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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 29 octobre 2024, n° 19/01438

ANGERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Pâtisserie La Duchesse Anne (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Corbel

Conseillers :

M. Chappert, Mme Gandais

Avocats :

Me Rubinel, Me Rumin, Me Hugot, Me Mariel

TGI Saumur, du 5 févr. 2019, n° 17/00274

5 février 2019

FAITS ET PROCÉDURE :

Par un acte sous seing privé du 4 janvier 1988, M. [K] a donné à bail à M. [G] [R] un immeuble à usage commercial situé au [Adresse 4] et [Adresse 1] à [Localité 13] (Maine-et-Loire) ainsi constitué :

* sur la [Adresse 12] :

- au rez'de-chausée : magasins, office, cave

- au 1er étage : un appartement comprenant trois pièces, cabinet toilette et wc,

- au 2ème étage : trois chambres et un vestibule

- au 3ème étage : trois débarras

* sur la [Adresse 11] :

- au rez'de-chausée : une réserve

- au 1er étage : un laboratoire

- au 2ème étage : trois pièces

- au 3ème étage : grenier

- petite cour, wc,

pour une période de neuf années à compter du 24 décembre 1984.

Le 26 mai 1994, un nouveau bail commercial a été signé entre, d'une part, Mme [B] [K]-[V] et, d'autre part, M. [G] [R] et Mme'[Z], son épouse, portant sur le même immeuble et pour une nouvelle durée de neuf années à compter du 24 décembre 1993.

Le 12 janvier 1995, M. [X] [L] et Mme [U] [I], son épouse (M.'et Mme [L]), ont acquis le bien immobilier de Mme [K]-[V].

Le 2 juillet 2003, M. et Mme [R] ont cédé leur droit au bail à la SARL Pâtisserie la Duchesse Anne, dont M. [R] est le gérant.

Le bail commercial a été renouvelé par un acte authentique du 3 août 2004 puis par un acte authentique du 30 juillet 2012, pour une durée de neuf années à compter du 24 décembre 2011.

Des litiges ont opposé les bailleurs et la locataire sur la prise en charge des travaux de réhabilitation des locaux. Une première ordonnance de référé du 1er octobre 2003 a ordonné une expertise judiciaire puis un jugement du tribunal de grande instance de Saumur du 14 janvier 2005 a condamné M. et Mme [L] à faire réaliser, sous astreinte, différents travaux consistant à remplacer le mur rideau sur deux niveaux, à réparer les couvertures, les liteaux et les gouttières sur la partie de l'immeuble située [Adresse 12] et la cour intérieure, à remplacer la verrière et la trappe de désenfumage et à reprendre le regard d'évacuation des eaux usées.

Estimant les travaux réalisés non pleinement satisfaisants, la SARL Pâtisserie la Duchesse Anne a fait réaliser un rapport d'expertise extra-judiciaire du 11'août'2012 puis elle a introduit une nouvelle instance en référé, dont elle a toutefois été déboutée par une ordonnance du 13 mars 2014 en raison de l'absence d'urgence et de contestations sérieuses.

A la suite de cela, la SARL Pâtisserie la Duchesse Anne a fait dresser un procès-verbal de constat par un huissier de justice le 5 juin 2014 et elle a obtenu l'organisation d'une nouvelle mesure d'expertise judiciaire par une ordonnance de référé du 17 février 2015. M. [T] [P], expert judiciaire, a déposé son rapport le 18 mai 2016 et, au vu de ses conclusions, la SARL Pâtisserie la Duchesse Anne a fait assigner M. et Mme [L] en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Saumur par un acte d'huissier du 30 mars 2017.

Par un jugement du 5 février 2019, le tribunal de grande instance de Saumur a :

- débouté la SARL Patisserie La Duchesse Anne de sa demande au titre des travaux de ravalement sur la façade [Adresse 12],

- condamné M. et Mme [L] à procéder aux travaux de :

* réfection de la menuiserie des toilettes de l'étage, reprise fixation et étanchéité,

* re-fixation de certains moellons intérieurs et obturation de certaines fissures intérieures,

* réfection partielle de certains plafonds endommagés et raccords d'enduits et peinture,

* démolition de certains plafonds du dernier étage y compris nettoyage,

sous astreinte de 50 euros par jour pendant 90 jours, commençant à courir un mois après la signification du jugement,

- débouté la SARL Patisserie La Duchesse Anne du surplus de ses demandes,

- condamné la SARL Patisserie La Duchesse Anne à procéder aux travaux de réfection des joints de la façade de la [Adresse 12], sous astreinte de 50 euros par jour pendant 90 jours, commençant a courir un mois après la signification du jugement,

- débouté M. et Mme [L] du surplus de leurs demandes,

- rejeté l'exécution provisoire,

- condamné chacune des parties aux entiers dépens à hauteur de 50 % chacune.

