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Décisions

CA Lyon, ch. soc. a, 23 octobre 2024, n° 21/05206

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 21/05206

23 octobre 2024

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/05206 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NWHT

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 5]

C/

[N]

SELARL MJ SYNERGIE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 27 Mai 2021

RG : F 19/01018

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2024

APPELANTE :

AGS CGEA DE [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Charles CROZE de la SELARL AVOCANCE, avocat au barreau de LYON substituée par Me Evanna IENTILE, avocat au barreau de LYON

INTIMÉS :

[F] [N]

né le 12 Janvier 1986 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Samuel BECQUET de la SELEURL SAMUEL BECQUET AVOCAT, avocat au barreau de LYON

SELARL MJ SYNERGIE représentée par Me [E] [O] , ès qualités de liquidateur judiciaire de la société EXCEL BATIMENT

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avaocat plaidant Me Arlette BAILLOT-HABERMANN, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 19 Juin 2024

Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Catherine MAILHES, présidente

- Nathalie ROCCI, conseillère

- Anne BRUNNER, conseillère

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 23 Octobre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [F] [N] (le salarié) a été engagé le 1er juin 2017 par la société Excel Bâtiment (la société) par contrat à durée indéterminée en qualité de responsable technique position 2.2, coefficient 130, moyennant un salaire mensuel de 3 448,45 euros.

Par jugement du 9 janvier 2019, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert la procédure de liquidation judiciaire de la société Excel Bâtiment, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 20 décembre 2018, et nommé en qualité de liquidateur judiciaire la SELARL MJ Synergie.

Le 14 janvier 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 22 janvier 2019.

Par lettre du 24 janvier 2019, la SELARL MJ Synergie lui a notifié son licenciement pour motif économique.

Par courrier du 4 mars 2019, la SELARL MJ Synergie a informé M. [F] [N] que l'examen de sa situation au regard de l'entreprise Excel Bâtiment ne le lui permettait pas de lui reconnaître le statut de salarié.

Le 12 avril 2019, M. [F] [N], soutenant qu'il n'était plus réglé de ses salaires depuis le 1er décembre 2018, a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon, aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société, et voir fixer au passif de la procédure collective de la société Excel Bâtiment :

un rappel de salaire pour la période du 1er décembre 2018 au 8 janvier 2019 et l'indemnité de congés payés afférente,

une indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de congés payés afférente,

une indemnité légale de licenciement,

des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la remise des bulletins de salaire et documents de fin de contrat rectifiés avec astreinte.

La SELARL MJ Synergie et l'AGS CGEA de [Localité 5] ont été convoquées devant le bureau de jugement.

Au dernier état de ses demandes, le salarié, maintenant ses demandes initiales à l'exception de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sollicitait des dommages-intérêts pour perte de droit à l'allocation de sécurisation professionnelle jusqu'au 9 janvier 2020 et des dommages-intérêts pour perte de revenus et de ses droits à la formation.

La SELARL MJ Synergie et l'AGS CGEA de [Localité 5] se sont opposées aux demandes du salarié.

Par jugement du 27 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Lyon a :

constaté que M. [F] [N] bénéfice d'un contrat de travail régularisé le 1er juin 2017 avec la société Excel Bâtiment ;

constaté que la société Excel Bâtiment a été placée en liquidation judiciaire suivant jugement du Tribunal de Commerce de Lyon du 9 janvier 2019 ;

dit que rien ne justifie la remise en cause du statut de salarié de M. [F] [N] ;

dit valable le licenciement économique intervenu suivant la lettre de licenciement du 24 janvier 2019 ;

dit que la demande de M. [F] [N] de dommages et intérêts pour perte de droit à l'Allocation de Sécurisation Professionnelle jusqu'au 9 janvier 2020 est fondée ;

dit que la demande de M. [N] de dommages et intérêts pour absence de revenus et pertes de ses droits à la formation professionnelle est infondée ;

Par conséquent,

fixé la créance de M. [F] [N] au passif de la liquidation judiciaire de la société Excel Bâtiment aux sommes suivantes :

6 118,21 euros au titre de rappel de salaires entre le 01/12/2018 et le 24/01/2019 ;

611,82 euros au titre des congés payés afférents ;

