Livv
Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 15 octobre 2024, n° 20/00253

CHAMBÉRY

Autre

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Reaidy, M. Sauvage

Avocats :

Me Conrad, SAS Mermet & Associes

CA Chambéry n° 20/00253

14 octobre 2024

Faits et procédure

Par acte authentique du 27 mars 2012, M. [H] [D] et M. [J] [Y] ont acquis en indivision à parts égales la propriété d'un local commercial situé [Adresse 16] à [Localité 15], au prix de 65 100 euros, intégralement financé par le biais d'un prêt de 70 000 euros souscrit par les acquéreurs auprès de la société [8].

Messieurs [H] [D], [J] [Y] et [T] [B] ont conclu postérieurement à cette vente une convention tripartite non datée, prévoyant notamment le financement de l'acquisition du local à parts égales.

Suivant exploit d'huissier en date du 18 décembre 2014, M. [Y] et M. [B], excipant d'une jouissance privative du local par M. [D] depuis l'origine, ont fait assigner ce dernier devant le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains aux fins d'obtenir sa condamnation à leur verser des indemnités d'occupation.

Par jugement du 15 décembre 2016, le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent et a transmis la procédure au tribunal de grande instance de Thonon les Bains.

Par jugement du 17 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Thonon les Bains a :

- déclaré irrecevables les conclusions transmises par M. [D] le 15 octobre 2019 ;

- constaté le désistement d'instance de M. [Y] ;

- débouté M. [B] de sa demande tendant à ce que soit constatée l'existence d'une société de fait ou créée de fait avec M. [D] et M. [Y] ;

- débouté M. [B] de I ' ensemble de ses demandes subséquentes ;

- débouté M. [D] de sa demande indemnitaire relative à la gestion et aux dépenses réalisées pour le compte de l'indivision ;

- condamné M. [B] à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum M. [B] et M. [Y] aux entiers dépens de la procédure ;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes, comprenant les demandes plus amples et contraires.

Au visa principalement des motifs suivants :

il ne ressort aucunement des pièces versées aux débats que M. [B], M. [Y] et M. [D] se seraient matériellement comportés comme des associés, ni même qu'il existerait une entreprise commune entre eux ;

le simple fait que M. [B] ait participé au financement, ce qui d'ailleurs n'apparaît pas caractérisé par les pièces financières versées aux débats mais qui n'est pas réellement contesté par les autres parties, du bien immobilier acquis par M. [Y] et M. [D] ne suffit à caractériser à lui-seul la réalité d'actes d'exploitation d'une société;

aucune société de fait ne se trouve ainsi caractérisée ;

M. [D] ne justifie nullement avoir amélioré à ses frais le bien indivis.

Par déclaration au greffe du 19 février 2020, M. [B] a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a : (RG 20-253)

- débouté M. [B] de sa demande tendant à ce que soit constatée l'existence d'une société de fait ou créée de fait avec M. [D] et M. [Y] ;

- débouté M. [B] de l'ensemble de ses demandes subséquentes ;

- condamné M. [B] à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum M. [B] et M. [Y] aux entiers dépens de la procédure.

Par déclaration au greffe du 18 mars 2020, M. [D] a également interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a : (RG 20-446)

- déclaré irrecevables ses conclusions transmises le 15 octobre 2019 ;

- débouté M. [D] de sa demande indemnitaire relative à la gestion et aux dépenses réalisées pour le compte de l'indivision.

Par ordonnance du 27 mai 2021, le conseiller de la mise en état de la 1ère chambre civile de la cour d'appel de Chambéry a ordonné la jonction des instances.

M. [B] a saisi le conseiller de la mise en état de conclusions d'incident tendant à voir constater la caducité de l'appel de M. [D], et de son appel incident et à dire les conclusions d'intimé et d'appel incident signifiées le 6 octobre 2020 irrecevables. Il était aussi demandé la comparution personnelle des parties, et à titre subsidiaire d'ordonner à M. [Y] de verser aux débats le relevé de compte du [10] n° [XXXXXXXXXX07] pour la période du 27 mars 2012 au 8 novembre 2018.

Par ordonnance du 14 avril 2022, le conseiller de la mise en état a débouté M. [B] de ses demandes et dit que les dépens suivront le sort des dépens au fond.

M. [B] a déféré cette ordonnance à la cour d'appel par requête du 28 avril 2022.

Par un arrêt du 22 novembre 2022, la chambre sociale de la cour d'appel a :

- infirmé l'ordonnance déférée en ce qu'elle a débouté M. [B] de sa demande de caducité de son appel à l'encontre de M. [Y] ;

- confirmé pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur ce point,

- dit que l'appel de M. [D] à l'encontre de M. [Y] est caduc ;

- dit que les dépens suivront le sort des dépens au fond.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières écritures du 9 décembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [B] demande à la cour de :

- Dire et juger qu'il a été créé une société de fait ou une société simple entre M. [D], M. [Y] et M. [B] en vue de l'acquisition d'une arcade commerciale située sur le territoire de la commune de [Localité 15] ;

- En conséquence, dire et juger que les lots 1 et 2 de l'état descriptif de division de l'immeuble en copropriété situé sur le territoire de la commune de [Localité 15], [Adresse 16], cadastré section C sous le n°[Cadastre 4] pour une contenance de 3 ares 84 centiares sont la propriété indivise de M. [D], M. [Y] et M. [B], à raison de 1/3 chacun ;

- Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au service de la publicité foncière d'Annecy ;

- Ordonner la dissolution de la société de fait ou de la société simple créée entre les parties, en raison de la disparition de l'affectio societatis et désigner tel mandataire liquidateur qui lui plaira pour procéder à la liquidation de ladite société ;

Préalablement, vu l'article 815 du code civil,

- Ordonner le partage et la licitation des droits immobiliers sus-indiqués et, préalablement et pour y parvenir, la licitation à la barre du tribunal judiciaire de Thonon les Bains desdits biens, sur le cahier des conditions de la vente qui sera dressé par la SCP Mermet & Associes, avocats, et sur la mise à prix de 50 000 euros, avec faculté de baisse de mise à prix d'un tiers en cas de désertion d'enchères ;

- Désigner la SCP Mottet-Duclos-Tissot, huissiers de justice associés à [Localité 14], pour établir un procès-verbal de description ;

- Fixer les modalités de la publicité légale en vue de la vente ;

- Désigner la SCP Mottet-Duclos-Tissot, huissiers de justice associés à [Localité 14], pour faire procéder à la visite des biens, objet de la procédure de licitation ;

- Dire et juger que le prix de vente sera versé entre les mains du liquidateur de la société de fait ou simple pour d'une part payer les créanciers de ladite société, et d'autre part faire le compte des parties et procéder à la répartition du solde disponible entre eux ;

- Condamner M. [D] à payer à la société de fait une indemnité d'occupation d'un montant de 549 euros par mois à compter du 27 mars 2012 et jusqu'à la vente des biens immobiliers indivis ;

- Subsidiairement, et pour le cas où la cour écarterait l'existence d'une société de fait, dire et juger qu'il est propriétaire du tiers indivis des lots 1 et 2 de l'état descriptif de division de l'immeuble sis à [Adresse 16], cadastré section C sous le numéro [Cadastre 4] ;

- Plus subsidiairement, et pour le cas où la Cour estimerait devoir le débouter de ses demandes, et sur le fondement de l'article 1302 du code civil, condamner in solidum M. [D] et M. [Y] à lui rembourser la somme de 15 358,95 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la notification des présentes conclusions et jusqu'à parfait paiement, ainsi qu'un tiers des frais d'acte notarié ;

Sur l'appel principal et sur l'appel incident de M. [D],

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevables les conclusions signifiées par M. [D] le 15 octobre 2019 ;

- Débouter M. [D] de sa demande d'indemnité de gestion et de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;

- Déclarer irrecevables les demandes nouvelles présentées pour la première fois devant la Cour par M. [D] à son encontre ;

- Subsidiairement, déclarer lesdites demandes infondées et l'en débouter ;

- Condamner M. [D] et M. [Y] in solidum à lui payer une indemnité de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code De Procédure Civile, ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, M. [B] fait valoir notamment que :

la preuve de la volonté de s'associer, de réaliser des apports et de supporter les dépenses générées par le local commercial situé à [Localité 15] se déduit de la convention tripartite ainsi que des échanges intervenus entre les parties ;

seul M. [D] a eu la jouissance du local indivis depuis son acquisition, et jusqu'à ce jour, M. [Y] l'ayant autorisé, à partir du 1er janvier 2019, à effectuer les travaux nécessaires et à utiliser le local afin d'y exercer son activité commerciale ;

la mésentente entre associés doit conduire à prononcer la dissolution de la société de fait existante entre eux, en raison de la disparition de l'affectio societatis, et à la licitation du local commercial indivis ;

il justifie avoir financé pour partie l'acquisition du bien indivis par le remboursement de sa quote-part du prêt immobilier, il a donc un intérêt légitime à revendiquer la propriété indivise dudit bien et, subsidiairement, le remboursement des sommes qu'il a payées sur le fondement de la répétition de l'indu;

les demandes indemnitaires formées par M. [D] en cause d'appel sont irrecevables car nouvelles.

Aux termes de ses dernières écritures du 6 octobre 2020, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [D] sollicite quant à lui l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :

- Le dire et juger recevable et bien fondé en ses demandes,

En conséquence,

- Constater l'absence de qualité de propriétaire de M. [B] sur le bien indivis ;

- Dire et juger que M. [B] n'a pas la qualité à agir à la présente action en justice ;

- Constater l'absence d'usage privatif du bien indivis par M. [D] ;

- Débouter M. [B] de sa demande de licitation sur l'immeuble en copropriété situé sur le territoire de la commune de [Localité 15], [Adresse 16], cadastré section C sous le n°[Cadastre 4] pour une contenant de 3 ares 84 centiares ;

- Débouter M. [B] de sa demande d'indemnisation au titre du remboursement de sa quote-part qu'il prétend faire correspondre au remboursement du prêt immobilier ;

Reconventionnellement,

- Condamner M. [B] à lui payer la somme de 195 000 euros d'indemnisation au titre de la perte d'exploitation de son local ;

- Condamner M. [B] à lui payer la somme 200 000 euros d'indemnisation au titre de sa perte de salaire sur une période de six ans et demi ;

- Condamner M. [B] à lui payer la somme 80 000 euros d'indemnisation au titre de la perte de valeur de revente (reprise) de son établissement ;

En tout état de cause,

- Condamner M. [B] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [B] aux entiers dépens, outre les dépens de la procédure devant le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains.

Au soutien de ses prétentions, M. [D] fait valoir notamment que :

dès lors que M. [B] n'a pas la qualité de coindivisaire du local commercial litigieux, il ne dispose d'aucune qualité à agir ;

aucune société créée de fait ne se trouve caractérisée en l'absence de volonté de partager les pertes et bénéfices et d'affectio societatis;

la convention tripartite non datée ne peut être appliquée compte tenu des irrégularités qui l'affectent, et en tout état de cause, elle n'a pas été suivie d'effet, M. [B] n'ayant jamais manifesté le moindre intérêt pour le local ;

M. [B] invoque le fait d'avoir participé au financement du bien sans en rapporter la preuve ;

aucune jouissance privative du local de son fait ne se trouve démontrée, et il n'y exploite en particulier aucune activité de brocante ;

les agissements de M. [B] ne lui ayant pas permis d'exploiter le local commercial, il est fondé à se prévaloir d'une perte d'exploitation, de salaire et de la valeur de revente du bien.

Régulièrement cité à son domicile suisse selon les formes prévues à l'article 5, alinéa premier, lettre a) de la convention de la Haye du 15 novembre 1965, M. [J] [Y] n'a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 25 mars 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 28 mai 2024.

Motifs de la décision

En application des dispositions de l'article 472 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne conclut pas, le juge ne fait droit aux prétentions de l'appelant que s'il les estime régulières, recevables et bien fondées. Il appartient notamment au juge d'appel, dans une telle hypothèse, d'examiner la pertinence des moyens par lesquels le premier juge s'est déterminé.

Il convient d'observer, à titre liminaire, que si l'appel interjeté par M. [D] contre M. [Y], non comparant, a été déclaré caduc, la présente juridiction reste néanmoins saisie de l'appel formé par M. [B] contre M. [Y].

Sur l'existence d'une société créée de fait et ses conséquences

La thèse exposée par Monsieur [B] dans le cadre de la présente instance consiste à arguer de ce qu'une société aurait été créée de fait entre lui même et Messieurs [D] et [Y], ayant pour objet d'acquérir le local commercial situé [Adresse 16] à [Localité 15] pour y exploiter une crêperie, avec la volonté de leur part de s'associer, de réaliser des apports et de participer aux charges communes. Il indique qu'à ce titre, il se serait acquitté, comme convenu entre les parties, d'un tiers des échéances du prêt ayant servi à financer cette acquisition.

L'appelant en tire la conséquence qu'il serait propriétaire indivis à hauteur d'un tiers du local et entend ainsi exercer une action en revendication de ce chef, la volonté exprimée par les parties devant primer selon lui sur le contenu de l'acte authentique du 26 mars 2012. Il serait également fondé, à ce titre, à réclamer à M. [D] une indemnité d'occupation en contrepartie de sa jouissance privative du bien indivis. M. [B] soutient enfin que la mésentente existant entre les associés doit conduire la juridiction à prononcer la dissolution de la société et ordonner la licitation de l'immeuble.

M. [D] conteste quant à lui la qualité à agir de l'appelant au motif qu'il ne serait pas propriétaire indivis du local litigieux. Force est cependant de constater que dans le dispositif de ses dernières écritures, il ne conclut nullement à l'irrecevabilité des prétentions formées par M. [B], mais uniquement à leur rejet, de sorte qu'il ne soulève pas expressément une fin de non recevoir de ce chef. Par ailleurs, et en tout état de cause, l'appréciation de la qualité d'indivisaire de l'intéressé repose sur la thèse selon laquelle une société de fait aurait été créée entre les parties, et relève à ce titre du fond.

Selon une jurisprudence constante, il appartient à celui qui se prévaut de l'existence d'une société créée de fait de démontrer que les trois éléments constitutifs d'une société, tels qu'ils sont prévus à l'article 1832 du code civil, se trouvent effectivement réunis, à savoir :

- une intention de s'associer dans une entreprise commune, communément dénommée 'affectio societatis' ;

- des apports réalisés par chacun des associés ;

- la vocation des parties à participer aux bénéfices et aux pertes.

Au-delà de la réunion de ces trois éléments, l'existence d'une société de fait doit s'apprécier de manière globale (Cour de Cassation, Civ 1ère, 13 novembre 1980).

En l'espèce, M. [B] fait reposer essentiellement son argumentation sur la convention tripartite qu'il conclue à une date indéterminée avec Messieurs [Y] et [D], et dont le contenu est notamment le suivant :

'1. Le 27 mars 2012 les deux associés signataires ont acquis selon acte de vente dressé par Maître [S] [N], notaire à [Localité 15] (Ain) la propriété d'un ensemble immobilier sis [Adresse 11] à [Localité 15] (Haute-Savoie). (....)

5. Les deux associés signataires ont acquis chacun la pleine propriété indivise à concurrence de la moitié.

6. Cependant c'est uniquement en raison des exigences de la banque prêteuse que l'associé non signataire n'a pas été partie au contrat d'emprunt hypothécaire et d'acquisition.

7. Toutefois les trois associés ont décidé en commun d'acquérir, ont fait chacun un apport égal des fonds propres, se sont ensuite acquittés de toutes charges d'amortissement, intérêts et autres dépenses à parts égales.

8. Les trois associés ont dès avant l'acquisition formé une société simple, chacun assumant risques et profits, ce jusqu'à ce jour, et ultérieurement.

9. La présente convention a pour but de formaliser ladite société simple.

10. La présente convention est signée par chacun d'eux et à toutes fins utiles communiquée au notaire [S] [N].

11. Si des formalités complémentaires devaient être nécessitées pour assurer la reconnaissance pleine et entière des droits et obligations de chacun et leur mise en 'uvre, les parties s'engagent à les requérir.

12. La présente transaction est régie en tous ses termes par le droit suisse, en particulier le code des obligations'.

Si M. [D] met en cause la valeur probante de cette convention, en faisant observer notamment qu'elle contient une erreur sur son nom ('[L]' au lieu de '[D]'), et qu'elle n'aurait pas été soumise à un notaire, il ne saurait être suivi dans son argumentation sur ce point, dès lors qu'il ne conteste nullement être signataire du document litigieux, qu'il s'est par ailleurs lui-même prévalu de son contenu devant le tribunal de commerce à l'appui d'une exception d'incompétence qu'il a soulevée au profit des juridictions suisses, et qu'enfin, et par essence, aucune forme n'est requise pour constituer une société créée de fait. Aucun élément ne permet d'écarter ainsi la valeur probante de la convention litigieuse.

Il convient d'observer, tout d'abord, que la convention stipule expressément qu'elle est régie par le droit suisse, et qu'elle se réfère explicitement à la notion de 'société simple' de l'article 530 alinéa 2 du code des obligations suisse, qui est analogue à la notion de 'société créée de fait' de l'article 1873 du code civil. Cependant, M. [B] sollicite la dissolution de la structure qui aurait été créée entre les trois parties au litige sans faire état de l'une des causes de dissolution de la société simple qui se trouvent énumérées à l'article 545 alinéa 1 du code des obligations suisse, auquel se trouve pourtant soumise la convention. D'une manière plus générale, l'appelant ne fait reposer aucune de ses prétentions sur les dispositions du droit suisse régissant la société simple.

Ensuite, en se référant au droit français, comme l'a relevé le premier juge, l'affectio societatis d'une société créée de fait ne se réduit pas à la simple volonté d'être associé, mais suppose la réalité d'une 'entreprise commune', et donc la réalisation concrète d'actes d'exploitation. Or, en l'espèce, il ne peut qu'être constaté, à la lecture des nombreux échanges intervenus entre les parties, ainsi que des déclarations que les intéressés ont pu effectuer devant les services de police et de gendarmerie dans les différentes plaintes qu'ils ont déposées les uns contre les autres suite à la dégradation de leurs relations, qu'aucune 'entreprise commune' n'a jamais existé entre eux, et qu'ils ne se sont jamais comportés comme des associés d'une même structure au service d'un dessein partagé.

En effet, si M. [B] explique qu'ils auraient eu l'intention d'exploiter une crêperie dans le local litigieux, aucun acte d'exploitation n'a été réalisé, ni même la moindre tentative pour parvenir à ce but. Seul M. [D] a pu avoir accès au local, en se faisant remettre les clés, et a pu y entreposer des objets d'antiquité, dans le cadre de son activité de brocanteur, qu'il exerce par ailleurs seul sous couvert d'une autre entreprise. Ni M. [B] ni M. [Y] n'ont jamais réalisé le moindre acte qui serait susceptible de démontrer leur intérêt pour exploiter un quelconque commerce dans le local litigieux. Et la convention tripartite ne fait nullement état d'une telle intention.

Il est important de relever, en outre, que M. [B] ne soutient pas que l'intention des parties aurait été uniquement d'exploiter les murs du local commercial, et les courriers échangés témoignent de ce qu'ils ne souhaitaient nullement s'inscrire dans un tel projet, qui n'aurait pas été rentable selon leurs dires. Du reste, les parties n'ont effectué aucune démarche pour donner à bail le local.

D'une manière plus générale, comme l'a relevé le premier juge, la seule participation au paiement des mensualités du prêt souscrit pour financer l'acquisition du local ne peut suffire à caractériser l'existence d'une 'entreprise commune' et d'un affectio societatis, de nature à démontrer la création entre les parties d'une société de fait. M. [B] ne pourra donc qu'être débouté de ce chef de demande.

Les prétentions subséquentes qui sont formées par l'appelant, tendant à se voir déclarer propriétaire indivis du local, et à voir ordonner la dissolution de la société et la licitation du bien, qui sont présentées par M. [B] comme étant la conséquence de la reconnaissance judiciaire d'une société de fait, devront également être rejetées.

Sur la qualité d'indivisaire de M. [B]

M. [B] prétend exercer, à titre subsidiaire, une action en revendication sur le local commercial litigieux.

Force est de constater cependant qu'il n'est pas partie au contrat de vente conclu le 27 mars 2012, et qu'il ne fait état d'aucun élément susceptible de démontrer que le propriétaire initial, la société [8], aurait à un quelconque titre manifesté sa volonté de lui vendre ce bien.

Il n'argue pas non plus de ce que les acquéreurs, Messieurs [D] et [Y], auraient souhaité lui transférer la propriété du tiers indivis du local après en avoir fait l'acquisition. Et la convention tripartite conclue entre les parties à une date indéterminée, qu'il verse aux débats, ne peut nullement s'analyser comme un acte de vente.

M. [B] échoue ainsi à rapporter la preuve de ce qu'il aurait la qualité de co-indivisaire de ce local. Ce qui doit nécessairement conduire à rejeter sa demande d'indemnité d'occupation, qu'il fait reposer sur les dispositions de l'article 815-9 du code civil.

Sur la répétition de l'indu

Aux termes de l'article 1235 ancien du code civil, 'tout paiement suppose une dette; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution'. Dès lors que les sommes versées n'étaient pas dues, le solvens est en droit, sans être tenu à aucune autre preuve, d'en obtenir la restitution (Cour de Cassation Ass Plén, 2 avril 1993, n°89-15.490), une telle répétition trouvant par ailleurs application même en l'absence d'erreur du solvens (Cour de Cassation, Soc, 14 octobre 1993, n°91-12.892), et lorsque le paiement, qui était dans un premier temps justifié, est ensuite devenu indu (Cour de Cassation, Soc, 16 mai 2000, n°98-12.571).

En l'espèce, dès lors que M. [B] ne dispose d'aucun droit sur le local commercial litigieux, et qu'aucune société de fait n'a été constituée, il apparaît fondé à obtenir la restitution des sommes qu'il a versées au titre de sa participation aux échéances du prêt souscrit auprès de la [8] par Messieurs [D] et [Y]. Il se déduit à cet égard sans ambiguïté des échanges intervenus entre les parties que les sommes qui ont pu être versées par l'appelant l'ont été à ce titre, et non, comme le prétend M. [D], dans le seul but de démontrer qu'il pouvait prétendre détenir des droits dans le commerce.

Du reste, il ne peut qu'être constaté que M. [D] ne fait état d'aucun motif, en particulier une intention libérale, qui serait susceptible de justifier les paiements intervenus, alors que dans le même temps il conteste la qualité d'indivisaire de l'appelant. Ces paiements présentent ainsi bien un caractère indu au sens de l'article 1235 ancien du code civil.

M. [B] prétend avoir versé une somme totale de 15 358, 95 euros, qui se décompose comme suit :

- 1/3 de 36 mensualités de 35 euros du 10 avril 2012 au 10 avril 2015 = 1 260 euros ;

- 1/3 de 57 mensualités de 742, 05 euros du 10 mai 2015 au 10 février 2020 = 14 098, 95 euros.

Il appartient cependant à l'intéressé de justifier précisément des versements indus qu'il allègue, dès lors que M. [D] les conteste. Il convient d'observer, à cet égard, que l'audition de M. [Y] devant les services de gendarmerie, le 23 septembre 2014, dont se prévaut l'appelant, faisant état d'un accord qui serait intervenu entre les parties, en vertu duquel Messieurs [B] et [Y] auraient versé à M. [D] la somme de 250 euros chacun au titre des mensualités du prêt, ne peut suffire à rapporter une telle preuve, dès lors que l'intéressé se contente de faire état d'un accord, sans préciser s'il a été réellement respecté, et que ses comptes s'arrêtent nécessairement au jour de son audition, en septembre 2014. Du reste, les échanges intervenus entre les parties mettent en exergue le caractère aléatoire des versements effectués, ainsi que l'absence de paiement des échéances du prêt à certains périodes par M. [D].

Dans ce contexte, les seules pièces qui peuvent permettre de déterminer de manière probante les versements effectués par M. [B] sont les relevés de compte qui sont versés auxs débats. Il se déduit de l'examen des relevés bancaires du compte ouvert par Messieurs [D] et [Y] auprès de la [8], sur lequel ont été prélevées les échéances du prêt litigieux. qu'entre le 19 mars 2012 et le 10 juin 2014, les échéances du prêt ont été partiellement payées par le biais d'espèces déposées sur le compte, sans qu'aucun élément du dossier ne permette de déterminer l'origine de ces versements, ainsi que par des virements provenant du compte de M. [D].

Ensuite, du 10 juin 2014 au 11 février 2015, les échéances du prêt ont été réglées par le biais de virements provenant du compte de M. [Y], ce qui est confirmé par l'attestation de la banque gestionnaire du compte de ce dernier. M. [Y] a également procédé à un virement complémentaire de 2 595, 95 euros le 4 octobre 2014, destiné à apurer un arriéré qui s'était alors constitué.

M. [B] justifie par contre, par ses propres relevés de compte, avoir procédé à différents virements en direction du compte ouvert au nom de Messieurs [Y] et [D], entre le 27 février 2018 et le 8 février 2020 :

- 250 euros le 27 février 2018 ;

- 250 euros le 30 mars 2018 ;

- 3 x 200 euros le 4 septembre 2018 ;

- 200 euros le 1er décembre 2018 ;

- 47, 95 euros le 8 mars 2019 ;

- 16 virements mensuels de 247, 35 euros chacun entre le 8 novembre 2018 et le 8 février 2020, pour un montant total de 3 957, 60 euros.

Soit un indu total de 5 305, 55 euros, que Messieurs [Y] et [D] seront condamnés in solidum à lui rembourser, avec intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2021, date des dernières conclusions de l'appelant, conformément aux dispositions de l'article 1352-7 (article 1378 ancien) du code civil.

Le surplus de la demande qu'il forme de ce chef sera par contre rejetée, compte tenu de sa carence probatoire.

Sur les demandes indemnitaires formées par M. [D]

En cause d'appel, M. [D] demande à la cour de condamner M. [B] à lui payer les sommes suivantes :

- 195 000 euros au titre de la perte d'exploitation de son local ;

- 200 000 euros au titre de sa perte de salaire sur une période de six ans et demi ;

- 80 000 euros au titre de la perte de valeur de revente (reprise) de son établissement.

Il estime avoir été privé de la possibilité d'utiliser le fonds de commerce litigieux en raison d'agissements de M. [B], dont il ne précise cependant nullement la teneur. Ses demandes tendent ainsi, bien qu'il ne l'indique pas expressément, à voir engager la responsabilité délictuelle de l'appelant.

Or, aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, 'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'. L'article 565 du même code précise quant à lui que 'les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent'. L'article 566 permet enfin aux parties d'ajouter aux prétentions soumises au premier juge 'les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire'.

La cour d'appel est tenue d'examiner, au regard de chacune des exceptions prévues aux textes susvisés, au besoin d'office, si la demande nouvelle est recevable (voir sur ce point notamment Cour de cassation Civ 2ème, 17 septembre 2020, n°19-17.449). Par ailleurs, toute différence d'objet n'implique pas, selon une jurisprudence constante, le caractère nouveau de la demande soumise au juge d'appel, ce dernier devant rechercher quel était le but recherché par le plaideur à travers sa prétention initiale.

Force est de constater qu'en l'espèce, les demandes indemnitaires qui sont formées par M. [D] en cause d'appel présentent bien un caractère nouveau au sens de l'article 564 du code de procédure civile, puisqu'en première instance, l'intéressé n'avait formulé qu'une demande tendant à obtenir le remboursement de sommes qu'il disait avoir exposées seul, pour le compte de l'indivision, à hauteur de 5 000 euros, sur le fondement de l'article 815-13 du code civil, et n'avait articulé aucune argumentation tendant à voir engager la responsabilité délictuelle de l'appelant. Par ailleurs, les sommes qu'il réclame en cause d'appel sont totalement différentes.

Ces demandes nouvelles ne tendent ainsi pas aux mêmes fins, et ne peuvent constituer l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de ses prétentions initiales. Il n'est fait état en outre d'aucune évolution du litige qui serait susceptible de rendre ses demandes nouvelles recevables et M. [D] ne développe du reste aucune argumentation de ce chef.

Il convient d'observer, enfin, que dans ses dernières écritures d'appel, l'intimé ne conclut nullement à la réformation du chef du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables ses conclusions transmises le 15 octobre 2019.

Les demandes indemnitaires formées par M. [D] ne pourront, dans ces conditions, qu'être déclarées irrecevables.

Sur les demandes accessoires

En tant que parties perdantes, Messieurs [D] et [Y] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.

Il ne sera pas fait application, par contre, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. [H] [D] et M. [J] [Y] à payer à M. [T] [B] la somme de 5 305, 55 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2021, au titre de la répétition de l'indu,

Rejette le surplus de la demande formée de ce chef par M. [T] [B],

Déclare irrecevables les demandes indemnitaires formées en cause d'appel par M. [H] [D],

Condamne in solidum M. [H] [D] et M. [J] [Y] aux dépens d'appel,

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel.