Livv
Décisions

CA Douai, 3e ch., 10 octobre 2024, n° 23/01336

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 23/01336

10 octobre 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 10/10/2024

****

N° de MINUTE : 24/317

N° RG 23/01336 - N° Portalis DBVT-V-B7H-UZ42

Jugement (N° 21/03067)rendu le 31 Janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTS

Monsieur [D] [N]

né le [Date naissance 6] 1963 à [Localité 20]

[Adresse 17]

[Localité 10]

Madame [O] [J] épouse [N]

née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 20]

de nationalité Française

[Adresse 17]

[Localité 10]

Madame [X] [N]

née le [Date naissance 4] 1994 à [Localité 20]

de nationalité Française

[Adresse 14]

[Localité 11]

Madame [M] [N]

née le [Date naissance 3] 1995 à [Localité 20]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentés par Me Alexia Navarro, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, substitué par Me Pauline Collette, avocat au barreau de Lille

INTIMÉES

Agent Judiciaire de l'Etat

[Adresse 12]

[Localité 16]

Représenté par Me Dimitri Deregnaucourt, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

Mutuelle Interiale Mutualite Francaise

[Adresse 19]

[Localité 8]

Défaillante à qui déclaration d'appel a été signifiée le 12 mai 2023 à personne habilitée

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 20] [Localité 9]

[Adresse 5]

[Localité 9]

Défaillante à qui déclaration d'appel a été signifiée le 15 mai 2023 à personne habilitée

Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Puy de Dome

[Adresse 7]

[Localité 13]

Défaillante à qui déclaration d'appel a été signifiée le 15 mai 2023 à personne habilitée

SA BPCE Assurances agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 18]

[Localité 15]

Représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai avocat constitué, assistée de Me Emmanuel Riglaire, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant substitué par Me Sullyman Bouderba, avocat au barreau de Lille,

DÉBATS à l'audience publique du 29 mai 2024 tenue par Yasmina Belkaid magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 mai 2024

****

Le 17 juin 2015, M. [D] [N] a été victime d'un accident de motocyclette après être entré en collision avec un véhicule de police.

M. [N] avait souscrit un contrat de prévoyance professionnelle auprès de la Bpce couvrant notamment la garantie incapacité temporaire de travail.

Par acte en date du 21 juillet 2017, il a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Lille le secrétariat général de l'administration de la police (SGAP).

En cours de procédure, l'agent judiciaire de l'Etat ainsi que la sécurité sociale des indépendants sont intervenus volontairement.

Par jugement en date du 16 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Lille a jugé que M. [N] avait droit à la réparation intégrale du préjudice subi à la suite de l'accident survenu le 17 juin 2015 et a condamné l'agent judiciaire de l'État à lui verser à titre provisionnel une somme de 10 000 euros. Il a par ailleurs ordonné une expertise médicale et désignée le Docteur [U] en qualité d'expert, remplacé par le docteur [G].

Ce dernier a déposé son rapport le 22 décembre 2020.

Par acte des 9, 14 et 28 avril 2021, les consorts [N] ont assigné l'agent judiciaire de l'Etat et mis en cause les différents tiers payeurs aux fins d'obtenir la liquidation de leurs préjudices.

Par ordonnance d'incident en date du 18 novembre 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lille a condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [N] une provision de 150 000 euros à valoir sur son préjudice.

Par jugement du 31 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Lille a :

1) condamné l'agent judiciaire de l'Etat à verser à M. [D] [N] les sommes suivantes en réparation de ses préjudices subis à la suite de l'accident survenu le 17 juin 2015 :

a*18 454,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

b*20 000 euros au titre des souffrances endurées,

c*1 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

d*76 480 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

e*2 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

f*5 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

g*1 365 euros au titre des dépenses de santé actuelles,

h*55 031,30 euros au titre des frais divers,

i*5 089,94 euros au titre des dépenses de santé futures,

j*65 719,42 euros au titre de l'assistance par tierce-personne permanente,

k*12 028 euros au titre des frais de véhicule adapté,

l* 30 000 euros au titre de l'incidence professionnelle

2) dit que le paiement des sommes précitées devra intervenir sous déduction des provisions déjà versées

3) débouté M. [D] [N] de ses demandes au titre de la perte de gains professionnels actuels et de la perte de gains professionnels futurs

4) condamné l'agent judicaire de l'Etat à payer à Mme [O] [N] les sommes suivantes :

7 000 euros en réparation de son préjudice d'affection

300 euros en réparation de son préjudice économique

5) condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [M] [N] la somme de

2.000 euros en réparation de son préjudice d'affection

6) condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [X] [N] la somme de

2.000 euros en réparation de son préjudice d'affection

7) dit que le paiement des sommes précitées dues aux victimes indirectes devra

intervenir sous déduction des provisions le cas échéant déjà versées

8) condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy de Dôme, en deniers ou quittance, la somme de 33 736,26 euros au titre de ses débours définitifs, avec intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2021

9) condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy de Dôme, en deniers ou quittance la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité de gestion

10) condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M [D] [N], Mme [O] [N], Mme [X] [N] et Mme [M] [N] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

11) condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy de Dôme la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

12) débouté la SA Bpce assurances de ses demandes

13) condamné l'agent judiciaire de l'Etat aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire

14) débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

M. [D] [N], Mme [O] [J], Mme [X] [N] et Mme [M] [N] ont interjeté appel de cette décision en limitant leur contestation aux chefs de préjudice numérotés 1a, c, f, h, i, j et l, 3, 4, 5 et 6 ci-dessus.

Dans leurs conclusions notifiées le 16 février 2024, les consorts [N] demandent à la cour de :

- déclarer leur appel recevable

- débouter l'agent judiciaire de l'Etat de ses demandes, fins et conclusions

- débouter la Bpce de ses demandes, fins et conclusions

déclarer bien appelé et mal jugé le jugement rendu le 31 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Lille

- infirmer le jugement rendu le 31 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'il a :

condamné l'agent judiciaire de l'Etat verser à M. [D] [N] les sommes suivantes en réparation de ses préjudices subi à la suite de l'accident survenu le 17 juin 2015 :

18.454,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

1.500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire

5.000 euros au titre du préjudice d'agrément

55.031,30 euros au titre des frais divers

5.089,94euros au titre des dépenses de santé futures

65.719,42 euros au titre de l'assistance par tierce-personne permanente

30.000 euros au titre de l'incidence professionnelle

débouté M. [D] [N] de ses demandes au titre de la perte de gains professionnels actuels et de la perte de gains professionnels futurs

condamné l'agent judiciaire de l'Etat payer à Mme [O] [N] la somme de 7.000 euros en réparation de son préjudice d'affection

condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [M] [N] la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice d'affection

condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [X] [N] la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice d'affection

statuant de nouveau :

* condamner l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [D] [N] les sommes suivantes :

* 19.644 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

* 12.892 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels ;

* 59.311 euros au titre des frais divers ;

* 2.000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

* 7.000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

* 66.417 euros au titre de l'assistance tierce-personne ;

* 30.998 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs ;

* 392.336 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

* 5.680,80 euros au titre des dépenses de santé futures;

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [O] [N] la somme de 30.000 euros au titre du préjudice d'affection ;

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [X] [N] une somme de 25.000 euros au titre du préjudice d'affection ;

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [M] [N] une somme de 25.000 euros au titre du préjudice d'affection ;

- condamner la Bpce et l'agent judiciaire de l'Etat à leur verser la somme 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Dans ses conclusions notifiées le 12 mars 2024, l'Agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 31 janvier 2023 rendu par le tribunal judiciaire de Lille

- débouter M. [D] [N], Mme [O] [J], Mme [X] [N], Mme [M] [N] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

- condamner M. [D] [N], Mme [O] [J], Mme [X] [N], Mme [M] [N] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

Dans ses conclusions notifiées le 6 septembre 2023, la société Bpce assurances, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes

statuant à nouveau et vu la déclaration d'appel et l'effet dévolutif de l'appel

- juger qu'en cause d'appel, tout comme en première instance, aucune demande n'est présentée à son encontre en conséquence,

- la mettre hors de cause

- condamner solidairement les appelants au paiement de la somme 10 000 euros au titre de la procédure abusive

- condamner chacun des appelants à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les caisses primaires d'assurance maladie de [Localité 20] [Localité 9] et du Puy de Dôme de même que la mutuelle Intériale mutualité française, régulièrement intimées, n'ont pas comparu.

Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur le préjudice de M. [N]

Sur les préjudices avant consolidation

Sur le déficit fonctionnel temporaire

Le tribunal a alloué à M. [N] la somme de 18 454,50 euros en réparation du déficit fonctionnel temporaire sur la base de 27 euros par jour.

M [D] [N] sollicite une indemnité de 19 644 euros à ce titre sur la base de 30 euros par jour, et non 27 euros comme l'a retenu le tribunal ou 25 euros comme le propose l'agent judiciaire l'Etat, en invoquant son incapacité importante ainsi qu'un préjudice

d'agrément et un préjudice sexuel temporaires.

L'agent judiciaire de l'Etat demande de confirmer le jugement sur ce point en indiquant que son évaluation est conforme à la jurisprudence.

Sur ce, le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la consolidation la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, en ce compris le préjudice d'agrément temporaire et le préjudice sexuel temporaire ; le déficit fonctionnel temporaire peut être total ou partiel.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire et il n'est pas contesté que le déficit fonctionnel temporaire a été :

total du 17 juin 2015 au 23 juin 2015, puis du 9 septembre 2015 au 11 septembre 2015 et du 27 juin 2015 au 28 juin 2015, soit 12 jours

partiel à 80 % du 24 juin 2015 au 8 septembre 2015 puis du 12 septembre 2015 au 26 juin 2016 et du 29 juin 2016 au 31 août 2016, soit 430 jours

partiel à 50 % du 1er septembre 2016 au 27 juin 2017 , soit 665 jours

La cour approuve le premier juge qui a indemnisé ce poste de préjudice sur la base journalière de 27 euros par jour, conforme au principe de réparation intégrale compte tenu de l'importance des séquelles subies et a évalué le préjudice subi par M. [N] à ce titre à la somme de 18 454,50 euros sans que les modalités de calcul ne soient contestées.

Le jugement querellé sera donc confirmé de ce chef.

Sur le préjudice esthétique temporaire

M. [N] sollicite la somme de 2 000 euros en considérant que ce poste de préjudice a été sous- estimé.

L'agent judiciaire de l'Etat demande la confirmation du jugement sur ce poste de préjudice qui a été évalué à 1 500 euros par le tribunal.

Sur ce, il s'agit d'indemniser pendant la maladie traumatique, et notamment pendant l'hospitalisation, une altération de l'apparence physique, même temporaire, justifiant une indemnisation.

L'expert [G] prévoit un préjudice esthétique temporaire, qu'il qualifie d'orthopédique, caractérisé par le port d'une botte pendant un mois et d'une attelle, après une intervention sur l'épaule, pendant 15 jours et qu'il évalue à 3/7.

Compte tenu des constatations de l'expert, la cour approuve le premier juge qui a fixé le montant du préjudice esthétique temporaire subi à la somme de 1 500 euros qui répare intégralement le préjudice de la victime sans perte ni profit.

Le jugement critiqué sera donc confirmé de ce chef.

Sur la perte de gains professionnels actuels

Le tribunal a débouté la victime de sa demande au titre de la perte de gains professionnels actuelle.

M. [N] réclame une indemnité de 12 892 euros au titre de la perte de gains professionnels actuelle calculée sur la base d'un revenu moyen de 44 704 euros, qui doit être revalorisé chaque année sur la base du Smic horaire, en prenant en compte ses revenus pour la période de 2013 à 2018 et non la rémunération perçue durant les 12 mois ayant précédé l'accident comme l'a fait le tribunal. Il précise en effet qu'il était chef d'entreprise au moment de l'accident et qu'il a réussi à maintenir son activité grâce au recours à un sous-traitant et aux revenus tirés des indemnités journalières et de prévoyance perçues pendant la période traumatique.

L'agent judiciaire de l'Etat conteste l'analyse de M. [N] en faisant valoir que la société créée par ce dernier était en activité depuis deux ans au moment de l'accident et qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte les revenus antérieurs de sorte que sur cette base, la victime n'a subi aucune perte de salaire.

Sur ce, les pertes de gains professionnels actuelles correspondent aux pertes de gains liées à l'incapacité provisoire de travail et tendent à la réparation exclusive du préjudice patrimonial temporaire subi par la victime du fait de l'acte dommageable, c'est à dire aux pertes actuelles de revenus éprouvées par cette victime du fait de son dommage jusqu'à sa date de consolidation.

La cour rappelle que l'indemnisation des pertes de gains professionnels étant égale au coût économique du dommage pour la victime, la perte de revenus se calcule en net et hors incidence fiscale.

Sur ce, il est constant M. [N] a créé l'Eurl AT.MO.OPC dont il était le gérant, le 19 avril 2013 et qu'au jour de l'accident survenu le 17 juin 2015, ses revenus étaient tirés de l'activité de sa société.

Dans ces conditions, le revenu moyen de référence de la victime ne saurait être calculé sur la base des revenus antérieurs à la création de cette société. Dès lors, la cour approuve le premier juge qui a écarté l'année 2013 dans le calcul des revenus de la victime.

Sur la base non contestée des avis d'imposition sur le revenu de 2015 et de 2016, le revenu net imposable moyen de la victime s'établit à 39 396,16 euros par an avant l'accident de sorte que celle-ci aurait dû percevoir la somme totale de 118 188,48 euros du 17 juin 2017, date de l'accident au 17 juin 2018, date de la consolidation.

Il n'est pas contesté et il ressort des avis d'imposition de 2015 à 2018 que la victime a perçu les sommes suivantes à titre de revenus :

de juin à décembre 2015 (7 mois) : 24 819,67 euros

2016 : 42 665 euros

2017 : 37 486 euros

de janvier à mai 2018 (5 mois) : 18 731,25 euros

soit la somme totale de 123 701,92 euros.

C'est donc à juste titre que le premier juge en a déduit que M. [N] n'a subi aucune perte de gains professionnels pendant la période traumatique. Il n'y a donc pas lieu de faire application des coefficients d'érosion monétaire.

Le jugement critiqué sera donc confirmé de ce chef.

Sur l'assistance par tierce personne temporaire

Le tribunal a indemnisé le besoin en aide humaine temporaire de la victime à la somme de 52 000 euros sur la base de 20 euros pendant 365 jours.

M. [N] demande de calculer ce préjudice sur la base de 412 jours par année pour tenir compte des congés payés et des jours fériés et réclame à ce titre une indemnité de 59 311 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat conclut à la confirmation de ce poste de préjudice.

Sur ce, il s'agit d'indemniser les dépenses liées à la réduction d'autonomie, qui peuvent être temporaires entre le dommage et la consolidation ; l'évaluation doit se faire au regard de l'expertise médicale et de la justification des besoins, et non au regard de la justification de la dépense, afin d'indemniser la solidarité familiale.

Les périodes et les taux du déficit fonctionnel temporaire tels qu'évalués par l'expert ne sont pas discutés par les parties.

Le premier juge qui a, dans son évaluation, pris en compte la nature de l'aide requise et du handicap qu'elle est destinée à compenser et a fixé ce poste de préjudice sur la base horaire de 20 euros est conforme à la jurisprudence de la cour dès lors que ce montant inclut d'ores et déjà les charges sociales et les congés payés.

Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé à la somme de 52 000 euros l'indemnité au titre de l'assistance par tierce personne temporaire.

Sur le préjudice d'agrément

Le tribunal a évalué le préjudice d'agrément de M. [N] à la somme de 5 000 euros.

M. [N] réclame une indemnité de 7 000 euros au titre du préjudice d'agrément au motif qu'il s'adonnait régulièrement avant l'accident à des sports mécaniques, à la lecture et au bricolage

L'agent judiciaire de l'Etat demande de confirmer l'évaluation du premier juge considérant que celui-ci a apprécié in concreto ce préjudice.

Sur ce, le préjudice d'agrément vise exclusivement à réparer le préjudice lié à l'impossibilité ou la limitation pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs, étant rappelé que la réduction des capacités de la victime avec toutes les répercussions qu'elle a nécessairement sur sa vie quotidienne est par ailleurs réparée au titre du déficit fonctionnel. Ce préjudice concerne les activités sportives, ludiques ou culturelles devenues impossibles ou limitées en raison des séquelles de l'accident.

Il appartient à la victime de justifier de la pratique de ces activités, notamment par la production de licences sportives ou de bulletins d'adhésion à des associations, mais également par tout autre mode de preuve licite, tels des témoignages ou des clichés photographiques, l'administration de la preuve d'un tel fait étant libre. L'appréciation du préjudice s'effectue concrètement, en fonction de l'âge et du niveau d'activité antérieur. La preuve du préjudice d'agrément peut se faire par tout moyen.

L'expert retient l'existence d'un préjudice d'agrément en indiquant que la victime ne peut plus s'adonner à la moto compte tenu des limitations de l'abduction du membre supérieur gauche, a des difficultés à la lecture qui est ralentie et ne peut plus faire de bricolage.

La cour approuve le premier juge qui a fixé le préjudice d'agrément de M. [N], non contesté dans son principe, à 5 000 euros dès lors que cette indemnité assure la réparation intégrale de la victime sans perte ni profit.

Sur les dépenses de santé futures

Le premier juge a alloué à M. [N] la somme de 5 089,94 euros au titre des dépenses de santé futures correspondant d'une part aux dépenses de santé post-consolidation restées à sa charge et d'autre part au coût du renouvellement de ses semelles orthopédiques.

M. [N] réclame le paiement de la somme de 5 680,80 euros en reprochant au tribunal d'avoir omis la facture d'achat du produit d'infiltration du 26 juin 2018 d'un montant de 72 euros. Il considère par ailleurs que les dépenses futures à échoir doivent être capitalisées selon un euro de rente pour un homme âgé de 54 ans au moment de la consolidation et non pour un homme âgé de 59 ans au moment où le juge statue.

La Bcpe demande la confirmation du jugement de ce chef sans autres observations.

Sur ce, les dépenses de santé futures correspondent aux frais médicaux et pharmaceutiques (non seulement les frais restés à la charge effective de la victime, mais également les frais payés par des tiers (sécurité sociale, mutuelle...), les frais d'hospitalisation, mais également les frais paramédicaux (infirmiers, kinésithérapie etc.), même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après la consolidation.

Il est rappelé que la victime était consolidée au 17 juin 2018.

Celle-ci justifie d'une facture d'achat d'un produit infiltration émise le 23 juin 2018 pour un montant de 72 euros. Il est établi que ce produit pharmaceutique n'est pas remboursé par son organisme social ni par sa mutuelle Intériale. D'ailleurs, le premier juge a retenu une somme de 71,95 euros s'agissant du même produit au titre des dépenses futures sans que ne soit discutée l'imputabilité de cette dépense à l'accident.

Il convient donc de faire droit à la demande de M. [N] en lui allouant la somme de 72 euros à ce titre.

Par ailleurs, s'agissant des dépenses futures à échoir et contrairement aux assertions de M. [N], le coût annuel des dépenses de santé futures restant à la charge de la victime doit être capitalisé en tenant compte du prix d'un euro de rente viagère pour un homme âgé de 59 ans, en l'espèce, à la date de la décision (soit 23,346) et non à celle de sa consolidation.

Dès lors, le jugement sera réformé uniquement en ce qu'il n'a pas intégré la dépense de 72 euros au titre des dépenses futures échues de sorte que l'indemnité totale au titre des dépenses futures sera portée à 5 161,94 euros.

Sur l'assistance par tierce personne définitive

Le premier juge a évalué le besoin en aide humaine permanente à la somme de 65 719,42 euros.

M. [N] réclame la somme de 66 417 euros à ce titre.

L'agent judiciaire de l'Etat ne formule aucune observation sur cette demande.

Sur ce, le poste assistance tierce personne comprend les dépenses liées à la réduction d'autonomie de la victime, laquelle rend nécessaire, de manière définitive, l'assistance d'une tierce personne pour aider la victime à effectuer les démarches et les actes de la vie quotidienne.

L'indemnisation au titre de l'assistance tierce personne doit se faire en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée, de sorte que l'indemnité allouée au titre de ce poste de préjudice ne doit pas être réduite en cas d'assistance bénévole par un proche de la victime.

L'expert a retenu une assistance permanente par tierce personne à raison de 2 heures par semaine.

Le tribunal a, à juste titre, liquidé ce poste de préjudice en distinguant d'une part les arrérages échus évalués à 10 622,86 euros pour la période du 17 juin 2018, date de la consolidation, au jour du jugement dont appel et d'autre part les arrérages à échoir qui représentent la somme de 55 096,56 euros après capitalisation selon le barème 2020 au taux 0%, comme le demande la victime, qui fait apparaitre un euro de rente viager de 23,346 pour un homme âgé de 59 ans au jour où le tribunal statue et non 58 ans comme le prétend la victime.

La cour confirme donc le jugement critiqué de ce chef.

Sur les pertes de gains professionnels futurs

Le premier juge a débouté M. [N] de sa demande indemnitaire au titre de la perte de gains professionnels future.

M. [N] demande l'allocation de la somme de 30 998 euros au titre de la perte de gains professionnels future en opposant le même argument ayant présidé à la critique de l'évaluation des pertes de gains professionnels actuelles quant à l'absence de prise en compte de ses revenus de 2013.

L'agent judiciaire de l'Etat demande la confirmation du jugement sur ce point.

Sur ce, les pertes de gains professionnels futurs résultent de la perte de l'emploi ou du changement d'emploi directement imputable au dommage ; ce poste de préjudice correspond à la perte ou à la diminution des revenus consécutive à l'incapacité permanente, et est évalué à partir des revenus antérieurs afin de déterminer la perte annuelle à compter de la date de consolidation.

La cour relève que les modalités de calcul de ce poste de préjudice ne sont pas critiquées par la victime, seul le revenu de référence étant en débat.

Il est rappelé que le revenu de référence ne peut être différent de celui retenu pour le calcul des pertes de gains professionnels actuels.

Le premier juge doit être approuvé en ce qu'il a débouté la victime de sa demande indemnitaire au titre des pertes de gains professionnels futures après avoir retenu un revenu de référence de 39 396,16 euros soit 3 283,01 euros par mois et relevé que le salaire mensuel post consolidation est supérieur comme s'établissant à 3 482,09 euros.

Le jugement querellé sera donc confirmé de ce chef.

Sur l'incidence professionnelle

Le tribunal a alloué à la victime la somme de 30 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.

M. [N] sollicite l'allocation de la somme de 392 336 euros à ce titre en reprochant au premier juge d'avoir procédé à une évaluation forfaitaire prohibée par la Cour de cassation. Il demande à la cour de calculer son incidence professionnelle à titre viager pour tenir compte du manque à gagner lors du départ à la retraite en se fondant sur plusieurs décisions de justice.

L'agent judiciaire de l'Etat conteste la méthode d'évaluation de ce préjudice proposée par la victime en faisant observer que les décisions visées par celle-ci datent d'il y a 10 ans et que le préjudice qu'il s'agit d'indemniser résulte de la seule dévalorisation sur le marché du travail et qu'il n'existe aucune perte de droit à la retraite en l'absence de perte de gains professionnels future.

Sur ce, l'incidence professionnelle correspond aux conséquences patrimoniales de l'incapacité ou de l'invalidité permanente subie par la victime dans la sphère professionnelle du fait des séquelles dont elle demeure atteinte après consolidation, autres que celles directement liées à une perte ou diminution de revenus. Ce poste tend, notamment, à réparer les difficultés futures d'insertion ou de réinsertion professionnelle de la victime résultant d'une dévalorisation sur le marché du travail, d'une perte de chance professionnelle, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi ou du changement d'emploi ou de poste, même en, l'absence de perte immédiate de revenus. Il comprend également la perte de droits à la retraite, ou encore les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste. Il inclut enfin le préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail.

La cour apprécie l'indemnisation de ce poste au regard des éléments établis par la victime, et prend en compte sa situation réelle pour réparer spécifiquement et intégralement le préjudice initial subi dans une appréciation concrète des éléments de preuve.

Il est précisé que l'absence de recours à une méthode impliquant un calcul sur la base d'une fraction du salaire antérieur de la victime doublé d'une capitalisation, ne s'analyse pas comme un mode d'indemnisation forfaitaire, dès lors qu'a été prise en compte la situation réelle de la victime pour réparer spécifiquement et intégralement le préjudice subi dans une appréciation concrète des éléments versés aux débats.

Si le juge doit tenir compte de la nature des restrictions physiologiques et psychologiques médico-légales pour déterminer leur impact dans la sphère professionnelle, il ne saurait les corréler directement aux gains perçus, manqués ou espérés comme le propose M. [N].

Dans ces conditions et au vu de la situation réelle de la victime âgée de 54 ans au moment de la consolidation de son état de santé, la somme de 30 000 euros retenue par le premier juge répond à la réparation intégrale de l'incidence professionnelle subie par M. [N] sans qu'il n'en retire ni pertes ni profits, étant précisé que le tribunal a à juste titre écarté la demande au titre des pertes de droit à la retraite en l'absence de pertes de gains professionnels futures.

La cour confirme donc le jugement critiqué de ce chef.

Sur le préjudice d'affection des victimes par ricochet

Il s'agit d'indemniser le préjudice des proches de la victime blessée, lesquels ont été exposés à la souffrance de celle-ci et justifient avec elle d'un lien affectif réel.

Le préjudice d'affection correspond en effet au préjudice moral subi par certains proches à la vue de la douleur, de la déchéance et de la souffrance de la victime directe. Ce préjudice doit être indemnisé même s'il n'a pas un caractère exceptionnel. Son montant est fixé en fonction de l'importance du dommage corporel de la victime directe, et sa réparation implique l'existence d'une relation affective réelle avec le blessé.

Sur le préjudice de l'épouse, Mme [O] [J] épouse [N]

Le tribunal a alloué à Mme [J] la somme de 7 000 euros en réparation de son préjudice d'affection.

Celle-ci réclame une indemnité à hauteur de la somme de 30 000 euros à ce titre en invoquant un préjudice d'anxiété lié aux conséquences de la violence de l'accident.

L'agent judiciaire de l'Etat demande la confirmation du jugement de ce chef.

En l'espèce, le bilan lésionnel initial fait apparaitre que la victime directe a été hospitalisée du 17 juin 2015 au 23 juin 2015 alors qu'elle présentait plusieurs fractures associées à une hémorragie méningée du sillon pariétal gauche sans qu'il ne soit fait état d'un traumatisme crânien et d'un pronostic vital engagé comme l'invoque Mme [J].

Le principe, non contesté, du préjudice d'affection de celle-ci a été évalué, à juste titre, par le premier juge qui a pris en compte les lésions au demeurant graves présentées par la victime directe, à la somme de 7 000 euros qui assure une réparation intégrale de la victime sans perte ni profit.

Sur le préjudice d'affection des enfants de la victime directe, [M] et [X] [N]

Le tribunal a indemnisé le préjudice d'affection de [M] et [X] [N] à hauteur de la somme de 2 000 euros chacune.

Celles-ci réclament chacune l'allocation de la somme de 25 000 euros à ce titre en invoquant l'angoisse et la peur de voir leur père en souffrance outre la peur de le voir décéder au début de son hospitalisation.

De la même manière, le principe de ce préjudice n'est pas contesté et ainsi qu'il a été dit, il ne résulte nullement des pièces du dossier que le pronostic de la victime directe, dont les lésions initiales étaient certes importantes, était engagé.

La cour approuve donc le premier juge qui a fixé le préjudice d'affection de chacune des filles de M. [N] à la somme de 2 000 euros répondant ainsi au principe de la réparation intégrale sans pertes ni profits.

Sur les demandes de la Bpce

Il est établi que M. [N] avait souscrit un contrat de prévoyance professionnelle auprès de la Bpce couvrant notamment la garantie incapacité temporaire de travail et qu'à ce titre, celle-ci a versé à son assuré des prestations, à hauteur de la somme de 4 200 euros, au titre de son arrêt de travail du 20 juin au 11 septembre 2015 consécutif à l'accident.

La mise en cause de la Bpce en première instance tout comme en appel, en sa qualité de tiers payeur, est donc justifiée dès lors que les prestations versées à la victime du chef de l'accident par une société d'assurances régies par le code des assurances, par application des articles 29 5° et 30 de la loi du 5 juillet 1985, présentent un caractère subrogatoire et indemnitaire et ont donc vocation à être déduites de l'indemnité versée à la victime.

Il n'y a donc pas lieu de la mettre hors de cause quand bien même aucune demande n'est formée à son encontre de sorte que cette demande sera rejetée.

C'est donc à juste titre que le premier juge n'a pas fait droit à la demande de la Bpce en paiement d'une indemnité pour procédure abusive.

Le jugement critiqué sera donc confirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part, à confirmer le jugement critiqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

et, d'autre part, à laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel ainsi que les frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 31 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Lille en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a condamné l'agent judiciaire de l'Etat à verser à M. [D] [N], en réparation de ses préjudices subis à la suite de l'accident survenu le 17 juin 2015, la somme de 5 089,94 euros au titre des dépenses futures ;

Le réformant de ce seul chef,

Prononçant à nouveau et y ajoutant,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à verser à M. [D] [N], en réparation de ses préjudices subis à la suite de l'accident survenu le 17 juin 2015, la somme de 5 161,94 euros au titre des dépenses futures ;

Rejette la demande de mise hors de cause de la société Bpce Assurances ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties en cause d'appel ;

Rejette les demandes plus amples ou contraires des parties.

Le greffier

Fabienne DUFOSSÉ

Le président

Guillaume SALOMON