1 293,17 euros au titre d'Indemnité légale de licenciement ;

10 345,35 euros au titre d'Indemnité compensatrice de préavis ;

1 034.53 € au titre de congés payés afférents ;

27 811 euros au titre de dommages et intérêts pour perte de droit à l'Allocation de Sécurisation Professionnelle jusqu'au 09/01/2020 ;

71 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

ordonné la remise de documents de fin de contrat ;

déclaré le présent jugement opposable à l'AGS ' CGEA de [Localité 5] à l'exclusion de l'article 700 du code de procédure civile, dans la limite de leurs garanties légales ;

DIT n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire autre que celle de droit ;

fixé la moyenne des salaires à la somme de 3 222,50 euros ;

laissé les dépens à la charge de la liquidation judiciaire.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 16 juin 2021, l'AGS CGEA de [Localité 5] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 31 mai 2021, aux fins d'infirmation en ce qu'il a dit et jugé que la demande de Monsieur [F] [N] de dommages et intérêts pour perte de droit à l'Allocation de Sécurisation Professionnelle jusqu'au 9 janvier 2020 est fondée ; fixé la créance de Monsieur [N] [F] au passif de la liquidation judiciaire de la société EXCEL BATIMENT aux sommes suivantes : - 6 118,21 € au titre de rappel de salaires entre le 01/12/2018 et le 24/01/2019 ' 611,82 € au titre des congés payés afférents - 1 293,17 € au titre d'indemnité légale de licenciement - 10 345,35 € au titre d'indemnité compensatrice de préavis - 1 034.53 € au titre de congés payés afférents - 27 811.00 € au titre de dommages et intérêts pour perte de droit à l'Allocation de Sécurisation Professionnelle jusqu'au 09/01/2020 - 1 800 € au titre de l'Article 700 du code de procédure civile, ordonné la remise de documents de fin de contrat ; déclaré le présent jugement opposable à l'AGS CGEA de [Localité 5] à l'exclusion de l'article 700 du code de procédure civile, dans la limite de leurs garanties légales, dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire autre que celle de droit ; fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Monsieur [F] [N] à 3 222,50 €, laissé les dépens de l'instance à la charge de la liquidation judiciaire de la société EXCEL BATIMENT.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 14 mars 2022, l'AGS CGEA de [Localité 5] demande à la cour de réforme le jugement entrepris en ce qu'il a été reconnu la qualité de salarié de M. [F] [N] et, statuant à nouveau :

juger que M. [F] [N] n'était pas salarié de la société Excel Bâtiment

rejeter l'intégralité de ses demandes,

- subsidiairement, réformer le jugement entrepris en ce qu'il a été fait droit à la demande d'indemnité de préavis à hauteur de 3 mois de salaires,

- statuant à nouveau, juger que l'indemnité compensatrice de préavis ne pouvait être que d'un mois de salaire au regard de l'ancienneté de M. [F] [N] et plafonner l'indemnité à 1 mois de salaire,

- subsidiairement, réformer le jugement entrepris en ce qu'il a été fait droit à la demande de dommages et intérêts pour perte de droit à l'Allocation de Sécurisation Professionnelle,

- statuant à nouveau, juger que ce préjudice n'est ni démontré, ni certain, ni définitif, rejeter en conséquence la demande et subsidiairement minimiser dans de très sensibles proportions les sommes octroyées,

En toute hypothèse,

- dire et juger que la garantie de l'AGS-CGEA DE [Localité 5] n'intervient qu'à titre subsidiaire, en l'absence de fonds disponibles ;

- dire et juger que l'AGS-CGEA DE [Localité 5] ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-8 du Code du Travail que dans les termes et conditions résultant des articles L. 3253-20, L. 3253-19 et L. 3253-17 du Code du Travail ;

- dire et juger que l'obligation de l'AGS CGEA de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des éventuelles créances garanties, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé de créance par le mandataire judicaire, et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L 3253-20 du Code du Travail ;

- dire et juger que l'AGS CGEA de [Localité 5] ne garantit pas les sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ou au titre de la liquidation d'une éventuelle astreinte ;

- dire et juger l'AGS-CGEA DE [Localité 5] hors dépens

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 15 décembre 2021, la SELARL MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Excel Bâtiment, ayant fait appel incident en ce que le jugement a reconnu la qualité de salarié à M. [F] [N], demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau de de rejeter l'intégralité de ses demandes et subsidiairement, de rejeter la demande de dommages-intérêts pour perte du droit à l'allocation de sécurisation professionnelle ou de minimiser la somme octroyée et de condamner M. [F] [N] aux dépens.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 14 décembre 2021, M. [F] [N] demande à la cour de :

déclarer qu'elle n'est pas saisie des chefs de jugement ayant « constaté que Monsieur [N] [F] bénéfice d'un contrat de travail régularisé le 1er juin 2017 avec la société EXCEL BATIMENT, constaté que la société EXCEL BATIMENT a été placée en liquidation judiciaire suivant jugement du Tribunal de Commerce de Lyon du 9 janvier 2019, dit et jugée que rien ne justifie la remise en cause du statut de salarié de Monsieur [N] [F], dit et jugé valable le licenciement économique intervenu suivant la lettre de licenciement du 24 janvier 2019 » ;

par conséquent, les confirmer, et déclarer irrecevables les demandes du CGEA de [Localité 5] tendant à réformer le jugement entrepris en ce qu'il lui a reconnu la qualité de salarié et statuant à juger qu'il n'est pas salarié de la société Excel Bâtiment et à rejeter ses demandes ;

En tout état de cause ;

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

condamner le CGEA de [Localité 5] à lui payer a somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture des débats a été ordonnée le 16 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

SUR CE,

Sur l'existence d'un contrat de travail :

Sur l'effet dévolutif :

Le salarié soutient que la cour n'est pas saisie de la demande de réformation du jugement en ce qu'il lui a reconnu la qualité de salarié au motif que l'acte d'appel ne vise pas les chefs de jugement ayant « constaté que Monsieur [N] [F] bénéficie d'un contrat de travail régularisé le 1er juin 2017 avec la société Excel Bâtiment, constaté que la société Excel Bâtiment a été placée en liquidation judiciaire suivant jugement du Tribunal de Commerce de Lyon du 9 janvier 2019, dit et jugé que rien ne justifie la remise en cause du statut de salarié de Monsieur [N] [F], dit et jugé valable le licenciement économique intervenu suivant la lettre de licenciement du 24 janvier 2019 ».

L'AGS CGEA de [Localité 5] fait observer que la SELARL MJ Synergie ès qualités s'est portée appelante incidente, par voie de conclusions, de l'intégralité des chefs de jugement de première instance, dont la reconnaissance du statut de salarié. Elle en déduit que la cour est bien saisie de l'entier litige.

***

Selon l'article 562 du code de procédure civile, dans sa version applicable, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

En l'espèce, la SELARL MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Excel Bâtiment, a fait appel incident en sollicitant la réformation du jugement en ce qu'il a reconnu la qualité de salarié à M. [F] [N].

La cour est donc saisie du chef du jugement ayant reconnu la qualité de salarié à M. [F] [N].

Sur la qualité de salarié de M. [F] [N] :

Pour solliciter la réformation du jugement en ce qu'il a dit que M. [F] [N] était salarié, l'AGS CGEA de [Localité 5] fait valoir que :

M. [F] [N] était associé avec M. [Z] au sein de la société Renopropre, qui exerçait une activité proche de celle de la société Excel Bâtiment et était domiciliée à la même adresse ;

le dirigeant de la société Excel Bâtiment n'avait pas de compétence technique alors que M. [F] [N] en avait ;

M. [F] [N] avait été précédemment dirigeant d'une société Nashivone Services, liquidée judiciairement et dans le cadre de laquelle il a été condamné à une peine d'interdiction de gérer pendant 8 ans ;

M. [F] [N] ne justifie pas de la prestation de travail réalisée et des conditions de subordination dans lesquelles il exerçait.

