressort par ailleurs des productions que par un courrier du 6 septembre 2007, la SCI [...] a imparti à la société Iséo concept, maître d'oeuvre, un délai jusqu'au 14 septembre 2007 pour lever 'les réserves' constatées lors d'une réunion du 4 septembre 2007, lesdites 'réserves' consistant en réalité en différents défauts de finition signalés par les acquéreurs lors de la livraison, et qu'elle a déposé en mairie la déclaration d'achèvement des travaux le 30 septembre 2007.

La prise de possession de l'ouvrage par le maître de l'ouvrage, le paiement de la quasi-intégralité du coût des travaux fin août 2007, seules des factures mineures restant en suspens, la convocation des entreprises en vue des opérations de réception, après expiration du délai imparti pour les finitions et le dépôt de la déclaration d'achèvement des travaux en mairie, permettent de retenir, comme l'a fait le tribunal, l'existence d'une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir l'ouvrage, à la date du 18 septembre 2007, nonobstant l'absence de signature des procès-verbaux de réception des travaux.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

- sur le caractère apparent des désordres

La cour fait sienne l'appréciation du tribunal selon laquelle, les désordres consistant en une instabilité du talus et en un risque avéré pour la sécurité des personnes et des biens qui s'était déjà manifesté par des éboulements en cours de chantier après exécution des terrassements, comme l'indique la société Fondasol dans ses rapports des 10 décembre 2007 et 2 décembre 2016, était apparent et connu de la SCI [...] au jour de la réception.

En effet, par un courrier du 22 janvier 2007, le maire de la commune de [Localité 36] avait alerté la SCI sur les conséquences de la création d'une falaise verticale de 14 mètres de haut derrière les maisons et lui avait demandé de prendre des mesures pour sécuriser le talus contre les risques de glissements de terrain au vu du danger potentiel pour les futurs occupants des maisons ; par un courrier du 15 mai 2007, il avait constaté l'absence de sécurisation du talus alors que des éboulements s'étaient déjà produits ; il avait réitéré ce constat, dans un courrier du 19 juillet 2007, la mettant en demeure de réaliser un soutènement, et s'opposant à tout emménagement des occupants ; il avait enfin établi, le 3 septembre 2007, un procès-verbal d'infraction pour non-respect des prescriptions du permis de construire prévoyant un talus d'une hauteur de 3,5 m à 4 m à l'arrière des maisons.

En outre, par un courrier du 9 mars 2007, la société Sirco, à laquelle avait été demandé l'établissement d'un devis pour la mise en place d'un grillage, émettait de sérieuses réserves sur 'cette façon de stabiliser le talus', et sur l'absence de purge de la paroi. Enfin, par un courrier du 1er août 2007, la SCI [...] indiquait au maire de la commune avoir demandé à la société Iseo concept d'étudier des solutions pour stabiliser le terrain, et était en possession d'un devis du 31 juillet 2007 de la société Tetra chiffrant des travaux de confortement béton ou de surélévation des enrochements mis en place.

C'est de manière inopérante que la SCI [...] soutient qu'elle n'aurait pas eu, au jour de la réception tacite, et ce qu'elle qu'en soit la date, connaissance des désordres en toute leur ampleur et leurs conséquences, cet argument ne pouvant utilement prospérer en l'absence de réserves formulées à la réception, et n'étant pas de nature à éluder l'effet de purge attaché à la réception sans réserves.

Enfin, contrairement à ce que soutient la SCI [...], il ne s'agissait pas d'un risque de désordre futur, mais bien d'un risque pour la sécurité des personnes et des biens lié à l'instabilité du talus, ce risque étant avéré dès la réception de l'ouvrage, et s'étant déjà manifesté non seulement par des coulées de sable mais aussi par des éboulements rocheux, ainsi que cela résulte des rapports Fondasol précités et du courrier du maire de [Localité 36] du 15 mai 2007.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

2-2 sur la responsabilité contractuelle de la SCI [...] et la faute dolosive

Le tribunal a considéré que la SCI [...] engageait sa responsabilité à l'égard des acquéreurs pour faute dolosive, laquelle consistait à n'avoir pas respecté les prescriptions du permis de construire, et à avoir livré les maisons alors qu'elle était informée d'un risque grave pour la sécurité des personnes, en ayant délibérément omis de réaliser les travaux nécessaires au confortement du talus.

