CA Douai, 1re ch. sect. 2, 17 octobre 2024, n° 22/03363
DOUAI
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Époux
Défendeur :
Axa Corporate Solutions (SA), Soprema Entreprises (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Courteille
Vice-président :
M. Vitse
Conseiller :
Mme Galliot
Avocats :
Me Delbar, Me Dutat, Me Nowak
EXPOSE DU LITIGE
Par actes notariés du 28 décembre 2005, la SCI Constructions Les Serres a, dans le cadre d'un programme immobilier situé à Villeneuve d'Ascq, vendu en l'état futur d'achèvement divers lots, dont le [Adresse 3] à M. [O] [N] et Mme [R] [W], épouse [N].
La société Soprema, assurée par la société Axa France IARD, est intervenue pour le lot couverture-étanchéité-toiture.
La réception des maisons est intervenue le 13 octobre 2006.
Se plaignant de désordres, notamment d'infiltrations par la toiture terrasse et de condensation sur la dalle haute, les acquéreurs ont régularisé une déclaration de sinistre auprès de la compagnie d'assurances dommages ouvrage, qui a mandaté le cabinet Polyexpert, lequel a rendu son rapport en mars 2012.
M. et Mme [N], ont fait assigner en référé :
- les sociétés Soprema et Les Serres par actes d'huissier des 2 et 3 décembre 2015,
- la société SMA (anciennement SAGENA), assureur annoncé initialement de la SCI les Serres, par acte d'huissier du 16 décembre 2015,
- la société Axa France IARD par acte d'huissier du 1er mars 2016.
Par ordonnance du 19 avril 2016, le juge des référés devant le tribunal de grande instance de Lille a pris acte de l'intervention volontaire de la SMABTP en lieu et place de la SMA et de la société Axa Corporate Solutions en lieu et place de la société Axa France IARD et ordonné une expertise.
M. [B] [Z], expert judiciaire, a déposé son rapport le 2 mai 2017.
Par acte d'huissier du 9 mars 2018, M. et Mme [N] ont fait assigner la société Axa Corporation Solutions Assurance.
Par acte d'huissier du 1er octobre 2019, M. [N] a fait assigner la société Soprema Entreprises sur le fondement de l'article 1792 du code civil afin de voir réparer leur préjudice.
D'autres propriétaires ont également fait assigner ces mêmes sociétés, les différentes affaires ont fait l'objet d'une jonction.
Par jugement du 14 juin 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :
condamné in solidum la société Soprema et la société Axa Corporate Solutions à payer à :
M. [O] [N] :
la somme de 8 050 euros au titre des travaux de reprise de la toiture,
la somme de 5 980 euros au titre de la reprise des embellissements,
la somme de 200 euros au titre du préjudice de jouissance,
la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,
la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Mme [T] [U] :
la somme de 8 050 euros au titre des travaux de reprise de la toiture,
la somme de 3 100 euros au titre de la reprise des embellissements,
la somme de 9 635 euros au titre du préjudice de jouissance,
la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral,
la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Mmes [J] [C] Veuve [E] et [A] [E] :
la somme de 11 890 euros au titre du préjudice de jouissance,
la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,
la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Axa Corporate Solutions à garantir la société Soprema des condamnations prononcées à son encontre s'agissant des préjudices matériels et immatériels ;
ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;
condamné in solidum la société Soprema et la société Axa Corporate Solutions, qui succombent pour l'essentiel, seront condamnées aux dépens, en ce compris le coût des expertises ;
débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration reçue au greffe le 12 juillet 2022, M. et Mme [N] ont interjeté appel des chefs du jugement ayant :
condamné in solidum la société Soprema et la société Axa Corporate Solutions à payer à M. [O] [N] : la somme de 8 050 euros au titre des travaux de reprise de la toiture, la somme de 5 980 euros au titre de la reprise des embellissements, la somme de 200 euros au titre du préjudice de jouissance, la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,
débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées au greffe le 2 avril 2023, M. et Mme [N] demandent à la cour de :
réformer le jugement du tribunal judiciaire de Lille en date du 14 juin 2022 dont appel sur le montant du préjudice de jouissance (préjudice locatif) et condamner la société Soprema entreprises et son assureur la Société Européenne XL insurance Company SE venant aux droits de la société Axa Corporate solutions assurances à payer in solidum ou solidairement la somme de 19 713,60 euros au titre du préjudice de jouissance (préjudice locatif) ;
dans la cadre de l'évolution du litige dans le temps, les condamner in solidum ou solidairement à payer la somme de 9618,80 euros ;
confirmer le jugement du 14 juin 2022 dont appel sur les autres dispositions ;
rejeter l'appel incident de Soprema et le dire infondé ;
condamner les intimés in solidum ou solidairement à payer aux appelant la sommes de 2 000 euros à titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 6 novembre 2023, la société Soprema demande à la cour de :
débouter M. et Mme [N] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
déclarer son appel incident recevable et bien fondé,
infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 14 juin 2022, en ce qu'il :
l'a condamnée in solidum avec la société Axa Corporate Solutions à payer à M. [O] [N] :
la somme de 8 050 euros au titre des travaux de reprise de la toiture,
la somme de 5 980 euros au titre de la reprise des embellissements,
la somme de 200 euros au titre du préjudice de jouissance,
la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,
la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
l'a condamnée in solidum avec la société Axa Corporate Solutions aux dépens, en ce compris le coût des expertises.
Elle demande à la cour, statuant à nouveau de :
débouter M. et Mme [N] de toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre ;
condamner M. et Mme [N] à lui régler la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance ;
condamner M. et Mme [N] aux frais et dépens de première instance, en ce compris le coût de l'expertise,
En tout état de cause,
condamner M. et Mme [N] à lui régler la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant de la présente instance en appel ;
condamner M. et Mme [N] aux entiers frais et dépens de l'instance d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 6 avril 2023, la société européenne XL Insurance Compagny SE venant aux droits de la société Axa Corporate Solution Assurance demande à la cour de :
infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 14 juin 2022 ;
rejeter l'ensemble des dires, fins et conclusions des époux [N] en ce qu'ils sont dirigés à l'encontre de la société Axa Corporate Solutions Assurance ;
eu égard aux frais irrépétibles que la société Axa Corporate Solutions Assurance aura dû engager du fait de la présente instance, frais qu'il serait inéquitable de lui laisser intégralement supporter, condamner les époux [N] à lui verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l'audience et rappelées ci-dessus.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 novembre 2023.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
1) Sur les désordres et leur qualification
Au titre de son appel incident, la société Soprema conteste le jugement en ce qu'il a retenu sa responsabilité au titre de la garantie décennale. Elle soutient que l'impropriété à destination n'est pas démontrée, que le rapport d'expertise ne démontre ni une déficience d'isolation de la couverture de la toiture ni un défaut d'étanchéité des couvertines. Elle ajoute que le défaut de ventilation-extraction ne saurait lui être imputé étant donné qu'elle est intervenue au titre de l'étanchéité.
M. et Mme [N] soutiennent que l'impropriété de l'ouvrage à sa destination est établie par le rapport d'expertise, que les désordres entraînent une infiltration et des ponts thermiques, qui ont pour conséquence d'engendrer :
- une infiltration des eaux pluviales dans la chambre adulte
- une déperdition de chaleur
- la présence d'humidité sur différentes parois par condensation
- l'apparition de moisissures
- une dégradation de la qualité de l'air.
La société Axa Corporate Solution Assurance conteste le caractère décennal des désordres. Elle fait valoir que les ponts thermiques sont de faible ampleur et que l'immeuble a toujours été habité.
Aux termes de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.
L'article 1792-4-1 dudit code prévoit, en application des articles 1792 et suivants, que cette responsabilité court pendant dix années à compter de la réception des travaux.
La garantie décennale ne s'applique qu'aux désordres compromettant la solidité ou affectant la solidité d'un élément d'équipement apparus après réception dans le délai d'épreuve de dix ans.
En l'espèce, la société Soprema, assurée par la société Axa France IARD, est intervenue pour le lot couverture-étanchéité-toiture.
L'expert a décrit les désordres comme suit :
« - chambre adulte avec humidité relative de surface au plafond, infiltration active liée au complexe d'étanchéité en toiture, pied de mur en BA13 fortement humide localement,
Chambre débarras avec humidité relative de surface au plafond,
Chambres enfant avec humidité relative de surface au plafond,
Salle de bain avec humidité relative de surface au plafond, plafond douche affecté,
Défaut d'isolation du complexe d'étanchéité de la couverture et des couvertines avec ponts thermiques à l'intérieur de l'immeuble qui génère de la condensation ou humidité de surface, point d'infiltration des eaux pluviales avec incidence dans la chambre adulte,
Dysfonctionnement de la VMC dont la position de la bouche d'extraction pose question au regard de son environnement très fermé dans la salle de bain laquelle a néanmoins été rénovée ».
Ces désordres n'étaient pas visibles à la réception.
* Sur l'isolation thermique de la couverture de la toiture terrasse
L'expert judiciaire affirme : « la couvertine, couverture de acrotère en toiture-terrasse (et Terrasson ) ne respecte pas les règles de l'art.
La norme NFP 10- 203 (20.12) reprend les préconisations des recommandations professionnelles de la chambre syndicale française de l'étanchéité et de la fédération française du bâtiment consacré aux acrotères, conception de l'isolation thermique des toitures terrasse avec étanchéité.
Le principe du compartimentage entre l'ouvrage en partie courante et les ouvrages singulier et réaffirmé. La règle veut, en partie courante et pour les points singuliers, que l'isolation thermique soit mise en 'uvre au-dessus de l'élément porteur en maçonnerie et les solutions conduisant à poser l'isolant en sous-face de l'élément porteur sont en conséquence proscrites. »
La société Soprema affirme que les acrotères sont, au contraire, conformes aux règles de l'art puisqu'il n'existe pas d'obligations légales ou réglementaires à ce qu'ils soient isolés.
Un acrotère est une construction qui s'inscrit en prolongement du mur de façade au-dessus du plan d'une toiture en terrasse.
Les acrotères sont coiffés d'une couvertine en tôle, une couvertine étant un élément de protection de la partie supérieure d'un acrotère.
L'expert précise : « conformément au carnet de détail couverture-bardage-étanchéité, les acrotères n'ont pas fait l'objet d'une isolation thermique. Néanmoins, l'isolation thermique de la face supérieure et de la face intérieure de l'acrotère, côté terrasse, est justifiée thermiquement en regard de la hauteur dite basse de l'acrotère de l'ordre de 370 mm d'une part et d'une façade disposant d'un système de vêtures (ou mur-manteau) correspondant à une isolation par l'extérieur mis en 'uvre sur la paroi de l'immeuble ».
Ainsi, la société Soprema qui avait en charge le lot couverture-étanchéité-toiture était tenue à une obligation de résultat et devait prendre en compte la hauteur des acrotères et la façade de l'immeuble et, dès lors, considérer que l'isolation des acrotères étaient nécessaires.
Les acrotères n'ont pas été réalisés conformément aux règles de l'art et ceci a causé des désordres dans l'immeuble.
* Sur les ponts thermiques
Dans son rapport, l'expert affirme que les documents contractuels, à savoir le détail estimatif des travaux, le cahier des clauses techniques particulières et le carnet de détail couverture-bardage-étanchéité, prescrivent une épaisseur d'isolant en panneaux KNAUF Therm stick F de polystyrène expansé de 120 mm d'épaisseur.
Or, la société Soprema a adopté des dispositions particulières au droit des points d'évacuation des eaux pluviales qui déroge au 120 mm prescrit dans les documents contractuels. L'expert poursuit en indiquant : « les dispositions constructives adoptées par SOPREMA au droit des points de rejet conduisent une réduction d'épaisseur significative de l'isolant dont le rôle est majeur en termes d'isolation thermique par l'extérieur. (') Il reste donc une épaisseur d'isolant évaluée à 110-10= 100mm soit une réduction de 20mm (17 %). La réduction d'épaisseur de l'isolant modifie inévitablement la résistance thermique utile ».
La société Soprema affirme que cette différence d'épaisseur d'isolant de 20 mm est très faible et ne permet pas d'être à l'origine de la moindre condensation.
Néanmoins, si faible soit-il le pont thermique est caractérisé par l'expert et de plus, ce dernier souligne : « cette disposition constructive est une cause majorante de l'effet pont thermique existant par ailleurs au droit de la toiture terrasse et du support béton ; l'importance identifiée à l'intérieur de l'immeuble reste relativement localisée et a pour conséquence une dégradation non admissible et évolutive de l'immeuble (condensation artificielle, salissures, moisissures, attaque et dégradation des revêtements, humidité persistante,').
