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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 28 octobre 2024, n° 24/00373

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 24/00373

28 octobre 2024

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 28 OCTOBRE 2024

N° RG 24/00373 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NTK7

[Y] [R]

c/

[O] [U] épouse [W]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2024/3534 du 16/04/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)

Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 10 janvier 2024 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal Judiciaire de LIBOURNE (RG : 23/00090) suivant déclaration d'appel du 25 janvier 2024

APPELANTE :

[Y] [R]

née le 11 Septembre 1977 à [Localité 3] (PORTUGAL)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

représentée par Maître Jean-jacques DAHAN, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

[O] [U] épouse [W]

née le 20 Mars 1972 à [Localité 4]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1] - Réidence [Adresse 1] - [Adresse 1]

représentée par Maître Delphine CHUDZIAK de la SELARL CHUDZIAK & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LIBOURNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 juin 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Emmanuel BREARD, conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Paule POIREL, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

Greffier lors du prononcé : Vincent BRUGERE

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE.

Selon un contrat de bail conclu le 1er octobre 2018, Mme [Y] [R] a donné en location à Mme [O] [W] née [U] un logement situé au [Adresse 1] dans la Résidence [Adresse 1] à [Localité 4].

Par acte du 20 décembre 2022, Mme [R] a délivré un commandement à Mme [W] lui réclamant de payer un arriéré de charges locatives de 2 231,80 euros pour les années 2019 à 2021 incluses ainsi que d'avoir à justifier de l'occupation effective des lieux et de la souscription d'une assurance couvrant les risques locatifs.

Par acte d'huissier de justice du 4 avril 2023, Mme [R] a assigné Mme [W] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Libourne, aux fins notamment de la voir condamner au versement des sommes précitées.

Par ordonnance contradictoire de référé du 10 janvier 2024 le tribunal judiciaire de Libourne a :

- déclaré recevable l'action engagée par Mme [R] mais dit n'y avoir lieu à référé,

- rejeté en conséquence toutes les demandes de Mme [R] comme la demande reconventionnelle de Mme [W] au titre du préjudice moral,

- condamné Mme [R] aux dépens, y compris les frais d'assignation, de notification à la préfecture et d'aide juridictionnelle exposés par l'Etat pour le compte de Mme [W],

- rejeté les demandes réciproques sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que la cette ordonnance est de droit exécutoire à titre provisoire.

Mme [R] a relevé appel total de cette ordonnance par déclaration du 25 janvier 2024, et par dernières conclusions déposées le 14 mars 2024, elle demande à la cour de :

- juger Mme [R] recevable et bien fondée en ses demandes,

- infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a :

- dit qu'il n'y avait lieu a référé

- rejeté les demandes de Mme [R]

- l'a condamnée aux dépens

- rejeté les demandes formulées par Mme [R] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau :

- constater la résiliation du bail conclu entre Mme [R] et Mme [W],

- ordonner l'expulsion de Mme [W] ainsi que de tous occupants de son chef et de tous meubles et objets lui appartenant des locaux donnés à bail, avec au besoin le concours de la force publique,

- condamner Mme [W] au paiement d'une indemnité d'occupation égale au double du montant du dernier loyer dû avant résiliation du bail, soit 1 500 euros par mois, jusqu'à la vidange effective des lieux,

- condamner Mme [W] à la réparation du préjudice matériel subi par Mme [R] correspondant à la somme de 2 367,63 euros,

- condamner Mme [W] à la réparation du préjudice moral subi par Mme [R] correspondant à la somme de 3 000 euros,

- condamner Mme [W] à verser à Mme [R] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [W] aux entiers dépens de la présente procédure,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement.

Par dernières conclusions déposées le 10 juin 2024, Mme [W], demande à la cour de :

- constater que Mme [W] est à jour de ses loyers et charges,

- dire n'y avoir lieu à résiliation du bail,

- rejeter toutes les demandes de Mme [R],

- condamner Mme [R] à la réparation du préjudice moral subi par Mme [W] correspondant à la somme de 3 000 euros,

- condamner Mme [R] à verser à Mme [W] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [R] aux entiers dépens de la présente procédure.