Par une déclaration du 15 juillet 2019, la SARL Patisserie La Duchesse Anne a interjeté appel du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre des travaux de ravalement sur la façade [Adresse 12], en ce qu'il l'a condamnée à procéder aux travaux de réfection des joints de la façade de la [Adresse 12] sous astreinte, en ce qu'il a rejeté l'exécution provisoire et en ce qu'il a condamné chacune des parties aux entiers dépens à hauteur de 50 % chacune, intimant M. et Mme [L].

La SARL Patisserie La Duchesse Anne, d'une part, M. et Mme [L], d'autre part, ont conclu, ces derniers ayant formé appel incident.

M. [L] est décédé le 24 janvier 2022. Mme [O] [L] épouse [J], M. [W] [L], Mme [N] [L] et Mme [U] [I] sont intervenus volontairement à la procédure en leur qualité d'héritiers.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 juin 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe par la voie électronique le 31 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la'SARL'Patisserie La Duchesse Anne demande à la cour :

- de dire l'appel recevable et fondé ; y faisant droit.

- d'infirmer le jugement entrepris, dans les termes de la déclaration d'appel,

statuant à nouveau,

- de condamner solidairement Mme [O] [L] épouse [J], M.'[W] [L], Mme [N] [L] et Mme [U] [I], personnellement et en sa qualité de conjoint survivant, à procéder, sous astreinte provisoire de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, aux travaux tels que décrits par l'expert et consistant dans le ravalement de la façade côté [Adresse 12] au-dessus de la vitrine,

à défaut,

- de condamner solidairement Mme [O] [L] épouse [J], M.'[W] [L], Mme [N] [L] et Mme [U] [I], personnellement et en sa qualité de conjoint survivant, à lui payer la somme de 22 186,37 euros HT avec indexation suivant l'indice Insee BT01 entre mai 2019 et la date de l'arrêt à intervenir au titre des travaux de ravalement de la façade côté [Adresse 12],

- de condamner solidairement Mme [O] [L] épouse [J], M.'[W] [L], Mme [N] [L] et Mme [U] [I], personnellement et en sa qualité de conjoint survivant, à procéder aux travaux de réfection des joints de la [Adresse 12], sous astreinte provisoire de 50 euros à compter de la signification de la décision à intervenir,

- de débouter Mme [O] [L] épouse [J], M. [W] [L], Mme [N] [L] et Mme [U] [I], personnellement et en sa qualité de conjoint survivant, de l'intégralité de leurs demandes,

- de les condamner solidairement à lui verser une somme forfaitaire de 5 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice de jouissance et de l'indemnisation de la gêne endurée pendant la réalisation des travaux et une somme forfaitaire de 5 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice d'image,

- de les condamner solidairement à lui payer une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel, recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

Aux termes de leurs dernières conclusions, remises au greffe par la voie électronique le 21 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [O] [L] épouse [J], M. [W] [L], Mme [N] [L] et Mme'[U] [I], personnellement et en sa qualité de conjoint survivant, demandent à la cour :

- de donner acte à Mme [U] [I] veuve [L], à Mme [O] [L] épouse [J], à M. [W] [L] et à Mme [N] [L] de leur intervention volontaire dans le cadre de la présente procédure en tant que conjoint survivant ou héritiers de [X] [L], décédé à [Localité 9] le 24 Janvier 2022,

- de débouter la SARL Patisserie La Duchesse Anne de son appel principal et de toutes ses demandes,

- confirmant le jugement dont appel, de condamner la SARL Patisserie La'Duchesse Anne à procéder aux travaux de réfection des joints de la façade de la [Adresse 12], sous astreinte de 50 euros pendant 90 jours, commençant à courir un mois après la signification de la décision à intervenir,

