CA Chambéry, 1re ch., 29 octobre 2024, n° 21/01763
CHAMBÉRY
Autre
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
SCI Les Portes des Alpes (SCI)
Défendeur :
Époux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pirat
Conseillers :
Mme Reaidy, M. Sauvage
Avocats :
Me Forquin, SELARL Cabinet Merotto, Me Dormeval, SCP Cabinet Bouvard
Faits et procédure
Suivant contrat de réservation en date du 31 juillet 2015, puis acte authentique du 21 avril 2016, M. [X] [R] et Mme [S] [H] ont acquis auprès de la SCI Les portes des Alpes une maison à usage d'habitation en l'état futur d'achèvement sise au lieudit '[Adresse 4]'à [Localité 2], dans le cadre d'un programme immobilier dénommé 'le [Adresse 1]'.
Ce bien immobilier, construit par la société Floriot Habitat Groupe en qualité de contractant général, assurée auprès de la compagnie SMABTP, leur a été livré le 12 avril 2017, avec des réserves étrangères au présnt litige, qui ont été levées le 18 septembre 2017. Les travaux ont été réceptionnés à l'égard du maître d'ouvrage les 15 et 31 mai 2017.
Dénonçant, à compter du 17 novembre 2017, l'existence de plusieurs désordres, en particulier la présence d'eau dans le vide sanitaire, d'une bande de sel humide se formant en bas des murs, d'une forte humidité dans le garage, ainsi que l'apparition de moisissures sur les murs extérieurs, M. [X] [R] et Mme [S] [H] ont, après de vaines mises en demeure, fait citer leur vendeur en référé-expertise le 29 août 2018.
Par ordonnance du 27 septembre 2018, le président du tribunal de grande instance de Bonneville a ordonné une expertise et commis M. [I] pour y procéder. Les opérations d'expertise ont ensuite été étendues à la société [B] Frères, ayant réalisé les VRD, et à la société SMABTP, assureur de la société Floriot Habitat Groupe. Cette dernière société a été absorbée par la société Floriot Construction, laquelle a été placée en liquidation judiciaire le 25 avril 2019.
Par actes d'huissier du 10 septembre 2019, les consorts [R] et [H] ont assigné la SCI Les portes des Alpes, la société SMABTP et la société [B] Frères devant le tribunal de grande instance de Bonneville, notamment aux fins d'interruption de la prescription, l'expertise étant en cours.
L'expert a déposé son rapport définitif le 21 janvier 2020.
Suivant jugement en date du 23 août 2021, le tribunal judiciaire de Bonneville, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- donné acte à M. [R] et Mme [H] de leur désistement d'instance à l'égard de la société [B] Frères ;
- déclaré ce désistement parfait et constaté le dessaisissement de la juridiction à l'égard de la société [B] Frères ;
- dit qu'à l'égard de la société [B] Frères, chacune des parties conservera à sa charge les dépens par elle exposés,
- dit que les dommages affectant la maison de M. [R] et Mme [H] en raison de l'humidité ne relèvent pas de la garantie décennale des constructeurs mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, y compris de la SCI Les portes des Alpes ;
- dit que les dommages affectant le vice-sanitaire par défaut de ventilation ne relèvent pas de la garantie biennale des constructeurs mais de la responsabilité contractuelle de droit commun ;
- dit que le défaut de fonctionnement des spots électriques relève de la garantie biennale des constructeurs et de la SCI Les portes des Alpes ;
- constaté que la société SMABTP ne garantit pas la responsabilité contractuelle de droit commun de l'entreprise qui a construit l'immeuble ;
- dit que, pour les spots électriques, l'action dirigée contre la société SMABTP est couverte par la prescription et déclaré la demande irrecevable ;
- condamné la SCI Les portes des Alpes à payer à M. [R] et Mme [H] :
- la somme de 12 500 euros TTC au titre des travaux de reprise des problèmes humidité,
- la somme de 2 800 euros TTC au titre de la ventilation du vide-sanitaire,
- la somme de 480 euros TTC au titre des spots électriques ;
- dit que les deux sommes relatives aux travaux seront réévaluées à la date du paiement effectif en fonction de la variation de l'index BT01, l'index de base étant le dernier publié à la date du rapport de l'expert judiciaire ;
- condamné la SCI Les portes des Alpes à payer à M. [R] et Mme [H] la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rejeté les demandes des autres parties ;
- débouté les parties de toutes autres prétentions,
- condamné M. [R] et Mme [H] aux dépens à l'égard de la société SMABTP avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Les portes des Alpes au surplus des dépens comprenant les frais de référé et d'expertise, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au visa principalement des motifs suivants :
