Livv
Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 24 octobre 2024, n° 22/06156

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sens Public-Puzzle (Assoc)

Défendeur :

La Chaîne Parlementaire - Sénat (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wyon

Conseillers :

M. Seitz, M. Gauthier

Avocats :

Me Lafont, SCP Baufume et Sourbe, SELEURL Iwan Selarl

CA Lyon n° 22/06156

23 octobre 2024

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Le 28 juillet 2021, la société anonyme La Chaîne parlementaire-Sénat (la société déposante) a déposé auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) la demande d'enregistrement n° 21 / 4788897 portant sur le signe verbal « Sens public », pour les classes 35, 38 et 41.

Le 19 octobre 2021, l'association, déclarée loi 1901, Sens Public / Puzzle (l'association opposante) a formé opposition auprès de l'INPI à l'enregistrement de cette marque sur la base de la dénomination de l'association Sens Public / Puzzle et du nom de domaine « sens-public.org », invoquant un risque de confusion.

Le 2 décembre 2021, l'INPI a émis une notification d'irrecevabilité de l'opposition, à la suite de laquelle l'association opposante a indiqué renoncer au fondement du nom de domaine.

Le 10 décembre 2021, L'INPI a levé l'irrecevabilité et invité la société déposante à présenter des observations en réponse à l'opposition dans un délai de deux mois.

Par décision du 4 août 2022, l'INPI a rejeté l'opposition, retenant pour l'essentiel que l'association opposante ne justifiait pas de l'exploitation d'une dénomination Sens public / Puzzle.

Par déclaration transmise au greffe le 6 septembre 2022, l'association Sens Public / Puzzle a formé un recours en annulation contre cette décision.

Dans ses conclusions déposées le 28 novembre 2022, l'association Sens Public / Puzzle demande à la cour de :

- l'accueillir en son recours ;

- en conséquence :

- annuler la décision du directeur de l'INPI querellée ;

- dire que l'arrêt sera notifié aux parties et au directeur général de l'INPI par lettre recommandée avec avis de réception aux soins du greffe, conformément à l'article R. 411-42 du code de la propriété intellectuelle ;

- condamner la société La chaîne parlementaire-Sénat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les conclusions ont été notifiées à l'INPI par l'association opposante par lettre recommandée envoyée le 30 novembre 2022, ce dont elle a justifié auprès du greffe le même jour.

Dans ses conclusions déposées le 22 février 2023, la société déposante demande à la cour de :

- confirmer la décision attaquée en son intégralité ;

- dire que la décision à venir sera notifiée par le greffe aux parties et au directeur général de l'INPI, par lettre recommandée avec accusé de réception ;

- en conséquence, condamner l'association opposante à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'INPI a déposé ses observations au greffe le 16 février 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se reporter aux conclusions des parties ci-dessus visées, pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

---==oO§Oo==---

MOTIFS DE LA DECISION

À titre infirmatif, l'association opposante reproche à l'INPI d'avoir conditionné la protection de sa dénomination sociale à son exploitation sous une forme strictement identique à celle enregistrée lors de sa déclaration auprès de l'autorité administrative, ce que n'impose pas les textes. Elle soutient que le fait que le terme « Puzzle », bien que faisant partie de sa dénomination mais étant placé en terminaison de signes et après une barre de fraction (« / »), est absent des preuves d'exploitation qu'elle a fournies est indifférent. Elle considère que la dénomination Sens public, placée en attaque et avant la barre de fraction, constitue l'élément distinctif et dominant du signe antérieur.

Elle indique que sa dénomination complète figure sur son site internet.

Elle soutient justifier de l'exercice de son activité associative depuis 2003.

À titre confirmatif, la société soutient que le directeur général de l'Inpi n'a pas excédé les exigences requises lorsque l'opposition est fondée sur une dénomination sociale antérieure. Elle rappelle que l'association a été déclarée sous la dénomination « Sens Public / Puzzle », et non « Sens public » et soutient que c'est cette dénomination qui doit être protégée et non une dénomination sous une forme différente.

Elle considère que l'association ne démontre pas une exploitation effective de sa dénomination sociale avant la date de dépôt de la marque pour les activités invoquées.

Elle écarte toute pertinence à l'exploitation du site internet sous la dénomination « Sens public », ce qui relève d'une autre protection attachée aux noms de domaines.

Elle estime que les trois pièces produites par l'association mentionnant sa dénomination complète ne démontrent pas une exploitation effective.

Elle considère ainsi que l'opposante ne rapporte pas la preuve de l'exploitation de la dénomination sociale « Sens public / Puzzle » en lien avec les activités de « développement des liens intellectuels et de recherche, en particulier en matière de pensée politique et de sciences sociales » et « d'animation d'une revue « Sens public », au jour du dépôt de la marque contestée.

Elle écarte toute similitude entre les services contestés et les activités revendiquées.

Elle indique que l'activité de l'association n'est ni similaire ni complémentaire aux services visés par les classes 35, 38 et 41.

Elle écarte en outre tout risque de confusion. Elle souligne notamment le caractère distinctif des termes « / Puzzle », apposés à « Sens public », dans la dénomination de l'association, ce qui écarte toute similitude visuelle, auditive et conceptuelle ou résultant d'une impression d'ensemble, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants.

À titre confirmatif, le directeur de l'INPI soutient que l'opposante doit démontrer l'existence et l'exploitation effective de la dénomination sociale dont elle se prévaut, avant d'effectuer une comparaison des services et activités, d'une part, et des signes, d'autre part, pour apprécier globalement le risque de confusion. Il considère que les pièces fournies par l'opposante ne démontrent pas l'exploitation de la dénomination de l'association mais seulement celle des termes « Sens public ». Il soutient que la protection accordée à la dénomination invoquée ne peut porter que sur la dénomination telle qu'elle figure dans les statuts de l'association et au registre des associations et non sous une forme modifiée, comme le fait valoir l'opposante. Il considère que l'analogie faite par celle-ci avec l'usage d'une marque n'est pas pertinent et, subsidiairement, que l'usage sous une forme modifiée d'une marque n'est possible qu'en l'absence d'altération du caractère distinctif, tel n'étant pas le cas en l'espèce, puisque le terme « puzzle » apparaît parfaitement distinctif au regard des activités pour lesquelles l'exploitation est revendiquée.

Il soutient en outre que l'exploitation de la dénomination complète de l'opposante est insuffisante au regard des éléments produits, seul quatre documents en faisant mention, qui ne traduisent pas une véritable exploitation.

Sur ce,

Selon l'article L. 712-4 du code de la propriété intellectuelle, dans le délai de deux mois suivant la publication de la demande d'enregistrement, une opposition peut être formée auprès du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle à l'encontre d'une demande d'enregistrement en cas d'atteinte à l'un des droits antérieurs suivants ayant effet en France : (...) 3° Une dénomination ou une raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public.

L'article L. 711-3, I, 3°) du même code comporte des dispositions similaires qui prévoient que ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment une dénomination ou une raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public.

Il résulte de ce texte que, pour qu'existe un risque de confusion, l'opposant doit justifier préalablement que la marque déposée contrevient à l'existence d'une dénomination sociale antérieure, effectivement exploitée.

Ainsi, l'association opposante justifie de sa création, par déclaration du 11 juillet 2003 (sa pièce n° 2, publication au Journal officiel du 16 août 2003), sous la dénomination « Sens public / Puzzle », et qu'elle a pour objet le « développement de liens intellectuels et de recherche, en particulier en matière de pensée politique et de sciences sociales, son champ d'action et les objets dont elle traite sont ceux de la culture contemporaine sans exclusive de discipline et de pratique ».

L'association opposante invoque sa dénomination sociale « Sens public / puzzle » au regard des signes verbaux déposés « Sens public ».

Elle soutient, admettant qu'il lui incombe de justifier des conditions d'exploitation de sa dénomination, qu'une telle exploitation ne doit pas nécessairement intervenir sous une forme strictement identique à celle enregistrée.

Elle se prévaut ainsi de preuves d'exploitation qui, pour l'essentiel, comportent la seule mention « Sens Public », sans l'adjonction de l'autre terme compris dans la dénomination déclarée : « Puzzle ».

Toutefois, étant rappelé que les termes « Sens public » ne constituent matériellement pas la dénomination exacte de l'association, telle qu'elle l'a déclarée auprès de la préfecture et qui doit seule être prise en compte, admettre le raisonnement de l'association reviendrait, notamment, à lui permettre de se prévaloir indirectement d'une protection qui n'entre pas dans les prévisions de l'article L. 712-4 susvisé puisqu'une représentation partielle de sa dénomination déclarée ne saurait ainsi ouvrir droit à protection.

Subsidiairement, et contrairement à ce que soutient l'association, l'adjonction dans sa dénomination déclarée, aux termes « Sens Public », d'une barre de fraction et du terme « Puzzle », n'est pas indifférente en ce qu'elle particularise cette dénomination et lui apporte un caractère distinctif, qu'elle altère, de telle sorte que l'usage de la seule dénomination « Sens Public » par l'association ne peut être rapportée à sa dénomination déclarée.

En outre, l'association admet que la plupart des pièces qu'elle a présentées auprès de l'INPI ne mentionnent que les termes « Sens Public », et non sa dénomination exacte.

De surcroît, il convient de relever que les pièces qui comportent la dénomination complète de l'association sont, pour certaines, établies postérieurement au dépôt de marque litigieux.

Il en est ainsi des éléments invoqués par l'association et qui figurent aux annexes 6 et 22.1 qui constituent des extraits du site internet site www.sens-public.org (étant rappelé que l'association a, dans un premier temps, fondé son opposition sur l'utilisation de ce nom de domaine avant que le directeur ne la déclare irrecevable sur ce point, l'association ne justifiant pas de la propriété de ce nom, par une décision non contestée) et de l'Agence francophone pour la numérotation internationale du livre, qui ont pour dates les 21 novembre 2021 et 23 février 2022.

Par ailleurs, l'association se prévaut de la pièce 4, annexe 4, p. 3, correspondant à un extrait du site internet de l'Afnil, comme faisant référence à des ouvrages de marque éditoriale « Sens public - Puzzle ». L'association opposante soutient que la publication de ces ouvrages est antérieure au dépôt de marque contesté.

Toutefois, cette affirmation repose sur ses seules affirmations et est dépourvue d'offre de preuve. En outre il n'en reste pas moins que la reconnaissance de l'association comme éditrice des ouvrages listés reste postérieure au dépôt de marque litigieux.

L'annexe 4 comporte par ailleurs des extraits du site www.sens-public.org qui mentionne une reprise de la dénomination complète de l'association. Toutefois, comme l'a relevé le directeur de l'INPI, cette mention est isolée alors que l'extrait du site comporte de multiples mentions de la dénomination partielle « Sens Public », ce qui indique l'absence de volonté de l'association de s'appuyer sur sa dénomination complète.

L'association se prévaut également de son bulletin d'adhésion (annexe 26.13), qui figure dans une lettre d'information électronique valant invitation à un débat et qui vise la dénomination déclarée complète. Toutefois, les termes de ce bulletin ne peuvent être considérés comme révélateurs d'une exploitation effective de la dénomination déclarée puisqu'ils ne sont aucunement l'expression d'un développement de l'utilisation de cette dénomination en dehors du fonctionnement interne de l'association mais résultent de considérations, notamment comptables, comme le relève le directeur de l'INPI.

Cette seule mention de la dénomination complète, comme celle qui apparaît dans les autres documents susvisés, ne saurait en outre établir une exploitation effective de la dénomination sociale.

Il ne saurait ainsi résulter du dépôt de la marque litigieuse un risque de confusion dans l'esprit du public.

Dès lors, la demande d'annulation formée par l'association sera rejetée.

Sur les autres demandes

L'association perd en son recours. Elle supportera les dépens de l'instance.

Par ailleurs, l'équité commande de condamner l'association à payer à la société déposante la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

---==oO§Oo==---

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

Rejette le recours en annulation formé par l'association Sens public contre la décision OP21-4685 du directeur de l'Institut national de la propriété intellectuelle du 4 août 2022 et la confirme ;

Condamne l'association Sens public / Puzzle à supporter les dépens de l'instance ;

Condamne l'association Sens public / Puzzle à payer à la société La chaîne parlementaire-Sénat la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Dit que la présente décision sera notifiée par le greffe par lettre recommandée avec avis de réception aux parties et au directeur général de l'Institut national de la propriété intellectuelle.