Décisions
CA Grenoble, chbre des aff. familiales, 16 octobre 2024, n° 23/00023
GRENOBLE
Arrêt
Autre
N° RG 23/00023 - N° Portalis DBVM-V-B7H-LUQ5
C6
N° Minute :
copie certifiée conforme délivrée
aux avocats le :
Copie Exécutoire délivrée
le :
aux parties (notifiée par LRAR)
aux avocats
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES
ARRET DU MERCREDI 16 OCTOBRE 2024
APPEL
Jugement au fond, origine juge aux affaires familiales de Gap, décision attaquée en date du 10 mai 2022, enregistrée sous le n° 19/00179 suivant déclaration d'appel du 23 décembre 2022
APPELANT :
M. [R] [T]
né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté et plaidant par Me Ludovic TOMASI de la SCP TGA-AVOCATS, avocat au barreau des HAUTES-ALPES
INTIME :
M. [G] [P]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 8],
[Localité 2]
représenté par Me Guillaume PIALOUX, avocat au barreau des HAUTES-ALPES
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Mme Anne BARRUOL, Présidente,
Mme Martine RIVIERE, Conseillère,
M. Philippe GREINER, Conseiller honoraire,
DEBATS :
A l'audience publique du 29 mai 2024,M. Philippe Greiner, conseiller, chargé du rapport, assisté de MC Ollierou, greffière a entendu les avocats en leurs conclusions et Me Tomasi en sa plaidoirie, les parties ne s'y étant pas opposées, conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile. Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
FAITS ET PROCEDURE
Mme [P] et M. [T] ont vécu en concubinage de 1992 à 2015.
Durant cette période, Mme [P] a acquis les biens immobiliers suivants :
- le 13/06/2002, une grange à l'état de ruine sis à [Localité 2] (05) au prix de 30.490 euros ;
- le 22/02/2007, une parcelle de terre sur la même commune, pour 18.300 euros.
Par ordonnance du 08/11/2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Gap, saisi le 16/08/2016, a ordonné une expertise pour notamment évaluer le montant représentatif de l'apport en nature de M. [T] à la restauration de la grange, à la construction d'un bâtiment attenant, et à la construction d'un hangar sur la parcelle de terre.
Dans son rapport du 23/02/2018, l'expert, Mme [D], aboutit aux conclusions suivantes :
- la grange a été transformée, principalement sur la période 2002-2004, en bâtiment d'habitation, comportant, au rez-de-chaussée, un atelier de menuiserie de 87 m², au niveau 1, un gîte de trois chambres avec séjour et cuisine, de 85 m² en surface pondérée et dans les combles, un appartement de 59 m² environ, comprenant 2 chambres avec séjour ;
- un garage est attenant, d'une surface de 54 m² ;
- une extension a été commencée, d'une surface de 136 m², les murs ayant été élevés sur 2,90 m ;
- la grange, dans son état initial, a une valeur de 72.540 euros au jour de l'expertise ;
- le travail de M. [T] peut être évalué à 6.345 heures, soit à 25 €/heure, un apport en nature de 158.625 euros, les matériaux ayant coûté 124.821,79 euros ;
- la bâtisse a une valeur désormais de 428.000 euros, soit une plus-value apportée par M. [T], de 355.460 euros ;
- sur la parcelle cadastrée section Z n° [Cadastre 5], M. [T] a construit un hangar de 650 m² suite à un permis de construire du 06/02/2009 sur ses deniers propres ;
- le bâtiment a été acheté en kit d'occasion ;
- les matériaux ont coûté 41.251,43 euros et la main-d'oeuvre peut être évaluée à 41.750 euros ;
- la plus-value apportée à l'immeuble est de 98.450 euros, le bien valant désormais 123.750 euros.
Saisi par M. [T] le 11/05/2018, le tribunal judiciaire de Gap a, par jugement du 10/05/2022 :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement diligentée par M. [T] ;
- débouté M. [T] de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
- constaté que M. [T] ne rapporte pas la preuve de la propriété du matériel agricole litigieux ;
- débouté Mme [P] de ses demandes reconventionnelles ;
- dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 23/12/2022, M. [T] a relevé appel de cette décision.
Dans ses conclusions d'appelant n° 2, il demande à la cour de :
- condamner Mme [P] au paiement de 587.001 euros au titre de la restauration, de la construction et de sa participation au financement des biens immobiliers appartenant à Mme [P] ;
- à titre subsidiaire, condamner Mme [P] à payer à M. [T] 300.263 euros ;
- condamner Mme [P] au paiement de 10.000 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Il expose en substance que :
- la prescription ne peut courir qu'à compter de la fin du concubinage, qui peut être fixée au jugement du 22/10/2015 ayant statué sur la garde de l'enfant commun ;
- sa créance ne pouvait en effet n'être déterminée qu'à cette date ;
- en tout état de cause, les travaux n'étaient pas terminés, l'extension étant en cours de travaux en 2014 ;
- l'article 555 du code civil doit s'appliquer ;
- à titre subsidiaire, il y a enrichissement sans cause de Mme [P] ;
- il a en outre remboursé les prêts immobiliers à hauteur de 60%, à hauteur de 38.537,28 euros ;
- il a financé sur ses propres fonds du matériel agricole pour 55.523 euros ;
- aucune indemnité d'occupation n'est due concernant l'usage de l'atelier et du hangar.
Dans ses conclusions d'intimée n° 1, Mme [P] demande à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté la prescription ;
- constater la prescription de l'action de l'appelant tant pour la maison que pour le hangar ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
- lui donner acte de ce qu'elle sollicite la démolition de l'extension et du hangar agricole aux frais de M. Viretto, sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la signification du jugement ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande relative au matériel agricole ou subsidiairement, le condamner au paiement de 57.974 euros;
- débouter M. Viretto de toute demande au titre du remboursement du crédit et subsidiairement, limiter son indemnisation à 39.000,67 euros;
- reconventionnellement, condamner M. Viretto au paiement de 36.000 euros pour l'utilisation privative de l'atelier et de 43.200 euros pour celle des terres agricoles et du hangar ;
- ordonner la compensation entre les sommes dues ;
- condamner M. Viretto au paiement de 40.199,33 euros outre 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- concernant la maison, la prescription a commencé à courir à compter de l'achèvement des travaux ;
- aucune suspension de la prescription n'est prévue entre concubins ;
- à titre subsidiaire, les sommes réclamées sont à minorer fortement ;
- pour ce qui est de l'extension inachevée, M. Viretto ne peut être considéré comme constructeur de bonne foi, et il doit prendre en charge sa démolition ;
- concernant le hangar, elle n'a pas eu d'autre choix que de laisser M. Viretto le construire ; celui-ci en a toujours eu l'usage et l'utilise encore seul aujourd'hui ;
- les demandes relatives à cette construction sont prescrites ;
- M. Viretto n'a pas droit à remboursement des emprunts, ces dépenses ayant été exposées dans le cadre de la vie courante.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les actions de M. [T]
* l'accession
Selon l'article 555 du code civil, lorsque des constructions ont été réalisés sur le fonds d'autrui par un tiers avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire doit, s'il conserve la propriété des ouvrages réalisés, rembourser soit la plus-value apportée au fonds, soit le coût des matériaux et le prix de la main d'oeuvre.
Il est de principe que les concubins sont considérés comme des tiers l'un par rapport à l'autre dans leurs rapports patrimoniaux. Aussi, les règles de l'accession trouveront à s'appliquer en cas de construction par un concubin sur le terrain de l'autre. En revanche, les dispositions du texte ne visent que les ouvrages nouveaux. Lorsqu'on a affaire à des réparations ou améliorations d'ouvrages existants, les dispositions de l'article 555 du code civil sont écartées.
En conséquence, les travaux relatifs à la grange ne relèvent pas de ce texte, puisque il s'est agi de transformer une grange en habitation, le fait qu'ils aient été très importants étant sans incidence.
Doivent être examinés au regard de l'article 555 précité la construction des garages jouxtant la maison, de l'extension et du hangard.
* l'enrichissement sans cause
Les dispositions du code civil régissant l'enrichissement injustifié sont entrées en vigueur le 01/10/2016, soit antérieurement à la saisine du tribunal mais postérieurement aux faits juridiques invoqués par l'appelant. Si la loi nouvelle ne dispose que pour l'avenir, les articles 1303 et suivants du code civil ne font que reprendre les règles antérieures. Ainsi, les demandes relatives à la transformation de la grange d'une part, et au remboursement des crédits immobiliers d'autre part, seront examinées au regard des règles de l'enrichissement sans cause, la loi nouvelle s'appliquant à la détermination et au calcul de l'indemnité éventuelle et ne disposant que pour l'avenir sans effet rétroactif.
Sur la prescription
Il est de principe qu'aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d'eux doit, en l'absence d'un accord entre eux , supporter les dépenses de la vie courante qu'il a exposées.
Toutefois, si l'action pour enrichissement sans cause ou injustifié ne concerne pas les dépenses de la vie courante, elle permet en revanche à celui qui a exposé des frais exceptionnels excédant par leur ampleur sa participation normale aux charges de la vie commune et ne pouvant dès lors être analysés comme une contrepartie aux avantages dont il a profité pendant le concubinage , d'obtenir une indemnité, en l'absence de cause à l'appauvrissement survenu.
L'existence ou l'absence de cause à la situation d' enrichissement du patrimoine de l'un des concubins au détriment de celui de l'autre peut être appréciée à l'occasion de chaque paiement en faveur de l'autre concubin, sans qu'il y ait lieu d'attendre la fin du concubinage pour déterminer si le patrimoine de l'un s'est enrichi au détriment de l'autre. En effet, le coût des travaux et la participation financière d'un concubin comme la plus-value apportée au bien de l'autre peuvent être déterminés au fur et à mesure des investissements financés.
Il en va de même pour l'accession des ouvrages construits par l'appelant sur le terrain de l'intimée, l'évaluation de sa créance pouvant être effectuée dès la fin des travaux et la réalisation de l'ouvrage.
La même solution doit être adoptée pour le remboursement des emprunts de 50.305,10 euros et de 15.244,90 euros.
Dès lors, le point de départ de la prescription des actions au titre de l'accession et pour enrichissement injustifié ou sans cause engagées entre concubins ne se situe pas au jour de la séparation du couple mais à celui où le demandeur a eu connaissance du montant de la créance revendiquée, c'est-à-dire à compter de l'achèvement des travaux et de l'engagement des dépenses.
Du reste, c'est par un texte spécial, l'article 2236 du code civil, qu'est prévue une suspension de la prescription entre époux et partenaires liés par un pacte civil de solidarité durant la vie commune. Il sera en outre observé que la prescription pour agir en matière de liquidation des intérêts matrimoniaux n'est pas quinquennale, mais triennale, en vertu de l'article 1578 du même code, ce qui caractérise un régime spécifique, dérogeant au droit commun régissant le
concubinage.
En l'espèce :
- les travaux de transformation de la grange ont été réalisés pour l'essentiel sur la période 2002-2004, de même que ceux de construction des garages, les dernières factures de matériaux datant de l'année 2009 ;
- l'extension inachevée de 130 m² a débuté en 2014 ;
- le hangar a fait l'objet d'un permis de construire du 06/02/2009 et sa construction a été réalisée cette même année, la facture du terrassement étant du 05/06/2009, les éléments de structure achetés en kit ayant été peints durant l'été, le bâtiment étant monté à l'automne 2009.
En conséquence, l'action de l'appelant concernant la maison et le hangar est prescrite puisqu'il ne justifie pas d'un empêchement pour agir et que les paiements et les apports en industrie dont il est fait état sont antérieurs au 16/08/2011, c'est à dire plus de cinq années avant l'assignation en référé expertise du 16/08/2016, le jugement déféré étant réformé de ce chef.
En revanche, la demande concernant l'extension inachevée est recevable comme non prescrite.
Concernant les emprunts, cette demande n'est pas non plus prescrite, pour la période postérieure au 16/08/2011.
Sur le remboursement des emprunts
Il résulte des éléments du dossier que :
- M. [T] et Mme [P] ont contracté ensemble le 06/12/2002 un prêt '[9]' de 50.308,10 euros remboursable en 190 mois et un prêt '[10]' à taux zéro remboursable en 144 mois ;
- l'appelant justifie avoir déposé sur un compte joint sa quote-part, le montant des échéances étant ensuite reversé sur un compte de Mme [P], duquel étaient débitées les mensualités, tandis qu'il n'est pas établi que ces paiements ont été effectués grâce à l'encaissement des loyers du gîte ;
- il a réglé 2.097,36 euros en 2012 et 2.621,70 euros d'août à décembre 2011, soit un total de 4.719,06 euros.
L'appelant ayant largement contribué aux dépenses du ménage en aménageant la grange, génératrice de revenus pour Mme [P] de par l'exploitation de son gîte et par la création de l'appartement servant au logement de la famille, ce règlement des échéances des crédits constitue une surcontribution aux dépenses de la famille.
M. [T] s'est ainsi appauvri au bénéfice de Mme [P], sans contrepartie. Mme [P] sera donc condamnée au paiement de la somme de 4.719,06 euros, l'appauvrissement et l'enrichissement étant équivalents.
Sur la démolition de l'extension et du hangar
Si le propriétaire peut demander la démolition des ouvrages construits sur son bien, c'est dans le cas où le constructeur serait de mauvaise foi.
Concernant le hangar :
- Mme [P] a le statut d'exploitante agricole, étant inscrite à la Mutualité Sociale Agricole en qualité de chef d'exploitation depuis le 01/01/2008, sur une superficie de 20 hectares dont un hectare de bois, et disposant de matériel, comme l'indiquent les attestations de l'assurance souscrite auprès de la compagnie [11] ;
- elle utilise pour cette fin partiellement le hangar, les photos versées aux débats montrant l'existence d'un stockage de paille et de foin ;
- l'appelant déclare avoir effectué les travaux agricoles pour le compte de Mme [P], tandis que celle-ci a déclaré à l'expert (page 29 du rapport) qu'elle avait donné son accord pour une exploitation de la parcelle où est situé le hangar par M. [T] ;
- enfin et surtout, le hangar a bénéficié d'un permis de construire le 06/02/2009, délivré à Mme [P], laquelle avait signé la demande (pièce appelant n° 36).
Il en résulte que Mme [P] avait connaissance de cette construction, puisque c'est elle qui a déposé le dossier de permis de construire en mairie le 04/03/2009. Ainsi, M. [T] n'est pas de mauvaise foi, la construction du bâtiment ayant été faite de concert avec Mme [P], d'autant que le terrain sur lequel il a été construit est situé en contrebas d'une parcelle de terre de 10 hectares exploitée par l'intimée, et que les travaux ont duré plusieurs mois, ce qui n'a pu échapper à sa propriétaire.
Concernant l'extension de la maison, là encore, la mauvaise foi de l'appelant n'est pas établie. En effet, il s'est agi d'agrandir l'ancienne grange, dont une partie est destinée à l'exercice d'une activité de gîte par Mme [P].
Là encore, ces travaux ont fait l'objet d'un permis de construire du 23/08/2012 sollicité par la propriétaire du terrain, qui a signé la demande le 23/08/2012 (pièce appelant n° 35), M. [T] n'ayant pas qualité pour le faire. Mme [P] était ainsi partie prenante du projet de construction.
Enfin, ces travaux présentent une utilité pour l'intimée, car ils peuvent être utilisés pour finir l'ouvrage en cours.
En conséquence, ils ont été engagés avec l'accord de Mme [P], qui sera déboutée de sa demande de démolition de ces deux ouvrages.
Sur l'indemnisation de M. [T] au titre des travaux de l'extension
L'appelant de bonne foi, est en droit de recevoir une indemnisation des travaux effectués à ce titre de la part de Mme [P].
L'expert ayant indiqué page 19 de son rapport qu'il ne peut être retenu de plus-value apportée à l'immeuble en raison de l'inachèvement des travaux, l'indemnisation devra être fixée d'après le coût des matériaux, soit 12.080,67 euros, et de la main d'oeuvre, soit 390 heures à 25 euros représentant 9.750 euros.
Mme [P] sera condamnée à verser à l'appelant la somme de 21.830,67 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, le jugement étant réformé de ce chef.
En effet, ces travaux ne relèvent pas d'une contribution aux dépenses de la vie commune, puisqu'ils ont trait à l'activité de gîte exercée par Mme [P] seule et que par ailleurs, M. [T] avait déjà largement contribué à ces dépenses par son apport en industrie concernant l'aménagement de la grange et l'aménagement du logement familial.
Sur les indemnités d'occupation
Il est de principe qu'à partir de la séparation, celui qui occupe privativement l'immeuble appartenant en propre à l'autre concubin doit une indemnité d'occupation.
L'intimée fait valoir que M. [T] qui a occupé pour un usage exclusif la cave à usage de menuiserie de la maison ainsi que le hangar, est redevable d'une indemnité d'occupation.
En l'espèce, l'appelant n'utilise plus l'atelier depuis l'été 2018, date à laquelle la commune, dont il est l'employé, lui a demandé de cesser d'y effectuer des travaux. Par ailleurs, le hangar abrite du matériel agricole servant à l'exploitation de la propriété de Mme [P].
Dès lors, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte, que le premier juge a considéré que M. [T] avait bénéficié d'une tolérance de la part de Mme [P] pour faire de la menuiserie dans l'atelier et pour stocker du matériel dans le hangar, tolérance exclusive de toute demande d'indemnité d'occupation, faute de mise en demeure formelle d'avoir à libérer les lieux.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [P] de ce chef de demande.
Sur le matériel agricole
Mme [P] conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté que M. [T] ne rapporte pas la preuve qu'il est propriétaire du matériel agricole litigieux, tandis que celui-ci déclare dans le corps de ses conclusions ayant trait à la discussion des prétentions et des moyens, qu'il a financé sur ses fonds propres le matériel en cause pour un montant de 55.523 euros.
Dans sa déclaration d'appel, M. [T] a expressément critiqué le chef du jugement déféré 'constate que M. [T] ne rapporte pas la preuve qu'il est propriétaire du matériel litigieux'. Dès lors, en demandant à la cour dans ses conclusions n° 2 de 'réformer le jugement (..) en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de M. Viretto et le confirmer en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles', la cour a été saisie de cette prétention.
Il sera observé à ce sujet que si le décret du 29/12/2023 dispose que 'la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif' , cette disposition n'est applicable qu'à compter du 01/09/2024.
La demande est ainsi recevable.
Sur le fond, il ne peut être soutenu par l'intimée que le matériel agricole remisé dans le hangar lui appartiendrait exclusivement, dès lors qu'elle fait valoir, au soutien de sa demande d'indemnité d'occupation, que M. [T] exerçait une activité officieuse agricole, en produisant du fourrage, en élevant de chevaux, et qu'il utilise le hangar à titre exclusivement personnel.
En conséquence, la cour considère que le matériel qui y est entreposé est possédé par l'appelant et que la présomption édictée par l'article 2276 du code civil, 'en fait de meubles, la possession vaut titre', doit jouer en sa faveur. M. [T] sera ainsi considéré comme propriétaire des matériels dont il a fait la liste page 22 de ses conclusions, le jugement déféré étant réformé de ce chef.
Sur les autres demandes
Compte tenu de l'acceptation partielle des demandes de M. [T] en cause d'appel, il convient de faire une application modérée de l'article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles qu'il a exposés.
En revanche, compte tenu du sort partagé du litige, les dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise, seront partagés par moitié entre chacune des parties.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré, hormis en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité d'occupation formée par Mme [P] ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de M. [T] relatives à la maison d'habitation et au hangar agricole ;
Déclare recevable sa demande concernant l'extension inachevée et la prise en charge des emprunts immobiliers à compter du 16/08/2011;
Déboute Mme [P] de ses demandes de démolition de l'extension inachevée et du hangar agricole ;
Condamne Mme [P] à payer à M. [T] les sommes de :
- 21.830,67 euros au titre des travaux relatifs à l'extension outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- 4.719,06 euros au titre du remboursement des crédits immobiliers ;
Déclare recevable la demande formée par M. [T] tendant à la réformation du jugement attaqué concernant la propriété du matériel agricole ;
Dit que M. [T] est propriétaire des matériels suivants :
- tracteur Same
- remorque benne [S]
- presse moyenne densité John Deere
- andaineur Claas
- faucheuse Vicon
- auto-chargeuse Kimper
- charrue Huard
- semoir [H]
- herse Cultipaker
- fendeuse à bois Ballario
- mini-pelle 5 tonnes
- Kubota KX161-3 ;
Condamne Mme [P] à payer à M. [T] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise, seront partagés par moitié entre chacune des parties ;
PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile .
SIGNÉ par la présidente, Anne Barruol, et par la greffière, Abla Amari, présente lors de la mise à disposition, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La greffière La Présidente
C6
N° Minute :
copie certifiée conforme délivrée
aux avocats le :
Copie Exécutoire délivrée
le :
aux parties (notifiée par LRAR)
aux avocats
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES
ARRET DU MERCREDI 16 OCTOBRE 2024
APPEL
Jugement au fond, origine juge aux affaires familiales de Gap, décision attaquée en date du 10 mai 2022, enregistrée sous le n° 19/00179 suivant déclaration d'appel du 23 décembre 2022
APPELANT :
M. [R] [T]
né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté et plaidant par Me Ludovic TOMASI de la SCP TGA-AVOCATS, avocat au barreau des HAUTES-ALPES
INTIME :
M. [G] [P]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 8],
[Localité 2]
représenté par Me Guillaume PIALOUX, avocat au barreau des HAUTES-ALPES
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Mme Anne BARRUOL, Présidente,
Mme Martine RIVIERE, Conseillère,
M. Philippe GREINER, Conseiller honoraire,
DEBATS :
A l'audience publique du 29 mai 2024,M. Philippe Greiner, conseiller, chargé du rapport, assisté de MC Ollierou, greffière a entendu les avocats en leurs conclusions et Me Tomasi en sa plaidoirie, les parties ne s'y étant pas opposées, conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile. Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
FAITS ET PROCEDURE
Mme [P] et M. [T] ont vécu en concubinage de 1992 à 2015.
Durant cette période, Mme [P] a acquis les biens immobiliers suivants :
- le 13/06/2002, une grange à l'état de ruine sis à [Localité 2] (05) au prix de 30.490 euros ;
- le 22/02/2007, une parcelle de terre sur la même commune, pour 18.300 euros.
Par ordonnance du 08/11/2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Gap, saisi le 16/08/2016, a ordonné une expertise pour notamment évaluer le montant représentatif de l'apport en nature de M. [T] à la restauration de la grange, à la construction d'un bâtiment attenant, et à la construction d'un hangar sur la parcelle de terre.
Dans son rapport du 23/02/2018, l'expert, Mme [D], aboutit aux conclusions suivantes :
- la grange a été transformée, principalement sur la période 2002-2004, en bâtiment d'habitation, comportant, au rez-de-chaussée, un atelier de menuiserie de 87 m², au niveau 1, un gîte de trois chambres avec séjour et cuisine, de 85 m² en surface pondérée et dans les combles, un appartement de 59 m² environ, comprenant 2 chambres avec séjour ;
- un garage est attenant, d'une surface de 54 m² ;
- une extension a été commencée, d'une surface de 136 m², les murs ayant été élevés sur 2,90 m ;
- la grange, dans son état initial, a une valeur de 72.540 euros au jour de l'expertise ;
- le travail de M. [T] peut être évalué à 6.345 heures, soit à 25 €/heure, un apport en nature de 158.625 euros, les matériaux ayant coûté 124.821,79 euros ;
- la bâtisse a une valeur désormais de 428.000 euros, soit une plus-value apportée par M. [T], de 355.460 euros ;
- sur la parcelle cadastrée section Z n° [Cadastre 5], M. [T] a construit un hangar de 650 m² suite à un permis de construire du 06/02/2009 sur ses deniers propres ;
- le bâtiment a été acheté en kit d'occasion ;
- les matériaux ont coûté 41.251,43 euros et la main-d'oeuvre peut être évaluée à 41.750 euros ;
- la plus-value apportée à l'immeuble est de 98.450 euros, le bien valant désormais 123.750 euros.
Saisi par M. [T] le 11/05/2018, le tribunal judiciaire de Gap a, par jugement du 10/05/2022 :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement diligentée par M. [T] ;
- débouté M. [T] de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
- constaté que M. [T] ne rapporte pas la preuve de la propriété du matériel agricole litigieux ;
- débouté Mme [P] de ses demandes reconventionnelles ;
- dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 23/12/2022, M. [T] a relevé appel de cette décision.
Dans ses conclusions d'appelant n° 2, il demande à la cour de :
- condamner Mme [P] au paiement de 587.001 euros au titre de la restauration, de la construction et de sa participation au financement des biens immobiliers appartenant à Mme [P] ;
- à titre subsidiaire, condamner Mme [P] à payer à M. [T] 300.263 euros ;
- condamner Mme [P] au paiement de 10.000 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Il expose en substance que :
- la prescription ne peut courir qu'à compter de la fin du concubinage, qui peut être fixée au jugement du 22/10/2015 ayant statué sur la garde de l'enfant commun ;
- sa créance ne pouvait en effet n'être déterminée qu'à cette date ;
- en tout état de cause, les travaux n'étaient pas terminés, l'extension étant en cours de travaux en 2014 ;
- l'article 555 du code civil doit s'appliquer ;
- à titre subsidiaire, il y a enrichissement sans cause de Mme [P] ;
- il a en outre remboursé les prêts immobiliers à hauteur de 60%, à hauteur de 38.537,28 euros ;
- il a financé sur ses propres fonds du matériel agricole pour 55.523 euros ;
- aucune indemnité d'occupation n'est due concernant l'usage de l'atelier et du hangar.
Dans ses conclusions d'intimée n° 1, Mme [P] demande à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté la prescription ;
- constater la prescription de l'action de l'appelant tant pour la maison que pour le hangar ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
- lui donner acte de ce qu'elle sollicite la démolition de l'extension et du hangar agricole aux frais de M. Viretto, sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la signification du jugement ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande relative au matériel agricole ou subsidiairement, le condamner au paiement de 57.974 euros;
- débouter M. Viretto de toute demande au titre du remboursement du crédit et subsidiairement, limiter son indemnisation à 39.000,67 euros;
- reconventionnellement, condamner M. Viretto au paiement de 36.000 euros pour l'utilisation privative de l'atelier et de 43.200 euros pour celle des terres agricoles et du hangar ;
- ordonner la compensation entre les sommes dues ;
- condamner M. Viretto au paiement de 40.199,33 euros outre 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- concernant la maison, la prescription a commencé à courir à compter de l'achèvement des travaux ;
- aucune suspension de la prescription n'est prévue entre concubins ;
- à titre subsidiaire, les sommes réclamées sont à minorer fortement ;
- pour ce qui est de l'extension inachevée, M. Viretto ne peut être considéré comme constructeur de bonne foi, et il doit prendre en charge sa démolition ;
- concernant le hangar, elle n'a pas eu d'autre choix que de laisser M. Viretto le construire ; celui-ci en a toujours eu l'usage et l'utilise encore seul aujourd'hui ;
- les demandes relatives à cette construction sont prescrites ;
- M. Viretto n'a pas droit à remboursement des emprunts, ces dépenses ayant été exposées dans le cadre de la vie courante.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les actions de M. [T]
* l'accession
Selon l'article 555 du code civil, lorsque des constructions ont été réalisés sur le fonds d'autrui par un tiers avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire doit, s'il conserve la propriété des ouvrages réalisés, rembourser soit la plus-value apportée au fonds, soit le coût des matériaux et le prix de la main d'oeuvre.
Il est de principe que les concubins sont considérés comme des tiers l'un par rapport à l'autre dans leurs rapports patrimoniaux. Aussi, les règles de l'accession trouveront à s'appliquer en cas de construction par un concubin sur le terrain de l'autre. En revanche, les dispositions du texte ne visent que les ouvrages nouveaux. Lorsqu'on a affaire à des réparations ou améliorations d'ouvrages existants, les dispositions de l'article 555 du code civil sont écartées.
En conséquence, les travaux relatifs à la grange ne relèvent pas de ce texte, puisque il s'est agi de transformer une grange en habitation, le fait qu'ils aient été très importants étant sans incidence.
Doivent être examinés au regard de l'article 555 précité la construction des garages jouxtant la maison, de l'extension et du hangard.
* l'enrichissement sans cause
Les dispositions du code civil régissant l'enrichissement injustifié sont entrées en vigueur le 01/10/2016, soit antérieurement à la saisine du tribunal mais postérieurement aux faits juridiques invoqués par l'appelant. Si la loi nouvelle ne dispose que pour l'avenir, les articles 1303 et suivants du code civil ne font que reprendre les règles antérieures. Ainsi, les demandes relatives à la transformation de la grange d'une part, et au remboursement des crédits immobiliers d'autre part, seront examinées au regard des règles de l'enrichissement sans cause, la loi nouvelle s'appliquant à la détermination et au calcul de l'indemnité éventuelle et ne disposant que pour l'avenir sans effet rétroactif.
Sur la prescription
Il est de principe qu'aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d'eux doit, en l'absence d'un accord entre eux , supporter les dépenses de la vie courante qu'il a exposées.
Toutefois, si l'action pour enrichissement sans cause ou injustifié ne concerne pas les dépenses de la vie courante, elle permet en revanche à celui qui a exposé des frais exceptionnels excédant par leur ampleur sa participation normale aux charges de la vie commune et ne pouvant dès lors être analysés comme une contrepartie aux avantages dont il a profité pendant le concubinage , d'obtenir une indemnité, en l'absence de cause à l'appauvrissement survenu.
L'existence ou l'absence de cause à la situation d' enrichissement du patrimoine de l'un des concubins au détriment de celui de l'autre peut être appréciée à l'occasion de chaque paiement en faveur de l'autre concubin, sans qu'il y ait lieu d'attendre la fin du concubinage pour déterminer si le patrimoine de l'un s'est enrichi au détriment de l'autre. En effet, le coût des travaux et la participation financière d'un concubin comme la plus-value apportée au bien de l'autre peuvent être déterminés au fur et à mesure des investissements financés.
Il en va de même pour l'accession des ouvrages construits par l'appelant sur le terrain de l'intimée, l'évaluation de sa créance pouvant être effectuée dès la fin des travaux et la réalisation de l'ouvrage.
La même solution doit être adoptée pour le remboursement des emprunts de 50.305,10 euros et de 15.244,90 euros.
Dès lors, le point de départ de la prescription des actions au titre de l'accession et pour enrichissement injustifié ou sans cause engagées entre concubins ne se situe pas au jour de la séparation du couple mais à celui où le demandeur a eu connaissance du montant de la créance revendiquée, c'est-à-dire à compter de l'achèvement des travaux et de l'engagement des dépenses.
Du reste, c'est par un texte spécial, l'article 2236 du code civil, qu'est prévue une suspension de la prescription entre époux et partenaires liés par un pacte civil de solidarité durant la vie commune. Il sera en outre observé que la prescription pour agir en matière de liquidation des intérêts matrimoniaux n'est pas quinquennale, mais triennale, en vertu de l'article 1578 du même code, ce qui caractérise un régime spécifique, dérogeant au droit commun régissant le
concubinage.
En l'espèce :
- les travaux de transformation de la grange ont été réalisés pour l'essentiel sur la période 2002-2004, de même que ceux de construction des garages, les dernières factures de matériaux datant de l'année 2009 ;
- l'extension inachevée de 130 m² a débuté en 2014 ;
- le hangar a fait l'objet d'un permis de construire du 06/02/2009 et sa construction a été réalisée cette même année, la facture du terrassement étant du 05/06/2009, les éléments de structure achetés en kit ayant été peints durant l'été, le bâtiment étant monté à l'automne 2009.
En conséquence, l'action de l'appelant concernant la maison et le hangar est prescrite puisqu'il ne justifie pas d'un empêchement pour agir et que les paiements et les apports en industrie dont il est fait état sont antérieurs au 16/08/2011, c'est à dire plus de cinq années avant l'assignation en référé expertise du 16/08/2016, le jugement déféré étant réformé de ce chef.
En revanche, la demande concernant l'extension inachevée est recevable comme non prescrite.
Concernant les emprunts, cette demande n'est pas non plus prescrite, pour la période postérieure au 16/08/2011.
Sur le remboursement des emprunts
Il résulte des éléments du dossier que :
- M. [T] et Mme [P] ont contracté ensemble le 06/12/2002 un prêt '[9]' de 50.308,10 euros remboursable en 190 mois et un prêt '[10]' à taux zéro remboursable en 144 mois ;
- l'appelant justifie avoir déposé sur un compte joint sa quote-part, le montant des échéances étant ensuite reversé sur un compte de Mme [P], duquel étaient débitées les mensualités, tandis qu'il n'est pas établi que ces paiements ont été effectués grâce à l'encaissement des loyers du gîte ;
- il a réglé 2.097,36 euros en 2012 et 2.621,70 euros d'août à décembre 2011, soit un total de 4.719,06 euros.
L'appelant ayant largement contribué aux dépenses du ménage en aménageant la grange, génératrice de revenus pour Mme [P] de par l'exploitation de son gîte et par la création de l'appartement servant au logement de la famille, ce règlement des échéances des crédits constitue une surcontribution aux dépenses de la famille.
M. [T] s'est ainsi appauvri au bénéfice de Mme [P], sans contrepartie. Mme [P] sera donc condamnée au paiement de la somme de 4.719,06 euros, l'appauvrissement et l'enrichissement étant équivalents.
Sur la démolition de l'extension et du hangar
Si le propriétaire peut demander la démolition des ouvrages construits sur son bien, c'est dans le cas où le constructeur serait de mauvaise foi.
Concernant le hangar :
- Mme [P] a le statut d'exploitante agricole, étant inscrite à la Mutualité Sociale Agricole en qualité de chef d'exploitation depuis le 01/01/2008, sur une superficie de 20 hectares dont un hectare de bois, et disposant de matériel, comme l'indiquent les attestations de l'assurance souscrite auprès de la compagnie [11] ;
- elle utilise pour cette fin partiellement le hangar, les photos versées aux débats montrant l'existence d'un stockage de paille et de foin ;
- l'appelant déclare avoir effectué les travaux agricoles pour le compte de Mme [P], tandis que celle-ci a déclaré à l'expert (page 29 du rapport) qu'elle avait donné son accord pour une exploitation de la parcelle où est situé le hangar par M. [T] ;
- enfin et surtout, le hangar a bénéficié d'un permis de construire le 06/02/2009, délivré à Mme [P], laquelle avait signé la demande (pièce appelant n° 36).
Il en résulte que Mme [P] avait connaissance de cette construction, puisque c'est elle qui a déposé le dossier de permis de construire en mairie le 04/03/2009. Ainsi, M. [T] n'est pas de mauvaise foi, la construction du bâtiment ayant été faite de concert avec Mme [P], d'autant que le terrain sur lequel il a été construit est situé en contrebas d'une parcelle de terre de 10 hectares exploitée par l'intimée, et que les travaux ont duré plusieurs mois, ce qui n'a pu échapper à sa propriétaire.
Concernant l'extension de la maison, là encore, la mauvaise foi de l'appelant n'est pas établie. En effet, il s'est agi d'agrandir l'ancienne grange, dont une partie est destinée à l'exercice d'une activité de gîte par Mme [P].
Là encore, ces travaux ont fait l'objet d'un permis de construire du 23/08/2012 sollicité par la propriétaire du terrain, qui a signé la demande le 23/08/2012 (pièce appelant n° 35), M. [T] n'ayant pas qualité pour le faire. Mme [P] était ainsi partie prenante du projet de construction.
Enfin, ces travaux présentent une utilité pour l'intimée, car ils peuvent être utilisés pour finir l'ouvrage en cours.
En conséquence, ils ont été engagés avec l'accord de Mme [P], qui sera déboutée de sa demande de démolition de ces deux ouvrages.
Sur l'indemnisation de M. [T] au titre des travaux de l'extension
L'appelant de bonne foi, est en droit de recevoir une indemnisation des travaux effectués à ce titre de la part de Mme [P].
L'expert ayant indiqué page 19 de son rapport qu'il ne peut être retenu de plus-value apportée à l'immeuble en raison de l'inachèvement des travaux, l'indemnisation devra être fixée d'après le coût des matériaux, soit 12.080,67 euros, et de la main d'oeuvre, soit 390 heures à 25 euros représentant 9.750 euros.
Mme [P] sera condamnée à verser à l'appelant la somme de 21.830,67 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, le jugement étant réformé de ce chef.
En effet, ces travaux ne relèvent pas d'une contribution aux dépenses de la vie commune, puisqu'ils ont trait à l'activité de gîte exercée par Mme [P] seule et que par ailleurs, M. [T] avait déjà largement contribué à ces dépenses par son apport en industrie concernant l'aménagement de la grange et l'aménagement du logement familial.
Sur les indemnités d'occupation
Il est de principe qu'à partir de la séparation, celui qui occupe privativement l'immeuble appartenant en propre à l'autre concubin doit une indemnité d'occupation.
L'intimée fait valoir que M. [T] qui a occupé pour un usage exclusif la cave à usage de menuiserie de la maison ainsi que le hangar, est redevable d'une indemnité d'occupation.
En l'espèce, l'appelant n'utilise plus l'atelier depuis l'été 2018, date à laquelle la commune, dont il est l'employé, lui a demandé de cesser d'y effectuer des travaux. Par ailleurs, le hangar abrite du matériel agricole servant à l'exploitation de la propriété de Mme [P].
Dès lors, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte, que le premier juge a considéré que M. [T] avait bénéficié d'une tolérance de la part de Mme [P] pour faire de la menuiserie dans l'atelier et pour stocker du matériel dans le hangar, tolérance exclusive de toute demande d'indemnité d'occupation, faute de mise en demeure formelle d'avoir à libérer les lieux.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [P] de ce chef de demande.
Sur le matériel agricole
Mme [P] conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté que M. [T] ne rapporte pas la preuve qu'il est propriétaire du matériel agricole litigieux, tandis que celui-ci déclare dans le corps de ses conclusions ayant trait à la discussion des prétentions et des moyens, qu'il a financé sur ses fonds propres le matériel en cause pour un montant de 55.523 euros.
Dans sa déclaration d'appel, M. [T] a expressément critiqué le chef du jugement déféré 'constate que M. [T] ne rapporte pas la preuve qu'il est propriétaire du matériel litigieux'. Dès lors, en demandant à la cour dans ses conclusions n° 2 de 'réformer le jugement (..) en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de M. Viretto et le confirmer en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles', la cour a été saisie de cette prétention.
Il sera observé à ce sujet que si le décret du 29/12/2023 dispose que 'la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif' , cette disposition n'est applicable qu'à compter du 01/09/2024.
La demande est ainsi recevable.
Sur le fond, il ne peut être soutenu par l'intimée que le matériel agricole remisé dans le hangar lui appartiendrait exclusivement, dès lors qu'elle fait valoir, au soutien de sa demande d'indemnité d'occupation, que M. [T] exerçait une activité officieuse agricole, en produisant du fourrage, en élevant de chevaux, et qu'il utilise le hangar à titre exclusivement personnel.
En conséquence, la cour considère que le matériel qui y est entreposé est possédé par l'appelant et que la présomption édictée par l'article 2276 du code civil, 'en fait de meubles, la possession vaut titre', doit jouer en sa faveur. M. [T] sera ainsi considéré comme propriétaire des matériels dont il a fait la liste page 22 de ses conclusions, le jugement déféré étant réformé de ce chef.
Sur les autres demandes
Compte tenu de l'acceptation partielle des demandes de M. [T] en cause d'appel, il convient de faire une application modérée de l'article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles qu'il a exposés.
En revanche, compte tenu du sort partagé du litige, les dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise, seront partagés par moitié entre chacune des parties.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré, hormis en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité d'occupation formée par Mme [P] ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de M. [T] relatives à la maison d'habitation et au hangar agricole ;
Déclare recevable sa demande concernant l'extension inachevée et la prise en charge des emprunts immobiliers à compter du 16/08/2011;
Déboute Mme [P] de ses demandes de démolition de l'extension inachevée et du hangar agricole ;
Condamne Mme [P] à payer à M. [T] les sommes de :
- 21.830,67 euros au titre des travaux relatifs à l'extension outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- 4.719,06 euros au titre du remboursement des crédits immobiliers ;
Déclare recevable la demande formée par M. [T] tendant à la réformation du jugement attaqué concernant la propriété du matériel agricole ;
Dit que M. [T] est propriétaire des matériels suivants :
- tracteur Same
- remorque benne [S]
- presse moyenne densité John Deere
- andaineur Claas
- faucheuse Vicon
- auto-chargeuse Kimper
- charrue Huard
- semoir [H]
- herse Cultipaker
- fendeuse à bois Ballario
- mini-pelle 5 tonnes
- Kubota KX161-3 ;
Condamne Mme [P] à payer à M. [T] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise, seront partagés par moitié entre chacune des parties ;
PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile .
SIGNÉ par la présidente, Anne Barruol, et par la greffière, Abla Amari, présente lors de la mise à disposition, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La greffière La Présidente