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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 29 octobre 2024, n° 24/00465

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/00465

29 octobre 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16

ARRET DU 29 OCTOBRE 2024

sur déféré

(n° 88 /2024 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00465 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJWXM

Décision déférée à la Cour : ordonnance sur incident rendue le 27 juin 2024 par le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris (chambre 5-16) sous le numéro de RG 23/12936

Demanderesse au déféré :

Société SPARTOO

société anonyme,

immatriculée au RCS de GRENOBLE sous le n° 489 895 821,

ayant son siège social : [Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Ayant pour avocat plaidant : Me Violaine AYROLE, de la SELARL CABINET RENAUDIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0003

Défenderesse au déféré :

Société NIKE RETAIL BV

société à responsabilité de droit néerlandais,

enregistrée à la chambre de commerce néerlandaise sous le n° 32060874,

ayant son siège social : [Adresse 2] (PAYS-BAS)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant : Me Eve DUMINY de la SAS BREDIN PRAT, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Septembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par M. Daniel BARLOW dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

* I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel d'un jugement rendu le 2 février 2023 par le tribunal de commerce de Lyon dans un litige opposant la société de droit français Spartoo à la société de droit néerlandais Nike Retail BV, venant aux droits des sociétés Nike European Operations Netherlands et Nike France SAS (ci-après : « Nike »).

2. Le différend à l'origine de cette décision porte sur la rupture de la relation commerciale établie entre Nike et Spartoo pour la distribution par Spartoo de produits Nike et sur l'existence d'une entente anticoncurrentielle mise en 'uvre par Nike au détriment de Spartoo.

3. Par le jugement querellé, le tribunal de commerce de Lyon a statué en ces termes :

« JUGE que la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 13.2 des Conditions Générales de Vente 2015 est inopposable à la société Spartoo.

JUGE que le règlement de l'Union Européenne n°1215/2012 du 12 décembre 2012 donne compétence aux juridictions françaises pour connaître du présent litige.

JUGE que les dispositions du Code de commerce attribuent une compétence exclusive au Tribunal de commerce de Lyon, en sa qualité de tribunal de commerce spécialisé, pour connaître du présent litige relatif à la rupture de la relation commerciale établie.

DIT que les articles L.442-1, II, L.420-1 et L.441-9, I du Code de commerce s'appliquent au présent litige.

DÉBOUTE la société SPARTOO de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture brutale partielle comme de la rupture brutale totale de la relation commerciale établie.

CONDAMNE la société NIKE RETAIL BV, venant aux droits et obligations des sociétés NIKE EUROPEAN OPERATIONS NETHERLANDS (NEON) et NIKE France, à verser la somme de 100.000 € à la société SPARTOO en réparation du préjudice lié à l'atteinte à son image et à sa réputation.

JUGE que la société NEON a mis en 'uvre une entente anticoncurrentielle au détriment de la société SPARTOO et la condamne à verser à ce titre à la société SPARTOO la somme de 2.388.045 €.

JUGE que la pratique de la facturation de la société NEON ne contrevient pas aux exigences du droit français en la matière et DÉBOUTE la société SPARTOO de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

CONDAMNE la société la société NIKE RETAIL BV, venant aux droits et obligations des sociétés NEON et NIKE France, à ses frais exclusifs à publier un communiqué faisant état du jugement dans 5 publications et 5 sites internet spécialisés au choix de la société SPARTOO.

CONDAMNE la société la société NIKE RETAIL BV, venant aux droits et obligations des sociétés NEON et NIKE France, à payer à la société SPARTOO la somme de 25.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNE la société la société NIKE RETAIL BV, venant aux droits et obligations des sociétés NEON et NIKE France, à la prise en charge des dépens de l'instance et de ses suites au titre des articles 695 et 696 du Code de procédure civile.

MAINTIENT l'exécution provisoire de la présente décision. »

4. Le 28 février 2023, ce même tribunal a rendu un jugement rectificatif réparant l'erreur commise dans la dénomination d'un avocat.