- les recevant en leur appel incident, de condamner la SARL Patisserie La'Duchesse Anne à procéder, sous astreinte provisoire de 150 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir aux travaux tels que décrits par l'expert et consistant dans le ravalement de la façade côté [Adresse 12] au-dessus de la vitrine,

- de condamner la SARL Patisserie La Duchesse Anne à payer à Mme'[U]'[I] veuve [L], Mme [O] [L] épouse [J], M. [W] [L] et Mme [N] [L] une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont les frais d'expertise.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il est précisé, d'une part, qu'il ne revient pas à la cour de 'donner acte' de l'intervention volontaire Mme [O] [L] épouse [J], de M. [W] [L], de Mme [N] [L] et de Mme [U] [I], en ce qu'ils viennent aux droits de [X] [L] après son décès. Tout au plus convient-il de constater que ces interventions volontaires ne sont pas contestées par la partie appelante.

D'autre part, les débats portent désormais uniquement sur la charge des travaux de ravalement de la façade de la [Adresse 12] et de réfection des joints de cette même façade, à l'exclusion des autres travaux dont le premier juge a ordonné la réalisation sous astreinte à la charge de M. et Mme [L] par un chef de sa décision qui ne fait l'objet d'aucun appel principal ni incident.

- sur les travaux de ravalement de la façade de la [Adresse 12] :

Le premier juge a considéré qu'il ressortait du rapport d'expertise judiciaire que les désordres de la façade de la [Adresse 12], n'affectant pas la structure de l'immeuble, étaient d'ordre purement esthétique et incombaient dès lors au preneur. C'est pourquoi il a débouté la SARL Patisserie La Duchesse Anne de sa demande et qu'il l'a au contraire condamnée à faire exécuter le ravalement de la façade à sa charge, sous astreinte.

En appel, la SARLPatisserie La Duchesse Anne reproche au premier juge de s'être mépris sur les conséquences à tirer des termes du rapport d'expertise judiciaire. Elle estime en effet que, comme l'a relevé l'expert judiciaire, les'désordres qui affectent la façade sont dus à la vétusté, et non pas à un défaut d'entretien, de telle sorte que les travaux de ravalement, incluant la réfection des joints, relèvent de la responsabilité des bailleurs, en l'absence de toute clause en transférant la charge au preneur. Elle ajoute que le fait que l'expert judiciaire ait pu indiquer que ces désordres ne rendent pas l'immeuble impropre à sa destination et qu'ils ne compromettent pas sa solidité n'enlève pas aux travaux de ravalement nécessaires leur qualification de grosses réparations au sens de l'article 606 du code civil, dont le contrat prévoit qu'elles sont supportées par les bailleurs.

La réalité des désordres affectant la façade de la [Adresse 12] n'est pas discutée et ressort de ce que l'expert judiciaire indique avoir constaté que 'la'partie supérieure de cette façade (située au-dessus de la vitrine) est en mauvais état. Au niveau de la maçonnerie de pierres de tuffeau, les désordres actuels ne sont toutefois pas de nature à rendre l'immeuble impropre à sa destination, ni à avoir une conséquence sur la solidité de celui-ci à court terme. Toutefois, des morceaux de tuffeau se détachent de la façade et les fissures au niveau des joints de pierres de tuffeau n'assurent plus une parfaite étanchéité à l'eau du mur de la façade, Il est donc indispensable que cette façade soit ravalée. À ce stade, l'état de la façade ne remet pas en cause l'habitabilité de l'immeuble mais présente un défaut d'esthétique évident' (page 15). L'appelante invoque cumulativement trois fondements juridiques, à son action au regard de ces désordres. Le premier est un manquement par les bailleurs à leur obligation de délivrer un local conforme à la destination prévue au bail, qui découle de l'article 1719 du code civil. Le deuxième est l'obligation pour les bailleurs de prendre à leur charge le ravalement de la façade comme étant une grosse réparation entrant dans le champ de l'article 606 du code civil. Le troisième est l'obligation pour les bailleurs d'assumer le coût des travaux nécessaires à remédier à la vétusté de l'immeuble, qu'il s'agisse d'une grosse réparation de l'article 606 du code civil ou non, comme l'exige l'article 1755 du code civil.