La SELARL MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Excel Bâtiment, pour solliciter la réformation du jugement en ce qu'il dit que M. [F] [N] était salarié, soutient que :

la production des bulletins de paie et du contrat de travail est insuffisante à démontrer l'existence d'un lien de subordination réel ;

M. [F] [N] a, de manière incontestable, participé à la gestion de la société ;

M. [F] [N] a constitué, le 2 mai 2013, une société Nashivone Services, qui avait pour activité des travaux de peinture et vitrerie et dont il était le gérant ;

cette société a été placée en liquidation judiciaire, le 12 janvier 2016 ;

le 8 février 2016, la société Excel Bâtiment a été constituée par M. [Z] ;

le 4 mai 2016, M. [Z] a créé, avec M. [F] [N], la société Renopropre, dont M. [F] [N] était le président et détenait 70% du capital social ;

la société Excel Batiment et la société Renopropre avaient une activité semblable et leur siège social à la même adresse ;

ce n'est qu'à compter du 1er juin 2017 qu'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein a été conclu entre M. [F] [N] et la société Excel Batiment, dont M. [Z] était le président ;

il y a lieu de se demander comment M. [F] [N] a pu signer un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein avec la société Excel Bâtiment, cumuler avec la gérance de la société Renopropre, du 4 mai 2016 au 30 octobre 2018, date à laquelle M. [Z] a repris la gérance et être sous un lien de subordination avec M. [Z] alors que, dans la structure Renopropre, il était président et M. [Z] associé minoritaire ;

M. [F] [N] bénéficiait d'une procuration spéciale de porteur de carte bancaire de la société Excel Bâtiment ;

M. [F] [N] ne produit aucun élément permettant de démontrer l'existence d'ordres ou de directives bien réelles émanant de M. [Z], lequel n'avait aucune compétence pour contrôler le poste de M. [F] [N] et l'activité de la société ;

l'effectif de la société était constitué de M. [F] [N] et d'un apprenti dessinateur, ce qui démontre que M. [F] [N] dirigeait la société.

Pour solliciter la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une relation salariée, M. [F] [N] fait valoir :

embauché au poste de responsable technique, il a exercé les fonctions de conducteur de travaux ;

une rémunération lui a été versée du 1er juin 2017 au 30 novembre 2018 ;

il a toujours exercé ses fonctions sous l'autorité de M. [Z], n'a jamais eu de mandat social ni de participation au sein de la société Excel Bâtiment, n'a jamais eu de pouvoir d'engager la société ni mouvementer les compte bancaires ;

c'est M. [Z] qui assurait seul la direction de la société ainsi qu'en attestent les sous-traitants de la société Excel Bâtiment ;

c'est bien parce qu'il avait des compétences techniques que M. [Z] n'avait pas qu'il a été embauché ;

la société Renopropre et la société Excel Bâtiment n'avaient pas d'activité similaire ;

sa qualité d'associé de la société Renopropre ne lui confère aucun pouvoir au sein de la société Excel Bâtiment ;

dès la signature de son contrat de travail avec la société Excel Bâtiment, il a cessé ses fonctions au sein de la société Renopropre ;

s'il a effectivement été dirigeant de la société Nashinove Services, cela n'a strictement aucune incidence sur sa qualité de salarié au sein de la société Excel Bâtiment ;

l'interdiction de gérer a été levée par arrêt de la cour d'appel du 15 juillet 2020.

***

1C'est à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence mais, en présence d'un contrat de travail écrit ou apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, il est constant qu'un contrat de travail a été signé entre M. [F] [N] et la société Excel Bâtiment, créée le 8 février 2016 et dont M. [Z] était le gérant et actionnaire unique. M. [F] [N] verse encore aux débats ses bulletins de paie du mois de juin 2017 au mois de novembre 2018, l'attestation de déclaration préalable à l'embauche en date du 1er juin 2017 et la demande individuelle pour son affiliation auprès d'Apicil, remplie par M. [Z] le 31 mai 2017.

Il appartient donc à l'AGS CGEA de [Localité 5] et à la SELARL MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Excel Bâtiment, de rapporter la preuve du caractère fictif de ce contrat de travail.

La circonstance que M. [F] [N] ait été dirigeant de la société Nashinove Services, créée en 2013 et ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire par jugement du 13 janvier 2016 est sans incidence sur le présent litige.

Il en va de même de la qualité de président de la société Renopropre, qu'il a exercées jusqu'au 25 septembre 2018, date à laquelle il a été remplacé par M. [Z].