Au soutien de son appel, la SCI [...] oppose que le tribunal ne pouvait retenir sa responsabilité contractuelle en l'absence de caractérisation d'une faute personnelle qui lui soit imputable ; qu'une non-conformité à une autorisation d'urbanisme n'est pas nécessairement un vice de construction et que sa responsabilité ne peut être recherchée pour ce motif en l'absence de désordre ; que les acquéreurs ne se sont pas plaints d'un défaut de conformité au permis de construire mais d'une insécurité en raison de l'instabilité du talus, et que si les plans du permis de construire n'ont pas été respectés ce n'est pas de son fait, mais de celui des différents architectes qu'elle avait mandaté qui ont commis des erreurs dans les cotes et le nivellement du terrain et ne l'ont pas mise en garde.

Elle considère qu'elle ne peut se voir reprocher la modification structurelle des ouvrages, qui a été validée par la maîtrise d'oeuvre, et par le contrôleur technique, qu'en outre cette modification n'est pas à l'origine de l'entier dommage, même si elle a pu contribuer à l'aggraver ; qu'enfin, elle n'a pas délibérément omis de réaliser des travaux confortatifs, car elle n'avait pas été alertée par les constructeurs sur l'insuffisance de ceux déjà réalisés.

En tout état de cause, le lien de causalité entre ses prétendues et le dommage allégué n'est pas démontré.

Les acquéreurs estiment que la faute du vendeur constructeur est caractérisée du fait du non-respect des prescriptions du permis de construire et des plans annexés aux contrats de vente concernant la configuration des maisons par rapport au talus, et d'un défaut de mise en garde sur les risques, la SCI ayant manqué à son obligation de délivrance d'un bien exempt de tout vice.

M. [S] et son assureur, la MAF, approuvent le jugement en ce qu'il a retenu la faute dolosive de la SCI [...]. La MAF souligne que la SCI [...] a pris l'initiative délibérée de poursuivre les travaux au mépris des alertes formalisées par différents intervenants, les comptes-rendus de chantier faisant mention de la nécessité d'une mise en sécurité du talus, et la société Iséo concept ayant fait établir différentes propositions de confortation, outre le fait que le maître de l'ouvrage a fait le choix de limiter la mission de la société Fondasol, géotchnicien, à une étude des fondations alors que celle-ci lui avait proposé une étude G12 traitant notamment de la stabilité du talus. Elle estime que la réalisation du sinistre était inéluctable.

La CAMBTP considère que les conditions permettant de retenir une faute dolosive sont remplies, la SCI [...], professionnelle, ayant délibérément et en connaissance de cause, décidé de poursuivre le chantier en supprimant les mesures de stabilisation du talus et de protection de l'ouvrage alors qu'elle était avertie de l'état d'instabilité du talus, causant ainsi par ses manquements délibérés, exclusivement et par son seul fait le dommage, qui était parfaitement prévisible, inéluctable, ignorant les mises en garde de la commune dès juillet 2006 et ne prenant pas position sur les solutions techniques proposées par la société Iséo concept dès décembre 2006.

Sur ce :

Il appartient aux acquéreurs qui recherchent la responsabilité du vendeur-constructeur non réalisateur, sur le fondement du droit commun, de rapporter la preuve d'une faute qui lui soit personnelle.

La faute dolosive suppose un acte délibéré de l'assuré, commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables.

Dans la situation présente, l'expert judiciaire, M. [L], a certes mis en évidence les lacunes des plans établis par M. [IU], signés par M. [S], et de ceux modifiés par la société Ligne bleue au regard de la configuration et de la spécificité du terrain en forte pente, lesquels ne permettaient pas de réaliser les ouvrages tels qu'ils avaient été projetés, mais il a aussi constaté que le permis de construire n'avait pas été respecté d'une part, s'agissant des distances entre le pied du talus et les murs des maisons, d'autre part, s'agissant des remblais à l'arrière des maisons. Il a aussi relevé que le maître de l'ouvrage, la SCI [...], avait pris la décision de supprimer les murs béton du rez-de-chaussée sur l'arrière, ce qui ressortait d'un compte rendu de chantier du 6 juin 2006, dans lequel le maître d'oeuvre prenait note de cette décision, ce qui avait indiscutablement aggravé la situation, et de ne pas respecter les dispositions du permis de construire en ne réalisant pas de remblai à l'arrière des maisons ce qui avait amplifié l'instabilité du talus.