Ce n'est donc pas tant les ponts thermiques existants qui sont remis en cause, mais bien certaines dispositions constructives ne respectant pas les règles de l'art et dont la conséquence est l'amplification anormale de ponts thermiques localisés par une dégradation préjudiciable de la résistance thermique demandée ».
Ainsi, le défaut d'isolation des acrotères a pour conséquence d'amplifier de manière anormale les ponts thermiques, identifiés par l'expert.
La déficience de l'isolation thermique de la toiture terrasse est donc bien démontrée.
* Sur le l'étanchéité des couvertines
La société Soprema conteste la non-étanchéité des couvertines évoquée par l'expert.
Il ressort du rapport d'expertise que : « le complexe d'étanchéité et d'isolation de la couverture en toiture terrasse apparaît étanche sauf en un point provoquant l'infiltration des eaux dans la chambre adulte ».
Il poursuit : « les couvertines présente des malfaçons au droit des raccordements des différents éléments constitutifs avec des fixations par percement sur la façade supérieure et des infiltrations possibles, les joints en mastic (ou silicone), grossiers et vétustes, ne pouvant par ailleurs pas résister notamment à la dilation inévitable des éléments métalliques »
Si l'expert indique également, comme le souligne la société Soprema, qu'à la suite d'une réfection d'étanchéité réalisée par la société Soprema en mai 2009, l'infiltration dans la chambre adulte a cessé, il conclut, néanmoins, que le défaut d'étanchéité demeure, que « les règles de l'art ne sont pas respectées tant au niveau des raccordements, des fixations que des pentes d'écoulement ». Il précise également « finalement, les interventions successives de SOPREMA n'ont pu résorber totalement les malfaçons et désordres observés, lesquels ont fait l'objet de divers signalement ».
Ainsi, le défaut d'étanchéité des couvertines est bien caractérisé.
* Sur la ventilation-extraction
La société Soprema soutient que l'expert judiciaire n'a pas vérifié l'installation de la VMC ni si les portes des pièces étaient correctement détalonnées pour permettre le balayage dans l'appartement et que sans ces vérifications, il ne peut conclure que la ventilation est responsable des condensations constatées.
Or, l'expert affirme : « le tirage de la VMC est considéré comme correct ». Il précise « malgré un plafond désormais refait par la partie [N], l'expert estime qu'une bonne ventilation est toujours nécessaire mais que les ponts thermiques liés au défaut d'isolation thermique par l'extérieur restent d'actualité ».
Ainsi, si effectivement l'expert ne précise pas davantage ce désordre, la ventilation-extraction est dysfonctionnelle en raison également des autres désordres évoqués précédemment.
L'expert conclut en ces termes : « l'immeuble est impropre à sa destination, par déficience de l'isolation thermique de la couverture de toiture terrasse et défaut d'étanchéité des couvertines, conduisant à des désordres spécifiques et localisée à l'intérieur de l'immeuble pour la déficience thermique et les infiltrations qui subsistent ».
L'ensemble de ces éléments permettent d'affirmer que les désordres constatés sur la toiture terrasse ont engendré des infiltrations.
Ces désordres ne causent pas uniquement un préjudice d'ordre esthétique, comme le soutient la société Axa Corporate Solutions, mais sont des désordres d'une gravité importante puisqu'ils affectent les éléments constitutifs de l'ouvrage et l'étanchéité à l'eau n'est pas assurée. Cette déficience porte atteinte à la destination et compromettent la solidité de l'ouvrage. En effet, il y a lieu de rappeler que la toiture a pour vocation à assurer le couvert d'un immeuble. Sans rendre l'immeuble inhabitable, il est néanmoins incontestable que ces désordres relèvent de la garantie décennale du constructeur.
De plus, alors même que des personnes vivent dans certains logements de l'immeuble, ces désordres rendent nécessairement l'immeuble impropre à sa destination puisque les travaux de la toiture terrasse avait pour objet d'assurer
2) Sur les responsabilités
* Sur la responsabilité de la société Soprema
S'agissant d'une responsabilité de plein droit, la mise en 'uvre de la responsabilité décennale des constructeurs suppose l'existence d'un lien d'imputabilité entre le dommage constaté et l'activité des personnes réputées constructeurs.
En l'espèce, il ressort du rapport que les désordres affectent les lots réalisés par la société Soprema, cette dernière sera déclarée responsable de plein droit sur le fondement de l'article 1792 du code civil.
* Sur la responsabilité de la société Axa Corporate Solution Assurance, assureur de la société Soprema
La société Axa Corporate Solution Assurance soutient que les contrats de responsabilité décennale et de responsabilité civile souscrits par la société SOPREMA auprès d'elle ont été résiliés le 31 décembre 2011 et dès lors, elle n'a pas vocation à assurer les désordres de nature décennale. Elle affirme que pour obtenir réparation du trouble de jouissance, la réclamation aurait dû être effectuée à l'intérieur du délai de garantie du contrat.
M. et Mme [N] font valoir que la résiliation invoquée n'est pas justifiée. Sur le préjudice de jouissance, ils soutiennent qu'il s'agit d'une conséquence du désordre de nature décennale pour lequel la société AXA doit sa garantie. Ils ajoutent que les conditions générales et particulières du contrat souscrit auprès AXA par la société SOPREMA prévoit une police d'assurance dite « fait dommageable » et il y est précisé que l'assureur concerné par le préjudice immatériel résultant d'un dommage décennal sera celui dont la police est valide à la date du fait générateur du dommage. A ce titre, M. et Mme [N] affirment que la société AXA Corporate Solution Assurance doit être tenue à la réparation de l'ensemble des préjudices.
Il y a lieu de rappeler que l'assurance de responsabilité décennale obligatoire ne couvre que les dommages matériels affectant l'ouvrage. Il appartient aux intervenants à l'acte de construire de souscrire une garantie facultative pour être couvert des dommages immatériels (Cass. 3e civ., 12 mai 2021, n° 19-25.462).
Le contrat d'assurance décennale couvre, pour la durée de la garantie pesant sur l'assuré, en vertu des articles 1792 et suivants du code civil, les travaux ayant fait l'objet d'une ouverture de chantier pendant la période de validité fixée aux conditions particulières, la garantie étant maintenue dans tous les cas pour la même durée.
En l'espèce, la société AXA a été assignée dans le délai de la garantie décennale, puisque l'assignation en référé lui a été délivrée le 1er mars 2016 et que la réception de l'immeuble est intervenue le 10 octobre 2006.
Il n'est pas produit au débat le contrat d'assurance de responsabilité décennale liant la société Corporate Solution Assurance et la société SOPREMA. Néanmoins, son existence lors de l'ouverture du chantier n'est pas contestée. Sa résiliation au 31 décembre 2011 n'est justifiée par aucune pièce. Dès, il y a lieu de constater que la société Soprema était bien assurée à la date d'ouverture du chantier.
En revanche, le contrat d'assurance facultative pour être couvert des dommages immatériels n'est pas apporté aux débats. Celui-ci étant facultatif et la garantie de la société AXA Corporate Solution Assurance sur le trouble de jouissance invoqué par M. et Mme [N] étant contestée, la demande de condamnation de la société AXA Corporate Solution Assurance à ce titre ne peut être que rejetée.
En conséquence, M. et Mme [N] sont fondés à demander la condamnation in solidum des sociétés Soprema et AXA Corporate Solution Assurance s'agissant de la réparation des dommages matériels. En revanche, seule la société Soprema peut être condamnée en réparation des dommages immatériels. La demande formulée à ce titre par M. et Mme [N] à l'encontre de la société AXA Corporate Solution Assurance sera rejetée.
3) Sur les indemnités
Si M. et Mme [N] limitent leur appel sur le montant de l'indemnisation due au titre de leur préjudice de jouissance, la société Soprema et la société AXA Corporate Solutions demandent, au titre de leur appel incident, l'infirmation du jugement sur tous les chefs d'indemnisation retenus.
* Sur les travaux de reprise de la toiture et d'embellissement
La société SOPREMA fait valoir que le lien de causalité entre les dispositifs d'étanchéité et les condensations n'est pas démontrée. Elle ajoute que la reprise réalisée est suffisante.
Il ressort du rapport d'expertise que les désordres constatés nécessitent des travaux en toiture qui concernent l'isolation thermique par l'extérieur sur la couverture et la couvertine périphérique sur les acrotères.
Par ailleurs, comme cela a été déjà été souligné, les travaux de reprise effectués par la société SOPREMA n'ont pas, selon l'expert, résorbé totalement les désordres.
Les travaux de reprises sont décrits et chiffrés par l'expert à la somme de 8 050 euros. C'est à juste titre que les premiers juges ont retenu ce montant quant aux travaux de reprise.
S'agissant des travaux de reprise, comme l'ont souligné les premiers juges, l'expert a affirmé que les travaux d'embellissement nécessaires sont ceux qui concernent la réfection des plafonds et murs affectés par les infiltrations et l'humidité de condensation liée au ponts thermiques dans la chambre adulte. L'expert a chiffré ces travaux à la somme de 5 980 euros TTC, montant qui sera, à nouveau, retenu.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés SOPREMA et AXA Corporate Solution Assurance à payer à M. et Mme [N] la somme de 8 050 euros au titre de la reprise de la toiture et la somme de 5 980 au titre de la reprise des embellissements.
* Sur le préjudice de jouissance
M. et Mme [N] soutiennent avoir subi des pertes de loyers conséquents puisque le logement n'a pas pu être loué et le bail a été rompu avec le locataire en raison de la situation de l'immeuble. Pour la période allant jusqu'en janvier 2018, ils reprennent le montant estimé par l'expert, à savoir la somme de 19 173,60 euros. Ils ajoutent que leur préjudice a continué après, de février 2018 à octobre 2022, et sollicitent également la condamnation des intimés à la somme de 9618,80 euros.
La société SOPREMA conteste la réalité de ce préjudice et affirme qu'il n'est pas démontré.
Dans son rapport, l'expert indique : « les griefs évoqués par la partie sont l'humidité persistante, les odeurs, les salissures et moisissures, la qualité de l'air, le surchauffage, l'aspect visuel et l'incidence sur les effets personnels dans les différentes pièces du 1er étage de l'immeuble.
Les désordres ont une incidence marquée dans la chambre adulte (infiltration) et moins critiques (visuellement) dans la salle de bain (ponts thermiques) soit une surface approximative retenue de 20,80m² pour un immeuble de surface habitable de 91m2 (Rdc = étage).
La valeur locative moyenne est évaluée à : 12 euros/m²/mois ;
La durée retenue pour le trouble de jouissance est estimée à compter d'avril 2009 à avril 2017, soit 96 mois.
Il en découle un calcul du préjudice de : 12€/m²/mois x 20,80m² x 96 mois = 23 961,60 euros.
Il convient de soustraire l'effet VMC sur la salle de bain qui participe aux désordres spécifiques de la pièce d'eau, tout en notant des travaux d'embellissement antérieurs qui ne permettent plus à l'expert de visualiser l'impact des ponts thermiques, notamment côté façade, soit :
Un abattement du préjudice évalué à : 12 euros /m²/mois x 6,9 m² x 96 mois x 100 % = 7948,80 euros.
L'évaluation du préjudice pour trouble de jouissance serait de 16 012,80 euros, soit un préjudice journalier de l'ordre de 5,56 euros ».
L'expert poursuit qu'il existe également un trouble de jouissance du logement pendant la période des travaux et que ce préjudice est calculé comme suit : « 2,5 mois x 12 euros/m²/mois x 45,5m² = 1365 euros ».
M. et Mme [N] produisent aux débats plusieurs pièces :
- un courrier de la société Renoult habitat, agence de location, indiquant à M. [N] que l'immeuble est loué à compter du 4 avril 2007 à M. et Mme [X]-[Y].
- des échanges de courriels de septembre à novembre 2008 dans lequel le locataire du logement, M. [X], demande l'intervention d'un entrepreneur afin de réparer les désordres causés par le dégât des eaux.