Jusqu'à cette date, M. [F] [N] était aussi actionnaire majoritaire de la société Renopropre, à hauteur de 70% des parts tandis que M. [Z] était actionnaire à hauteur de 30%. Néanmoins, la répartition des parts entre les associés d'une société tierce n'est pas de nature à établir le caractère fictif du contrat de travail conclu entre la société Excel Bâtiment et M. [F] [N].

La SELARL MJ Synergie verse aux débats une « attestation de procuration », établie le 23 janvier 2019, par la Caisse d'Epargne Loire Drome Ardèche selon laquelle, au jour de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Excel Bâtiment, « seul Monsieur [Z] [M] né le 14/04/1964 à [Localité 8] était habilité à faire fonctionner les comptes de la SAS EXCEL BATIMENT. Monsieur [Z] [M] et [F] [N] bénéficient en parallèle de procuration spéciale de porteur de carte bancaire de la SAS EXCEL BATIMENT ».

Il en ressort que c'est bien M. [Z] qui pouvait faire fonctionner les comptes de la société.

Au demeurant, l'exercice effectif de son rôle de gérant est confirmé par les attestations versées aux débats par M. [F] [N], établies par des sous-traitants de la société, M. [D], qui témoigne que M. [F] [N] suivait les réalisations et contrôlait ses taches mais n'a jamais été prétendu être le gérant, M. [B] qui témoigne que « tous les aspects financiers et administratifs ont été contrôlés et validés par M. [M] [Z], gérant de la société » et M. [W] qui témoigne que « tous les aspects financiers et administratifs étaient sous la validation de M. [Z], gérant de la société'Ce dernier me valide et procède au règlement de mes chantiers. ».

La décision d'interdiction de gérer, pour une durée de 8 années prononcée, par le tribunal de commerce de Lyon, le 7 novembre 2017, n'établit pas non plus le caractère fictif du contrat de travail signé quelques mois auparavant.

En conséquence de quoi, la cour confirme, par substitution de motif, le jugement en ce qu'il a constaté l'existence d'un contrat de travail entre M. [F] [N] et la société Excel Bâtiment et fixé au passif de la liquidation de cette dernière la somme de 6 118,21 euros outre l'indemnité compensatrice de congés payés afférents au titre des rappels de salaire entre le 1er décembre 2018 et le 24 janvier 2019.

Sur les conséquences de la rupture contrat de travail :

L'AGS CGEA de [Localité 5] soutient que comme M. [F] [N] n'avait que 18 mois d'ancienneté à la date de licenciement, la durée du préavis est d'un mois, conformément aux dispositions de l'article L. 1234-1 du code du travail.

Elle ajoute que la reconnaissance de son statut de salarié lui ouvre droit rétroactivement à percevoir l'allocation de sécurisation professionnelle de sorte que M. [N] ne justifie pas de son préjudice.

La SELARL MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Excel Bâtiment, au soutien de la demande de réformation du jugement en ce qu'il a fait droit à la demande de dommages-intérêts pour perte de droit à l'allocation de sécurisation professionnelle, fait valoir que :

le salarié ne justifie pas de son préjudice ;

la somme de 27 811 euros correspond à l'indemnité compensatrice de préavis qui doit être versée par l'employeur directement à Pôle emploi dans le cadre de sa participation au contrat de sécurisation professionnelle ;

le salarié ne peut demander à la fois le paiement de son préavis et à Pôle emploi le même montant au titre du contrat de sécurisation professionnelle.

Le salarié objecte que :

en lui contestant le statut de salarié, le liquidateur l'a privé des effets d'un licenciement économique ;

eu égard à son ancienneté de 18 mois, l'indemnité légale de licenciement doit être fixée à la somme de 1 293,17 euros ;

le délai de préavis de 3 mois relève de la convention collective Syntec qui régissait les relations de travail et de la lettre de licenciement ;

il a été placé dans l'impossibilité de faire valoir ses droits au Contrat de Sécurisation Professionnelle (CSP) -et donc à l'Allocation de Sécurisation professionnelle- et aux Allocations de Retour à l'Emploi (ARE) ;

il n'est nullement démontré que la reconnaissance postérieure de son statut de salarié à par une juridiction lui ouvrirait droit à perception rétroactive de l'allocation de sécurisation professionnelle.