La SCI [...] admet avoir pris la décision de remplacer les murs du rez-de-chaussée prévus en béton par des murs en brique, ce qui résulte d'un courrier de sa part du 6 juin 2006, mais se prévaut d'une impossibilité technique qui n'a cependant pas été relevée par l'expert, ainsi que d'un défaut de mise en garde des constructeurs, puisque ni le maître d'oeuvre d'exécution, ni le bureau d'études technique, ni le contrôleur technique n'ont émis de réserves sur ce point.

Elle ne contredit toutefois pas l'affirmation de la CAMBTP qui, en page 24 de ses conclusions fait état de sa qualité de professionnelle, par le biais de ses sociétés porteuses de parts, ni celle de l'expert qui a également indiqué que, selon les informations qu'ils avaient recueillies, le gérant de la SCI avait une compétence technique.

Par voie de conséquence, le fait que la décision de modifier la structure des murs du rez- de-chaussée ait été validée par les constructeurs, ne peut suffire à exonérer la SCI [...], professionnelle de la construction, de sa responsabilité.

De même s'agissant de la suppression des remblais prévus à l'arrière des maisons, il résulte des développements précédents que l'attention de la SCI [...] avait été dûment attirée, dès le mois de janvier 2007, par le maire de [Localité 36] sur l'instabilité du talus et sur la nécessité de le stabiliser, ainsi que sur le non-respect des prescriptions du permis de construire s'agissant des remblais derrière les maisons, et que de surcroît, dans son courrier du 9 mars 2007 accompagnant le devis qu'elle avait établi, la société Sirco l'avait alertée sur le fait que la solution consistant à mettre en place un grillage ne permettrait pas de stabiliser le terrain.

Il ressort par ailleurs des rapports de la société Fondasol du 10 décembre 2007 et du 2 décembre 2016, qu'une partie du talus s'était éboulée à l'arrière du lot 1 suite aux terrassement entrepris, ce que la SCI [...] n'avait pu ignorer et qui confirmait l'instabilité évidente du talus.

Ces avertissements sont également à mettre en corrélation avec le constat fait par l'expert judiciaire de ce que tous les compte rendus de chantier du n° 6 du 4 juillet 2006 au n°26 du 12 décembre 2006 comportaient la même mention portée par la société Iséo concept : 'le maître d'oeuvre reste en attente des directives concernant la mise en sécurité du site en partie haute du talus'. Si la portée de cette mention est discutée par la SCI [...] qui s'appuie sur un dire de la société Iséo concept à l'expert pour soutenir que seul le risque de chute depuis le haut du talus aurait été visé, cette mention combinée aux avertissements répétés du maire, était toutefois de nature à alerter suffisamment la SCI [...] sur l'existence d'un risque lié non seulement à la chute de personnes mais aussi de blocs de pierre, s'agissant d'un talus abrupt et de grande hauteur, risque qu'elle a négligé de prendre en compte, alors même qu'elle avait nécessairement eu conscience, dès les premiers éboulements consécutifs aux travaux de terrassement de l'instabilité du talus, quand bien même n'en connaissait-elle pas encore la consistance géologique exacte.