L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience rapporteur du 24 juin 2024, avec clôture de la procédure à la date du 10 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

I Sur les loyers et charges.

L'appelante conteste qu'il n'existe pas d'urgence et qu'il puisse être retenu, comme l'a fait le premier juge, une contestation sérieuse.

Ainsi, elle estime que le seul fait pour Mme [W] de ne pas avoir été à jour de ses charges depuis 2019, et donc au jour du commandement de payer, caractérise l'urgence et la procédure de référé. Elle précise que, malgré un échelonnement, la locataire n'a réglé qu'une partie des sommes dues et qu'elle reste redevable à son égard d'un montant de 2.231,80 €.

Elle considère qu'il n'existe pas de contestation sérieuse en que ce si le bail prévoit un loyer d'un montant de 690 €, consommation d'eau et de gaz inclus, il prévoit également une provision sur charge d'un montant de 144 €, tout en précisant que les régularisations ont été justifiées par ses soins suivant un calcul par tantième mentionné pour l'énergie. Elle argue de ce que son adversaire a elle-même accepté la régularisation en acceptant la mise en place d'un échéancier de règlement, payé en partie.

***

L'article 835 du code de procédure civile prévoit que 'Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.'

Il est constant qu'en application de ce texte, le juge des référés est juge de l'évidence et que l'interprétation d'un contrat excède ses pouvoirs.

L'article 23 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 dispose 'Les charges récupérables, sommes accessoires au loyer principal, sont exigibles sur justification en contrepartie :

1° Des services rendus liés à l'usage des différents éléments de la chose louée ;

2° Des dépenses d'entretien courant et des menues réparations sur les éléments d'usage commun de la chose louée. Sont notamment récupérables à ce titre les dépenses engagées par le bailleur dans le cadre d'un contrat d'entretien relatif aux ascenseurs et répondant aux conditions de l'article L.125-2-2 du code de la construction et de l'habitation qui concernent les opérations et les vérifications périodiques minimales et la réparation et le remplacement de petites pièces présentant des signes d'usure excessive ainsi que les interventions pour dégager les personnes bloquées en cabine et le dépannage et la remise en fonctionnement normal des appareils ;

3° Des impositions qui correspondent à des services dont le locataire profite directement.

La liste de ces charges est fixée par décret en Conseil d'Etat. Il peut y être dérogé par accords collectifs locaux portant sur l'amélioration de la sécurité ou la prise en compte du développement durable, conclus conformément à l'article 42 de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986.

Les charges locatives peuvent donner lieu au versement de provisions et doivent, en ce cas, faire l'objet d'une régularisation annuelle. Les demandes de provisions sont justifiées par la communication de résultats antérieurs arrêtés lors de la précédente régularisation et, lorsque l'immeuble est soumis au statut de la copropriété ou lorsque le bailleur est une personne morale, par le budget prévisionnel.

Un mois avant cette régularisation, le bailleur en communique au locataire le décompte par nature de charges ainsi que, dans les immeubles collectifs, le mode de répartition entre les locataires et, le cas échéant, une note d'information sur les modalités de calcul des charges de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire collectifs et sur la consommation individuelle de chaleur et d'eau chaude sanitaire du logement, dont le contenu est défini par décret en Conseil d'Etat. Durant six mois à compter de l'envoi de ce décompte, les pièces justificatives sont tenues, dans des conditions normales, à la disposition des locataires.

A compter du 1er septembre 2015, le bailleur transmet également, à la demande du locataire, le récapitulatif des charges du logement par voie dématérialisée ou par voie postale.

Lorsque la régularisation des charges n'a pas été effectuée avant le terme de l'année civile suivant l'année de leur exigibilité, le paiement par le locataire est effectué par douzième, s'il en fait la demande.

Pour l'application du présent article, le coût des services assurés dans le cadre d'un contrat d'entreprise ou d'un contrat d'achat d'électricité, d'énergie calorifique ou de gaz naturel combustible, distribués par réseaux correspond à la dépense, toutes taxes comprises, acquittée par le bailleur.'

La cour constate que lors des conditions particulières du bail (pièce 1 de l'appelante), il est mentionné un loyer d'un montant de 690 € comprenant l'eau et le gaz, hors électricité. Les conditions générales du même contrat stipulent que le montant des charges est indiqué dans les conditions particulières, alors que ce document est taisant sur ce point, et qu'il comprend les services rendus liés à l'usage des différents éléments de la chose louée, en ce compris donc l'eau et le gaz.

Il existe donc une difficulté d'interprétation du contrat quant à savoir si les dépenses liées à l'eau et à l'électricité relèvent au titre du contrat des loyers ou des charges et surtout peuvent ou non faire l'objet d'une régularisation.

Or, une telle interprétation excède les pouvoirs du juge des référés, comme l'a exactement retenu le premier juge, quand bien même l'urgence de la demande au titre de la résiliation du bail ne saurait être remise en cause, et la demande faite à ce titre par Mme [R] sera rejetée et décision attaquée confirmée de ce chef.

II Sur la demande résiliation du bail et en paiement d'une indemnité d'occupation.

Mme [R] rappelle qu'il est prévu au contrat objet du présent litige une clause résolutoire de plein droit passé un délai d'un mois après un commandement de payer infructueux en cas de non paiement de tout ou parties des loyers ou charges.

Elle rappelle également qu'en cas de résiliation du contrat, le bail stipule une indemnité d'occupation égale à deux fois le montant du loyer jusqu'à restitution des clés des lieux loués. Au vu des éléments qui précèdent, elle considère le bail résilié et qu'une indemnité d'occupation lui est due à hauteur de 1.500 € par mois jusqu'à libération des lieux et restitution des clés.

***

Vu l'article 835 du code de procédure civile précité.

Mme [R], en ce que sa demande au titre des charges impayées a été rejetée ci-avant, ne peut se prévaloir devant la cour, statuant en référé, de cet élément qui ressort de la compétence des juges du fond. Sa demande en résiliation sera donc rejetée et l'ordonnance en date du 10 janvier 2024 confirmée de ce chef.

III Sur les demandes de dommages intérêts des parties.

Mme [R] expose subir un préjudice moral distinct du fait de l'absence de paiement de sa locataire depuis plusieurs mois et sollicite des dommages et intérêts à ce titre.

Mme [W] réclame également un préjudice moral au titre de la procédure de référé qu'elle déclare subir avec la menace de résiliation et d'expulsion, alors qu'elle estime respecter ses obligations de locataire. Elle demande un montant de 3.000 € de dommages et intérêts.

***

Vu l'article 835 du code de procédure civile précité.

Il est de principe qu'en application de ce texte, excède les pouvoirs de la cour d'appel saisie en référé le juge faisant droit à une demande de dommages et intérêts et non à une provision.

Les deux parties sollicitant des dommages et intérêts et non des provisions, leurs demandes excèdent les pouvoirs de la cour et seront donc rejetées. La décision attaquée sera en conséquences confirmée également de ce chef.

IV Sur les demandes annexes.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

L'équité exige que Mme [R] soit condamnée à verser à Mme [W] une somme de 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure.

Aux termes de l'article 696 alinéa premier du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, Mme [R], qui succombe au principal, supportera la charge des entiers dépens.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

Confirme l'ordonnance de référé rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Libourne le 10 janvier 2024 ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [R] à régler à Mme [W] une somme de 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure ;

Condamne Mme [R] aux entiers dépens de la présente instance.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Monsieur Vincent BRUGERE greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,