il n'est pas établi que les désordres liés à l'humidité de la maison compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination dans le délai d'épreuve décennal;
la SCI Les portes des Alpes, qui est dirigée par le même gérant que la société [B] Frères, a commis une faute en ne veillant pas à la bonne exécution des travaux, à savoir le défaut d'étanchéité de la partie enterrée, le défaut de respect des DTU c'est-à-dire des règles de l'art codifiées, le défaut de respect des préconisations de l'étude géothermique, alors qu'elle disposait des connaissances techniques nécessaires, dès lors, cette faute engage sa responsabilité contractuelle de droit commun et l'oblige à réparer le dommage ;
le défaut de ventilation suffisante du vide-sanitaire qui n'était pourvu d'aucune ventilation et sur lequel ont été créées postérieurement deux ventilations insuffisantes engage seulement la responsabilité contractuelle de droit commun de la SCI Les portes des Alpes qui ne pouvait ignorer l'obligation de veiller à la mise en place d'un système de ventilation du vide-sanitaire et, dans le cadre de la reprise, de le dimensionner de façon suffisante ;
le défaut de fonctionnement des spots électriques relève de la garantie biennale puisqu'il s'agit d'éléments dissociables même s'ils sont encastrés, de sorte que le coût de leur remplacement est à la seule charge de la SCI Les portes des Alpes.
Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 30 août 2021, la SCI Les portes des Alpes a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle l'a :
- condamnée à payer à M. [R] et Mme [H] :
- la somme de 12 500 euros TTC au titre des travaux de reprise des problèmes humidité,
- la somme de 2 800 euros TTC au titre de la ventilation du vide-sanitaire,
- la somme de 480 euros TTC au titre des spots électriques ;
- condamnée à payer à M. [R] et Mme [H] la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- déboutée de ses demandes d'irrecevabilité et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 23 février 2023, le conseiller de la mise en état a :
- débouté M. [R] et Mme [H] de leur demande tendant à prononcer l'irrecevabilité des écritures de la SCI Les portes des Alpes valablement notifiées le 31 mai 2022 sur le fondement de l'article 910 du code de procédure civile ;
- condamné M. [R] et Mme [H] aux dépens de l'incident, distraits au profit de Me Forquin sur son affirmation de droit ;
- débouté la SCI Les portes des Alpes et M. [R] et Mme [H] de leur demande d'indemnité procédurale.
Prétentions et moyens des parties :
Dans ses dernières écritures du 27 avril 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la SCI Les portes des Alpes sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
- Confirmer le jugement du 23 août 2021 en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [R] et Mme [H] la somme de 480 euros au titre du remplacement des spots ;
- Réformer le jugement du 23 août 2021 pour le surplus ;
- Condamner in solidum M. [R] et Mme [H] à lui payer une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;
- Condamner les mêmes aux dépens de la procédure de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Me Christian Forquin, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la SCI Les portes des Alpes fait valoir notamment que :
le manque d'étanchéité des fondations et l'absence de drain périphérique sont des désordres purement esthétiques particulièrement modérés qui ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination ou qui porteraient atteinte à la solidité de l'ouvrage ;
elle a uniquement vendu le bien et n'est jamais intervenue sur le chantier, l'intégralité des travaux ayant été confiés à la société Floriot Habitat Construction en qualité de contractant général, de sorte qu'aucun manquement contractuel ne peut lui être imputé;
c'est la société Floriot Habitat Construction qui était chargée de la maîtrise d'oeuvre d'exécution ;
les désordres constatés ne sont nullement liés aux travaux de VRD réalisés par la société [B] Frères, représentée par la même personne que la SCI ;
elle ne dispose d'aucune compétence technique particulière en matière de construction et n'a jamais été alertée sur les défauts d'exécution des travaux ;
la garantie de parfait achèvement n'est pas due par le vendeur ;
elle n'a jamais pris l'engagement de réaliser un drainage, puisque M. [F] n'étant pas son mandataire, et que seule la société Floriot Habitat Groupe était tenue contractuellement de réaliser une telle prestation ;
sur la garantie biennale de bon fonctionnement afférente aux spots électriques, elle n'entend plus contester la décision rendue sur ce point.
Aux termes de ses dernières écritures du 6 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [R] et Mme [H] demandent quant à eux à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que les spots défectueux relèvent de la garantie biennale ;
- confirmer le jugement selon lequel la SCI Les portes des Alpes est responsable sur le fondement de l'article 1646-1 du code civil ;
- à défaut, condamner la SCI Les portes des Alpes au titre de sa responsabilité contractuelle pour faute ;
- en toute hypothèse condamner la SCI Les portes des Alpes au paiement de la somme de 480 euros TTC au titre des spots défectueux, outre intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- réformer le jugement en ce qu'il a considéré que les désordres dus à l'absence de drainage et d'étanchéité ne relèvent pas de la garantie décennale ;
- réformer le jugement en ce qu'il a écarté à ce titre la responsabilité de la SCI Les portes des Alpes au titre de l'article 1646-1 du code civil ;
- en cas de rejet de la garantie décennale, confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité contractuelle pour faute de la SCI Les portes des Alpes ;
- confirmer en toute hypothèse la condamnation de la SCI Les portes des Alpes au paiement de la somme de 12 500 euros outre indexation sur l'indice BT01 en vigueur au jour du règlement, et outre intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- réformer le jugement en ce qu'il a jugé que l'insuffisance de ventilation du vide-sanitaire ne relève pas de la garantie biennale ;
- réformer le jugement en ce qu'il a écarté la responsabilité de la SCI Les portes des Alpes au titre de l'article 1646-1 du code civil ;
- en cas de rejet de la garantie décennale, confirmer le jugement qui a retenu la responsabilité contractuelle de la SCI Les portes des Alpes ;
- en toute hypothèse, confirmer la condamnation de la SCI Les portes des Alpes au paiement de la somme de 2 800 euros outre indexation sur l'indice BT01 en vigueur au jour du règlement, et outre intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- confirmer la condamnation de la SCI Les portes des Alpes au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour le référé et la 1ère instance ainsi qu'aux entiers dépens ;
- y ajoutant, condamner la SCI Les portes des Alpes au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ainsi qu'aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Dormeval.
Au soutien de leurs prétentions, M. [R] et Mme [H] font valoir notamment que :
les désordres d'humidité affectant le bâti sont consécutifs aux infiltrations d'eau au niveau des fondations de la villa et donc au manque d'étanchéité de celles-ci, l'absence de drainage et d'étanchéité étant de nature compromettre la solidité de l'ouvrage puisque les fondations sont attaquées par l'eau, de sorte qu'il existe un désordre décennal futur et certain ;
aucune réserve n'était mentionnée au procès-verbal de réception et l'absence de drainage et d'étanchéité ne pouvait être visible à la réception ;
en tant que professionnel de la construction, la SCI Les portes des Alpes a engagé sa responsabilité contractuelle en leur vendant un bien dépourvu de drainage et d'étanchéité, alors qu'elle avait connaissance de l'étude de sols impliquant des précautions particulières en raison de la nature du terrain ;
elle a commis une faute dans le suivi des travaux ;
elle n'a par ailleurs donné aucune suite aux réclamations qu'ils ont formulées et n'a pas mobilisé la garantie de parfait achèvement qui était due par la société Floriot Habitat Groupe ;
elle n'a pas respecté l'engagement pris par son mandataire, M. [F], de réaliser un drainage ;
concernant la ventilation du vide-sanitaire, ce désordre imputable à la société Floriot Habitat Groupe était invisible à la réception pour un néophyte et les désordres dus à cette insuffisante ventilation relèvent de la garantie biennale de bon fonctionnement;
si ce fondement n'était pas retenu, ils sont fondés à rechercher la resposabilité contractuelle de leur vendeur, auquel il appartenait de livrer un immeuble exempt de vices et d'agir dès le signalement des désordres pour y remédier et notamment mobiliser la garantie de parfait achèvement de l'entreprise générale.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 20 novembre 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 11 juin 2024.
Motifs de la décision
Il convient d'observer, à titre liminaire, qu'en cause d'appel, la SCI Les portes des Alpes ne conteste plus que le dysfonctionnement des spots lumineux relève bien de la garantie biennale et admet être ainsi redevable à ce titre de la somme de 480 euros TTC. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.
Il sera rappelé, ensuite, que la responsabilité du vendeur d'immeuble à construire, telle qu'elle est prévue à l'article 1646-1 du code civil, est exclusive de la garantie de droit commun de la vente, de sorte qu'en particulier, la garantie des vices cachés de la chose vendue est inapplicable dans une telle hypothèse (voir notamment Cour de cassation, Civ 3ème, 6 octobre 2010, n°09-66.521).
I - Sur les désordres d'humidité affectant le bâti
L'expert judiciaire a notamment constaté, aux termes de son rapport du 21 janvier 2020,les désordres suivants :
- en faces Sud, Est et Nord, des traces de remontées d'humidité apparaissent sur les murs extérieurs, jusqu'à 20 cms de hauteur à partir du sol;
- des dégradations de l'enduit en pied de face Nord visibles ;
- aucune précaution n'a été prise au niveau des enduits pour éviter des remontées par capillarité.
Selon M. [I], ces désordres sont consécutifs à un manque d'étanchéité des fondations et de réalisation d'un drain périphérique, qui représentent selon lui un manquement important:
- aux régles de l'art, qui supposent que toute partie enterrée dans une zone humide soit étanchée;
- aux DTU 20. 1 et 20.3, qui n'ont pas été pris en compte;
- aux préconisations de l'étude géotechnique réalisée au stade de l'avant-projet, qui insistait pour que des précautions particulières soient prises, dès lors que le terrain était situé 'dans une zone d'aléa fort concernant les débordements torrentiels', ce qui supposait de proscrire toute infiltration d'eau au niveau des fondations et des dallages.
Ces constatations expertales sont admises par les parties au litige, de même que les travaux de reprise préconisés par l'expert, consistant à décaisser le pourtour de la construction jusqu'en bas des fondations, réaliser un drain conforme aux besoins et étancher l'ensemble des parties enterrées, ces travaux étant évalués à la somme de 12 500 euros TTC.
La SCI La porte des Alpes conteste par contre être tenue de prendre en charge, en sa qualité de vendeur, le coût de ces travaux, que ce soit sur le fondement de la garantie décennale, ou sur celui de sa responsabilité contractuelle.
- Sur la garantie decennale
M. [R] et Mme [H] font reposer à titre principal leur demande indemnitaire de ce chef sur les dispositions de l'article 1792 du code civil, aux termes duquel 'tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination'.
Le régime de garantie institué par ce texte, qui crée une présomption de responsabilité d'ordre public et ne requiert que la preuve du lien d'imputabilité entre les travaux et le dommage, se trouve notamment subordonné à la démonstration de ce que des désordres, apparus dans un délai de dix ans suivant la réception, n'étaient pas apparents pour le maître d'ouvrage lors de celle-ci, et compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination.
Il est constant en l'espèce que, comme l'a constaté l'expert, les désordres d'humidité affectant la villa ne présentaient pas un caractère apparent à la réception.
Force est de constater, par contre, que dans leurs conclusions d'appel, les intimés ne développent aucune argumentation qui serait susceptible de remettre en cause la motivation du premier juge qui, se basant sur les constatations expertales, a estimé que les désordres susvisés ne pouvaient présenter un caractère décennal.
Le rapport d'expertise a noté que 'l'absence d'étanchéité des fondations et de réalisation d'un drain périphérique représentent un manquement important pouvant dans le temps rendre l'ouvrage impropre à sa destination et compromettre la solidité de l'ouvrage', précisant qu'avec le temps, 'les parties non étanchées vont se dégrader et l'humidité pourra, par migration, pénétrer les murs périphériques'.
L'expert a cependant précisé, les 3 et 4 octobre 2019, en réponse à des questions posées par le conseil de la SCI Les portes des Alpes, que les désordres visibles aujourd'hui sur les murs périphériques ne présentent pas un caractère décennal du fait qu'ils ne mettent pas en péril la demeure, mais que dans le temps, les problèmes vont se déveloper et de fait, risquent de mettre en péril le bâti et de le rendre impropre à destination, sans être en mesure d'affirmer qu'un tel risque surviendrait de manière certaine dans le délai d'épreuve décennal.
Or, il est de jurisprudence constante que le dommage futur, même certain, doit présenter un caractère décennal dans les dix ans de la réception pour que la responsabilité d'un constructeur soit engagée sur le fondement de l'article 1792 du code civil (voir notamment Cour de cassation, Civ 3ème, 16 juin 2009, n°08-14.046, et 28 février 2018, n°17-12.460).
Comme l'a relevé le premier juge, en l'espèce, l'expert a noté que l'évolution était peu prévisible et qu'il n'était même pas certain, du reste, que les désordres rendent dans le futur l'ouvrage impropre à sa destination ou compromettent sa solidité.
La cour ne peut que confirmer cette analyse, étant observé que, d'une part, les photographies qui sont versées aux débats par les intimés ne mettent en exergue que des remontées d'humidité limitées, d'une hauteur de 20 cms au maximum et des dégradations d'enduit mineures et peu visibles, et qu'en cause d'appel, M. [R] et Mme [H] ne font état d'aucune dégradation du bâti qui serait intervenue depuis le dépôt du rapport d'expertise et qui serait susceptible de démontrer le caractère décennal des désordres.
Ils ne sauraient en conséquence être suivis dans leur argumentation fondée sur les dispositions de l'article 1792 du code civil.
- Sur la responsabilité contractuelle
Il se déduit de ce qui précède que les désordres litigieux relèvent des 'dommages intermédiaires', portant atteinte à l'ouvrage sans remplir les critères légaux de la garantie décennale, de sorte que la responsabilité contractuelle du vendeur en l'état futur d'achèvement ne peut être engagée que lorsqu'une faute peut lui être imputée, étant observé que, selon une jurisprudence constante, le simple manquement du vendeur à son obligation de livrer aux acquéreurs un immeuble exempt de vices ne peut suffire à caractériser une telle faute (Cour de cassation, Civ 3ème, 4 juin 2009, n°08-13.239).
En l'espèce, M. [R] et Mme [H] reprochent en premier lieu à leur vendeur, qu'ils décrivent comme étant un professionnel de la construction, de leur avoir vendu un bien dépourvu de drainage et d'étanchéité, alors qu'il avait connaissance de l'étude de sols impliquant des précautions particulières en raison de la nature du terrain, et d'avoir commis une faute dans le suivi des travaux.
Il convient d'observer cependant que les intimés n'apportent aucun élément susceptible de démontrer que la SCI Les portes des Alpes serait un professionnel de la construction, et qu'elle disposerait de connaissances techniques particulières qui auraient dû la conduire à faire preuve de vigilance lors de la réalisation des travaux d'étanchéité. En effet, la simple circonstance que son représentant légal, M. [O] [B], soit également le gérant de la société [B] Frères, ne peut suffire à rapporter une telle preuve, dès lors que cette société a été uniquement chargée des travaux de VRD, et non de la construction de la maison en elle-même, et que les désordres constatés par l'expert, affectant l'étanchéité du bien, sont totalement étrangers aux prestations qu'elle a réalisées. A cet égard, M. [R] et Mme [H] ne font état d'aucun élément susceptible de caractériser l'existence d'un quelconque lien entre les travaux réalisés par cette entreprise et les désordres.
Par ailleurs, comme le fait observer l'appelante, rien ne permet de démontrer que la société [B] Frères, qui n'était en charge que de la réalisation des voiries et du raccordement aux réseaux du lotissement, aurait eu connaissance des manquements aux règles de l'art, aux DTU et aux préconisations de l'étude de sol, qui sont seuls imputables, selon l'expert, à l'entreprise générale, la société Floriot Habitat Construction, chargée de l'ensemble de la construction de la maison, et donc de la réalisation de son étanchéité.
C'est du reste pour ce motif que M. [I] a écarté la responsabilité de cette entreprise et que les requérants se sont désistés des prétentions qu'ils avaient formulées dans un premier temps à son encontre.
D'une manière plus générale, la simple qualité de dirigeant d'une société de travaux ne peut suffire à attester d'une quelconque expertise technique en matière de construction.
Il convient d'observer, surtout, qu'en sa qualité de simple vendeur du bien, la SCI Les portes des Alpes ne s'est nullement engagée contractuellement à l'égard de ses acquéreurs à veiller à la bonne exécution des travaux, alors qu'il se déduit des constatations expertales ainsi que du marché de travaux conclu avec la société Floriot Habitat Groupe que c'est cette dernière qui était chargée de la maîtrise d'oeuvre d'exécution. Rien ne permet de démontrer en outre que l'appelante aurait été présente sur le chantier et aurait été tenue d'assurer une quelconque surveillance des travaux, même en admettant qu'elle ait disposé des connaissances techniques lui permettant d'assurer une telle mission. Etant observé que l'expert judiciaire n'a retenu aucune faute de la SCI de ce chef.
M. [R] et Mme [H] reprochent en second lieu à leur vendeur de n'avoir apporté aucune réponse à leurs réclamations, suite à la livraison, de n'avoir pas mis en oeuvre la garantie de parfait achèvement et de n'avoir pas tenu son engagement, formulé par son mandataire, M. [F], le 13 juin 2018, de réaliser un drainage.
Dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement, la garantie anale de parfait achèvement prévue à l'article 1792-6 du code civil n'est pas due par le vendeur, mais par les seuls constructeurs ayant réalisé une opération matérielle sur l'ouvrage (Cour de cassation, Civ 3ème, 30 mars 1994, n°92-17.225). Cette garantie due par le constructeur au maître de l'ouvrage est cependant transmise à l'acquéreur, comme l'ensemble des autres garanties légales, accessoirement à la chose vendue. De sorte que l'acquéreur dispose contre les locateurs d'ouvrage d'une action de nature contractuelle à compter de la livraison (Cour de cassation, Civ 3ème, 9 février 2010, n°08-18.970). Et la clause stipulée au contrat de vente, dont se prévalent les requérants, rappelant que pendant le délai d'un an à compter de réception, les entreprises doivent au seul vendeur la garantie de parfait achèvement, ne saurait remettre en cause cet effet translatif de la garantie à l'acquéreur lors de la livraison du bien.
Il appartenait ainsi à M. [R] et Mme [H] d'actionner la garantie de parfait achèvement de la société Floriot Habitat Groupe, et leur vendeur n'était tenu quant à lui, après la livraison, d'aucune obligation à ce titre, de sorte qu'aucun manquement ne peut être imputé à la SCI de ce chef.
Quant à l'engagement de réaliser le drainage, aucun des éléments du litige qui est soumis à la présente juridiction ne permet de démontrer qu'il aurait été pris par la SCI Les portes des Alpes, qui n'était tenue d'aucune obligation à ce titre. Cet engagement figure uniquement dans un courriel établi par M. [Y] [F] le 13 juin 2018, sans qu'il ne soit établi que ce dernier ait agi en qualité de mandataire de l'appelante, ni qu'il ait agi pour le compte de cette dernière.
Au contraire, M. [F] explique, dans une attestation qui est versée aux débats par la SCI, qu'il n'est intervenu qu'en qualité d'assistant technique du maître d'ouvrage, ainsi que pour défendre les intérêts des acquéreurs jusqu'à la livraison, mais qu'il ne disposait d'aucun mandat de représentation du vendeur, et qu'il n'a pris aucun engagement pour son compte. Il précise que l'engagement de réaliser le drainage avait été contracté par la société Floriot Habitat Groupe, auprès de laquelle il répercutait les demandes des acquéreurs. La cour relève en outre qu'il est logique qu'un tel engagement ait été pris par le contractant général, puisqu'il devait sa garantie de parfait achèvement, et non par le vendeur.
Enfin, les photographies et attestations qui sont produites par les intimés ne permettent nullement de démontrer que les travaux de drainage effectués dans d'autres maisons du lotissement auraient été réalisés, comme ils le prétendent, par la SCI Les portes des Alpes ou par M. [B], et non par la société Floriot Habitat Groupe, conformément aux engagements qui semblent avoir été pris par cette dernière, et qui s'expliquent par la garantie à laquelle elle était tenue.
Il ne peut qu'être déduit de ces constatations que M. [R] et Mme [H] échouent à rapporter la preuve d'un quelconque manquement de leur vendeur à ses obligations contractuelles. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la SCI Les portes des Alpes à leur payer la somme de 12 500 euros au titre des travaux de reprise des désordres d'humidité affectant la construction.
- Sur le défaut de ventilation du vide-sanitaire
L'expert a relevé que le vide-sanitaire était dépourvu de ventilation et que les deux ventilations qui ont été créées postérieurement à la livraison étaient insuffisantes. Il est constant que ce désordre ne présente pas un caractère décennal et qu'il n'était pas visible à la réception pour un néophyte, comme l'a constaté l'expert.
M. [R] et Mme [H] estiment que la responsabilité de la SCI Les portes des Alpes serait engagée de ce chef au titre de la garantie biennale de bon fonctionnement de l'article 1792-3 du code civil. Force est cependant de constater qu'une telle garantie ne peut trouver application en l'espèce, dès lors que le vide-sanitaire d'une maison d'habitation ne constitue nullement un élément d'équipement non dissociable destiné à fonctionner.
Les intimés entendent ensuite, à titre subsidiaire, rechercher au titre de ce désordre la responsabilité contractuelle de leur vendeur, en faisant grief à la SCI Les portes des Alpes de n'avoir pas livré un immeuble exempt de vices et de n'avoir agi à l'encontre du contractant général sur le fondement de la garantie de parfait achèvement après avoir été destinataire de leurs réclamations.
Cependant, comme il a été précédemment exposé, le simple défaut de livraison d'un immeuble exempt de vices ne peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité contractuelle du vendeur en l'état futur d'achèvement. Il n'est fait état en outre d'aucun élément qui serait susceptible de démontrer que la SCI aurait été contractuellement tenue d'assurer un quelconque suivi des travaux en sa qualité de vendeur, ni de ce qu'elle aurait été informée du désordre en cours d'exécution de ces derniers
Aucune responsabilité contractuelle du vendeur ne se trouve donc caractérisée.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions afférentes aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile, contenues dans le jugement de première instance, seront confirmées, dès lors que la SCI les portes des Alpes a partiellement admis sa responsabilité en cause d'appel.
En tant que parties perdantes, M. [R] et Mme [H] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.
Il ne sera pas fait application, enfin, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- condamné la SCI Les portes des Alpes à payer à M. [R] et Mme [H] :
- la somme de 12 500 euros TTC au titre des travaux de reprise des problèmes humidité;
- la somme de 2 800 euros TTC au titre de la ventilation du vide-sanitaire;
- dit que les deux sommes relatives aux travaux seront réévaluées à la date du paiement effectif en fonction de la variation de l'index BT01, l'index de base étant le dernier publié à la date du rapport de l'expert judiciaire;
Et statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déboute M. [X] [R] et Mme [S] [H] de leurs demandes indemnitaires au titre des travaux de reprise des problèmes humidité et de la ventilation du vide-sanitaire,
Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions,
Condamne in solidum M. [X] [R] et Mme [S] [H] aux dépens d'appel,
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.