Les intimés opposent, en premier lieu, que les travaux de ravalement d'une façade relèvent d'une simple réparation d'entretien, dont la charge incombe à leur preneur. De fait, les relations contractuelles sont en l'espèce fondées sur le bail commercial conclu le 26 mai 1994, qui a été renouvelé à deux reprises, le 3 août 2004 puis le 30 juillet 2012, ces deux renouvellements indiquant expressément qu'ils n'apportent aucune modification aux conditions générales du contrat du 26'mai 1994. L'article 1er du bail commercial ainsi renouvelé dispose que le preneur s'engage à '(...)faire son affaire personnelle pendant toute la durée du bail de toutes les réparations, sauf celles énumérées à l'article 606 du code civil'. Mais contrairement à ce qu'affirment les intimés, les travaux de ravalement constituent bien dans le cas présent des grosses réparations au sens de l'article 606 du code civil, que l'article 1er précité laisse dès lors à leur charge. La cour observe que les intimés justifient avoir fait procéder, à leur charge, aux travaux de ravalement de la façade de l'immeuble côté [Adresse 11] (incluant le rejointement de l'ensemble), une facture de 36 945,60 euros TTC ayant été émise au nom du bailleur le 12 décembre 2017. Il est indifférent que l'expert judiciaire ait pu écrire que les désordres qu'il a constatés ne rendaient pas l'immeuble impropre à sa destination et ne compromettaient pas sa solidité. Cette terminologie est en réalité inadaptée puisqu'elle est propre à la responsabilité des constructeurs de l'article 1792 du code civil. Elle n'est, en tout état de cause, pas de nature à remettre en cause le fait que les travaux de ravalement relèvent par nature de grosses réparations au sens de l'article 606 du code civil, du fait de leur importance, de leur coût et de ce qu'ils touchent à la structure de l'immeuble.

En deuxième lieu, les intimés font valoir que la SARL Patisserie La Duchesse Anne n'a émis aucune réserve lors du dernier renouvellement du bail commercial et qu'elle s'est engagée, aux termes de l'article 1er du bail commercial renouvelé, à '(...) prendre les locaux ainsi loués et désignés dans l'état où il se trouve sans que le preneur puisse prétendre à aucune réparation de quelque nature que ce soit'. Certes, il ressort du rapport d'expertise extra-judiciaire rédigé par Mme'[D], à la demande de l'appelante et à l'issue d'une visite du 24 juillet 2012 soit quelques jours avant la signature du dernier renouvellement (30 juillet 2012), que la façade de la [Adresse 12] n'était pas ravalée déjà à cette date (page 2), ce dont la SARL Patisserie La Duchesse Anne ne pouvait qu'avoir conscience puisqu'elle occupe les lieux, par elle-même ou précédemment par ses gérants, depuis le 24 décembre 1984. Néanmoins, l'appelante rappelle à juste titre que la clause précitée est inefficace à exonérer le bailleur de son obligation de délivrance et d'avoir à assumer à ce titre la charge des travaux nécessaires à l'usage des lieux selon leur destination contractuelle.

Les intimés opposent, en dernier lieu, que les travaux de ravalement de la façade ne leur incombent pas puisqu'ils sont la conséquence d'un défaut d'entretien imputable à leur locataire. Certes, il n'est pas justifié par l'appelante de dépenses d'entretien en lien avec la façade de l'immeuble. Mais l'expert judiciaire a clairement identifié que les désordres qui affectent la façade de la [Adresse 12] sont dus à la vétusté et non pas à un simple défaut d'entretien, en ce termes :

'Au niveau de la façade avant, située [Adresse 12], je constate que celle-ci est en tuffeau et d'aspect vétuste. (...) Au niveau des étages supérieurs, l'état de la façade est vétuste et présente des fissures entre les portes-fenêtres du premier étage et les fenêtres du second étage. Le'tuffeau des parties supérieures est abîmé notamment au niveau de la corniche et du pilastre central où est fixé le descendant d'eaux pluviales. Le garde-corps du balcon est rouillé et le sol de celui-ci possède des résidus de morceaux de tuffeau s'étant détachés de la façade. Au dernier niveau, les châssis arrondis présentent des défauts d'étanchéité à l'eau et à l'air' (pages 7-8).

'(...) l'état de vétusté de la façade (fissures sur pierres de tuffeau, tuffeau abîmé au niveau de la corniche et du pilastre central) n'est pas dû à un défaut d'entretien du locataire mais est du ressort du propriétaire (...) En'ce qui concerne le point n° 1 relatif à la façade côté [Adresse 12], cette façade présente des désordres de structure (fissures au niveau des pierres de tuffeau) et nécessite une intervention pour ravaler la façade en pierre et reprendre les joints défectueux. Ces travaux relèvent du propriétaire. Le coût de ces travaux est estimé à 13 000 TTC' (pages 13-14)

Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il ne ressort aucune contradiction des constatations et des conclusions de l'expert judiciaire, qui'indique à plusieurs reprises que la dégradation des pierres de tuffeau et des joints de la façade est due à la vétusté, tandis que les désordres au niveau des menuiseries et du balcon de cette même façade ressortissent de l'entretien à la charge du preneur. Or, le bailleur est bien tenu d'assumer les travaux, de quelque nature qu'ils soient, rendus nécessaires par la vétusté en application de l'article 1755 du code civil et lorsque, comme en l'espèce, les parties n'ont pas transféré conventionnellement la charge des conséquences de la vétusté au preneur.

De l'ensemble de ces éléments, il ressort que les travaux de ravalement de la façade de la [Adresse 12] incombent bien aux bailleurs intimés, y'compris en ce qu'ils impliquent une intervention au niveau des joints. Le'jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a débouté la SARL Patisserie La Duchesse Anne de sa demande à ce titre et en ce qu'il l'a condamnée sous astreinte à réaliser les travaux de réfection des joints de la façade. L'appelante'est fondée à obtenir l'exécution en nature de l'obligation plutôt que par équivalent, de telle sorte qu'il sera fait droit à la demande d'injonction sous astreinte qu'elle formule à titre principal et qui, d'ailleurs, reçoit la préférence des intimés également.

- sur les demandes de dommages-intérêts :

La SARL Patisserie La Duchesse Anne poursuit l'indemnisation, d'une part, d'un préjudice de jouissance découlant de l'impossibilité d'utiliser les greniers du troisième étage aux fins de stockage depuis plusieurs années ainsi que de la durée prévisible des travaux de remise en état et, d'autre part, d'un préjudice d'image du fait que l'état des façades n'est pas compatible avec la qualité des produits et des services qu'elle propose à sa clientèle. Le premier juge l'a déboutée tant de la première demande, en raison de la clause de souffrance stipulée au bail renouvelé, que de la seconde, en l'absence de preuve de l'existence du préjudice allégué.

La réalité du préjudice de jouissance ressort suffisamment des constatations de l'expert judiciaire. Après avoir relevé que le plafond des greniers du troisième étage menace ruine et est endommagé (page 11), l'expert judiciaire écrit en effet que :

'au niveau du préjudice de jouissance des lieux subi par le locataire, cela concerne la zone des greniers situés au troisième étage qui, compte tenu de l'état actuel, ne permet pas le stockage de matériel dans des conditions normales. Il appartiendra au juge d'estimer le montant de ce préjudice. La'réalisation des travaux occasionnera une gêne (présence d'échafaudages notamment) mais n'entraînera pas l'arrêt d'activité à l'intérieur des locaux. La durée des travaux extérieurs et intérieurs est estimée à deux mois' (page 12)

'en ce qui concerne le préjudice de jouissance invoqué par la société La'Duchesse Anne, je considère qu'au niveau des greniers cela est effectif du fait des dégâts occasionnés avant la réfection de la couverture et par les effondrements au niveau des plafonds. Il appartiendra au juge de se prononcer sur le montant de ce préjudice' (page 13)

pour conclure qu''au niveau du préjudice de jouissance des lieux, cela concerne la partie grenier (3ème étage) destinée à usage éventuel de stockage. La présence de plafonds menaçant de tomber et de gravois ne permet pas une utilisation normale de ces greniers. Il appartiendra au juge de se prononcer sur le coût du préjudice subi par le locataire' (page 16).

Les intimés se prévalent à nouveau en appel de l'article 4 du bail renouvelé, lequel prévoit que le preneur s'engage à '(...) souffrir sans indemnité toutes les réparations et constructions qui seraient faites dans la propriété, quelque soit leur durée, excéda-t-elle quarante jours, et ce, par dérogation à l'article 1724 du code civil' ainsi qu'à '(...) ne pouvoir prétendre à aucune indemnité ni diminution de loyer par suite de troubles de jouissance provenant de travaux exécutés sur la voie publique ou en sous-sol'. Mais la SARL Patisserie La Duchesse Anne fait à juste titre valoir, d'une part, que cette clause dite de souffrance ne peut pas affranchir le bailleur de son obligation de délivrance. La clause ne peut en effet pas faire échec à l'indemnisation sollicitée par l'appelante, qui se trouve privée de tout usage des greniers pourtant compris dans l'assiette de son bail commercial. D'autre part, l'appelante demande l'indemnisation, non seulement de la gêne qu'elle devra subir au cours de la réalisation des travaux qui ont été imposés judiciairement aux bailleurs pour satisfaire leur obligation de réparation, mais également de la privation de la jouissance des greniers depuis de nombreuses années, ce à quoi la clause de souffrance n'a en tout état de cause pas vocation à faire obstacle. Et de fait, il ressort tant du rapport d'expertise extrajudiciaire du 11 août 2012 (pages 3-4) que du procès-verbal de constat du 5 juin 2014 (page'3) que le grenier était déjà, à ces dates, affecté de désordres graves qui empêchaient son utilisation normale. Les intimés ne prétendent pas que les travaux qu'ils justifient avoir fait réaliser ont remédié à ces désordres, dont il s'avère au contraire qu'ils sont de même nature que ceux constatés par l'expert judiciaire.

La SARL Patisserie La Duchesse Anne est donc fondée à obtenir l'indemnisation du préjudice de jouissance dont la réalité est ainsi établie et pour un montant de 5 000 euros qui tient compte de la localisation du trouble dans une partie certes simplement annexe mais également de son ancienneté et de sa gravité. Le jugement sera donc infirmé en ce sens.

En revanche, la réalité d'un préjudice d'image n'est pas suffisamment établie, en l'absence notamment de tout élément émanant de la clientèle elle-même. Seules les photographies n° 1 et n° 9 du rapport d'expertise judiciaire permettent d'avoir une vue d'ensemble de chacune des façades. La façade côté [Adresse 11] est certes ostensiblement délabrée mais rien ne laisse penser qu'elle soit accessible à la clientèle ni même visible par elle. La façade côté [Adresse 12] présente également des désordres mais seulement dans sa partie supérieure à la vitrine du commerce qui occupe tout le premier étage et qui, elle, ne présente aucun défaut d'attractivité.

Dans ces circonstances, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Patisserie La Duchesse Anne de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'image.

- sur les demandes accessoires :

Le jugement sera infirmé dans ses dispositions ayant statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.

Mme [O] [L] épouse [J], M. [W] [L], Mme [N] [L] et Mme [U] [I], cette dernière en son nom personnel et en sa qualité d'héritière de [X] [L], parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront le coût de l'expertise judiciaire et qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à verser à la SARL Patisserie La'Duchesse Anne une somme totale de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, eux-mêmes étant déboutés de leur demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Infirme, dans les limites de l'appel, le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la SARL Patisserie La Duchesse Anne de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice d'image ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Enjoint à Mme [O] [L] épouse [J], M. [W] [L], Mme'[N] [L] et Mme [U] [I], cette dernière en son nom personnel et en sa qualité d'héritière de [X] [L], de faire procéder à leurs frais aux travaux de ravalement de la façade du bâtiment donné à bail à la SARL'Patisserie La Duchesse Anne, côté [Adresse 12] et au-dessus de la vitrine, en ce compris la réfection des joints, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt puis, passé ce délai, chacun sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard et pendant une durée de quatre mois à l'issue de laquelle il devrait être de nouveau statué ;

Condamne in solidum Mme [O] [L] épouse [J], M.'[W]'[L], Mme [N] [L] et Mme [U] [I], cette dernière en son nom personnel et en sa qualité d'héritière de [X] [L], à verser à la SARL Patisserie La Duchesse Anne :

* une somme de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice de jouissance,

* une somme totale de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel,

Déboute Mme [O] [L] épouse [J], M. [W] [L], Mme'[N] [L] et Mme [U] [I], cette dernière en son nom personnel et en sa qualité d'héritière de [X] [L], de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum Mme [O] [L] épouse [J], M.'[W]'[L], Mme [N] [L] et Mme [U] [I], cette dernière en son nom personnel et en sa qualité d'héritière de [X] [L], aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront le coût de l'expertise judiciaire et qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;