- un procès-verbal de constat de dégât des eaux signé par M. [X] en date du 30 mai 2010,
- un courrier de l'agence Renoult Habitat informant M. [N] que leur locataire, M. [X], avait valablement donné son préavis pour quitter le logement le 15 septembre 2010,
- un bail du 2 septembre 2015 conclu avec la société Lyonnaise des eaux pour y loger Mme [K] [H] et sa famille. Le loyer fixé était de 10 128 euros (charges comprises). Il est précisé dans le bail que le dernier versement effectué par le dernier locataire avait eu lieu le 2 juillet 2015, ce qui justifie que le logement était bien loué à cette date.
- un courrier de résiliation de bail Mme [K] [H] en date du 3 août 2017. Il n'est pas mentionné dans ce courrier de difficulté quant à l'état du logement.
- un courrier de l'agence Renoulet Habitat du 28 septembre 2022 adressé à M. [N] indiquant que le premier locataire a été installé dans les lieux le 4 avril 2017, que le bien a été loué en continu jusqu'au 30 septembre 2017, date à laquelle Mme [H], dernière locataire, a quitté les lieux.
Il ressort de ces documents qu'il est certain que le logement n'a pas été loué entre le départ de Mme [H], le 30 septembre 2017 et le courrier de l'agence Renoult Habitat du 28 septembre 2022.
Aucune perte de loyer n'est donc démontrée avant le 30 septembre 2017.
Pour la période postérieure, il n'est pas justifié que c'est en raison de l'état du logement que M. et Mme [N] ne sont pas parvenus à le louer. Il y a lieu de rappeler que lors du dégât des eaux du 30 mai 2010 puis lors des opérations d'expertise, le logement était bien loué alors que les désordres étaient présents dans l'immeuble.
L'expert décrit la perte de jouissance du bien pour les occupants mais non pas la perte de loyers pour le bailleur.
En l'absence de démonstration d'un préjudice certain quant à une perte de loyer causée par les désordres imputables à la société Soprema, il y a lieu de rejeter cette demande.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés Soprema et AXA Corporate Solution Assurance à payer à M. et Mme [N] la somme de 2 000 euros au titre du préjudice de jouissance.
* Sur le préjudice moral
La société Soprema sollicite l'infirmation du jugement sur ce chef au motif que poste de préjudice n'est pas évoqué par l'expert et n'est nullement démontré.
M. et Mme [N] ne formulent pas d'observation sur poste de préjudice.
En l'absence de démonstration d'un préjudice moral certain en lien avec les désordres imputables à la société Soprema, cette demande sera rejetée et le jugement infirmé de ce chef.
4) Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
Partie perdante en appel, M. et Me [N] seront condamnés in solidum aux entiers dépens, engagés en appel.
M. et Mme [N] seront condamnés in solidum à payer à la société Soprema la somme de 2 000 euros et à la société AXA Corporate Solution Assurance la somme de 2 000 euros, au titre des frais irrépétibles engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 14 juin 2022 en ce qu'il a :
condamné in solidum la société Soprema et la société Axa Corporate Solutions à payer à M. [O] [N] :
la somme de 8 050 euros au titre des travaux de reprise de la toiture,
la somme de 5 980 euros au titre de la reprise des embellissements,
la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Axa Corporate Solutions à garantir la société Soprema des condamnations prononcées à son encontre s'agissant des préjudices matériels ;
condamné in solidum la société Soprema et la société Axa Corporate Solutions, qui succombent pour l'essentiel, seront condamnées aux dépens, en ce compris le coût des expertises ;
INFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 14 juin 2022 en ce qu'il a :
condamné in solidum la société Soprema et la société Axa Corporate Solutions à payer à M. [O] [N] :
la somme de 200 euros au titre du préjudice de jouissance,
la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,
condamné la société Axa Corporate Solutions à garantir la société Soprema des condamnations prononcées à son encontre s'agissant des préjudices immatériels;
Statuant à nouveau,
DÉBOUTE M. et Mme [N] de leur demande au titre du préjudice de jouissance,
DÉBOUTE M. et Mme [N] de leur demande au titre du préjudice moral,
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum M. et Mme [N] aux entiers dépens, engagés en appel,
CONDAMNE in solidum M. et Mme [N] à payer à la société Soprema la somme de 2 000 euros, au titre des frais irrépétibles engagés en appel.
CONDAMNE in solidum M. et Mme [N] à payer à la société AXA Corporate Solution Assurance la somme de 2 000 euros, au titre des frais irrépétibles engagés en appel.