CA Paris, Pôle 6 ch. 2, 16 novembre 2023, n° 23/02975
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société d’Exploitation de Magasins d’Articles Multiples Semam (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Alzeari
Conseillers :
M. Legris, Mme Lagarde
Avocats :
Me Mengeot, Me Vincent
EXPOSÉ DU LITIGE
La société d'exploitation de magasins d'articles multiples SEMAM, exploitant sous l'enseigne Franprix (ci-après la 'Société') a embauché Mme [R] [S] à compter du 22 juin 1988, par contrat à durée indéterminé, en qualité d'employée libre-service assortisseuse.
Son salaire mensuel brut moyen s'élevait à 1 831,60 euros.
La convention collective applicable est celle du commerce détail et gros à prédominance alimentaire.
Le 29 octobre 2018, Mme [S] a été victime d'un accident du travail alors qu'elle effectuait une mise en rayon sur un escabeau, elle s'est cognée et s'est blessée au dos.
Son accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine Saint-Denis dès le 3 décembre 2018.
Le 6 octobre 2021, le médecin du travail a déclaré Mme [S] inapte au poste, indiquant également que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
La Société a convoqué sa salarié à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 28 octobre 2021 et le 17 novembre 2021, la Société lui a notifié son licenciement.
Par requête réceptionnée le 28 février 2022, Mme [S], a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir condamner la Société à lui payer des dommages et intérêts du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ainsi qu'un reliquat de salaire, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement spéciale et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Société a soulevé l'incompétence du conseil de prud'hommes au profit du pôle social du tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement en date du 7 février 2023, le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent et a renvoyé l'examen de l'affaire au bureau de jugement.
La Société a interjeté appel de la décision le 21 avril 2023.
Par décision du 7 juillet 2023, la Société a été autorisée à assigner à jour fixe l'intimée.
PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 21 avril 2023, la Société demande à la cour de :
« Vu les articles L. 142-1, L. 451-1 et L. 452-4 du Code de la sécurité sociale,
Déclarer recevable et bien fondée la Société La Société d'exploitation de magasins d'articles multiples SEMAN en son appel ;
Y faisant droit,
Infirmer le jugement rendu par la Conseil de Prud'hommes de Paris du 7 février 2023 en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau ;
Déclarer incompétent le Conseil de prud'hommes de Paris au profit du Pôle social du Tribunal judiciaire de Paris ;
Condamner Madame [S] à payer à la Société La Société d'exploitation de magasins d'articles multiples SEMAN le somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; condamner Madame [S] aux entiers dépens ».
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 18 septembre 2023, Mme [S] demande à la cour de :
« Vu les articles L 1411-1 et L. 4111-1 à L. 4541-1 du Code du Travail,
Vu les articles R. 4121-1 à R. 4542-19 du Code du Travail,
A titre liminaire,
CONSTATER la caducité de l'appel formé par la Société d'exploitation de magasins d'articles multiples SEMAM.
Subsidiairement au fond,
DECLARER mal fondée la Société SEMAM en son appel.
CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de PARIS du 7 février 2023 en toutes ses dispositions.
En toute hypothèse,
CONDAMNER la Société d'exploitation de magasins d'articles multiples SEMAM à payer à Madame [S] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER la Société d'exploitation de magasins d'articles multiples CENAM aux entiers dépens ».
A l'audience, le conseil de Mme [S] a demandé à la cour d'accepter de recevoir deux pièces supplémentaires en cours de délibéré relatives à la caducité de l'appel soulevée, ce à quoi ne s'est pas opposée l'appelante.
La cour a fait droit à cette demande.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la caducité d l'appel
Mme [S] fait valoir que l'appelante a été rendue destinataire du jugement le 31 mars 2023 et n'a pas saisi le premier président d'une requête afin d'être autorisée à assigner à jour fixe dans le délai de 15 jours.
La Société oppose que le délai d'appel mentionné dans la notification du greffe et dans la signification du jugement est erroné.
Sur ce,
Il y a lieu de rappeler les dispositions suivantes du code de procédure civile :
- article 83 :
« Lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l'objet d'un appel dans les conditions prévues par le présent paragraphe.
La décision ne peut pareillement être attaquée du chef de la compétence que par voie d'appel lorsque le juge se prononce sur la compétence et ordonne une mesure d'instruction ou une mesure provisoire » ;
- article 84 :
« Le délai d'appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement. Le greffe procède à cette notification adressée aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il notifie également le jugement à leur avocat, dans le cas d'une procédure avec représentation obligatoire.
En cas d'appel, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire » ;
- article 680 :
« L'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ; il indique, en outre, que l'auteur d'un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d'une indemnité à l'autre partie » ;
- article 930-1 :
« à peine d'irrecevabilité, l'ensemble des actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ».
Il ressort de l'attestation du directeur des services de greffe judiciaires du conseil de prud'hommes de Paris que la décision opposant les parties (RG F 22/01563 -N° Portalis 3521-X-B7G-JNPFE), et qui s'est prononcé exclusivement sur la compétence, a été notifié le 29 mars 2023 par lettre recommandée reçue le 3 avril 2023 par Mme [S] et le 31 mars 2023 par la Société.
Mme [S] a interjeté appel par déclaration du 21 avril 2023 et a saisi le premier président par la voie du RPVA pour être autorisée à assigner à jour fixe le 21 avril 2023, soit hors le délai de 15 jours.
Pour autant, il ressort des pièces adressées en cours de délibéré que la notification du jugement par le conseil de prud'hommes mentionne que le recours est possible dans le délai d'un mois à compter de la date à laquelle l'avis de réception est signé par son destinataire.
Il est de principe que la mention erronée dans l'acte de notification du jugement de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours, de sorte que l'appel est régulier et n'encoure aucune caducité.
Sur la compétence
La Société fait valoir que :
- il ressort d'une combinaison des articles L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire, L. 142-1 et L. 452-4 du code de la sécurité sociale que le pôle social près le tribunal judiciaire compétent (anciennement du tribunal des affaires de sécurité sociale, dispose d'une compétence exclusive pour statuer sur les affaires relatives à la reconnaissance et aux conséquences d'une faute inexcusable ;
- la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises qu'aucune action en réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ne peut être intentée devant le conseil de prud'hommes, conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit et plus récemment, la chambre sociale de la Cour de cassation a réaffirmé sa position jurisprudentielle en précisant que l'indemnisation des dommages résultant d'un accident de travail, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence du pôle social du tribunal judiciaire.
Mme [S] oppose que le raisonnement de l'employeur ne prend pas en considération la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le conseil de prud'hommes est apte à traiter de toute demande en réparation d'un préjudice résultant de manquements de l'employeur à ses obligations en matière de protection, de la santé et de la sécurité de ses salariés.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 1411-1 du code du travail, « Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti » .
Il y a lieu de relever que Mme [S] avait formulé plusieurs demandes relevant de la compétence prud'homale, à savoir le paiement d'un solde de salaire et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Si Mme [S] avait également formulé une demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité, force est de constater que cette demande ne s'inscrit pas dans une action en réparation d'accident du travail à proprement parler, mais tend à obtenir son indemnisation pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, Mme [S] lui faisant grief de l'avoir laissée travailler dans des conditions qui ne respectaient pas les préconisations du médecin du travail.
Dès lors, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a retenu sa compétence et il sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La Société, qui succombe doit être condamnée aux dépens et déboutée en sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera fait application de cet article au profit de l'intimée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Rejette la demande de caducité de la déclaration d'appel ;
Confirme le jugement ;
Y ajoutant,
Condamne la société d'exploitation de magasins d'articles multiples SEMAM, exploitant sous l'enseigne Franprix aux entiers dépens ;
Condamne la société d'exploitation de magasins d'articles multiples SEMAM, exploitant sous l'enseigne Franprix à payer à Mme [R] [S] une indemnité d'un montant de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.