Au surplus, à cet égard, il est établi qu'elle avait omis de se renseigner sur ce point au stade de la conception, alors même que, dès le 1er octobre 2005, la société Fondasol lui avait soumis un devis pour la réalisation d'une étude concernant le talus arrière, auquel elle n'a pas donné suite. Elle n'a pas non plus donné suite à aucun des devis adressés par la société Iséo concept, le 13 mars 2007 et en juillet 2007, préférant faire réaliser, en mai 2007, à moindre coût, des travaux d'enrochement limités à la seule partie arrière de la maison constituant le lot 1, travaux que la commune a considéré comme étant insuffisants, et dont la société Fondasol a estimé en décembre 2007, qu'ils correspondaient à une stabilisation provisoire du pied du talus, sans pouvoir jouer un rôle protecteur vis-à-vis d'une chute de blocs ou d'un glissement de terrain provenant de la partie supérieure du talus, et ce alors que la société Siroc estimait nécessaire de traiter 600 m² de parois, et que la société Tetra avait chiffré, en juillet 2007, les travaux de confortement du talus par renfort béton à plus de 53 000 euros, selon l'expert judiciaire et les partie, ce devis n'étant pas produit.

La SCI [...] ne peut dans ces conditions soutenir ne pas avoir été avertie des conséquences de la suppression des remblais, alors que son attention avait été dûment attirée, et à plusieurs reprises sur les risques inhérents à l'instabilité du talus et sur le non-respect de cette prescription.

Elle ne peut s'exonérer de sa responsabilité en arguant d'une impossibilité de réaliser les remblais tels qu'ils étaient prévus en raison des erreurs affectant les plans, dès lors qu'il lui appartenait de prendre toutes mesures utiles afin de remédier à cette impossibilité en demandant l'adaptation des mesures constructives, ce qu'elle n'a fait qu'après le procès-verbal d'infraction de décembre 2007, étant en outre observé que l'une des solutions de reprise préconisée par M. [L] consistait à rétablir des remblais à hauteur du rez-de-chaussée à l'arrière des maisons.

Elle ne peut enfin utilement se prévaloir du fait que les travaux ressortant des devis qui lui avaient été soumis par la société Iséo concept n'auraient pas permis de stabiliser la paroi, dans la mesure où si M. [MN] a été amené à préconiser d'autres travaux, c'est en raison du constat, en 2016, d'une évolution et d'une dégradation importante de la partie supérieure des talus.

Par voie de conséquence, c'est à bon droit que le tribunal a retenu qu'elle engageait sa responsabilité à l'égard des acquéreurs pour avoir décidé de ne pas réaliser les remblais à l'arrière des maisons prévus sur les plans du permis de construire et sur ceux annexés aux contrats de vente, et pour avoir livré les maisons en avril et juin 2007, à l'évidence dans un souci d'échapper à l'accumulation de pénalités de retard, sans avoir préalablement fait réaliser les travaux nécessaires au confortement du talus, et sans informer les acquéreurs des risques, alors qu'elle avait été dûment alertée d'un danger potentiel pour la sécurité des personnes.

Ces fautes sont en relation causale directe avec le préjudice allégué par les acquéreurs consécutif à l'impossibilité d'occuper les maisons.

C'est également à bon droit que le tribunal a considéré que ces fautes revêtaient à l'égard de son assureur, la CAMBTP, le caractère d'une faute dolosive dans la mesure où la SCI [...], qui avait été dûment avertie de risques graves pour la sécurité des personnes, a néanmoins délibérément omis de respecter les dispositions du permis de construire qui lui avait été accordé et de faire réaliser les travaux confortatifs indispensables, alors même qu'elle avait conscience du caractère inéluctable des conséquences dommageables susceptibles d'en résulter, puisque des éboulements s'étaient produits en cours de chantier et que son attention avait été dûment attirée par la commune et par les entreprises consultées sur la nécessité de prendre des mesures de sécurisation plus importantes que celles réalisées a minima à l'arrière du lot n°1.

Le jugement sera donc également confirmé sur ce point.

2-3 sur les préjudices immatériels

2-3-1 sur la perte de loyers :

Le tribunal a retenu que l'impossibilité de louer les maisons était établie, le maire ayant demandé d'en interdire l'accès, que le préjudice était certain mais consistait en une perte de chance car il n'était pas démontré que les maisons auraient pu être louées pendant dix ans de manière continue aux mêmes conditions. Il a estimé que l'évaluation de l'expert, qui avait apporté des correctifs tenant à l'application d'une période de carence, à l'absence d'actualisation des loyers en compensation d'une éventuelle vacance, et tenait compte des frais de recherche de nouveaux locataires, et des travaux à réaliser apparaissait correspondre à une juste évaluation de la perte de chance.

La SCI [...] impute une faute aux acquéreurs pour n'avoir pas mobilisé l'assurance dommages-ouvrage. Elle considère que le montant alloué ne répare pas une perte de chance mais le préjudice intégral, et qu'il convient de fixer à 50 % le taux de perte de chance pour tenir compte de l'absence de certitude d'une location sur toute la durée et du fait que certains acquéreurs auraient pu souhaiter vendre.

Les acquéreurs font valoir que les critères de détermination du préjudice avaient fait l'objet d'un accord entre les parties au cours des opérations d'expertise et tenaient compte des aléas locatifs ; que des baux étaient déjà conclus mais que les locataires n'ont pu entrer dans les lieux ; que la SCI M&M a dû indemniser ses locataires. Il estiment qu'aucun autre abattement n'est à pratiquer.

Sur ce :

A titre liminaire, il sera relevé que la garantie décennale n'étant pas applicable, il ne peut être reproché aux acquéreurs de ne pas avoir mobilisé l'assurance dommages-ouvrage.

Dans son rapport du 10 septembre 2009, l'expert judiciaire, M. [L], a constaté que la situation du site était incompatible avec l'habitation et que les cinq maisons étaient inhabitables jusqu'à ce que les travaux de confortation du talus soient réalisés. Il a souligné que seul le lot n°2, appartenant à la SCI M&M avait été loué du 1er février 2008 à début octobre 2009.

L'expert judiciaire, M. [MN], s'est adjoint un sapiteur, M. [G], s'agissant de la détermination des préjudices annexes subis par les acquéreurs.

La cour constate que les maisons ayant été livrées en avril et juin 2007, les acquéreurs auraient pu prétendre pouvoir louer leurs biens dès cette date, que toutefois, comme le relève le sapiteur de l'expert et ainsi que cela résulte des pièces produites, les contrats de location n'ont été signés qu'en 2008.

Toutefois les acquéreurs ne demandent pas réparation d'un préjudice pour la période antérieure à janvier 2008, mais du préjudice résultant des pertes de loyers qu'ils ont subies, alors que des baux étaient signés, puisqu'ils n'ont pu délivrer la jouissance des maisons à leurs locataires avant réalisation des travaux de confortation du talus, qui n'ont été effectués qu'en 2020. La SCI M&M a quant à elle dû indemniser ses locataires de leur préjudice de jouissance. Il s'agit donc en réalité d'un préjudice de pertes de loyers certain et non pas seulement d'une perte de chance.

Les acquéreurs, qui ont tous conservé leur bien jusqu'à l'issue de la période de défiscalisation de 9 ans, demandent une indemnisation sur la période de janvier 2008 à décembre 2019. Il existe certes une incertitude quant à la durée des baux, et quant à une éventuelle vacance des maisons entre deux contrats de bail. Toutefois la cour constate, comme le tribunal, qu'il a été tenu compte de cet aléa, puisque le sapiteur de l'expert, en accord avec les parties, a retenu sur la base d'une durée moyenne des baux dont il n'est pas démontré qu'elle ne serait pas applicable à [Localité 38], deux périodes de vacances de deux mois sur 10 ans. Les parties se sont par ailleurs accordées pour l'évaluer forfaitairement, ainsi que le coût des travaux prévisibles, en tenant compte d'une absence de révision du montant du loyer, lequel a été déterminé après déduction des frais de gérance, et de garantie pour loyers impayés.

Par voie de conséquence, en se basant sur l'évaluation de l'expert, le tribunal a bien indemnisé le préjudice effectivement subi par les acquéreurs, et non pas l'avantage qu'aurait procuré une perte de chance.

Le jugement sera donc confirmé sur les montants.

2-3-2 la perte d'avantages fiscaux :

Le tribunal a retenu que la SCI [...] avait confié la commercialisation à une société Exelium - conseil en investissements et services financiers -, et que celle-ci avait réalisé pour les acquéreurs des études de financement en tenant compte des avantages fiscaux issus du dispositif dit 'De Robien', de sorte que la SCI [...] ne pouvait soutenir que la perte de ces avantages était un préjudice imprévisible au moment de la conclusion du contrat.

