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Décisions

CA Angers, ch. a - com., 29 octobre 2024, n° 19/01301

ANGERS

Arrêt

Autre

CA Angers n° 19/01301

29 octobre 2024

COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - COMMERCIALE

JC/LL

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 19/01301 - N° Portalis DBVP-V-B7D-EQ2Z

jugement du 24 Mai 2019

Tribunal de Commerce du MANS

n° d'inscription au RG de première instance 2019 02885

ARRET DU 29 OCTOBRE 2024

APPELANTE :

S.A. CUPPENS

représentée par son Président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean philippe MESCHIN de la SELAFA CHAINTRIER AVOCATS, avocat au barreau de SAUMUR substitué par Me Laurent BEZIE

INTIMEE :

SELARL [T] [K]

prise en la personne de Maître [T] [K], mandataire judiciaire de la SARL ISOGLASS

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Marie-Caroline MARTINEAU de la SELARL SELARL MARIE-CAROLINE MARTINEAU & MAGALIE MINAUD, avocat au barreau du MANS - N° du dossier 2018119

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 24 Juin 2024 à 14'H'00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. CHAPPERT, conseiller qui a été préalablement entendu en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme CORBEL, présidente de chambre

M. CHAPPERT, conseiller

Mme GANDAIS, conseillère

Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 29 octobre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 30 janvier 2018, la SA Cuppens a passé commande auprès de la SARL Isoglass pour la fabrication et la livraison de 156 châssis dormants, pour un montant de 41 932,80 euros TTC.

La livaison a été effectuée le 27 février 2018 et a donné lieu à l'émission d'une facture n°180222 de 41 932,80 euros.

Le 31 janvier 2018, la SA Cuppens a passé commandé auprès de la SARL Isoglass pour la fourniture de trois châssis fixes, pour un montant de 1 664,40 euros TTC.

La livraison a été effectuée le 21 février 2018 et a donné lieu à l'émission d'une facture n° 180219 du 22 février 2018 d'un montant de 1 664,40 euros.

Par un jugement du 13 mars 2018, le tribunal de commerce du Mans a ouvert une procédure de liquidation judiciaire au profit de la SARL Isoglass et a désigné la SELARL [T] [K], prise en la personne de M. [T] [K], en qualité de liquidateur judiciaire.

Dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire, la SELARL [T] [K], ès qualités, a constaté que la SARL Isoglass restait créancière de la SA Cuppens pour une somme de 43 597, 20 euros TTC correspondant aux deux factures n°180219 du 22 février 2018 (1 664,40 euros) et n°180222 du 27 février 2018 (41 932,80 euros). Elle en a donc réclamé le paiement à la SA Cuppens par une lettre du 26 mars 2018.

Par une lettre en réponse du 5 avril 2018, la SA Cuppens s'est engagée à régler la facture n°180219 en totalité dans les meilleurs délais mais, s'agissant de la seconde facture n°180222, elle a proposé de ne régler qu'une somme de 39 340,80 euros TTC en expliquant que les châssis reçus n'avaient pas toutes les qualités requises pour une pose correcte en raison d'un défaut d'équerrage.

Le 9 avril 2018, la SELARL [T] [K], ès qualités, a répondu que les problèmes rencontrés par la SA Cuppens étaient liés à la pose et non pas à la qualité du bois.

Le 9 mai 2018, la SELARL [T] [K], ès qualités, a relancé la SA'Cuppens pour le paiement des deux factures puis, par une lettre du 11 juin 2018, elle l'a mise en demeure de payer sous quinze jours.

Cette démarche étant demeurée vaine, la SELARL [T] [K], ès qualités, a fait assigner la SA Cuppens en paiement devant le tribunal de commerce du Mans par un acte d'huissier du 28 février 2019.

Par un jugement du 24 mai 2019, réputé contradictoire, le tribunal de commerce du Mans a :

- condamné la SA Cuppens à régler à M. [K], ès qualités, la somme de 43 597,20 euros qu'elle reste devoir en principal, outre les intérêts échus et à échoir à compter de la mise en demeure du 11 juin 2018,

- condamné la SA Cuppens à verser une somme de 2 000 euros à la SELARL'[T] [K], ès qualités, au titre de l'article 700 code de procédure civile, ainsi que les dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont relevé que la SA Cuppens n'avait pas émis de réserve lors de la réception des marchandises commandées, qu'elle n'avait pas non plus contesté les factures lorsqu'elle les a reçues ni n'avait répondu à la lettre du liquidateur du 9 avril 2018.

Par une déclaration du 26 septembre 2019, la SA Cuppens a interjeté appel de ce jugement, en l'attaquant en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions et en ce qu'il a ordonné l'exécution provisoire, intimant la SELARL [T] [K], ès qualités.

La SA Cuppens et la SELARL [T] [K], ès qualités, ont conclu.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 juin 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe par la voie électronique le 24 septembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SA'Cuppens demande à la cour :

- de reformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- de fixer au passif de la SARL Isoglass sa créance pour une somme de 2 592 euros au titre des désordres affectant les menuiseries livrées,

- d'ordonner la compensation entre les différentes créances,

- de fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la SARL Isoglass pour une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de dire que les dépens seront mis à la charge de la procédure de liquidation judiciaire de la SARL Isoglass,

Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe par la voie électronique le 17 décembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SELARL'[T] [K], ès qualités, demande à la Cour :

- de débouter la SA Cuppens de l'ensemble de ses demandes,

- de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

- de condamner la SA Cuppens à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- sur la demande de condamnation au paiement formée par la SELARL [T] [K], ès qualités :

La SA Cuppens s'oppose, en partie, à la demande de condamnation en reprochant à la SARL Isoglass d'avoir manqué à son obligation de délivrance en lui livrant des fenêtres affectées d'un défaut d'équerrage. Elle revendique donc une créance de 2 592 euros, qu'elle estime avoir régulièrement déclaré entre les mains du liquidateur judiciaire par sa lettre du 5 avril 2018 et dont elle demande sa fixation au passif et sa compensation avec la somme de 43 597,20 euros qui lui est réclamée au titre des deux factures.

De son côté, la SELARL [T] [K], ès qualités, remarque que, d'une part, la SA Cuppens s'est reconnue débitrice dans sa lettre du 5 avril 2018 de la somme de 1 664,40 euros TTC au titre de la facture n°180219 ainsi que d'une somme d'au moins 39 340,80 euros TTC au titre de la facture n°180222 et, d'autre part, qu'elle n'a pas exécuté la condamnation de première instance malgré l'exécution provisoire et l'absence de conséquences manifestement excessives au regard de son chiffre d'affaires de 11 135 300 euros. Elle oppose par ailleurs que la SA Cuppens n'a pas déclaré la créance qu'elle allègue, que celle-ci ne figure pas sur l'état des créances publié au Bulletin des annonces civiles et commerciales mais que, pour autant, la SA Cuppens n'a pas formé de réclamation contre l'état des créances dans le délai d'un mois ni n'a saisi le juge-commissaire d'une requête en relevé de forclusion dans le délai de six mois ayant suivi la publication du jugement d'ouverture au Bulletin des annonces civiles et commerciales en application de l'article L. 622-26 du code de commerce. La SELARL [T] [K], ès qualités, en conclut que la créance alléguée est inopposable à la procédure collective et que toute compensation avec les sommes réclamées est impossible.

Sur ce,

La SA Cuppens ne conteste pas devoir les sommes réclamées au titre de la facture n°180219, qu'elle s'était d'ailleurs engagée à régler en intégralité et dans les meilleurs délais aux termes de sa lettre du 5 avril 2018.

S'agissant de la facture n°180222, la SA Cuppens entend faire valoir une créance indemnitaire, dont elle demande la fixation au passif de la SARL Isoglass et sa compensation avec le montant de la facture litigieuse. Le liquidateur judiciaire ne propose aucune réponse au manquement allégué à l'obligation de délivrance et se contente d'opposer l'inopposabilité à la procédure collective de la créance revendiquée par la SA Cuppens. Aucune conséquence ne peut en revanche être tirée par la cour d'appel de l'absence d'exécution par l'appelante des condamnations prononcées en première instance en dépit de l'exécution provisoire, les arguments mis en avant par le liquidateur judiciaire relevant tout au mieux du contentieux de la radiation pour défaut d'exécution de l'article 524 du code de procédure civile.

Il n'appartient pas à la cour, saisie par le liquidateur judiciaire d'une demande de condamnation au paiement, de fixer au passif la créance alléguée par la SA Cuppens mais, tout au mieux, de reconnaître le principe de la compensation en raison de la vraisemblance de la créance connexe puis d'ordonner la compensation à concurrence de la créance à fixer par le juge-commissaire.

Par dérogation au principe de l'interdiction du paiement des créances antérieures ou postérieures non éligibles au traitement préférentiel, l'article L. 622-7I du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par le renvoi effectué par l'article L. 641-3 du même code, autorise la compensation des créances connexes. Mais encore faut-il que le créancier ait déclaré la créance dont il entend obtenir sa compensation avec celle du débiteur à son égard. La nécessité d'une telle déclaration n'est pas discutée par la SA Cuppens, qui affirme toutefois qu'elle y a régulièrement procédé par sa lettre du 5 avril 2018 envoyée au liquidateur judiciaire.

Dans cette lettre, la SA Cuppens écrit que, s'agissant de la facture n°180222':

'(...) nous avons reçu les châssis qui pour certains d'entre eux n'avaient pas toutes les qualités requises pour une pause correcte due à un défaut d'équerrage (voir photo jointe). (...) Ce défaut a entraîné une modification des châssis en désordre rectifié par nos soins dans nos ateliers (transports, modifications, perturbations de nos plannings de fabrication et de pose...). Compte tenu de ces problèmes, la totalité du montant de la facture ne pourra être honorée, nous vous proposons donc de régler la somme de 39 340,80 euros TTC'

Il est exact que les articles L. 622-25 et R. 622-23 du code de commerce ne soumettent la déclaration de créance à aucun formalisme particulier, autre qu'un écrit. Il est dès lors suffisant que cet écrit contienne une demande explicite et non équivoque de prise en compte des droits du créancier, qu'il identifie ce créancier et qu'il chiffre le montant de la créance. Or, tel est bien le cas de la lettre précitée puisqu'elle laisse clairement apparaître une demande indemnitaire formulée par la SAS Cuppens, dont une simple opération de soustraction permet de déterminer son montant et correspondant aux dommages découlant d'une inexécution alléguée par la débitrice à ses obligations contractuelles.

Il n'est pas contesté que la lettre du 5 avril 2018 a bien été envoyée au mandataire judiciaire et qu'elle l'a été dans le délai utile, l'intimée produisant d'ailleurs son propre exemplaire de la lettre avec un tampon 'reçu le 9 avril 2018", soit en tout état de cause moins de deux mois après la date même du jugement d'ouverture (dont la date de publication n'est précisée).

De ce fait, la SELARL [T] [K], ès qualités, ne peut pas utilement opposer que la créance de la SA Cuppens ne figure pas sur l'état des créances, duquel il s'avère qu'elle a été omise à s'en tenir au document produit (pièce n° 27) qui n'est toutefois que la liste des créances dressée par le liquidateur judiciaire avec ses propositions d'admission ou de rejet, non signée par le juge commissaire. Il ne peut pas plus utilement reprocher à la SA Cuppens de ne pas avoir saisi le juge-commissaire d'une demande de relevé de forclusion dans les six mois de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin des annonces civiles et commerciales ou d'une réclamation à l'encontre de l'état des créances, puisque ces procédures ne sont ouvertes qu'aux créanciers non déclarants alors que tel n'est pas le cas de la SA Cuppens.

Néanmoins, la cour ne peut ordonner le principe de la compensation qu'autant que la créance déclarée par la SA Cuppens, dont le caractère connexe avec la créance correspondant au paiement de la facture n'est pas discuté, apparaît vraisemblable, ce qu'il revient à l'appelante de démontrer. Or, la SA Cuppens ne propose pas de critiquer les motifs des premiers juges, qui ont retenu qu'elle n'avait émis aucune réserve à la réception des marchandises ni n'avait contesté les factures qui lui ont été envoyées mais avait attendu la relance du liquidateur judiciaire pour faire valoir une créance au titre de la non-conformité de certaines des fenêtres livrées. Et de fait, l'appelante ne propose de rapporter la preuve des défauts d'équerrage qu'elle allègue qu'au moyen d'une photographie d'une fenêtre contre laquelle a été placée une équerre métallique pour montrer l'existence d'un écart mais prise dans des circonstances non vérifiables et qui ne permet aucunement de se convaincre ni de la cause de l'écart apparent, qu'il s'agisse d'un défaut d'équerrage à la fabrication comme elle l'avance ou d'un problème de pose comme l'a fait valoir la SARL Isoglass, ni du nombre des fenêtres prétendument non conformes.

Dans ces circonstances, la preuve de la réalité d'une non-conformité n'étant pas suffisamment rapportée par la SA Cuppens, il n'y a pas lieu pour la cour de retenir le principe même d'une compensation. La SA Cuppens sera déboutée de sa demande à ce titre et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée au paiement de l'intégralité du montant de la facture n°180222, outre la facture n°180219.

- sur les demandes accessoires :

Le jugement est également confirmé dans ces dispositions ayant statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.

La SA Cuppens, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement à la SELARL [T] [K], ès qualités, d'une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, elle-même étant déboutée de sa demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

Déboute la SA Cuppens de ses demandes de fixation du montant d'une créance au passif de la SARL Isoglass et de compensation ;

Condamne la SA Cuppens à verser à la SELARL [T] [K], ès qualités, une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;

Condamne la SA Cuppens aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

S. TAILLEBOIS C. CORBEL