5. Les jugements ont été notifiés à l'avocat de Nike le 6 mars 2023 par le conseil de la société Spartoo, dans des conditions faisant débat entre les parties. Spartoo a par ailleurs fait procéder à la signification de ces décisions, une première fois par envoi direct au destinataire de l'acte, via Fedex, réceptionné le 16 mars 2023, une deuxième fois par un huissier de justice néerlandais, le 25 avril 2023.

6. Nike a interjeté appel du jugement du 2 février 2023 rectifié, par déclaration du 19 juillet 2023.

7. Saisi par Spartoo de conclusions d'incident visant à voir déclarer cet appel irrecevable comme tardif, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 27 juin 2024 :

1) Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'appel ;

2) Déclaré l'appel formé par Nike Retail Bv recevable ;

3) Dit que les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile suivront le sort de ceux de l'instance d'appel.

8. Spartoo a déféré cette ordonnance à la cour par requête du 11 juillet 2024.

9. L'affaire a été appelée à l'audience du 24 septembre 2024 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus.

II/ CONCLUSIONS DES PARTIES

10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 septembre 2024, Spartoo demande à la cour, au visa de l'article 18 du Règlement (UE) 2020/1784, de la jurisprudence de la Cour de justice et notamment des arrêts du 9 février 2006 (Plumex) et du 2 mars 2017 ([D] [C]), de la jurisprudence rendue par les juridictions françaises, et des articles 12, 125, 528, 538, 643, 690 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- Infirmer l'ordonnance rendue par le Conseiller de la mise en état le 27 juin 2024 en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'appel et déclaré l'appel formé par Nike Retail BV recevable,

Statuant à nouveau,

- Juger que la société Spartoo a valablement signifié, le 16 mars 2023, à la société Nike Retail BV venant aux droits de la société Nike European Operations Netherlands BV et de la société Nike France SAS, le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 1er février 2023 rectifié par jugement du 28 février 2023,

- Juger l'extrême tardiveté de l'appel interjeté le 19 juillet 2023 par la société Nike Retail BV venant aux droits de la société Nike European Operations Netherlands BV et de la société Nike France SAS, alors que le délai d'appel de trois mois de la société Nike Retail BV expirait le 16 juin 2023,

- Par conséquent, déclarer irrecevable comme manifestement tardif l'appel interjeté le 19 juillet 2023 par la société Nike Retail BV venant aux droits de la société Nike European Operations Netherlands BV et de la société Nike France SAS,

- Débouter la société Nike Retail BV venant aux droits de la société Nike European Operations Netherlands BV et de la société Nike France SAS de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner la société Nike Retail BV venant aux droits de la société Nike European Operations Netherlands BV et de la société Nike France SAS à payer à la société Spartoo la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- En tout état de cause, condamner la société Nike Retail BV venant aux droits de la société Nike European Operations Netherlands BV et de la société Nike France SAS aux entiers dépens;

11. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 septembre 2024, Nike demande à la cour au visa de l'article 18 et des considérants n° 3 et 30 du Règlement (UE) 2020/1784, de la jurisprudence de la Cour de justice et des articles 117, 528, 680 et 678 du code de procédure civile, de bien vouloir :

À titre principal,

- Déclarer nuls les actes de signification délivrés par FEDEX le 16 mars 2023 ;

À titre subsidiaire,

- Juger que le délai d'appel indiqué dans les actes de signification délivrés par FEDEX le 16 mars 2023 est inopposable à NIKE ;

Par conséquent et en tout état de cause,

- Confirmer l'ordonnance rendue par le Conseiller de la mise en état le 27 juin 2024 en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir présentée par SPARTOO tirée de la tardiveté de l'appel et déclaré recevable l'appel formé par NIKE ;

- Débouter SPARTOO de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris sa fin de non-recevoir tendant à déclarer l'appel de NIKE irrecevable comme tardif ;

- Condamner SPARTOO à s'acquitter entre les mains de NIKE d'une somme de 25.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner SPARTOO aux entiers dépens.

12. La cour renvoie à ces écritures pour le complet exposé des moyens des parties, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

Moyens des parties

13. Spartoo conclut à la tardiveté de l'appel interjeté par Nike le 19 juillet 2023 en faisant valoir que :

- le jugement attaqué a été régulièrement signifié, via Fedex, le 16 mars 2023 ;

- cette signification, qui répond aux exigences du Règlement (UE) 2020/1784, a été réceptionnée par une personne employée au siège social de Nike, peu important qu'elle l'ait été par un sous-traitant de son prestataire ;

- en cas de cumul, la date de la première signification détermine le point de départ du délai d'appel ;

- la notification préalable intervenue entre avocats est régulière, l'erreur commise dans la dénomination des parties constituant un vice de forme qui ne fait pas grief à Nike, seule comptant la signification à partie.

14. Nike réplique que :

- les actes de signification délivrés par Fedex le 16 mars 2023 sont nuls, faute de satisfaire aux exigences prescrites par le règlement européen, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ;

- ils n'ont pas été réceptionnés par un représentant de la Nike ni par l'un de ses employés ;

- la signification opérée ne permet pas de s'assurer de la réception effective du pli par son destinataire et ne présente pas des garanties équivalentes à un envoi recommandé par la poste ;

- les actes de signification revendiqués par Spartoo sont nuls en raison de la nullité de la notification du jugement entre avocats, laquelle était entachée d'un vice de fond pour avoir été adressée au conseil de deux sociétés, Nike European Operations Netherlands et Nike France SAS, qui n'existent plus ;

- en cas de cumul, la seconde signification ouvre un nouveau délai de recours, de sorte que le premier lui est inopposable.

En droit

15. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles 528, 538 et 643 du code de procédure civile que le délai d'appel, d'une durée d'un mois, est augmenté de deux mois pour les personnes demeurant à l'étranger et court à compter de la notification du jugement, hors les cas où il a commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date de la décision.

16. Conformément à l'article 683 du même code, la notification des actes judiciaire à l'étranger est régie par le code de procédure civile, sous réserve de l'application des règlements européens et des traités internationaux.

17. Pour la signification et la notification dans les États membres de l'Union européenne des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, il y a lieu de se référer au règlement (UE) n° 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil du 5 novembre 2020, qui opère refonte du règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil ayant abrogé le règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil.

18. Selon l'article 18 de ce règlement, la signification ou la notification d'actes judiciaires à des personnes présentes dans un autre État membre peut être effectuée directement par l'intermédiaire des services postaux, par lettre recommandée avec accusé de réception ou équivalent.

19. Son article 20, paragraphe 1, autorise en outre toute personne qui a un intérêt à une procédure judiciaire particulière à faire procéder à la signification ou à la notification d'actes judiciaires directement par les soins des officiers ministériels, fonctionnaires ou autres personnes compétentes de l'État membre dans lequel la signification ou la notification est demandée, à condition qu'une telle signification ou notification directe soit autorisée par le droit de cet État membre.

20. Dans son arrêt Plumex du 9 février 2006 (C 473/04), rendu sous l'empire du règlement (CE) n° 1348/2000, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :

« 1) Le règlement (CE) nº 1348/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'il n'établit aucune hiérarchie entre le moyen de transmission et de signification prévu à ses articles 4 à 11 et celui prévu à son article 14 et que, par conséquent, il est possible de signifier un acte judiciaire par l'un ou l'autre de ces deux moyens ou de manière cumulative.

2) Le règlement nº 1348/2000 doit être interprété en ce sens que, en cas de cumul du moyen de transmission et de signification prévu à ses articles 4 à 11 et celui prévu à son article 14, il convient, pour déterminer à l'égard du destinataire le point de départ d'un délai de procédure lié à l'accomplissement d'une signification, de se référer à la date de la première signification valablement effectuée. »

21. Elle a également dit pour droit, dans son arrêt [M] [D] [C] c/ Novo Banco SA du 2 mars 2017 (C-354/15), que :

« Le règlement n° 1393/2007 doit être interprété en ce sens qu'une signification ou notification d'un acte introductif d'instance au moyen des services postaux est valide, même si :

' l'accusé de réception de la lettre recommandée contenant l'acte à signifier à son destinataire a été remplacé par un autre document, à condition que ce dernier offre des garanties équivalentes en matière d'informations fournies et de preuve. Il incombe à la juridiction saisie dans l'État membre d'origine de s'assurer du fait que le destinataire a reçu l'acte en cause dans des conditions telles que ses droits de la défense ont été respectés ;

' l'acte à signifier ou à notifier n'a pas été remis à son destinataire en personne, pour autant qu'il l'a été à une personne adulte se trouvant à l'intérieur de la résidence habituelle de ce destinataire, en qualité soit de membre de sa famille, soit d'employé à son service. Il appartient, le cas échéant, audit destinataire d'établir, par tous moyens de preuve admissibles devant la juridiction saisie dans l'État membre d'origine, qu'il n'a pas pu prendre effectivement connaissance du fait qu'une procédure juridictionnelle était engagée contre lui dans un autre État membre, ou identifier l'objet et la cause de la demande, ou disposer de suffisamment de temps pour préparer sa défense. »

22. Outre la notification à partie, le jugement doit enfin, dans les procédure pour lesquelles la représentation est obligatoire, être préalablement porté à la connaissance des représentants des parties, dans la forme des notifications entre avocats, à peine de nullité de la notification à partie, en application de l'article 678, b), du code de procédure civile. Mention de l'accomplissement de cette formalité doit être portée dans l'acte de notification destiné à la partie.

Sur la validité de la notification du 16 mars 2023

23. Il résulte des débats et des pièces versées au dossier que la société Spartoo a fait notifier à Nike le jugement querellé, par envoi direct au destinataire de l'acte, en recourant aux services de la société Fedex.

24. Le bordereau de livraison de cet envoi fait état de la délivrance du pli au siège de Nike le 16 mars 2023 et de sa réception à cette date par une personne identifiée comme « [N] [U] ».

25. Contrairement à ce que soutient Nike, le procédé ainsi utilisé doit être regardé comme offrant des garanties équivalentes à celles d'un envoi recommandé par les services de la poste, au sens de l'arrêt de la CJUE du 2 mars 2017 précité, dès lors qu'il permet un traçage des différentes étapes d'acheminement du pli, que le bordereau délivré par Fedex précise la date, l'heure et le lieu de sa réception, ainsi que le nom de la personne ayant reçu l'acte, et qu'il comporte une reproduction numérisée de sa signature. Le constat selon lequel la qualité de cette personne n'est pas indiquée sur ce document ne saurait faire conclure à un moindre niveau de certitude ou de fiabilité, les accusés réception délivrées par les services postaux ne comportant généralement pas cette précision, dont l'absence peut être palliée par d'autres moyens.

26. Il est à cet égard acquis que le signataire de l'acte n'est pas directement salarié par Nike. Cette dernière n'en reconnaît pas moins que cette personne était employée par un sous-traitant de la société CBRE GWS Integrated Facility Management BV, qui fournit à Nike des services administratifs, ce que confirme un échange de courriels versé aux débats, Spartoo relevant sur ce point l'intégration de ce prestataire au sein de Nike, révélée par l'utilisation par cette société de l'adresse électronique « @nike.com ». Il n'est par ailleurs pas démontré, ni même allégué, que d'autres sociétés que Nike auraient leur siège ou poursuivraient des activités à l'adresse de délivrance du pli. Il apparaît, dans ces circonstances, que le signataire de l'accusé de réception était bien employé au service de Nike, qui n'établit pas n'avoir pu prendre effectivement connaissance de l'acte ainsi notifié.

27. La considération selon laquelle M. [S] ne serait pas lié à Nike par un contrat de travail est à ici indifférente, cette société ne pouvant sur ce point se prévaloir de la formulation du considérant 30 du règlement européen se référant à une personne « employée ['] par le destinataire ». En effet, outre que ce considérant n'a pas de valeur normative per se, il n'interdit pas la possibilité d'un emploi indirect au service du destinataire de l'acte, ce que confirme la formulation du dispositif de l'arrêt de la CJUE du 2 mars 2017 précité, la cour relevant sur ce point que l'exigence d'un emploi direct priverait d'effet toute les notifications opérées auprès de sociétés externalisant leurs services d'accueil et de réception du courrier.

28. Il s'ensuit que la signification réalisée à l'initiative de Spartoo le 16 mars 2023, qui répond aux exigences du règlement (UE) 2020/1784 et qui a été réalisée dans des conditions telles que les droits de la défense de Nike ont été respectés, doit être considérée comme régulière.

Sur le cumul de notifications

29. La société Spartoo a par ailleurs fait procéder à une signification du jugement querellé par un huissier néerlandais le 25 avril 2023.

30. Ainsi que l'a retenu la CJUE dans son arrêt du 9 février 2006 précité, rendu sous l'empire du texte antérieur mais dont la solution n'a jamais été remise en cause depuis, le règlement européen n'établit aucune hiérarchie entre les modes de transmission et de signification qu'il définit, de sorte qu'il est loisible à une partie de les employer de manière cumulative. Elle ajoute qu'il y a lieu de se référer, en pareille hypothèse, à la date de la première signification valablement effectuée pour déterminer à l'égard du destinataire le point de départ d'un délai de procédure lié à l'accomplissement d'une signification. Cette solution rejoint la position prise par la Cour de cassation selon laquelle lorsqu'un jugement est notifié à deux reprises, la première notification régulière fait courir les délais de recours.

31. Il ressort en l'espèce des développements qui précèdent que la notification opérée par voie d'envoi direct à la société Nike le 16 mars 2023 est régulière. La signification effectuée par huissier le 25 avril 2023 n'a dès lors pas eu pour effet de rendre inopposable le premier délai et de faire courir un nouveau délai de recours dont pourrait se prévaloir Nike.

32. Le point de départ du délai d'appel doit, dans ces conditions, être fixé au 16 mars 2023.

Sur la notification préalable entre avocats

33. Il résulte des pièces versées aux débats que le conseil de la société Spartoo a, le 6 mars 2023, notifié les jugements, au visa de l'article 678 du code de procédure civile, à Maître Montfort en sa qualité de « Conseil de : / - La société NIKE EUROPEAN OPERATIONS NETHERLANDS BV ['] / - La société NIKE FRANCE SASU ».

34. Il est constant que ces deux sociétés n'existaient plus à la date de cette notification, la première ayant été absorbée par Nike Retail BV, la seconde ayant été dissoute avec transmission universelle de patrimoine au profit de Nike Retail BV, qui venait aux droits de ces deux entités dans la procédure ayant abouti au jugement querellé.

35. Contrairement à ce que Nike soutient, l'irrégularité de la signification préalable d'un jugement à avocat est un vice de forme qui n'entraîne la nullité de la signification destinée à la partie que sur justificatif d'un grief.

36. Au cas présent, la démonstration d'un tel grief n'est pas rapportée dès lors que :

- la confusion opérée résulte des termes mêmes du jugement notifié, dont l'en-tête mentionne les deux sociétés aux droits desquelles venait Nike Retail BV, sans que cette dernière, qui ne figure pas dans cet en-tête, en demande la rectification, faisant preuve par là même d'une négligence fautive ;

- Maître Montfort, qui était le conseil des trois sociétés tout au long de la procédure de première instance, pour être intervenu aux côtés des deux premières puis de Nike Retail BV, n'a pu se méprendre sur la partie à laquelle cette notification était destinée ;

- la signification opérée le 16 mars 2023, à la suite de cette notification, est régulière.

En conclusion

37. Il résulte des développements qui précèdent que l'appel interjeté par Nike le 19 juillet 2023 est intervenu après l'expiration du délai de trois mois courant à compter de la notification opérée le 16 mars 2023.

38. Il y a lieu, en conséquence, d'infirmer l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état et de déclarer cet appel irrecevable pour cause de tardiveté.

39. La société Nike, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetée.

40. Elle sera en outre condamnée à payer à la société Spartoo la somme de 10 000 euros en application du même article.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Infirme l'ordonnance du conseiller de la mise en état déférée à la cour ;

Et, statuant à nouveau :

2) Déclare irrecevable comme tardif l'appel interjeté le 19 juillet 2023 par la société Nike Retail BV venant aux droits de la société Nike European Operations Netherlands BV et de la société Nike France SAS ;

3) Déboute la société Nike Retail BV de l'ensemble de ses demandes ;

4) Condamne la société Nike Retail BV aux dépens ;

5) La condamne à payer à la société Spartoo la somme de dix mille euros (10 000,00 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,