La SCI [...] invoque l'article 1150 ancien du code civil et le fait que le dommage n'était pas prévisible au jour de la conclusion du contrat, la préoccupation fiscale des acquéreurs n'étant pas entrée dans le champ contractuel, soulignant que la société Excelium, qui a commercialisé les biens pour son compte, n'était pas, à l'époque, spécialisée en investissements, que c'est à sa seule initiative que les biens ont été proposés à la vente dans le cadre d'opérations de défiscalisation, les actes de vente en l'état futur d'achèvement ne visant pas l'avantage fiscal. Elle considère en outre qu'il s'agirait tout au plus d'une perte de chance.

Les acquéreurs demandent la confirmation du jugement et font valoir qu'ils ne sont pas domiciliés dans la région et qu'ils ont été démarchés par la société Exelium, qui leur a proposé un investissement locatif, dans le cadre du dispositif de défiscalisation loi De Robien, ce dont avait connaissance la SCI [...] qui avait donné mandat de commercialisation à la société Exelium et savait que les maisons étaient intégralement financées par un prêt. Ils considèrent que leur préjudice est certain et ne relève pas d'une perte de chance.

Sur ce :

Selon l'article 1150 ancien du code civil, le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée.

Dès lors, que la faute dolosive de la SCI [...] a été retenue, celle-ci ne peut se prévaloir de cette disposition

Les consorts [J], [YV] et [Y] qui n'ont pas pu bénéficier de l'avantage fiscal escompté, puisque les maisons n'ont pu être mises en location pendant toute la durée de la période de défiscalisation, alors pourtant qu'ils avaient conclu des baux ont subi un préjudice certain qui a été précisément calculé et détaillé par le sapiteur que s'est adjoint l'expert judiciaire. Le jugement sera confirmé en tant qu'il a fait droit à cette demande.

2-3-3 les frais d'électricité :

La cour fait sienne l'appréciation du tribunal qui a considéré que ces frais, qui avaient été rendus nécessaires par la mise hors gel des maisons, étaient en relation causale avec les fautes reprochées à la SCI [...], dès lors qu'ils auraient été supportés par les locataires si les acquéreurs avaient pu louer leur bien.

Le jugement sera confirme de ce chef.

2-3-4 les frais supplémentaires de crédit :

Pour s'opposer à cette demande qui a été accueillie par le tribunal, la SCI [...] fait valoir que ces frais découlent d'un choix opéré par les acquéreurs, qui ne démontrent pas avoir été dans l'impossibilité de rembourser leur prêt. La SCI M&M et M. [Y] opposent que n'ayant pu disposer des revenus locatifs escomptés, et ne disposant pas d'une trésorerie suffisante, ils ont été contraints de demander un allongement de la durée de leur prêt ce qui a généré des frais supplémentaires.

L'existence de frais supplémentaires supportés par la SCI M&M et par M. [Y] a été relevée par M. [G], sapiteur de l'expert judiciaire.

Il est constant que l'acquisition des maisons avait été financée par un emprunt qui avait vocation à être remboursé au moyen des revenus tirés de la mise en location desdits biens, laquelle n'a pu intervenir du fait des manquements de la SCI [...].

Le coût supplémentaire supporté par ces acquéreurs du fait de l'allongement de la durée du prêt constitue par conséquent un préjudice ouvrant droit à réparation, sans qu'il y ait lieu de rechercher si les acquéreurs auraient été en mesure d'assumer les échéances de l'emprunt avec d'autres fonds.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

3- Sur les appels en garantie de la SCI [...]

Au vu de ce qui précède, la cour ne peut que confirmer le jugement en tant qu'il a considéré que la SCI [...], maître de l'ouvrage, qui avait connaissance des désordres au moment de la réception et n'a pas émis de réserves, ne pouvait rechercher la garantie de la M. [S] et de son assureur, ni celle de la société Ligne Bleue et de la CAMBTP, prise tant en qualité d'assureur de cette dernière, que de la société Iséo concept ou en qualité d'assureur constructeur non réalisateur, celle-ci étant fondée à lui opposer sa faute dolosive.

