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Décisions

Cass. com., 23 octobre 2024, n° 22-23.151

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Schmidt

Avocats :

Me Bertrand, SARL Ortscheidt, SCP Piwnica et Molinié, SCP Spinosi

Paris, du 20 sept. 2022

20 septembre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 septembre 2022), en novembre 1996, à la suite d'une inspection de la société Crédit martiniquais et de son actionnaire majoritaire, la société Compagnie financière d'Outre Mer (la société Cofidom), la Commission bancaire a engagé une procédure disciplinaire contre les dirigeants de la société Crédit martiniquais, placé cet établissement sous administration provisoire le 29 mai 1997 puis sollicité, le 30 septembre 1999, l'intervention du Fonds de garantie des dépôts (le Fonds), créé par la loi du 25 juin 1999. Cette intervention, préventive, a été acceptée sous certaines conditions, dont la cession des actifs de la société Crédit martiniquais et sa mise en extinction.

2. Le 16 mai 2000, faisant application de l'article L. 312-6 du code monétaire et financier, le Fonds a engagé une action en responsabilité délictuelle fondée sur les articles L. 225-251 du code de commerce et 1382, devenu 1240, du code civil contre la société JP Morgan Chase Bank National Association (la société JP Morgan) et la société MMA vie assurances mutuelles (la société MMA), administrateurs de la société Crédit martiniquais, et contre la société Cofidom, en sa qualité de dirigeant de fait, pour obtenir le remboursement des sommes versées par lui.

3. La société Crédit martiniquais, devenu la société Financière du forum, ayant été mise en liquidation judiciaire simplifiée le 24 juin 2015, la SELARL EMJ, désignée liquidateur, ultérieurement remplacée par la SELARL Fides, est intervenue volontairement à l'instance.

4. Par un arrêt du 1er juillet 2016, devenu irrévocable, l'action engagée par le Fonds a été rejetée.

5. Le 27 avril 2018, après avoir obtenu du tribunal de la procédure collective qu'il soit mis fin à la mise en oeuvre des règles de la liquidation judiciaire simplifiée, le liquidateur de la société Financière du forum a assigné les sociétés JP Morgan et MMA en leur qualité de dirigeants de droit, et la société Cofidom, en sa qualité de dirigeant de fait, en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Examen des moyens

Sur les moyens des pourvois incidents, réunis, qui sont préalables

Enoncé du moyen

6. Les sociétés Cofidom, MMA et JP Morgan font grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 1er juillet 2016, alors :

« 1°/ que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif de l'article L. 651-2 du code de commerce ne se cumulant pas avec l'action en responsabilité civile de droit commun, il incombe au liquidateur judiciaire, représentant de l'intérêt collectif des créanciers, qui intervient dans une instance en responsabilité civile engagée par un créancier contre des dirigeants de la société en liquidation et qui se prévaut de fautes de gestion commises avant l'ouverture de la procédure collective, soit de reprendre et poursuivre cette instance et de présenter l'ensemble des moyens de nature à fonder la demande de condamnation, soit de soulever l'incompétence de la juridiction saisie, pour saisir ensuite le tribunal de la procédure collective ; qu'en retenant que l'abstention procédurale du liquidateur judiciaire de la société Financière du forum, anciennement le Crédit martiniquais, ne permettrait pas de lui opposer l'autorité de chose jugée le 1er juillet 2016 parce qu'il n'aurait pu agir en responsabilité pour insuffisance d'actif devant une juridiction incompétente pour en connaître, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile ;

2°/ que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif de l'article L .651-2 du code de commerce ne se cumulant pas avec l'action en responsabilité civile de droit commun, il incombe au liquidateur judiciaire, représentant de l'intérêt collectif des créanciers, qui intervient dans une instance en responsabilité initiée contre des dirigeants de la société en liquidation et qui se prévaut de fautes de gestion commises avant l'ouverture de la procédure collective soit de reprendre et poursuivre cette instance et de présenter l'ensemble des moyens de nature à fonder la demande de condamnation, soit de soulever l'incompétence de la juridiction saisie, pour saisir ensuite le tribunal de la procédure collective ; qu'en écartant la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 1er juillet 2016, motif pris que la cour d'appel n'a statué sur aucune des demandes que la société Fidès, ès qualités, formées dans la présente instance, quand il résulte de ses constatations que le Fonds a agi en responsabilité civile en se prévalant notamment de prétendues fautes de gestion de la société Cofidom commises en qualité de dirigeant de fait du Crédit martiniquais et sur une insuffisance d'actif, et que la société Fides, ès qualités de liquidateur de la société Financière du forum, est intervenue à cette instance sans soulever l'incompétence de la juridiction saisie, ce dont il résultait que l'action du Fonds devait être reprise et poursuivie par le liquidateur qui, représentant l'intérêt collectif des créanciers, dont le Fonds des dépôts et de résolution, devait alors présenter tous les moyens de nature à les faire prospérer, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile.

3°/ que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal est revêtu de l'autorité de la chose jugée relativement à la question qu'il tranche ; qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et soit formée entre les mêmes parties ; que la cour d'appel en l'espèce a constaté que les deux actions en responsabilité successivement exercées contre les anciens dirigeants étaient de même nature et avaient un même objet, que les faits à l'origine de ces procédures caractérisaient une identité de cause, et que l'identité des parties était également établie ; qu'en considérant cependant, pour écarter l'autorité de chose jugée de l'arrêt rendu le 1er juillet 2016 par la cour d'appel de Paris ayant débouté le Fonds de son action en responsabilité engagée contre les anciens dirigeants sur le fondement des articles L. 225-251 du code de commerce et 1382 ancien du code civil, que le liquidateur judiciaire n'avait formé aucune demande au profit de la liquidation dans l'instance initiée par le Fonds de garantie, et que compte tenu de l'incompétence des juridictions civiles, il n'avait pas été en mesure d'exercer l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif devant la cour d'appel saisie de l'action en responsabilité engagée par le Fonds, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants à écarter l'autorité de chose jugée dont elle avait constaté que tous les éléments étaient réunis, et a violé les articles 480 du code de procédure civile et 1355 du code civil ;

4°/ que l'autorité de la chose jugée suppose, à titre de conditions nécessaires mais suffisantes, que la chose demandée soit la même, qu'elle soit fondée sur la même cause et qu'elle soit formée entre les mêmes parties ; qu'en l'espèce, en écartant la fin de non-recevoir soulevée par la société JP Morgan, tirée de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 1er juillet 2016 aux motifs qu' il faut que la demande soit entre les mêmes parties" et que le liquidateur judiciaire n'a formé aucune demande au profit de la liquidation dans l'instance initiée par le Fonds de garantie et, compte tenu de l'incompétence des juridictions civiles, n'a pas été en mesure d'exercer l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif devant la cour d'appel saisie de l'action en responsabilité engagée par le Fonds de garantie", cependant qu'elle avait elle-même constaté la triple identité d'objet, de cause et de parties entre les deux actions successivement introduites par le Fonds de garantie puis par le liquidateur judiciaire de la société Financière du forum à l'encontre des anciens dirigeants du Crédit martiniquais, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 122 et 480 du code de procédure civile et l'article 1351, devenu 1355, du code civil ;

5°/ que le fait, pour une partie, de s'en rapporter à la justice sur le mérite de la demande d'une autre partie implique de sa part, non une simple attitude passive vis-à-vis de cette demande, mais la contestation de celle-ci ; qu'en l'espèce, en retenant que le liquidateur judiciaire n'a formé aucune demande au profit de la liquidation dans l'instance initiée par le Fonds de garantie », cependant que dans ses dernières conclusions d'intervention volontaire, le liquidateur de la société Financière du forum, avait demandé à la cour d'appel de lui donner acte […] de ce qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la Cour sur le mérite des demandes du Fonds de garantie des dépôts et de résolution", la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble les articles 122 et 480 du code de procédure civile et l'article 1351, devenu 1355, du code civil ;

6°/ qu'il incombe aux parties de présenter dès l'instance initiale l'ensemble des moyens qu'elles estiment de nature, soit à fonder leurs demandes, soit à justifier le rejet total ou partiel des demandes adverses ; qu'en l'espèce, en énonçant que l'abstention procédurale du liquidateur judiciaire – tout comme celle des autres parties, aucune d'entre elles n'ayant soulevé l'impossibilité de poursuivre l'action du Fonds de garantie au vue de la liquidation judiciaire de la société Financière du forum et de l'insuffisance d'actif alléguée – ne permet pas d'opposer à son action ultérieurement initiée devant le tribunal de la procédure collective l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 1er juillet 2016 dès lors que ce liquidateur ne pouvait pas agir en responsabilité pour insuffisance d'actif devant une juridiction incompétente pour connaître d'une telle action", cependant que le liquidateur judiciaire de la société Financière du forum s'était abstenu de soulever en temps utile une quelconque exception ou un moyen pris de l'impossibilité, pour le liquidateur, de poursuivre cette action devant les juridictions civiles compte tenu de l'existence avérée d'une insuffisance d'actif de la société Financière du forum et de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, et que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 1er juillet 2016 était pleinement opposable au liquidateur en sa qualité d'intervenant nonobstant l'incompétence de la juridiction saisie pour statuer sur une action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil, ensemble les articles 122 et 480 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, il résulte des mentions de l'arrêt du 1er juillet 2016 que le liquidateur a indiqué, dans le dispositif de ses conclusions, qu'il s'en rapportait à la sagesse de la cour d'appel sur le mérite des demandes du Fonds et demandait à celle-ci de constater qu'il ne formulait aucune demande.

8. Dès lors, c'est sans méconnaître les termes du litige tranché par l'arrêt du 1er juillet 2016 que la cour d'appel a constaté que le liquidateur n'avait formé aucune demande au profit de la liquidation judiciaire de la société Financière du forum.

9. En second lieu, il résulte de l'article 1351, devenu 1355, du code civil que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.

10. Il résulte du même texte que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

11. Ayant relevé que le liquidateur n'avait formé aucune demande au profit de la liquidation judiciaire de la société Financière du forum dans l'instance initiée par le Fonds contre les dirigeants de la société Crédit martiniquais, la cour d'appel en a exactement déduit, abstraction faite des motifs surabondants visés aux première, troisième, quatrième et sixième branches, que l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 1er juillet 2016, ayant statué sur les demandes du Fonds, n'était pas opposable au liquidateur.

12. Le moyen n'est pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, le deuxième et le troisième moyen du pourvoi principal

En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner une cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en ce qu'elle est dirigée contre la société Cofidom alors « que le président du conseil d'administration d'une société anonyme est le dirigeant de droit de cette dernière ; qu'a la qualité de dirigeant de fait d'une société la personne qui accomplit en toute indépendance des actes positifs de direction et de gestion de cette société ; que la cour d'appel, qui a constaté que la société Cofidom et le Crédit martiniquais avaient tous deux pour président du conseil d'administration M. [X] et pour administrateurs MM. [M], [B], [L] et [H]", a toutefois considéré qu'aucune des pièces produites n'avait trait aux conditions de désignation du président et de ces administrateurs communs aux deux sociétés, et que la société Fides ès qualités ne démontrait pas non plus que ces président et administrateurs du Crédit martiniquais [avaient] agi sous l'emprise de Cofidom, aucune des pièces produites ne faisant état des relations entre Cofidom et ces personnes en tant qu'elles prenaient part aux décisions du conseil d'administration du Crédit martiniquais", d'où elle a déduit qu' à défaut de tout autre élément, le seul constat d'un président et de quatre administrateurs communs à Cofidom et au Crédit martiniquais ne peut démontrer que Cofidom a choisi ces personnes et exercé une emprise sur elles dans l'exercice de leurs prérogatives au sein du conseil d'administration du Crédit martiniquais, étant observé que la SELARL Fides ès qualités n'énonce même pas dans ses écritures les décisions qui auraient été prises par ces membres du conseil d'administration du Crédit martiniquais sous l'emprise de Cofidom" ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses propres constatations que le dirigeant de la société Cofidom, laquelle était également l'actionnaire majoritaire du Crédit martiniquais, était également le dirigeant de droit de la société Crédit martiniquais, d'où il résultait que la première exerçait par le biais de ce représentant commun un pouvoir de direction sur la seconde, de sorte qu'était caractérisée la direction de fait du Crédit martiniquais par la société Cofidom, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ».

Réponse de la Cour :

14. Il résulte de l'article L. 651-2 du code de commerce que peut être déclarée responsable la personne morale qui, sans être dirigeant de droit de la société en liquidation judiciaire, a exercé en fait, par l'intermédiaire d'une personne physique qu'elle a choisie et qui a agi sous son emprise, des pouvoirs de direction sur la société.

15. Cependant, la seule circonstance qu'une société mère et sa filiale, dont elle détient la majorité du capital, ont le même dirigeant de droit ne suffit pas à établir la direction de fait de la première sur la seconde en l'absence d'acte ou décision ou tout autre élément traduisant son immixtion dans la direction ou la gestion de sa filiale.

16. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.