CA Douai, 1re ch. sect. 2, 17 octobre 2024, n° 23/02571
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France (CRCAM) (Sté)
Défendeur :
BW (Sté), Demathieu et Bard Construction (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Courteille
Conseillers :
M. Vitse, Mme Galliot
Avocats :
Me Franchi, Me Beulque, Me Pambo, Me Lorthiois, Me Talleux, Me Louis
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuelle Nord de France (la CRCAMN) a fait l'acquisition par acte du 04 décembre 2018, auprès de la SCCV [Localité 10] Coeur de Ville du lot n ° 9 de volume dans un ensemble immobilier en cours de construction situé [Adresse 3] à [Localité 10].
Sont intervenue aux opérations de construction :
- la société BW en qualité de maître d'oeuvre,
- la société Demathieu Bard Construction Nord en qualité d'entreprise générale, la société Demathieu Bard Construction vient aux droits de cette société,
- la société Etandex est intervenue comme sous-traitante de la société Demathieu Construction Nord pour assurer l'étanchéité du lot,
La réception des travaux est intervenue le 14 septembre 2018 entre la SCCV [Localité 10] Coeur de ville et les entreprises.
La livraison du lot n° 9 à la CRCAMN par le vendeur est intervenue le 18 décembre 2018.
À la suite de la prise de possession des locaux, la CRCAMN a fait intervenir la société Pingat pour l'aménagement intérieur des locaux destinés à accueillir une agence bancaire.
Ces travaux ont été réceptionnés le 17 mai 2019, l'agence devant être ouverte au public, le 06 juin 2019.
Le 24 mai 2019, la CRCAMN constatant la présence d'humidité en partie arrière de l'agence et a fait procéder le même jour à un constat par Me [T], huissier de justice.
Par actes du 17 décembre 2019, la CRCAMN a fait assigner la SCCV, la société Demathieu Bard Construction Nord et la société Etandex devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Arras aux fins de désignation d'un expert judiciaire.
Par ordonnance du 02 juillet 2020, M. [P] a été désigné en cette qualité.
Les travaux de réfection ayant été entrepris par la CRCAMN, M. [P] a effectué sa mission sur pièces.
Il a déposé son rapport le 15 juin 2021.
Par acte d'huissier du 28 octobre 2021, la CRCAMN a fait assigner en référé la société Pingat, qui avait été chargée des travaux d'aménagement intérieur, aux fins de désignation d'un expert judiciaire.
Par ordonnance du 06 janvier 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Arras a désigné M. [V] en qualité d'expert.
Puis, par acte du 11 mai 2023, la CRCAMN a fait assigner la SCCV, la société Demathieu Bard Construction Nord et la SARL BW devant le juge des référés en ordonnance commune.
Le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de mise en cause, l'application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la CRCAMN aux dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 05 juin 2023, la CRCAMN a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 04 décembre 2023, la CRCAMN demande à la cour, au visa des articles du code civil, de :
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel
' Rejeter la fin de non-recevoir élevée par la société Demathieu Bard Construction
En conséquence :
' Déclarer, en tant que de besoin juger, recevable la déclaration d'appel de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France à l'égard de la société Demathieu Bard Construction Nord en ce que la mention de l'intimée n'est pas exigée à peine d'irrégularité de la déclaration d'appel ;
' Juger également l'appel recevable à l'encontre la société Demathieu Bard Construction venants aux droits de Demathieu Bard Construction Nord en ce que celle-ci est intervenue volontairement à la procédure d'appel en constituant Avocat et en concluant, de nature, subsidiairement, à régulariser la procédure ;
Sur le fond,
Vu les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile,
' Recevoir la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France en son appel principal et y faire droit ;
En conséquence,
' Infirmer l'ordonnance de référé rendue le 11 mai 2023 par Madame le Président du Tribunal Judiciaire d'Arras, en ce qu'elle a énoncé :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France, la société Demathieu Bard Construction Nord et la SARL BW dans le cadre de la procédure 21/00171 ;
' DISONS n'y a voir à l'application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
' CONDAMNONS la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord De France aux dépens ;
En conséquence, statuant à nouveau,
' Juger recevable et bien fondée la demande en ordonnance commune présentée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord De France, en tant que de besoin se déclarer compétente pour celle-ci ;
' Ordonner que les opérations d'expertise judiciaire confiées à Monsieur [N] [V] soient rendues communes et opposables à la Société [Localité 10] C'ur De Ville, la Société Demathieu & Bard Construction venant aux droits de la société
Demathieu Bard Construction Nord et la Société BW ;
' Débouter la Société [Localité 10] C'ur De Ville, la Société Demathieu & Bard Construction venant aux droits de la société
Demathieu Bard Construction Nord et la Société BW de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
' Statuer ce que de droit sur la charge des frais et dépens.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 06 décembre 2023, la société BW demande à la cour de :
- débouter la CRACMN de l'ensemble de ses prétentions irrecevables et infondées,
- condamner la CRACMN à payer à la société BW une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 1er décembre 2023, la société Demathieu Bard Construction demande à la cour de :
- Déclarer irrecevable la déclaration d'appel de la Caisse régionale de crédit Agricole Mutuel Nord de France à l'encontre de la société Demathieu Bard Construction Nord,
- Juger irrecevable l'appel contre la société Demathieu Bard Construction Nord ;
- Juger irrecevable l'appel contre a société Demathieu Bard Construction
Subsidiairement,
- Confirmer l'ordonnance de référé rendue le 11 mai 2023 par le président du tribunal judiciaire d'Arras,
- Rejeter toutes les demandes fins et conclusions de la Caisse régionale de crédit Agricole Mutuel Nord de France,
- Condamner la Caisse régionale de crédit Agricole Mutuel Nord de France à payer à la société Demathieu Bard Construction, la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 30 novembre 2023, la SCCV [Localité 10] Coeur de Ville demande à la cour de :
- Confirmer l'ordonnance de référé du 11 mai 2023 rendue par le président du tribunal judiciaire d'Arras Par conséquent,
- Débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France à payer à la SCCV [Localité 10] Coeur de Ville, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de l'instance,
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions ci-dessus visées.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 décembre 2023.
MOTIVATION
Sur la recevabilité de la déclaration d'appel et de l'appel dirigé contre la société Demathieu et Bard Construction Nord et la société Demathieu et Bard Construction
La société Demathieu et Bard Construction Nord fait valoir au visa de l'article 32, que c'est la société Demathieu Bard et Construction qui a été intimée le 05 juin 2023 alors que cette société n'avait plus d'existence depuis le 1er janvier 2023, ayant fait l'objet d'une fusion absorption avec la société Demathieu Bard Construction, et alors que cettela fusion absorption avait fait l'objet d'une publication les 4 et 5 juin 2023.
La CRCAMN fait valoir que les dispositions de l'article 901 du code de procédure civile n'impose pas que soit mentionnée l'identité des intimés et qu'en tout état de cause, les mentions exigées par les articles 901, 54 et 57 du code de procédure sont sanctionnées par la nullité de l'acte qui, s'agissant d'une nullité de forme, ne peut être invoquée que moyennant démonstration d'un grief. aucun grief n'est démontré.
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Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir est irrecevable.
L'article 901 du code de procédure civile dispose, dans sa rédaction applicable à l'espèce ,que "la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité :
1° La constitution de l'avocat de l'appelant ;
2° L'indication de la décision attaquée ;
3° L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Elle est signée par l'avocat constitué. Elle est accompagnée d'une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d'inscription au rôle.
Par renvoi aux articles 54 et 57 du même code la déclaration d'appel doit contenir l'indication des éléments d'identification de l'intimé, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social.
Selon l'article 117 du code de procédure civile constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :
Le défaut de capacité d'ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.
Les mentions prescrites par les articles 901, 54 et 57 du code de procédure civile sont prescrites à peine de nullité des actes, ils ne constituent pas des fins de non-recevoir.
La société Demathieu Bard Construction SAS qui déclare elle-même qu'elle vient aux droits de la société Demathieu Bard Construction Nord, à la suite d'une fusion absorption avec transmission universelle de patrimoine, ne peut valablement soutenir le défaut "d'existence" de l'intimé, la société absorbante ayant été touchée par l'avis adressé par le greffe s'est constituée le 06 juillet 2023 mentionnant sa qualité et indiquant venir aux droits de la société Demathieu Bard Construction Nord, de sorte qu'il ne peut être sérieusement allégué que l'intimé était dépourvu d'existence et du droit d'agir.
Quant à l'erreur d'identification de l'intimé sur la déclaration d'appel, elle constitue qu'un vice de forme faisant encourir la nullité de l'acte.
En l'espèce, la constitution de la société Demathieu Bard Construction venant aux droits de la société Demathieu Bard Construction Nord et le dépôt de conclusions, démontrent l'absence de tout grief.
Les moyens seront rejetés.
Sur la demande d'expertise,
L'appelante fait valoir qu'une nouvelle expertise a été ordonnée et que l'expert, M. [V] a indiqué souhaiter la mise en cause des constructeurs, ce qui suffit à justifier de la demande, dès lors peu importe l'expertise déjà réalisée par M. [P].
La société Demathieu Bard Construction, réplique que l'appréciation de l'utilité de la mesure relève du seul juge du fond, dès lors qu'une première expertise portant sur les mêmes désordres a déjà été menée.
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Aux termes de l'article 145 du code, civil s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Il est constant que le juge des référés ne peut ordonner une contre-expertise ou ordonner une nouvelle expertise en se fondant sur les insuffisances d'une première expertise
Il appartient au juge des référés d'apprécier l'existence d'un motif légitime découlant de l'existence d'un litige plausible, bien qu'éventuel et futur.
La mesure doit être utile c'est à dire améliorer la situation probatoire des parties.
Si une partie dispose déjà d'éléments de preuve découlant d'un précédent rapport, la nouvelle mesure d'expertise est dépourvue d'utilité.
En l'espèce, la CRCAMN a sollicité et obtenu du juge des référés sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation de M. [P] par ordonnance du 02 juillet 2020, pour apprécier des désordres d'humidité/infiltrations affectant les locaux achetés constituant le lot de volume n° 9 dans l'ensemble immobilier.
Ont été attraits et ont participé à cette mesure, la SCCV, la société BW, la société Etandex et la société Demathieu Bard Construction Nord.
L'expert a déposé son rapport le 15 juin 2021.
La CRCAMN a obtenu du juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, qu'une expertise soit ordonnée le 06 janvier 2022 au contradictoire de la société Pingat, pour examiner ses locaux et les désordres d'infiltrations/humidité.
Les deux expertises judiciaires portent donc sur les mêmes désordres dans le même local, dès lors la mise en cause de la SCCV, de la société BW et de la société Demathieu Bard Construction dans le cadre de la deuxième mesure d'expertise, revient à remettre en cause la première expertise et c'est à dire à ordonner une mesure de contre-expertise, qu'il n'appartient pas au juge des référés d'ordonner.
L'appréciation de l'insuffisance d'une mesure d'expertise relevant de l'appréciation du juge du fond ainsi que l'a justement retenue le premier juge dont l'ordonnance sera confirmée en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires,
La CRCAMN sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à chacun des intimés une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
Rejette les moyens d'irrecevabilité et de nullité soulevés par la société Demathieu Bard Construction,
Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France au dépens de l'instance d'appel,
Condamne la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France à payer à chacun des intimés, la société BW, la SCCV [Localité 10] Coeur de Ville et la société Demathieu Bard Construction une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.