4- Sur les demandes de la CAMBTP

Le tribunal a accueilli, à bon droit, la demande en remboursement de la CAMBTP au titre des sommes versées pour les préjudices matériels des acquéreurs, le protocole d'accord réservant les recours réciproques des coobligés.

La CAMBTP est en effet fondée à exercer un recours subrogatoire pour demander remboursement des montants versés aux acquéreurs dans le cadre du protocole d'accord, dans la mesure où elle n'est pas tenue de garantir le dommage qui résulte d'une faute dolosive de l'assuré et ne relève pas de la garantie décennale.

5- Sur les demandes de Mme [K] [BD] -[C] et des consorts [BD]

Le tribunal a alloué à Mme [K] [BD] - [C] la somme de 5 000 euros au titre de l'empiétement de la tête du talus sur sa propriété et une somme de 2 000 euros aux consorts [BD] pour le retard pris par la procédure de partage.

La SCI [...] soulève la prescription de la demande de Mme [K] [BD] - [C] qui avait connaissance de son préjudice dès le 1er juillet 2009, et n'a agi que le 27 novembre 2014. Elle conteste que le préjudice allégué soit imputable à sa faute, considérant qu'il trouve son origine dans la carence des constructeurs.

Elle soutient, s'agissant de la demande des consorts [BD]-[C], qu'il n'est pas démontré que le retard pris par la procédure de partage soit en lien avec le problème du talus, alors que les relations entre les héritiers sont conflictuelles, outre le fait que la stabilité de la maison en indivision n'a jamais été affectée.

Les consorts [BD]-[C] opposent que ce sont les travaux entrepris par la SCI qui sont à l'origine des éboulements et que sa carence à réaliser les travaux de stabilisation du talus, a rendu impossible une vente de la maison et du terrain attenant, et même leur évaluation, que la maison se dégrade du fait de son inoccupation et que de nouvelles fissures apparaissent. Ils soutiennent que le retard du partage est donc bien en relation causale directe avec la faute de la SCI [...], mais que leur préjudice n'a pas été entièrement réparé.

Sur ce :

Mme [K] [BD]-[C] a saisi le tribunal de grande instance de Saverne d'une demande de condamnation de la SCI [...] à réaliser les travaux préconisés par l'expert pour stabiliser le talus et en indemnisation du préjudice résultant de l'amputation d'une partie de son terrain.

L'appelante relève, à bon droit, que l'intimée a eu connaissance de son préjudice, dès le dépôt du rapport d'expertise de M. [L], le 1er juillet 2009, puisque l'expert indiquait que les éboulements du talus avaient entraîné un déplacement de la tête du talus au droit du lot n°1 de l'ordre de 5,80 m. Par voie de conséquence, la demande aux fins d'indemnisation de son préjudice introduite par Mme [K] [BD]-[C], selon assignation du 27 novembre 2014, se heurte à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, qui était acquise à cette date, Mme [K] [BD]-[C], non comparante n'invoquant aucune cause d'interruption de ce délai.

Le jugement entrepris sera donc réformé en tant qu'il a accueilli la demande de Mme [K] [BD]-[C] qui sera déclarée irrecevable.

S'agissant du préjudice subi par les consorts [BD]-[C], en leur qualités de propriétaires indivis du terrain et de la maison située en surplomb du talus, au titre du retard pris par la procédure de partage, c'est à bon droit que le tribunal a retenu qu'il était en relation causale directe avec les manquements de la SCI [...].

En effet, M. [L], expert judiciaire, a constaté, outre l'atteinte au fonds ci-dessus évoquée, le fait que le talus n'était pas protégé contre les risques de chutes avec un

dénivelé de l'ordre de 10 m, et que le tuyau d'évacuation des eaux usées non protégé était susceptible d'être dégradé par les éboulements.

L'impact de ces différents vices sur la valeur de la maison et du terrain attenant est évidente, outre le fait que les solutions de confortation du talus étaient susceptibles d'impliquer une atteinte à la propriété des consorts [BD]-[C], l'une des solutions proposée par M. [L] supposant en effet la cession d'une bande de terrain de 13 m, et la solution finalement retenue par M. [MN] consistant en la mise en oeuvre d'une paroi cloutée impliquant la constitution d'une servitude de tréfonds.

Il ressort par ailleurs d'une évaluation établie le 19 octobre 2012 par M. [B], que la maison se trouvait affectée de fissures et lézardes liée à des mouvements de terrain.

Par voie de conséquence, et nonobstant d'éventuelles dissensions entre les co-indivisiaires, le fait que la maison et le terrain attenant ne soient pas susceptibles d'être vendus ni même évalués dans l'attente de la réalisation des travaux nécessaires pour conforter le talus, a nécessairement retardé les opérations de partage, étant observé que les consorts [BD]-[C] ont donné leur accord, dès les mois de mai 2018, à la solution proposée par M. [MN], expert judiciaire, impliquant la création d'une servitude sur leurs fonds et que les travaux n'ont finalement état réalisés qu'au début de l'année 2020.

Les consorts [BD]-[C] ne démontrent toutefois pas en quoi leur préjudice n'aurait pas été intégralement réparé par l'indemnité allouée par le tribunal. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

6 - Sur les dépens et les frais exclus des dépens

Le jugement étant confirmé en l'essentiel de ses dispositions, il le sera également en celles relatives aux dépens et frais exclus des dépens, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la CAMBTP et de la société Ligne bleue.

La SCI [...] supportera la charge des entiers dépens d'appel et sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera alloué, sur ce fondement, une somme de 5 000 euros, chacune, à la CAMBTP d'une part et à la société Ligne bleue d'autre part, pour la procédure de première instance et pour la procédure d'appel, une somme de 10 000 euros aux acquéreurs, aux titre des frais exposés en appel, ainsi qu'une somme de 1 500 euros, aux consorts [BD]-[C], d'une part, à la MAF, d'autre part et à M. [S] de troisième part, en appel.

Les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile n'étant pas applicables dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, il n'y a pas lieu d'ordonner la distraction des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par défaut, par arrêt prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONSTATE que la cour est saisie de la disposition du jugement ayant déclaré irrecevables les demandes dirigées contre la société Iséo concept ;

CONFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 23 mars 2021, sauf en ce qu'il a condamné la SCI [...] à payer à Mme [K] [BD] -[C] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, et en ce qu'il a rejeté les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile formées par la CAMBTP et la société Ligne bleue ;

INFIRME le jugement entrepris dans cette limite ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

DÉCLARE irrecevable comme prescrite la demande d'indemnisation formée par Mme [K] [BD] -[C] ;

CONDAMNE la SCI [...] à payer à la CAMBTP d'une part et à la SARL Ligne bleue, d'autre part, une somme de 5 000 euros (cinq mille euros), chacune, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;

Ajoutant au jugement,

REJETTE la demande de mise hors de cause de la CAMBTP, prise en qualité d'assureur de la société Iséo concept ;

CONDAMNE la SCI [...] à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés en cause d'appel, les sommes de :

- 5 000 € (cinq mille euros) à la CAMBTP, prise en qualité d'assureur de la SCI [...] et des sociétés Ligne bleue et Iséo concept,

- 5 000 € (cinq mille euros) à la SARL Ligne bleue,

- 10 000 € (dix mille euros) à la SCI M&M, M. [D] [N] et Mme [O] [M], épouse [N], M. [MH] [J] et Mme [IN] [V], épouse [J], M. [I] [Y], M. [T] [YV] et Mme [KR] [RH], épouse [YV], conjointement ;

- 1 500 € (mille cinq cents euros) à Mmes [Z] [BD], épouse [TE], [R] [BD], épouse [VH], MM. [P] [BD] et [W] [BD], conjointement ;

- 1 500 € (mille cinq cents euros) à la Mutuelle des architectes français ;

- 1 500 € (mille cinq cents euros) à M. [GX] [S] ;

REJETTE les demandes de la SCI [...] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à distraction des dépens ;

CONDAMNE la SCI [...] aux entiers dépens d'appel.