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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ., 10 octobre 2024, n° 23/00702

CAEN

Arrêt

Autre

CA Caen n° 23/00702

10 octobre 2024

AFFAIRE : N° RG 23/00702

ARRÊT N°

NLG

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Commerce d'ALENCON en date du 30 Janvier 2023

RG n° 2021 00502

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 10 OCTOBRE 2024

APPELANTS :

Monsieur [O] [Z]

né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 14]

[Adresse 3]

[Localité 6]

S.A.R.L. VSN EXPERTISE

N° SIRET : 447 554 999

[Adresse 11]

[Localité 9]

prise en la personne de son représentant légal

Représentés par Me Mickaël DARTOIS, avocat au barreau de CAEN,

Assistés de Me Céline ASTOLFE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :

S.A.S.U. IN EXTENSO ORNE

N° SIRET : 308 174 333

[Adresse 5]

[Localité 10]

prise en la personne de son représentant légal

S.A.S.U. AVENIR I.E

N° SIRET : 844 333 245

[Adresse 1]

[Localité 12]

prise en la personne de son représentant légal

Représentées par Me France LEVASSEUR, avocat au barreau de CAEN,

Assistées de Me Arnaud PERICARD, substitué par Me Maximilien MATTEOLI, avocats au barreau de PARIS

S.A.S.U. IN EXTENSO NORMANDIE

N° SIRET : 820 487 197

[Adresse 4]

[Localité 8]

prise en la personne de son représentant légal

S.A.S.U. IN EXTENSO SECAG

N° SIRET : 309 847 119

[Adresse 4]

[Localité 8]

prise en la personne de son représentant légal

S.A.R.L. ALCADO

N° SIRET : 519 193 015

[Adresse 4]

[Localité 8]

prise en la personne de son représentant légal

S.C.I. DEMEBOLE

N° SIRET : 324 455 393

[Adresse 13]

[Localité 7]

prise en la personne de son représentant légal

Représentées par Me France LEVASSEUR, avocat au barreau de CAEN,

Assistées de Me Arnaud PERICARD, substitué par Me Maximilien MATTEOLI, avocats au barreau de PARIS

DEBATS : A l'audience publique du 20 juin 2024, sans opposition du ou des avocats, Madame EMILY, Président de Chambre et Mme COURTADE, Conseillère, ont entendu les plaidoiries et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement le 10 octobre 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

*

* *

La SASU In extenso Orne, société spécialisée dans l'activité d'expertise-comptable et de commissariat aux comptes, est détenue par la société In extenso Secag, elle-même détenue par la SASU In extenso Normandie, qui est détenue par la SASU Avenir I.E., société holding du groupe des sociétés In Extenso.

M. [O] [Z], expert-comptable et commissaire aux comptes, a été le directeur général de la société In extenso Orne du 21 juin 2008 au 4 septembre 2019.

M. [O] [Z] a acquis par l'intermédiaire de sa société, la SARL VSN expertise, dont il était unique associé et seul dirigeant, des parts sociales dans plusieurs sociétés appartenant du groupe In Extenso.

Au cours de l'été 2019, il a été découvert que M. [O] [Z] et la société VSN expertise avaient détourné des sommes au préjudice de la société In extenso Orne.

Reconnaissant les faits, M. [O] [Z] a démissionné de l'ensemble de ses mandats au sein du groupe In extenso le 4 septembre 2019.

Dans ce contexte, le 10 octobre 2019, M. [O] [Z] et la société VSN expertise ont signé deux 'protocoles de reconnaissance de dette et de rachat de titres', aux termes desquels M. [Z] et la société VSN expertise s'engageaient principalement à céder leurs participations dans les différentes sociétés du groupe In extenso et reconnaissaient avoir détourné au préjudice de la société In extenso Orne une somme globale identifiée de 1.081.873 euros.

Après expertise, la société In extenso Orne a engagé différentes procédures relatives aux infractions commises et au paiement des sommes dues.

Estimant que leur consentement lors de la conclusion de ces protocoles avait été vicié, M. [O] [Z] et la société VSN expertise ont, par six actes introductifs d'instance des 2 et 3 mars 2021, assigné devant le tribunal de commerce d'Alençon les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole aux fins notamment de voir prononcer la nullité des protocoles litigieux.

Par jugement du 30 janvier 2023, le tribunal commercial d'Alençon a :

- dit que les protocoles de reconnaissance de dette et de rachat de titres conclus entre M. [O] [Z], la société VSN expertise et les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole le 10 octobre 2019, ne sont pas entachés de nullité ;

En conséquence,

- débouté M. [O] [Z] et la société VSN expertise de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre des sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole ;

A titre reconventionnel,

- condamné M. [O] [Z] et la société VSN expertise à payer à la société In extenso Orne la somme de 1.318.837,98 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la notification du présent jugement et ce jusqu'au parfait paiement ;

- condamné M. [O] [Z] et la société VSN expertise aux entiers dépens de l'instance ;

- condamné solidairement M, [O] [Z] et la société VSN expertise à payer à la société In extenso Orne la somme de 15.000 euros et à chacune des sociétés Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que l'exécution provisoire est de droit ;

- liquidé les frais de greffe à la somme de 180,68 euros.

Par déclaration du 23 mars 2023, M. [O] [Z] et la SARL VSN expertise ont fait appel de ce jugement.

Par dernières conclusions déposées le 19 décembre 2023, M. [O] [Z] et la SARL VSN expertise demandent à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris,

Et, statuant à nouveau,

A titre principal, sur les demandes de M. [O] [Z] et VSN expertise aux fins de nullité des protocoles 'de reconnaissance de dette et de rachat de titres' conclus le 10 octobre 2019,

A titre principal,

- Annuler les protocoles 'de reconnaissance de dette et de rachat de titres' conclus le 10 octobre 2019 entre les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole d'une part et M. [O] [Z] et la société VSN expertise d'autre part, le consentement de ces derniers ayant été vicié,

En conséquence,

- Ordonner à la société Avenir I.E. de restituer à la société VSN expertise et à M. [O] [Z] les 29.503 actions de la société Avenir I.E. qu'elle lui a cédées aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité,

- Ordonner à la société Avenir I.E. de restituer à la société VSN expertise les 727.444 actions de la société In extenso Normandie qu'elle lui a cédées aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité,

- Ordonner à la société Avenir I.E. de restituer à la société VSN expertise l'action de la société In extenso Secag qu'elle lui a cédée aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité,

- Ordonner à la société Demebole de restituer à M. [O] [Z] les 16 parts sociales de la société Demebole qu'il lui a cédées aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité,

- Ordonner à la société Alcado de restituer à M. [O] [Z] les 1.000 parts sociales de la société Alcado qu'il lui a cédées aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité,

- Condamner la société Avenir I.E. à payer à M. [O] [Z] et à la société VSN expertise les dividendes qu'ils auraient dû percevoir depuis le 10 octobre 2019 au titre de leur participation dans les sociétés Avenir I.E., In extenso Normandie et In extenso Secag,

Subsidiairement,

- Annuler les protocoles « de reconnaissance de dette et de rachat de titres » conclus le 10 octobre 2019 entre les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole d'une part et M. [O] [Z] et la société VSN expertise d'autre part en l'absence de concessions réciproques des parties,

En conséquence,

- Ordonner à la société Avenir I.E. de restituer à la société VSN expertise et à M. [O] [Z] les 29.503 actions de la société Avenir I.E. qu'elle lui a cédées aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité,

- Ordonner à la société Avenir I.E. de restituer à la société VSN expertise les 727.444 actions de la société In extenso Normandie qu'elle lui a cédées aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité,

- Ordonner à la société Avenir I.E. de restituer à la société VSN expertise l'action de la société In extenso Secag qu'elle lui a cédée aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité ;

- Ordonner à la société Demebole de restituer à M. [O] [Z] les 16 parts sociales de la société Demebole qu'il lui a cédées aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité ;

- Ordonner à la société Alcado de restituer à M. [O] [Z] les 1.000 parts sociales de la société Alcado qu'il lui a cédées aux termes du protocole du 10 octobre 2019 entaché de nullité ;

- Condamner la société Avenir I.E. à payer à M. [O] [Z] et à la société VSN expertise les dividendes qu'ils auraient dû percevoir depuis le 10 octobre 2019 au titre de leur participation dans les sociétés Avenir I.E., In extenso Normandie et In extenso Secag,

A titre subsidiaire, sur les demandes de M. [O] [Z] et VSN expertise aux fins de voir les sociétés les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole condamnées à réparer les préjudices résultant de leur manquement à l'obligation de bonne foi contractuelle,

- Constater que les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole ont manqué à l'obligation de bonne foi contractuelle dans la négociation, la formation et l'exécution des protocoles 'de reconnaissance de dette et de rachat de titres' conclus le 10 octobre 2019 avec M. [O] [Z] et VSN expertise,

En conséquence,

- Condamner solidairement les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole à payer à la société VSN EXPERTISE la somme de 1.099.566,78 euros à titre de dommages et intérêts,

- Condamner solidairement les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole à payer à M. [O] [Z] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,

Sur la demande reconventionnelle de la société In extenso Orne,

A titre principal,

- Déclarer la société In extenso Orne irrecevable en sa demande de condamnation de M. [O] [Z] et VSN expertise au paiement d'une somme de 1.301.037,08 euros compte tenu de l'acquisition de la prescription extinctive ;

Subsidiairement,

- Débouter la société In extenso Orne de sa demande infondée de condamnation de M. [O] [Z] et VSN expertise au paiement d'une somme de 1.301.037,08 euros,

En tout état de cause,

- Débouter les sociétés In extenso Orne, Avenir i.e., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- Ordonner, le cas échéant, la compensation entre les condamnations prononcées à l'encontre des sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole et celles prononcées d'autre part à l'encontre de M. [O] [Z] et VSN expertise,

- Condamner les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole à payer chacune à M. [O] [Z] et VSN expertise la somme de 8.000 euros à chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole aux entiers dépens.

Par dernières conclusions déposées le 12 avril 2024, les sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole demandent à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris,

- Condamner solidairement M. [O] [Z] et la société VSN expertise à verser à chacune des sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- Condamner M. [O] [Z] et la société VSN expertise aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 avril 2024.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

SUR CE, LA COUR

Sur la nullité des protocoles pour vice du consentement

Aux termes de l'article 1128 du code civil, sont nécessaires à la validité d'un contrat :

1° Le consentement des parties ;

2° Leur capacité de contracter ;

3° Un contenu licite et certain.

Selon l'article 1130 du même code, l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

Selon l'article 1140, il y a violence lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable.

Selon l'article 1141, la menace d'une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu'elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif.

Les intimés soutiennent que les sociétés du groupe In extenso ont exercé une violence à leur encontre en les menaçant de déposer une plainte et ce dans le but d'obtenir des avantages manifestement excessifs excédant très largement la simple indemnisation de leur préjudice puisque outre le remboursement des sommes détournées, les manoeuvres desdites sociétés ont permis à celles-ci de réaliser un profit totalement injustifié d'au moins 909.887,78 euros au titre du prix de cession des titres détenus par M. [Z] et la société VSN Expertise et d'un montant de 178.429 euros au titre de la renonciation de leurs droits aux résultats réalisés par les sociétés Avenir I.E et In extenso Normandie, ces avantages outrepassant très largement ceux auquels les sociétés du groupe In extenso auraient pu prétendre dans le cadre d'une action judiciaire, ces menaces ayant été déterminantes du consentement de M. [Z] et de la société VSN Expertise qui souhaitaient à tout prix éviter une action pénale.

Les intimées font valoir qu'aucune menace ou contrainte illégitime n'est démontrée, que les appelants ont spontanément reconnu leur dette, qu'elles n'ont jamais invoqué un renoncement à une action pénale et que la plainte pénale a été déposée lorsqu'elles ont appris, postérieurement à la signature des protocoles, que M. [Z] leur avait caché d'autres détournements à hauteur de 400.000 euros, que les titres des appelants n'ont pas été rachetés à vil prix, que le prix de cession résulte de l'accord des parties et tient compte des circonstances du départ de M. [Z].

Par courrier du 2 septembre 2019 adressé au directeur général d'In extenso Normandie, M. [Z] a annoncé sa volonté de démissionner de ses fonctions. Il précise dans ce courrier qu'il souhaite dès que possible engager la cession de l'intégralité de ses 727.444 actions et que les modalités de détermination de la valeur des actions devront respecter les usages pratiqués.

Par courrier du 14 septembre 2019, In extenso a notifié à M. [Z] et à la société VSN Expertise la résiliation du contrat de prestation liant les deux sociétés compte tenu des détournements commis. Ce courrier précise que la résiliation a lieu sans préjudice d'une action judiciaire à venir, le cas échéant de nature pénale, sur laquelle la société est en train de travailler, afin d'obtenir la réparation des préjudices subis.

Les protocoles ont été signés le 10 octobre 2019 sans mention d'un abandon de toute poursuite pénale par la société In extenso et il ne ressort pas des pièces communiquées que celle-ci s'était engagée à renoncer à toute action pénale du fait de la signature des protocoles ou qu'elle aurait menacé M. [Z] d'une telle action s'il refusait de signer lesdits actes.

Les protocoles signés le 10 octobre 2019 prévoient d'une part le rachat des titres détenus par M. [Z] et la société VSN Expertise et d'autre part la reconnaissance de leur dette par ceux-ci à la suite des détournements commis par M. [Z].

Il sera relevé que les actes ont été signés par M. [Z] et par les représentants des différentes sociétés du groupe In extenso intéressées par le rachat des parts, sans que les appelants ne démontrent qu'ils n'ont pas eu la possibilité de se faire assister d'un avocat, M. [Z], ancien directeur général de la société In extenso Orne, gérant de la SARL VSN Expertise, administrateur de la société In extenso Secag, n'apparaissant pas être dans une situation inférieure à celle des autres contractants quant à la compréhension de la teneur et de la portée des actes litigieux.

Il est mentionné dans les protocoles d'accord que les parties se sont rencontrées au cours des mois de septembre et octobre 2019 pour discuter ensemble, ce qui implique que les contractants ont disposé d'un temps de réflexion et les parties ont déclaré avoir pu s'entourer des conseils de leur choix dans le cadre de la négociation et préalablement à la signature du contrat.

La reconnaissance de dette porte sur un montant de 1.081.873 euros.

M. [Z] explique dans ses conclusions qu'il a spontanément expliqué à M. [V], directeur général d'In extenson Secag, que sa démission de ses fonctions de mandataire social était motivée par le fait que depuis sa prise de fonction en 2008, il avait commis plusieurs détournements de fonds et que 'rongé par les remords', il souhaitait rembourser In extenso pour 'soulager sa conscience et prendre un nouveau départ'.

Il ressort par ailleurs du compte-rendu d'enquête en date du 29 septembre 2021, qu'à la demande des enquêteurs, M. [Z] a fourni des éléments comptables de sa société VSN Expertise et a établi un chiffrage détaillé de ses détournements et qu'entendu en octobre 2021, celui-ci a reconnu avoir commis des détournements sur une période du 30 juin 2010 au 31 mars 2020 pour un montant global de 1.476.727,56 euros avec un détail de la somme détournée chaque année.

Dès lors, au vu de ces éléments, il ne peut être retenu que les sociétés du groupe In extenso ont imposé aux appelants la reconnaissance d'une dette excessive.

S'agissant du rachat des parts, les protocoles signés par les parties prévoient expressément :

- qu'il est convenu entre celles-ci que le rachat sera réalisé de manière indépendante par rapport aux stipulations du pacte d'associés Avenir I.E. en date du 1er avril 2019 et du pacte d'actionnaires régional en date du 25 juin 2016,

- qu'il est en effet reconnu par les parties, ce qu'acceptent expressément VSN Expertise et M. [Z], que lesdits pactes ne sont pas applicables lorsque le rachat des actions a pour cause et origine la commission, par un associé d'In extenso d'actes de détournement,

- que par conséquent M. [Z] et VSN Expertise renoncent expressément et irrévocablement à se prévaloir des valeurs et des clauses stipulées dans les pactes au profit de celles conventionnellement arrêtées entre les parties dans le cadre du protocole.

Par courrier du 2 septembre 2019 adressé au directeur général d'In extenso Normandie, M. [Z] a annoncé sa volonté de démissionner de ses fonctions . Il précise dans ce courrier qu'il souhaite dès que possible engager la cession de l'intégralité de ses 727.444 actions et que les modalités de détermination de la valeur de ces actions devront respecter 'les usages pratiqués'.

Or, le rachat des actions par la société In extenso est prévu au pacte d'associé de la société Avenir I.E. du 1er avril 2019 dont l'article 15 prévoit une promesse de vente en cas de cessation d'activité et l'engagement de rachat par la société Avenir I.E. avec cependant l'engagement des associés de faire leurs meilleurs efforts pour transférer leurs titres à un autre associé ou à un tiers dans les trois mois de leur départ.

En cas de rachat par la société Avenir I.E., celui-ci se fait à la valeur de liquidité des titres de la société correspondant à 50% de la valeur de référence de la société divisée par le nombre total de titres émis par la société.

M. [Z] ne justifie pas avoir envisagé une vente à un autre associé ou à un tiers ni en avoir été empêché.

Au contraire, les termes de son courrier du 2 septembre 2019 induisent une volonté de céder ses actions à la société In extenso puisqu'il est précisé que 'les modalités de détermination de la valeur de ces actions devront respecter les usages pratiqués', ce qui contredit une volonté de céder ses actions à un autre associé ou à un tiers.

Même s'il prétend ne pas avoir signé le pacte d'associés, il sera relevé que les 'usages pratiqués' par la société Avenir I.E. lors de rachats de parts est un rachat au prix prévu au pacte d'associé soit à 50% de la valeur de référence de la société, ce que ne pouvait ignorer M. [Z] compte tenu de ses fonctions de directeur général de la société In extenso Orne et d'administrateur de la société In extenso Secag.

C'est bien à ce prix que les parts des appelants ont été rachetées puisque M. [Z] détermine lui-même le prix de ses actions à la somme de 1.842.369,78 euros au vu du rapport de l'expert qu'il a missionné pour ce faire et qu'il a reçu de la société In extenso un prix de 921.232 euros.

Ces éléments corroborent l'analyse de l'expert désigné par les intimées qui indique dans son attestation du 2 mai 2022 que l'abattement de 50% appliqué sur la valeur de rachat des titres aurait été pratiqué pareillement en application de la valeur de liquidité telle que prévue à l'article 15.3.2 du pacte des associés Avenir I.E.

Il en résulte que la société In extenso a procédé au rachat des parts sociales détenues par les appelants dans les conditions prévues à son pacte d'associés ce qui ne peut être considéré de sa part comme une volonté d'obtenir un avantage manifestement excessif.

Par ailleurs, il n'est justifié d'aucune contrainte pour que les protocoles soient signés avant que les assemblées générales ne statuent sur l'affectation des résultats de l'exercice clos au 30 juin 2019, la société VSN de percevant dès lors pas rémunération en tant qu'actionnaire. Dans son courrier du 2 septembre 2019, M [Z] sollicite lui-même la cession de ses actions dès que possible, les délais rapides de signatures des protocoles s'expliquant par le contexte de la démission de M. [Z] et de la résiliation du contrat de prestation avec la société VSN Expertise.

Il s'ensuit que les appelants ne rapportent pas la preuve qui leur incombe que les protocoles signés le 10 octobre 2019 l'ont été après qu'ils aient fait l'objet de menaces de la part de leurs cocontractants et que ces derniers leur ont ainsi imposé des conditions manifestement excessives .

En l'absence de preuve de ce que les protocoles signés le 10 octobre 2019 l'ont été du fait de l'exercice d'une violence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté les appelants de leur action en nullité.

Sur la nullité des protocoles en l'absence de concessions réciproques

Les appelants soutiennent que les protocoles signés le 10 octobre 2019 sont des transactions au sens de l'article 2044 du code civil et que ces transactions doivent être annulées puisqu'elles sont dépourvues de concessions réciproques.

Les intimées font valoir que les protocoles ne sont pas des transactions.

Selon l'article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.

Ce contrat doit être rédigé par écrit.

En l'espèce, les protocoles signés le 10 octobre 2019 ne visent pas l'article 2044 du code civil ni ne font état d'aucune transaction.

Ils ne précisent pas qu'ils ont pour objet de régler un contentieux.

Ils prévoient le rachat des parts détenues par la société VSN Expertise, une reconnaissance de dette et une compensation entre la dette et les créances de prix de cession.

L'absence de concessions de part et d'autre ne permet pas de retenir que les protocoles litigieux sont des transactions.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la responsabilité des sociétés du groupe In extenso pour manquement à l'obligation de bonne foi contractuelle

Les appelants soutiennent que les sociétés du groupe In extenso ont failli à leur obligation de contracter de bonne foi en leur imposant du fait d'un rapport de force la signature de protocoles totalement disproportionnés et qu'elles ont également fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution des protocoles en multipliant les actions judiciaires alors qu'elles avaient persuadé M. [Z] et VSN Expertise que la signature des protocoles leur permettrait d'éviter toute procédure judiciaire, rendant ainsi plus difficile l'indemnisation des préjudices causés à In extenso Orne alors que M. [Z] a toujours oeuvré pour parvenir amiablement à cette fin.

Selon l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Cette disposition est d'ordre public.

Il a été retenu que la preuve de l'exercice d'une menace d'action judiciaire pour conclure les protocoles n'est pas rapportée, pas plus que n'est rapportée la preuve de l'octroi aux sociétés du groupe In extenso d'avantages manifestement excessifs.

Par ailleurs, il n'est pas démontré que les sociétés intimées ont renoncé à un moment donné à exercer des actions en justice tant au pénal pour voir condamner M. [Z] qu'au civil pour obtenir le règlement des sommes que les appelants ont reconnues devoir, ces actions n'étant pas en elles-mêmes abusives.

Dès lors, la preuve d'un manquement des sociétés intimées à l'obligation de bonne foi contractuelle n'est pas rapportée.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté les appelants de leur demande formée à ce titre.

Sur la demande en paiement

Sur la prescription

Les appelants soutiennent que l'action en paiement introduite par la société In extenso Orne plus de 5 ans après qu'elle aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir est prescrite, que cette société a détecté la fraude bien avant l'été 2019 et qu'elle a volontairement fermé les yeux sur celle-ci pendant 10 ans au vu des bons résultats de M. [Z].

Les intimées font valoir que les détournements ont été dissimulés par les appelants et qu'elles ne les ont découverts qu'à l'été 2019.

Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

M. [V], directeur général de la société In extenso Normandie, a déclaré devant les services de police que depuis 2 ou 3 ans, la trésorerie n'était pas en accord avec l'activité et les résultats de la société, qu'il pensait qu'il s'agissait d'un problème de gestion de la facturation des clients, qu'il avait demandé la mise en place d'un système de suivi de la facturation, non mis en place par M. [Z], que le problème s'était aggravé sur l'exercice 2018/2019 (exercice clos en juin), qu'à l'arrêté des comptes vers le 20 juillet 2019, il avait ordonné un examen des comptes qui avait permis de révéler les détournements commis par M. [Z].

M. [Z] lui-même dans son audition devant les services de police le 4 mars 2021 a déclaré qu'il dissimulait ses opérations frauduleuses par un traitement comptable permettant de ne pas faire apparaître les détournements, qu'au sein d'In extenso Orne, personne n'était informé de ses manoeuvres, que la comptable du cabinet lui avait posé certaines questions mais qu'elle obéissait puisqu'il était son supérieur hiérarchique, qu'il ne l'avait jamais mise dans la confidence, qu'In extenso Normandie avait détecté certaines malversations au cours de l'été 2019 sans le lui annoncer et que c'est lui qui avait appris ses agissements à M. [V] à l'été 2019.

Il ressort de ces éléments que la société In extenso Normandie n'a pas décelé les agissements de M [Z] avant l'été 2019 du fait des opérations de dissimulation de ce dernier qui était le directeur général de la société In extenso Orne et que ce n'est qu'à cette date que le groupe In extenso a connu les faits lui permettant d'exercer son action en paiement des sommes détournées.

L'action engagée par voie de conclusions signifiées le 26 avril 2021 n'est donc pas prescrite.

Sur le bien fondé de la demande

Les appelants font valoir que la demande en paiement se heurte à la faute de la victime qui a été défaillante dans ses contrôles des comptes ce qui constitue une cause d'exonération de responsabilité, que la demande est en outre injustifiée en son quantum et qu'elle se heurte également à la loi des parties puisqu'aux termes des protocoles litigieux, la société In extenso Orne s'est expressément engagée à l'égard de M. [Z] à mettre en place amiablement un plan de remboursement de la dette alléguée.

Les intimées soutiennent qu'il ne peut leur être reproché une faute dès lors qu'elles ont été victimes d'agissements qui ont été dissimulés et qu'au-delà de la reconnaissance de dette figurant dans les protocoles, elle ont découvert postérieurement que les détournements portaient sur des sommes supérieures, 400.000 euros supplémentaires ayant été détournés au titre de compléments de prix indus dans le cadre du rachat des titres de la société In extenso Eure, ce qui n'a pas été contesté par les appelants.

M. [Z] , directeur général de la société In extenso Orne, a reconnu lui-même qu'il dissimulait ses agissements par des opérations comptables et il apparaît que la fraude n'a pu être découverte qu'en 2019 lors d'une opération d'examen des comptes faisant suite à des questionnements sur l'inadéquation de la trésorerie avec l'activité.

M. [V] a indiqué aux services de police que les associés avaient une grande autonomie et il sera relevé que c'est M. [Z] qui avait la responsabilité des comptes de la société In extenso Orne du fait de sa fonction de directeur général.

Il en ressort que la victime a été diligente à partir du moment où elle a eu connaissance des agissements frauduleux de M. [Z] et il n'est pas justifié d'une faute de sa part ayant contribué à la survenance du dommage et de nature à limiter son droit à indemnisation.

Il ressort par ailleurs du compte-rendu d'enquête en date du 29 septembre 2021 qu'à la demande des enquêteurs, M. [Z] a fourni des éléments comptables de sa société VSN Expertise et a établi un chiffrage détaillé de ses détournements et qu'entendu en octobre 2021, celui-ci a reconnu avoir commis des détournements sur une période du 30 juin 2010 au 31 mars 2020 pour un montant global de 1.476.727,56 euros avec un détail de la somme détournée chaque année.

Les appelants ne démontrent pas que cette somme calculée par M. [Z] lui-même serait inexacte.

Les appelants ont reconnu dans les protocoles du 10 octobre 2019 des détournements à hauteur de 1.081.873 euros.

Les sociétés intimées indiquent, sans être contredites par les appelants, qu'elles ont découvert ensuite de nouveaux détournements pour un montant de 400.000 euros correspondant à la perception par M. [Z] et la société VSN de compléments de prix indus dans le cadre du rachat des titres de la société In extenso Eure, M. [Z] ayant signé le 13 décembre 2012 un additif à l'acte de cession d'actions entre M. [S] et la société In extenso Socogec au terme duquel un solde de prix de 773.551 euros restait à acquitter par la société In extenso Socogec aux cinq personnes ayant cédé leurs actions (pièce 6 des intimés) et ayant établi le même jour 12 chèques à son profit ou au profit de la société VSN Expertise pour une somme totale de 400.000 euros. (Pèce 7 des intimées)

Le préjudice subi par le groupe In extenso s'élève donc à la somme de 1.481.873, ce qui corrobore les chiffres retenus par l'expert du groupe In extenso qui arrive à un chiffre de 1.499.673 euros.

Il convient d'ajouter la somme de 841.699,98 euros payée par In extenso et correspondant au remboursement des prêts ayant permis l'achat des actions qui étaient nanties en garantie desdits prêts. (Pièce 5 des intimées)

Il ressort des protocoles et de l'expertise produite par les intimés que les remboursements partiels à hauteur de 386.000 euros ont été déduits du poste 'détournements par l'utilisation de comptes de TVA entre 2010 et 2019" .

Le groupe In extenso a procédé au rachat des titres et des comptes courants de M. [Z] et de la société VSN pour une somme de 1.022.535 euros.

C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu que la créance de la société In extenso Orne s'élevait à la somme de 1.318.837,98 euros.

Le moyen selon lequel les protocoles prévoyaient l'élaboration d'un plan de remboursement de la dette est inopérant dès lors que cette circonstance ne fait pas obstacle à l'obtention par la société créancière d'un titre exécutoire.

Le jugement entrepris sera donc confirmé.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, exactement appréciées, seront confirmées.

Les appelants, qui succombent en leur appel, seront solidairement condamnés à payer aux sociétés intimées, unies d'intérêts, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et seront déboutés de leur demande formée à ce titre.

Ils seront condamnés aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne solidairement M. [O] [Z] et la société VSN Expertise à payer aux sociétés In extenso Orne, Avenir I.E., In extenso Normandie, In extenso Secag, Alcado et Demebole, unies d'intérêts, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Déboute M. [O] [Z] et la société VSN Expertise de leur demande formée à ce titre ;

Condamne M. [O] [Z] et la société VSN Expertise aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL F. EMILY