***

Aux termes de l'article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

Il est mentionné, sur les fiches de paie que la convention collective applicable à la relation contractuelle est celle des bureaux d'études techniques, ingénieurs conseils et des sociétés de conseils, dite Syntec et dans le contrat de travail que le salarié a un statut cadre.

Selon la convention collective applicable, la durée du préavis est de trois mois pour les ingénieurs et cadres.

En conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu'il a fixé à la somme de 10 345,35 euros, sur la base d'un salaire mensuel de 3 448,45 euros, l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 1 034,53 euros pour congés payés afférents.

Par la lettre de licenciement, le liquidateur de la société Excel Bâtiment a proposé à M. [F] [N] de bénéficier du contrat de sécurisation professionnelle, lui précisant qu'il disposait d'un délai de réflexion de 21 jours, expirant le 12 février 2019, l'absence de refus de sa part dans ce délai étant assimilé à un refus.

Le salarié verse aux débats, outre l'avis de situation déclarative 2020 pour l'impôt sur les revenus de l'année 2019 (zéro euro de revenu), une simulation pour estimer les allocations Pôle Emploi : il a renseigné sa date d'embauche (1er juin 2017), la date de fin de contrat (24 janvier 2019) et le motif du licenciement. La simulation propose deux estimations, l'une pour l'allocation de sécurisation professionnelle (365 jours à 76,28 euros net par jour), l'autre pour l'allocation de retour à l'emploi (607 jours à 53,45 euros net).

Le salarié a trouvé un nouvel emploi à partir du 9 janvier 2020.

Il établit donc avoir subi un préjudice, ayant été privé de rémunération à compter du licenciement et jusqu'à son embauche à compter du 9 janvier 2020.

L'AGS CGEA de [Localité 5] ne démontre pas que le salarié a été indemnisé a posteriori par Pôle Emploi en suite de la reconnaissance de son statut de salarié.

Il a été fait droit à sa demande d'indemnité compensatrice de préavis, sur une durée de 3 mois, indemnité dont le salarié n'aurait pas bénéficié s'il avait adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.

Le montant de ce préjudice n'a pas été justement évalué et doit être fixé à la somme de 17 465,65 euros, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur la remise des documents de fin de contrat

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la remise des documents de fin de contrat, sans qu'il y ait lieu à astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et dépens seront confirmées.

La SELARL MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Excel Bâtiment, qui succombe partiellement en appel, sera condamnée aux dépens.

Il est équitable de condamner la SELARL MJ Synergie, ès qualités de liquidateur de la société Excel Bâtiment, à payer à M. [F] [N], au titre des frais non compris dans les dépens, la somme de 1 700 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel.

Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'Association pour la Gestion du Régime de Garantie des Créances des Salariés intervenant par l'UNEDIC - CGEA De [Localité 5], laquelle ne sera tenue à garantir les sommes allouées à M. [F] [N] que dans les limites et plafonds définis aux articles L. 3253-8 à L. 3253-17, D. 3253-2 et D. 3253-5 du code du travail.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;

Dans la limite de la dévolution,

CONFIRME le jugement sauf le montant de la somme allouée à titre de dommages-intérêts pour perte du droit à l'allocation ;

Statuant à nouveau :

FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société Excel Bâtiment, à la somme de 17 465,65 euros le montant des dommages-intérêts au titre de la perte du droit à l'allocation de sécurisation professionnelle ;

DÉCLARE opposable à l'Association pour la Gestion du Régime de Garantie des Créances des Salariés intervenant par l'UNEDIC - CGEA De [Localité 5], laquelle ne sera tenue à garantir les sommes allouées à M. [F] [N] dans les limites et plafonds définis aux articles L. 3253-8 à L. 3253-17, D. 3253-2 et D. 3253-5 du code du travail, étant précisé que les sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne sont pas garanties ;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la SELARL MJ Synergie ès qualités de liquidateur de la société Excel Bâtiment aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la SELARL MJ Synergie ès qualités de liquidateur de la société Excel Bâtiment à payer à M. [F] [N] la somme de 1 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE