CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 25 octobre 2024, n° 24/11890
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Sci du (Sté)
Défendeur :
SNC Le (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseillers :
Mme Gaffinel, M. Birolleau
Avocats :
Me Ingold, Me Thomas, Me David, Me Bellichach, Me Cavarroc
Par acte du 2 août 2017, la SCI du [Adresse 1] a consenti à la société Le [Localité 6] [Localité 5] un renouvellement de bail commercial portant sur des locaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 7], pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2017, moyennant un loyer annuel de 180.000 euros, hors taxes et hors charges, payable trimestriellement à terme échu, aux fins d'y exercer une activité de restauration. Le bail inclut dans son assiette un appartement situé au 1er étage et une chambre au 5ème étage, qui font l'objet d'une facturation séparée. Le loyer actuel s'établit à la somme annuelle globale de 195.748 euros hors taxes, soit 174.220,92 euros pour le local commercial et 21.527,48 pour la partie habitation.
La société Le [Localité 6] [Localité 5] ne réglant plus ses loyers et charges, le bailleur lui a fait délivrer, le 14 février 2023, un premier commandement de payer, visant la clause résolutoire, pour la somme de 81.417,91 euros, correspondant aux loyers, charges et frais impayés du 22 mai 2019 au 10 février 2023, et au montant de la clause pénale.
Par acte du 13 mars 2023, la société Le [Localité 6] [Localité 5] a assigné le bailleur devant le tribunal judiciaire de Paris en opposition au commandement de payer susvisé.
Le 3 août 2023, la SCI du [Adresse 1] a fait délivrer un nouveau commandement de payer visant la clause résolutoire, pour la somme de 66.386,96 euros correspondant aux loyers et charges du 2ème trimestre 2023, incluant le paiement de la clause pénale et le coût de l'acte.
Par acte du 25 août 2023, la société Le [Localité 6] [Localité 5] a assigné le bailleur, devant le tribunal judiciaire de Paris, en opposition au commandement du 3 août 2023.
Sur le fondement de cet acte, la SCI du [Adresse 1] a assigné la société Le [Localité 6] [Localité 5] devant le juge des référés de ce tribunal, qui, par ordonnance du 7 décembre 2023, a, notamment, retenu son incompétence pour statuer sur la demande de provision au titre des loyers et charges du 2ème trimestre 2023, renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge de la mise en état, écarté l'exception d'incompétence matérielle pour le surplus des demandes, dit n'y avoir lieu à référé sur la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences, condamné la société locataire au paiement de la somme provisionnelle de 69.806,41 euros correspondant à l'échéance du 3ème trimestre 2023, laquelle a été réglée.
Le 16 janvier 2024, la SCI du [Adresse 1] a fait délivrer à la société Le [Localité 6] [Localité 5] un troisième commandement de payer, visant la clause résolutoire, pour la somme de 63.649,55 euros au titre du loyer majoré des charges et accessoires du 4ème trimestre 2023 outre le montant de la clause pénale.
Dans le mois de cet acte aucune somme n'a été réglée et aucune opposition n'a été formée par la société Le [Localité 6] [Localité 5].
Par acte du 5 mars 2024, la SCI du [Adresse 1] a assigné la société Le [Localité 6] [Localité 5] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins, notamment, de constatation de la résiliation du bail, expulsion et paiement à titre provisionnel d'une indemnité d'occupation et de l'arriéré locatif.
Par ordonnance du 24 juin 2024, le premier juge a :
retenu son incompétence au profit du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris pour statuer sur les demandes provisionnelles formées par le bailleur ;
rejeté l'exception d'incompétence portant sur les demandes tendant à la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et l'expulsion du preneur ;
ordonné un sursis à statuer sur ces demandes ainsi que sur celles relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile jusqu'aux décisions devant être rendues au fond par le tribunal judiciaire de Paris dans les instances opposant les parties ;
dit qu'à l'expiration du sursis, l'instance sera poursuivie à l'initiative de la partie la plus diligente ;
réservé les dépens.
Par déclaration du 4 juillet 2024, la SCI du [Adresse 1] a relevé appel de cette décision en critiquant ses dispositions ayant déclaré le juge des référés incompétent pour statuer sur les demandes de provisions et ayant ordonné le sursis à statuer.
Par ordonnance du 9 juillet 2024, la SCI du [Adresse 1] a été autorisée à assigner à jour fixe la société Le [Localité 6] [Localité 5] pour l'audience du 19 septembre 2024.
Par acte du 7 août 2024, la SCI du [Adresse 1] a assigné, pour la dite audience, la société Le [Localité 6] [Localité 5].
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 7 août 2024, la SCI du [Adresse 1] demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance entreprise en ce que le premier juge s'est déclaré incompétent au profit du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris ;
statuant à nouveau,
juger que le juge des référés est compétent pour statuer sur la demande de condamnation de la société Le [Localité 6] [Localité 5] au paiement d'une provision ;
renvoyer l'affaire devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris pour statuer sur la demande de provision ;
infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a ordonné le sursis à statuer sur les demandes tendant à la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, l'expulsion de la société Le [Localité 6] [Localité 5] et les demandes formées au titre des frais irrépétibles et des dépens jusqu'aux décisions au fond du tribunal judiciaire de Paris dans les instances opposant les parties ;
statuant à nouveau,
juger qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer sur ces demandes ;
renvoyer l'affaire devant le premier juge pour qu'il statue sur celles-ci ;
y ajoutant,
condamner la société Le [Localité 6] [Localité 5] à lui verser la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 16 septembre 2024, la société Le [Localité 6] [Localité 5] demande à la cour de :
confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré le juge des référés incompétent pour statuer sur les demandes provisionnelles au profit du juge de la mise en état ;
infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a retenu la compétence matérielle du juge des référés pour statuer sur les autres demandes ;
déclarer le juge des référés incompétent pour statuer sur les demandes relatives à l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences ;
subsidiairement,
confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné le sursis à stater sur ces demandes ;
en toute hypothèse, condamner la SCI du [Adresse 1] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la compétence de la juridiction des référés
Pour contester la compétence de la juridiction des référés, la société Le [Localité 6] [Localité 5] se fonde sur l'article 789 du code de procédure civile, qui dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour, notamment, accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Elle soutient que le juge de la mise en état a été désigné dans les instances au fond opposant les parties et que celui-ci a été saisi par conclusions d'incident des 26 janvier et 12 avril 2024 aux fins de condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 202.002,86 euros correspondant aux loyers et charges dus au 1er juillet 2023, 2ème trimestre 2023 inclus.
Elle considère donc que le juge de la mise en état est seul compétent pour statuer sur une quelconque provision dès lors qu'il a été saisi avant l'introduction de la présente instance en référé.
Elle fait valoir en outre que le juge des référés n'est pas compétent pour statuer sur l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences, puisque pouvant, en application de l'article L.145-41 du code de commerce, suspendre les effets de cette clause en accordant des délais de paiement, il ne peut le faire que s'il est compétent pour connaître de la demande de provision.
L'exclusivité de la compétence du juge de la mise en état ne concerne que les demandes présentées, postérieurement à sa désignation, devant le juge des référés à la condition que celles-ci soient circonscrites à l'objet du litige dont le tribunal est saisi au fond.
Or, en l'espèce, la présente action a été engagée, devant le juge des référés, sur le fondement d'un commandement de payer, visant la clause résolutoire, délivré à la société Le [Localité 6] [Localité 5] le 16 janvier 2024, portant sur la somme de 63.649,55 euros réclamée au titre du loyer majoré des charges et accessoires du 4ème trimestre 2023 outre le montant de la clause pénale.
Il est constant qu'aucune opposition à ce commandement n'a été formée par la société Le [Localité 6] [Localité 5], de sorte que le juge du fond n'est pas saisi du présent litige et que si celui-ci oppose les mêmes parties, son objet est distinct de ceux actuellement pendants devant le tribunal judiciaire de Paris puisqu'il porte sur un commandement non contesté devant ce tribunal et sur une échéance de loyer non soumise à son appréciation.
Il en résulte que le juge des référés est compétent pour statuer sur la demande de provision portant sur la somme visée au commandement de payer du 16 janvier 2024 ainsi que sur les effets de cet acte quant au constat de l'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences.
L'exception d'incompétence soulevée par la société Le [Localité 6] [Localité 5] sera donc rejetée et l'ordonnance infirmée en ce qu'elle a déclaré le premier juge incompétent pour statuer sur la provision sollicitée devant lui.
Sur le sursis à statuer
Selon l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.
En ordonnant le sursis à statuer sur la constatation de la résiliation du bail et ses effets, le premier juge a conditionné sa décision de ces chefs à celles devant être prononcées par le tribunal dans les instances au fond dont il est saisi à la suite des oppositions aux commandements de payer des 14 février et 3 août 2023 formées par la société Le [Localité 6] [Localité 5].
Or, ces actions au fond n'ayant pas le même objet que la présente action en référé fondée sur le commandement de payer du 16 janvier 2024, le sursis à statuer prononcé ne se justifie pas.
Il convient donc d'infirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.
Sur les autres demandes
Les parties n'ayant pas mis la cour en mesure d'évoquer l'affaire, aucune prétention n'ayant été formée et aucun moyen développé sur l'acquisition de la clause résolutoire stipulée dans le bail et la provision, il convient de les renvoyer devant le premier juge pour qu'il soit statué sur leurs demandes.
La société Le [Localité 6] [Localité 5] supportera les dépens d'appel.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré le juge des référés compétent pour statuer sur la constatation de la résiliation du bail et ses conséquences ;
L'infirme en ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau,
Rejette l'exception d'incompétence soulevée par la société Le [Localité 6] [Localité 5] ;
En conséquence, dit que le juge des référés est compétent pour statuer sur la provision réclamée au titre de l'arriéré locatif visé dans le commandement de payer du 16 janvier 2024 ;
Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer sur les demandes de constatation de la résiliation du bail et ses conséquences ainsi que sur celles relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance ;
Renvoie l'affaire devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris pour qu'il soit statué sur les demandes de constatation de la résiliation du bail et ses conséquences par l'effet du commandement du 16 janvier 2024, de provision, d'indemnité procédurale ainsi que sur les dépens de première instance ;
Condamne la société Le [Localité 6] [Localité 5] aux dépens d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.