Décisions
CA Douai, 3e ch., 10 octobre 2024, n° 23/02679
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 10/10/2024
****
N° de MINUTE : 24/298
N° RG 23/02679 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U6DA
Jugement (N° 20/01954) rendu le 25 Mai 2023 par le tribunal judiciaire de Valenciennes
APPELANTS
Monsieur [A] [O]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 9]
Monsieur [G] [B]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 9]
SAS Notaval prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représentés par Me Véronique Vitse-Boeuf, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, substitué par Me Olivier Playoust, avocat au barreau de Lille
INTIMÉS
Madame [P] [T]
née le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 6]
Monsieur [H] [T]
né le [Date naissance 1] 2005 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentés par Me Jérôme Guilleminot, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique en date du 27 juin 2024 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau
En présence de :
- Mme [I] [C]
- Mme [W] [R]
- Mme [L] [M]
- M [K] [N], auditeurs de justice
- Mme [V] [Y] [D], greffier stagiaire
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Yasmina Belkaid, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024, (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 6 mai 2024
Communiquées aux parties le 7 mai 2024
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 mai 2024
****
EXPOSE DU LITIGE :
1. Les faits et la procédure antérieure :
Le 20 mai 2015, une offre de prêt d'un montant de 320 000 euros d'une durée de 180 mois, remboursable sur 156 mensualités après une franchise sans amortissement pendant 24 mois au taux nominal de 3,45 % par an, a été présentée par le Crédit du Nord à [J] [U], moyennant une inscription hypothécaire sur deux immeubles appartenant à ce dernier.
[J] [U] a été hospitalisé en soins palliatifs à compter du 30 juin 2015.
Le 7 juillet 2015, le Crédit du Nord a sollicité M. [O], notaire associé au sein de la Scp [G] [B], [A] [O], Christophe Delhaye et Cédric Bruneau, devenue la Scp Notaval (la Scp notariale), pour établir l'acte de prêt authentique.
Le 5 août 2015, M. [B], notaire associé de la Scp notariale, s'est rendu dans la chambre d'hôpital de [J] [U], pour y signer l'acte authentique de prêt, comportant une première échéance au 15 septembre 2017 et dont le montant de
320 000 euros a été garanti par une hypothèque sur deux immeubles lui appartenant et situés à [Localité 9] et au [Localité 8].
Le [Date décès 4] 2015, [J] [U] est décédé, laissant pour lui succéder son fils M. [H] [U] et son épouse, Mme [P] [E] veuve [U].
La vente de chaque immeuble hypothéqué est intervenue, une somme d'environ
80 000 euros ayant été versée au Crédit agricole sur le produit de celle de l'immeuble situé à [Localité 9].
Par actes des 3 et 4 août 2020, les ayants-droit de [J] [U] ont fait assigner la Scp notariale et MM. [O] et [B], en responsabilité civile professionnelle au titre d'un manquement à leur obligation d'information et de conseil, pour solliciter la somme de 384 000 euros à titre de dommages-intérêts.
2. Le jugement dont appel :
Par jugement rendu le 25 mai 2023, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :
condamné in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O], Me [G] [B] à payer à Mme [P] [U] et [H] [U], représenté par Mme [P] [U] ensemble la somme de 245.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
débouté les parties de leurs autres demandes ;
condamné in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B] aux dépens de l'instance ;
condamné in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B] à payer à Mme [P] [U] et [H] [U], représenté par Mme [U] ensemble la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
rappelé l'exécution provisoire de droit de son jugement.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration du 12 juin 2023, la Scp notariale et MM. [O] et [B] ont formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.
4. Les prétentions et moyens des parties :
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er mars 2024, la Scp notariale et MM. [O] et [B], appelants, demandent à la cour de :
' infirmer le jugement en ses dispositions numérotées 1 à 4 ci-dessus et statuant à nouveau, au visa de l'article 1240 du code civil, de :
' Rejeter toutes prétentions, fins et conclusions de Mme [P] [U] et de M. [H] [U], les en débouter ;
' Les condamner in solidum à verser à la SAS Notaval, à Me [O] ainsi qu'à Me [B] la somme totale de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;
' Les condamner in solidum SAS Notaval, à Me [O] ainsi qu'à Me [B] la somme totale de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel ;
' Les condamner solidairement aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir que :
ils n'ont commis aucune faute : (i) l'obligation d'information du notaire est de moyens ; sur ce point, l'acte de prêt comporte une clause indiquant la possibilité de souscrire une assurance facultative pour couvrir le remboursement du prêt. Mme [U] a été en outre parfaitement informée de la souscription du prêt litigieux, ayant été mise en copie des courriels échangés entre le défunt et le notaire et ayant été présente au jour de la signature de l'acte authentique. Le choix de ne pas souscrire une assurance a été fait par [J] [U]. (ii) Le notaire n'est par ailleurs pas tenu d'une obligation de mise en garde sur l'opportunité économique de l'opération auquel il ne fait que donner force exécutoire, le contrat de prêt ayant été déjà signé. (iii) Le notaire s'est suffisamment assuré de l'état de santé de [J] [U], dont l'état mental n'était pas affecté, alors que seule sa santé physique était diminuée par la maladie. Les ayants-droit du défunt n'ont d'ailleurs pas sollicité la nullité du prêt ou du testament, lequel a pourtant été dressé par M. [B] le 19 août 2015. Aucune pièce médicale n'établit une atteinte de ses facultés cognitives lors de la signature du prêt, en dépit de son aspect impressionnant.
Les ayants-droit de [J] [U] n'ont subi aucun préjudice. La perte de chance de souscrire une assurance permettant le remboursement des échéances ou de renoncer à la conclusion du prêt n'est pas établie. La signature du prêt était indispensable pour solder des dettes de [J] [U], alors que son état de santé ne lui aurait pas permis d'obtenir une garantie « décès » permettant une telle prise en charge par un assureur. Dans le cadre de la succession, les ayants-droit du défunt ont directement bénéficié du remboursement des dettes, qui auraient dû être supportées par la succession à hauteur de 223 666,38 euros. La circonstance qu'un prêt-relais accordé par le Crédit agricole était couvert par une telle assurance décès est indifférente : ce prêt est intervenu le 18 avril 2012, à une date où son état de santé ne s'inscrivait pas dans une récidive de méningiome de grade 2, étant observé que les cotisations d'assurance n'étaient plus payées au 31 janvier 2015 et que le Crédit agricole exigeait le remboursement. Seule la souscription du prêt litigieux auprès du Crédit du Nord a évité le prononcé de la déchéance du terme par le Crédit agricole, dont la créance a été soldée grâce à ce nouveau prêt. Aucune attestation du versement du produit de la vente de l'immeuble situé au [Localité 8] n'est produite.
Aux termes de leurs conclusions notifiées le 29 mars 2024, Mme [P] [U] et M. [H] [U], intimés et appelants incidents, demandent à la cour, au visa de l'article 1382 du code civil, de :
=> à titre principal : d'infirmer le jugement en ce qu'il a limité à 245 000 euros le montant des dommages intérêts et statuant à nouveau de :
- condamner in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B], à leur payer ensemble, la somme de 360.000 euros à titre de dommages et intérêts.
=> à titre subsidiaire : de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B] à leur payer ensemble, la somme de 245.000 euros et à 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
=> en toutes hypothèses :
- débouter la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B] de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B], à leur payer, ensemble, la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
A l'appui de leurs prétentions, il font valoir que :
- les notaires ont commis une double faute : (i) ils n'ont pas informé le défunt sur les risques liés à l'absence de souscription d'un assurance-décès couvrant le remboursement du prêt ; ils devaient l'informer sur le risque que le remboursement resterait à la charge de ses héritiers et que les immeubles hypothéqués seraient nécessairement vendus ; la présence d'une clause dans l'acte de vente informant sur la faculté d'une telle souscription est insuffisante à remplir les obligations du notaire ; (ii) ils n'ont pas vérifié la qualité du consentement donné par le défunt à l'acte notarié, alors que [J] [U] présentait une énorme protubérance à l'arrière du crâne et un état de faiblesse extrême lors de sa dernière hospitalisation. (iii) si le notaire n'est en principe pas tenu d'apprécier l'opportunité économique d'une opération, ce devoir de conseil et de mise en garde existe en présence d'éléments particuliers attirant l'attention du professionnel. En l'espèce, les circonstances de la souscription du prêt devaient alerter le notaire sur l'utilité et les conditions d'un prêt de 320 000 euros. Sur ce point, alors qu'il était malade, [J] [U] a été « vigoureusement relancé par le Crédit agricole à partir de décembre 2014 janvier février 2015 », s'agissant d'un prêt de 162 000 euros souscrit le 18 avril 2012 et garanti par une assurance-décès. (iv) L'existence d'un acte sous seing privé portant les conditions du prêt est indifférente, alors que les effets de cet acte étaient conditionnés à la souscription d'un acte authentique. Le notaire ne peut décliner le principe de sa responsabilité en alléguant qu'il ne fait qu'authentifier l'acte établi par les parties. Le notaire ne rapporte pas la preuve de l'exécution de son devoir de conseil.
- il ne leur appartient pas d'établir que mieux informé, [J] [U] aurait renoncé à contracter. A l'inverse, il appartient à la cour de rechercher l'existence d'une telle perte de chance.
- l'acte notarié litigieux a provoqué la perte du bénéfice de l'assurance-décès-invalidité qui couvrait le prêt du Crédit agricole (191 437,62 euros), lequel n'était pas « résilié » au 17 août 2015 et la perte de deux immeubles hypothéqués au profit du Crédit du Nord pour les montants versées à ce dernier après la vente de ces immeubles (165 000 euros et 80 000 euros). Leur préjudice doit être ainsi fixé à
360 000 euros. La succession n'a pas appréhendé une somme de 320 000 euros, alors que des frais d'acte ont été déduits de la somme prêtée à hauteur de 5 491 euros.
Le Crédit du Nord a perçu les sommes de 80 000 et 165 000 euros.
Dans son avis du 6 mai 2024, le ministère public a sollicité la confirmation du jugement entrepris.
L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 13 mai 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité du notaire :
En application de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La responsabilité du notaire n'est engagée que les trois conditions de la responsabilité civile délictuelle sont remplis : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre ces deux premiers éléments.
Sur les fautes :
=> sur le manquement à l'obligation d'information et de conseil :
Le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique.
Ainsi, lorsque le notaire prête son concours à l'établissement d'un acte, il doit non seulement veiller à l'utilité et à l'efficacité de cet acte, mais est également tenu à l'égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les conséquences et risques des stipulations convenues, sous réserve que celles-ci n'aient pas été immuablement arrêtées ou qu'elles n'aient pas produit leurs effets antérieurement.
Plus spécifiquement, le devoir d'information et de conseil du notaire rédacteur d'un acte authentique de prêt lui impose d'informer l'emprunteur sur les conséquences de la non-souscription d'une assurance-décès facultative proposée par le prêteur, la preuve de l'exécution de cette obligation lui incombant.
La mention portée à l'acte de prêt de la possibilité de souscription de cette garantie constitue une simple information générale qui s'avère insuffisante à satisfaire au devoir de conseil, qui implique une appréciation concrète de la situation spécifique de l'emprunteur et des risques encourus.
Le devoir de conseil est impératif et le notaire ne peut s'y dérober en alléguant qu'il s'est borné à donner une forme authentique aux conventions des parties, de sorte que la circonstance que le notaire n'a pas été le négociateur du contrat dont il dresse l'acte authentique ne le dispense pas d'une telle obligation.
De même, le notaire, qui n'est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher, n'est pas tenu d'informer l'emprunteur du risque de l'opération visée par l'acte litigieux, lorsqu'il ne pouvait le suspecter au jour de sa signature.
Sur ce,
> sur l'existence d'un contrat de prêt antérieurement conclu :
Le contrat de prêt signé par [J] [U], antérieurement à l'acte notarié, n'est pas produit. Pour autant, même si un tel acte engage l'emprunteur, il renvoie nécessairement à la réitération par acte authentique que le Crédit du Nord a exigé pour permettre notamment la constitution de garanties hypothécaires par le notaire. Le prêt sous seing privé n'avait ainsi pas produit tous ses effets avant que le prêt notarié ne soit conclu.
Le notaire restait ainsi tenu de son devoir de conseil, en dépit d'un tel acte sous seing privé conclu antérieurement à son intervention.
> sur l'existence d'une clause informant sur la faculté de s'assurer :
Le prêt notarié comporte une clause, en page 9, stipulant que « l'assurance du prêt est facultative. L'emprunteur peut souscrire une police auprès d'une compagnie de son choix pour les risques décès, invalidité et incapacité de travail et chômage ou adhérer à l'assurance proposée par le prêteur. Dans ce cas, l'emprunteur déclare avoir reçu un extrait des garanties de la convention d'assurance groupe à laquelle adhère le prêteur qui sera bénéficiaire des sommes assurées en cas de sinistre et avoir pris connaissance des risques couverts et exclus. La compagnie d'assurance se réserve le droit de contrôler à tout moment les déclarations faites par l'emprunteur. L'emprunteur et les cautions éventuelles restent tenus envers le prêteurs au titre du prêt, tant que les indemnités dues par l'assureur en cas de sinistre n'ont pas été versées au prêteur. Les garanties cessent en cas d'exigibilité anticipée du prêt par suite du non-paiement d'une ou plusieurs échéances et à compter de la date d'effet de l'exigibilité ».
Si une telle clause informe [J] [U] de sa faculté de souscrire une assurance couvrant le risque décès, elle ne comporte en revanche aucun conseil spécifiquement adapté à sa situation et portant sur les conséquences de la non-souscription d'une telle couverture assurantielle, en considération de son caractère général et abstrait. Elle n'est ainsi pas de nature à exonérer le notaire d'un tel devoir de conseil.
> sur le devoir de conseil au titre de l'opportunité économique de l'opération :
Si la signature du prêt notarié est intervenue au sein d'une unité de soins palliatifs, une telle circonstance n'affectait toutefois pas en soi la viabilité économique de l'opération. Elle ne constitue pas un indice apparent du caractère économiquement défavorable de cet emprunt et de ses garanties, de sorte qu'il n'incombait pas au notaire d'alerter [J] [U] sur l'opportunité de conclure l'opération litigieuse.
> sur le défaut de conseil par le notaire :
Alors qu'il incombe au notaire débiteur d'une obligation de conseil de rapporter la preuve de sa bonne exécution, une telle démonstration est totalement absente en l'espèce. Aucun échange préalable à la signature n'est produit, qui établirait que le notaire a précisé à [J] [U] les conséquences et les risques s'attachant à l'absence de souscription d'une assurance décès et à l'affectation hypothécaire de deux immeubles en garantie du prêt.
A ce titre, la faute du notaire et de sa structure d'exercice est valablement établie.
=> sur le défaut de vérification de la capacité à consentir :
Il appartient au notaire, tenu de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes reçus par lui, de vérifier la capacité de son client lorsque des circonstances particulières lui permettent de mettre en doute ses facultés mentales.
En l'espèce, la seule circonstance que [J] [U] était hospitalisé en unité de soins palliatifs au jour de la conclusion du prêt litigieux est insuffisante pour établir l'existence d'indices apparents permettant au notaire de suspecter une altération de ses facultés intellectuelles. S'il est établi que son état physiologique était très diminué et que son décès est intervenu le 25 jours après la signature du prêt notarié, aucun élément médical n'est toutefois produit par les ayants-droit du défunt pour établir que le notaire aurait dû procéder à des investigations supplémentaires pour s'assurer du consentement éclairé de l'emprunteur. Sur ce point, le certificat établi le 30 juillet 2015 par le docteur [S] établit exclusivement qu'à cette date, l'état de santé de [J] [U] ne lui permettait pas de « s'occuper physiquement de la gérance de sa société ». Sa nécessité de se déplacer en fauteuil roulant, attestée médicalement, n'est pas davantage déterminante, alors qu'il n'est ni allégué, ni démontré que l'importante excroissance de son crâne, qu'illustrent les clichés photographiques effectués courant juillet-août 2015, était génératrice de troubles de la conscience ou de la compréhension. L'exérèse de cet méningiome extra-dural était d'ailleurs envisagé en janvier 2015. Le compte-rendu de la première cure de chimiothérapie, daté du 12 juin 2015, vise exclusivement des séquelles physiologiques, précisant que le traitement a été bien supporté par le patient et autorisant ainsi la sortie d'hospitalisation de ce dernier. Sur le plan neurologique, aucun syndrome méningé n'est retrouvé, alors que seules quelques céphalées matinales peu intenses sont rapportées. Au demeurant, aucune nullité tant de l'acte de prêt que du testament rédigé postérieurement n'est sollicitée, pour sanctionner un défaut de consentement éclairé de leur auteur.
Aucune faute n'est ainsi constituée à ce titre à l'encontre du notaire ou de sa structure d'exercice.
Sur le préjudice en lien de causalité avec la faute :
Lorsqu'il ne peut être tenu pour certain qu'un dommage ne serait pas advenu ou n'aurait pas présenté la même gravité en l'absence de faute, une réparation ne peut être envisagée que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, dont le caractère certain doit être établi.
En l'espèce, le préjudice résultait de l'absence de conseil sur la souscription d'une assurance décès par [J] [U] ne peut s'analyser qu'en terme de perte de chance :
=> Sur la perte de chance de bénéficier d'une couverture assurantielle en cas de décès :
Il appartient aux ayants-droit de [J] [U] d'établir le préjudice qu'ils invoquent sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
D'une part, il est constant que [J] [U] avait souscrit le 18 avril 2012 un prêt immobilier auprès du Crédit agricole d'un montant de 162 000 euros, moyennant un taux nominal de 3,90 %, pour lequel une garantie décès avait été souscrite.
Pour autant, les ayants-droit de [J] [U] n'auraient pu en tout état de cause bénéficier de la garantie décès qui lui avait été ainsi accordée en 2012, étant observé que :
la déchéance du terme prononcée ou à intervenir à court terme y faisait obstacle ;
les conditions contractuelles de cette assurance ne sont pas produites, étant toutefois relevé que des impayés étaient intervenus dans le versement des cotisations d'assurance, ainsi qu'il résulte d'un courrier adressé le 4 décembre 2014 à l'emprunteur par le Crédit agricole.
Il n'est ainsi pas démontré que le prêt consenti par le Crédit du Nord a entraîné la perte du bénéfice de l'assurance décès consenti au titre du prêt auprès du Crédit agricole.
D'autre part, ils n'établissent pas davantage que [J] [U] aurait pu bénéficier d'une telle garantie décès en août 2015, dans l'hypothèse contrefactuelle où le notaire l'aurait informé et conseillé conformément à ses obligations lors de la souscription du prêt. Alors qu'il était en soins palliatifs, aucun aléas n'affecte la circonstance qu'aucun assureur n'aurait accepté de le garantir au titre du décès ou de ne pas inclure une clause d'exclusion de garantie concernant la pathologie préexistante dont il est décédé. Ils n'apportent pas davantage la démonstration qu'alternativement à l'hypothèque, [J] [U] aurait pu fournir une garantie au remboursement du prêt.
Une telle perte de chance de bénéficier d'une assurance décès, qu'il s'agisse du prêt souscrit tant auprès du Crédit agricole, qu'auprès du Crédit du Nord n'est pas établie.
=> Sur la perte de chance de ne pas contracter le prêt de 362 000 euros :
La conclusion du prêt litigieux s'inscrit dans un contexte de restructuration des dettes tant personnelles que sociales de [J] [U].
D'une part, le prêt accordé en 2012 par le Crédit agricole a fait l'objet d'un impayé en février 2014, selon le décompte établi au 30 septembre 2014. Les courriels adressés à compter de janvier 2015 à [J] [U] par le service de recouvrement amiable des professionnels mentionnent que le Crédit agricole lui avait « accordé un délai supplémentaire jusqu'au 31 janvier 2015 pour procéder au remboursement de [son] prêt habitat échu depuis le 26 février 2014 », annonçant qu'à défaut, un recouvrement judiciaire serait envisagé. Le 2 février 2015, ce même service indique « aujourd'hui, nous ne pouvons patienter davantage. Vous nous indiquez avoir entrepris des démarches auprès d'un financeur, merci de nous adresser les pièces justificatives afin d'étudier un éventuel maintien de votre dossier à mon niveau ». Le montant réclamé s'élevait à 183 041,13 euros au 4 décembre 2014, alors qu'il atteignait 191 437,62 euros au 17 août 2015. Seule la souscription du nouveau prêt auprès du Crédit du Nord a ainsi permis de stopper l'augmentation de la dette et de rembourser ce prêt.
D'autre part, les pourparlers notamment engagés à compter de mars 2015 avec le directeur du Crédit du Nord enseignent que le prêt devait permettre le remboursement non seulement du prêt souscrit auprès du Crédit agricole, mais également d'affecter le solde des 320 000 euros au découvert de la Sarl Aquarium.
Le prêt est par ailleurs intervenu avec une franchise de 24 mois, permettant ainsi à [J] [U] de retrouver une trésorerie et s'accompagnait d'un engagement à renégocier le montant de l'échéance. Il a été enfin convenu un taux fixe de 3,45 %, contre 3,90 % au titre du prêt dont il était destiné à permettre le remboursement.
La souscription du prêt visait ainsi à diminuer le niveau d'endettement de [J] [U], quel qu'en soit le bénéficiaire final (l'emprunteur lui-même ou sa succession) et à lui permettre d'échapper à bref délai à des poursuites judiciaires en recouvrement des sommes réclamées par le Crédit agricole. En tout état de cause, son opportunité économique était établie.
La situation financière de [J] [U] était ainsi difficile tant à la date du projet de refinancement que le Crédit du Nord lui a proposé qu'à celle de la signature du prêt litigieux.
Au surplus, il s'observe que l'acceptation de la succession par l'épouse survivante est intervenue, tant pour son compte personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur [H], à concurrence de l'actif net, les autres héritiers ayant renoncé à cette succession.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à la date de souscription du prêt litigieux, [J] [U] n'avait pas d'alternative financière pour faire face à ses engagements. À cet égard, il ressort des propres écritures de ses ayants-droit que « le Crédit du Nord a directement réglé le Crédit Agricole (Pièce 31 et 33) et que seules les sommes de 70 000 et 53 662,38 € ont été créditées sur le compte des époux [U] soit 123 662,38 € qui ont permis au Crédit du Nord de solder en ses livres divers comptes débiteurs (compte-courant W [U], étoile avance, compte W [U], compte [E], compte SCI Pamar) ».
Dans ces conditions, il est certain que [J] [U] aurait en tout état de cause conclu ce prêt, en dépit du manquement par le notaire à son obligation de conseil. Alors qu'il était tout aussi indubitable qu'aucune garantie décès ne serait accordée à un tel emprunteur admis en unité de soins palliatifs, la circonstance que deux immeubles soient apportés en garantie de cet emprunt était également inéluctable au regard du montant du prêt consenti. La faute établie à l'encontre du notaire n'a ainsi pas davantage causé la perte des deux immeubles ayant servi à rembourser le prêt litigieux, alors que les ayants-droit de [J] [U] n'indiquent pas quelle autre garantie aurait pu être apportée alternativement pour réaliser un emprunt devenu indispensable pour solder une dette échue et apurer une série de comptes débiteurs.
Aucune perte de chance en relation causale avec le défaut de conseil par le notaire n'est en définitive établie. La responsabilité professionnelle du notaire n'est ainsi pas démontrée et les demandes indemnitaires formulées à ce titre doivent être rejetées.
Le jugement critiqué est par conséquent infirmé en ce qu'il a condamné les notaires et la Scp notariale à indemniser les ayants-droit de [J] [U], au titre d'une telle faute.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
et d'autre part, à condamner in solidum les ayants-droit de [J] [U], outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer à la Scp notariale et à MM. [O] et [B], la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement rendu le 25 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Valenciennes en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Et statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit que la responsabilité civile professionnelle de la Scp Notaval et de MM. [A] [O] et [G] [B] n'est pas engagée ;
Déboute par conséquent Mme [P] [E] veuve [U] et M. [H] [U] de l'intégralité de leurs demandes indemnitaires ;
Condamne in solidum Mme [P] [E] veuve [U] et M. [H] [U] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne in solidum Mme [P] [E] veuve [U] et M. [H] [U] à payer à la Scp Notaval et de MM. [A] [O] et [G] [B], la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en première instance et en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.
Le greffier
Harmony POYTEAU
Le président
Guillaume SALOMON
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 10/10/2024
****
N° de MINUTE : 24/298
N° RG 23/02679 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U6DA
Jugement (N° 20/01954) rendu le 25 Mai 2023 par le tribunal judiciaire de Valenciennes
APPELANTS
Monsieur [A] [O]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 9]
Monsieur [G] [B]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 9]
SAS Notaval prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représentés par Me Véronique Vitse-Boeuf, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, substitué par Me Olivier Playoust, avocat au barreau de Lille
INTIMÉS
Madame [P] [T]
née le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 6]
Monsieur [H] [T]
né le [Date naissance 1] 2005 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentés par Me Jérôme Guilleminot, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique en date du 27 juin 2024 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau
En présence de :
- Mme [I] [C]
- Mme [W] [R]
- Mme [L] [M]
- M [K] [N], auditeurs de justice
- Mme [V] [Y] [D], greffier stagiaire
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Yasmina Belkaid, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024, (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 6 mai 2024
Communiquées aux parties le 7 mai 2024
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 mai 2024
****
EXPOSE DU LITIGE :
1. Les faits et la procédure antérieure :
Le 20 mai 2015, une offre de prêt d'un montant de 320 000 euros d'une durée de 180 mois, remboursable sur 156 mensualités après une franchise sans amortissement pendant 24 mois au taux nominal de 3,45 % par an, a été présentée par le Crédit du Nord à [J] [U], moyennant une inscription hypothécaire sur deux immeubles appartenant à ce dernier.
[J] [U] a été hospitalisé en soins palliatifs à compter du 30 juin 2015.
Le 7 juillet 2015, le Crédit du Nord a sollicité M. [O], notaire associé au sein de la Scp [G] [B], [A] [O], Christophe Delhaye et Cédric Bruneau, devenue la Scp Notaval (la Scp notariale), pour établir l'acte de prêt authentique.
Le 5 août 2015, M. [B], notaire associé de la Scp notariale, s'est rendu dans la chambre d'hôpital de [J] [U], pour y signer l'acte authentique de prêt, comportant une première échéance au 15 septembre 2017 et dont le montant de
320 000 euros a été garanti par une hypothèque sur deux immeubles lui appartenant et situés à [Localité 9] et au [Localité 8].
Le [Date décès 4] 2015, [J] [U] est décédé, laissant pour lui succéder son fils M. [H] [U] et son épouse, Mme [P] [E] veuve [U].
La vente de chaque immeuble hypothéqué est intervenue, une somme d'environ
80 000 euros ayant été versée au Crédit agricole sur le produit de celle de l'immeuble situé à [Localité 9].
Par actes des 3 et 4 août 2020, les ayants-droit de [J] [U] ont fait assigner la Scp notariale et MM. [O] et [B], en responsabilité civile professionnelle au titre d'un manquement à leur obligation d'information et de conseil, pour solliciter la somme de 384 000 euros à titre de dommages-intérêts.
2. Le jugement dont appel :
Par jugement rendu le 25 mai 2023, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :
condamné in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O], Me [G] [B] à payer à Mme [P] [U] et [H] [U], représenté par Mme [P] [U] ensemble la somme de 245.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
débouté les parties de leurs autres demandes ;
condamné in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B] aux dépens de l'instance ;
condamné in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B] à payer à Mme [P] [U] et [H] [U], représenté par Mme [U] ensemble la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
rappelé l'exécution provisoire de droit de son jugement.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration du 12 juin 2023, la Scp notariale et MM. [O] et [B] ont formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.
4. Les prétentions et moyens des parties :
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er mars 2024, la Scp notariale et MM. [O] et [B], appelants, demandent à la cour de :
' infirmer le jugement en ses dispositions numérotées 1 à 4 ci-dessus et statuant à nouveau, au visa de l'article 1240 du code civil, de :
' Rejeter toutes prétentions, fins et conclusions de Mme [P] [U] et de M. [H] [U], les en débouter ;
' Les condamner in solidum à verser à la SAS Notaval, à Me [O] ainsi qu'à Me [B] la somme totale de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;
' Les condamner in solidum SAS Notaval, à Me [O] ainsi qu'à Me [B] la somme totale de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel ;
' Les condamner solidairement aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir que :
ils n'ont commis aucune faute : (i) l'obligation d'information du notaire est de moyens ; sur ce point, l'acte de prêt comporte une clause indiquant la possibilité de souscrire une assurance facultative pour couvrir le remboursement du prêt. Mme [U] a été en outre parfaitement informée de la souscription du prêt litigieux, ayant été mise en copie des courriels échangés entre le défunt et le notaire et ayant été présente au jour de la signature de l'acte authentique. Le choix de ne pas souscrire une assurance a été fait par [J] [U]. (ii) Le notaire n'est par ailleurs pas tenu d'une obligation de mise en garde sur l'opportunité économique de l'opération auquel il ne fait que donner force exécutoire, le contrat de prêt ayant été déjà signé. (iii) Le notaire s'est suffisamment assuré de l'état de santé de [J] [U], dont l'état mental n'était pas affecté, alors que seule sa santé physique était diminuée par la maladie. Les ayants-droit du défunt n'ont d'ailleurs pas sollicité la nullité du prêt ou du testament, lequel a pourtant été dressé par M. [B] le 19 août 2015. Aucune pièce médicale n'établit une atteinte de ses facultés cognitives lors de la signature du prêt, en dépit de son aspect impressionnant.
Les ayants-droit de [J] [U] n'ont subi aucun préjudice. La perte de chance de souscrire une assurance permettant le remboursement des échéances ou de renoncer à la conclusion du prêt n'est pas établie. La signature du prêt était indispensable pour solder des dettes de [J] [U], alors que son état de santé ne lui aurait pas permis d'obtenir une garantie « décès » permettant une telle prise en charge par un assureur. Dans le cadre de la succession, les ayants-droit du défunt ont directement bénéficié du remboursement des dettes, qui auraient dû être supportées par la succession à hauteur de 223 666,38 euros. La circonstance qu'un prêt-relais accordé par le Crédit agricole était couvert par une telle assurance décès est indifférente : ce prêt est intervenu le 18 avril 2012, à une date où son état de santé ne s'inscrivait pas dans une récidive de méningiome de grade 2, étant observé que les cotisations d'assurance n'étaient plus payées au 31 janvier 2015 et que le Crédit agricole exigeait le remboursement. Seule la souscription du prêt litigieux auprès du Crédit du Nord a évité le prononcé de la déchéance du terme par le Crédit agricole, dont la créance a été soldée grâce à ce nouveau prêt. Aucune attestation du versement du produit de la vente de l'immeuble situé au [Localité 8] n'est produite.
Aux termes de leurs conclusions notifiées le 29 mars 2024, Mme [P] [U] et M. [H] [U], intimés et appelants incidents, demandent à la cour, au visa de l'article 1382 du code civil, de :
=> à titre principal : d'infirmer le jugement en ce qu'il a limité à 245 000 euros le montant des dommages intérêts et statuant à nouveau de :
- condamner in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B], à leur payer ensemble, la somme de 360.000 euros à titre de dommages et intérêts.
=> à titre subsidiaire : de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B] à leur payer ensemble, la somme de 245.000 euros et à 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
=> en toutes hypothèses :
- débouter la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B] de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner in solidum la SAS Notaval, Me [A] [O] et Me [G] [B], à leur payer, ensemble, la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
A l'appui de leurs prétentions, il font valoir que :
- les notaires ont commis une double faute : (i) ils n'ont pas informé le défunt sur les risques liés à l'absence de souscription d'un assurance-décès couvrant le remboursement du prêt ; ils devaient l'informer sur le risque que le remboursement resterait à la charge de ses héritiers et que les immeubles hypothéqués seraient nécessairement vendus ; la présence d'une clause dans l'acte de vente informant sur la faculté d'une telle souscription est insuffisante à remplir les obligations du notaire ; (ii) ils n'ont pas vérifié la qualité du consentement donné par le défunt à l'acte notarié, alors que [J] [U] présentait une énorme protubérance à l'arrière du crâne et un état de faiblesse extrême lors de sa dernière hospitalisation. (iii) si le notaire n'est en principe pas tenu d'apprécier l'opportunité économique d'une opération, ce devoir de conseil et de mise en garde existe en présence d'éléments particuliers attirant l'attention du professionnel. En l'espèce, les circonstances de la souscription du prêt devaient alerter le notaire sur l'utilité et les conditions d'un prêt de 320 000 euros. Sur ce point, alors qu'il était malade, [J] [U] a été « vigoureusement relancé par le Crédit agricole à partir de décembre 2014 janvier février 2015 », s'agissant d'un prêt de 162 000 euros souscrit le 18 avril 2012 et garanti par une assurance-décès. (iv) L'existence d'un acte sous seing privé portant les conditions du prêt est indifférente, alors que les effets de cet acte étaient conditionnés à la souscription d'un acte authentique. Le notaire ne peut décliner le principe de sa responsabilité en alléguant qu'il ne fait qu'authentifier l'acte établi par les parties. Le notaire ne rapporte pas la preuve de l'exécution de son devoir de conseil.
- il ne leur appartient pas d'établir que mieux informé, [J] [U] aurait renoncé à contracter. A l'inverse, il appartient à la cour de rechercher l'existence d'une telle perte de chance.
- l'acte notarié litigieux a provoqué la perte du bénéfice de l'assurance-décès-invalidité qui couvrait le prêt du Crédit agricole (191 437,62 euros), lequel n'était pas « résilié » au 17 août 2015 et la perte de deux immeubles hypothéqués au profit du Crédit du Nord pour les montants versées à ce dernier après la vente de ces immeubles (165 000 euros et 80 000 euros). Leur préjudice doit être ainsi fixé à
360 000 euros. La succession n'a pas appréhendé une somme de 320 000 euros, alors que des frais d'acte ont été déduits de la somme prêtée à hauteur de 5 491 euros.
Le Crédit du Nord a perçu les sommes de 80 000 et 165 000 euros.
Dans son avis du 6 mai 2024, le ministère public a sollicité la confirmation du jugement entrepris.
L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 13 mai 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité du notaire :
En application de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La responsabilité du notaire n'est engagée que les trois conditions de la responsabilité civile délictuelle sont remplis : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre ces deux premiers éléments.
Sur les fautes :
=> sur le manquement à l'obligation d'information et de conseil :
Le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique.
Ainsi, lorsque le notaire prête son concours à l'établissement d'un acte, il doit non seulement veiller à l'utilité et à l'efficacité de cet acte, mais est également tenu à l'égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les conséquences et risques des stipulations convenues, sous réserve que celles-ci n'aient pas été immuablement arrêtées ou qu'elles n'aient pas produit leurs effets antérieurement.
Plus spécifiquement, le devoir d'information et de conseil du notaire rédacteur d'un acte authentique de prêt lui impose d'informer l'emprunteur sur les conséquences de la non-souscription d'une assurance-décès facultative proposée par le prêteur, la preuve de l'exécution de cette obligation lui incombant.
La mention portée à l'acte de prêt de la possibilité de souscription de cette garantie constitue une simple information générale qui s'avère insuffisante à satisfaire au devoir de conseil, qui implique une appréciation concrète de la situation spécifique de l'emprunteur et des risques encourus.
Le devoir de conseil est impératif et le notaire ne peut s'y dérober en alléguant qu'il s'est borné à donner une forme authentique aux conventions des parties, de sorte que la circonstance que le notaire n'a pas été le négociateur du contrat dont il dresse l'acte authentique ne le dispense pas d'une telle obligation.
De même, le notaire, qui n'est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher, n'est pas tenu d'informer l'emprunteur du risque de l'opération visée par l'acte litigieux, lorsqu'il ne pouvait le suspecter au jour de sa signature.
Sur ce,
> sur l'existence d'un contrat de prêt antérieurement conclu :
Le contrat de prêt signé par [J] [U], antérieurement à l'acte notarié, n'est pas produit. Pour autant, même si un tel acte engage l'emprunteur, il renvoie nécessairement à la réitération par acte authentique que le Crédit du Nord a exigé pour permettre notamment la constitution de garanties hypothécaires par le notaire. Le prêt sous seing privé n'avait ainsi pas produit tous ses effets avant que le prêt notarié ne soit conclu.
Le notaire restait ainsi tenu de son devoir de conseil, en dépit d'un tel acte sous seing privé conclu antérieurement à son intervention.
> sur l'existence d'une clause informant sur la faculté de s'assurer :
Le prêt notarié comporte une clause, en page 9, stipulant que « l'assurance du prêt est facultative. L'emprunteur peut souscrire une police auprès d'une compagnie de son choix pour les risques décès, invalidité et incapacité de travail et chômage ou adhérer à l'assurance proposée par le prêteur. Dans ce cas, l'emprunteur déclare avoir reçu un extrait des garanties de la convention d'assurance groupe à laquelle adhère le prêteur qui sera bénéficiaire des sommes assurées en cas de sinistre et avoir pris connaissance des risques couverts et exclus. La compagnie d'assurance se réserve le droit de contrôler à tout moment les déclarations faites par l'emprunteur. L'emprunteur et les cautions éventuelles restent tenus envers le prêteurs au titre du prêt, tant que les indemnités dues par l'assureur en cas de sinistre n'ont pas été versées au prêteur. Les garanties cessent en cas d'exigibilité anticipée du prêt par suite du non-paiement d'une ou plusieurs échéances et à compter de la date d'effet de l'exigibilité ».
Si une telle clause informe [J] [U] de sa faculté de souscrire une assurance couvrant le risque décès, elle ne comporte en revanche aucun conseil spécifiquement adapté à sa situation et portant sur les conséquences de la non-souscription d'une telle couverture assurantielle, en considération de son caractère général et abstrait. Elle n'est ainsi pas de nature à exonérer le notaire d'un tel devoir de conseil.
> sur le devoir de conseil au titre de l'opportunité économique de l'opération :
Si la signature du prêt notarié est intervenue au sein d'une unité de soins palliatifs, une telle circonstance n'affectait toutefois pas en soi la viabilité économique de l'opération. Elle ne constitue pas un indice apparent du caractère économiquement défavorable de cet emprunt et de ses garanties, de sorte qu'il n'incombait pas au notaire d'alerter [J] [U] sur l'opportunité de conclure l'opération litigieuse.
> sur le défaut de conseil par le notaire :
Alors qu'il incombe au notaire débiteur d'une obligation de conseil de rapporter la preuve de sa bonne exécution, une telle démonstration est totalement absente en l'espèce. Aucun échange préalable à la signature n'est produit, qui établirait que le notaire a précisé à [J] [U] les conséquences et les risques s'attachant à l'absence de souscription d'une assurance décès et à l'affectation hypothécaire de deux immeubles en garantie du prêt.
A ce titre, la faute du notaire et de sa structure d'exercice est valablement établie.
=> sur le défaut de vérification de la capacité à consentir :
Il appartient au notaire, tenu de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes reçus par lui, de vérifier la capacité de son client lorsque des circonstances particulières lui permettent de mettre en doute ses facultés mentales.
En l'espèce, la seule circonstance que [J] [U] était hospitalisé en unité de soins palliatifs au jour de la conclusion du prêt litigieux est insuffisante pour établir l'existence d'indices apparents permettant au notaire de suspecter une altération de ses facultés intellectuelles. S'il est établi que son état physiologique était très diminué et que son décès est intervenu le 25 jours après la signature du prêt notarié, aucun élément médical n'est toutefois produit par les ayants-droit du défunt pour établir que le notaire aurait dû procéder à des investigations supplémentaires pour s'assurer du consentement éclairé de l'emprunteur. Sur ce point, le certificat établi le 30 juillet 2015 par le docteur [S] établit exclusivement qu'à cette date, l'état de santé de [J] [U] ne lui permettait pas de « s'occuper physiquement de la gérance de sa société ». Sa nécessité de se déplacer en fauteuil roulant, attestée médicalement, n'est pas davantage déterminante, alors qu'il n'est ni allégué, ni démontré que l'importante excroissance de son crâne, qu'illustrent les clichés photographiques effectués courant juillet-août 2015, était génératrice de troubles de la conscience ou de la compréhension. L'exérèse de cet méningiome extra-dural était d'ailleurs envisagé en janvier 2015. Le compte-rendu de la première cure de chimiothérapie, daté du 12 juin 2015, vise exclusivement des séquelles physiologiques, précisant que le traitement a été bien supporté par le patient et autorisant ainsi la sortie d'hospitalisation de ce dernier. Sur le plan neurologique, aucun syndrome méningé n'est retrouvé, alors que seules quelques céphalées matinales peu intenses sont rapportées. Au demeurant, aucune nullité tant de l'acte de prêt que du testament rédigé postérieurement n'est sollicitée, pour sanctionner un défaut de consentement éclairé de leur auteur.
Aucune faute n'est ainsi constituée à ce titre à l'encontre du notaire ou de sa structure d'exercice.
Sur le préjudice en lien de causalité avec la faute :
Lorsqu'il ne peut être tenu pour certain qu'un dommage ne serait pas advenu ou n'aurait pas présenté la même gravité en l'absence de faute, une réparation ne peut être envisagée que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, dont le caractère certain doit être établi.
En l'espèce, le préjudice résultait de l'absence de conseil sur la souscription d'une assurance décès par [J] [U] ne peut s'analyser qu'en terme de perte de chance :
=> Sur la perte de chance de bénéficier d'une couverture assurantielle en cas de décès :
Il appartient aux ayants-droit de [J] [U] d'établir le préjudice qu'ils invoquent sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
D'une part, il est constant que [J] [U] avait souscrit le 18 avril 2012 un prêt immobilier auprès du Crédit agricole d'un montant de 162 000 euros, moyennant un taux nominal de 3,90 %, pour lequel une garantie décès avait été souscrite.
Pour autant, les ayants-droit de [J] [U] n'auraient pu en tout état de cause bénéficier de la garantie décès qui lui avait été ainsi accordée en 2012, étant observé que :
la déchéance du terme prononcée ou à intervenir à court terme y faisait obstacle ;
les conditions contractuelles de cette assurance ne sont pas produites, étant toutefois relevé que des impayés étaient intervenus dans le versement des cotisations d'assurance, ainsi qu'il résulte d'un courrier adressé le 4 décembre 2014 à l'emprunteur par le Crédit agricole.
Il n'est ainsi pas démontré que le prêt consenti par le Crédit du Nord a entraîné la perte du bénéfice de l'assurance décès consenti au titre du prêt auprès du Crédit agricole.
D'autre part, ils n'établissent pas davantage que [J] [U] aurait pu bénéficier d'une telle garantie décès en août 2015, dans l'hypothèse contrefactuelle où le notaire l'aurait informé et conseillé conformément à ses obligations lors de la souscription du prêt. Alors qu'il était en soins palliatifs, aucun aléas n'affecte la circonstance qu'aucun assureur n'aurait accepté de le garantir au titre du décès ou de ne pas inclure une clause d'exclusion de garantie concernant la pathologie préexistante dont il est décédé. Ils n'apportent pas davantage la démonstration qu'alternativement à l'hypothèque, [J] [U] aurait pu fournir une garantie au remboursement du prêt.
Une telle perte de chance de bénéficier d'une assurance décès, qu'il s'agisse du prêt souscrit tant auprès du Crédit agricole, qu'auprès du Crédit du Nord n'est pas établie.
=> Sur la perte de chance de ne pas contracter le prêt de 362 000 euros :
La conclusion du prêt litigieux s'inscrit dans un contexte de restructuration des dettes tant personnelles que sociales de [J] [U].
D'une part, le prêt accordé en 2012 par le Crédit agricole a fait l'objet d'un impayé en février 2014, selon le décompte établi au 30 septembre 2014. Les courriels adressés à compter de janvier 2015 à [J] [U] par le service de recouvrement amiable des professionnels mentionnent que le Crédit agricole lui avait « accordé un délai supplémentaire jusqu'au 31 janvier 2015 pour procéder au remboursement de [son] prêt habitat échu depuis le 26 février 2014 », annonçant qu'à défaut, un recouvrement judiciaire serait envisagé. Le 2 février 2015, ce même service indique « aujourd'hui, nous ne pouvons patienter davantage. Vous nous indiquez avoir entrepris des démarches auprès d'un financeur, merci de nous adresser les pièces justificatives afin d'étudier un éventuel maintien de votre dossier à mon niveau ». Le montant réclamé s'élevait à 183 041,13 euros au 4 décembre 2014, alors qu'il atteignait 191 437,62 euros au 17 août 2015. Seule la souscription du nouveau prêt auprès du Crédit du Nord a ainsi permis de stopper l'augmentation de la dette et de rembourser ce prêt.
D'autre part, les pourparlers notamment engagés à compter de mars 2015 avec le directeur du Crédit du Nord enseignent que le prêt devait permettre le remboursement non seulement du prêt souscrit auprès du Crédit agricole, mais également d'affecter le solde des 320 000 euros au découvert de la Sarl Aquarium.
Le prêt est par ailleurs intervenu avec une franchise de 24 mois, permettant ainsi à [J] [U] de retrouver une trésorerie et s'accompagnait d'un engagement à renégocier le montant de l'échéance. Il a été enfin convenu un taux fixe de 3,45 %, contre 3,90 % au titre du prêt dont il était destiné à permettre le remboursement.
La souscription du prêt visait ainsi à diminuer le niveau d'endettement de [J] [U], quel qu'en soit le bénéficiaire final (l'emprunteur lui-même ou sa succession) et à lui permettre d'échapper à bref délai à des poursuites judiciaires en recouvrement des sommes réclamées par le Crédit agricole. En tout état de cause, son opportunité économique était établie.
La situation financière de [J] [U] était ainsi difficile tant à la date du projet de refinancement que le Crédit du Nord lui a proposé qu'à celle de la signature du prêt litigieux.
Au surplus, il s'observe que l'acceptation de la succession par l'épouse survivante est intervenue, tant pour son compte personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur [H], à concurrence de l'actif net, les autres héritiers ayant renoncé à cette succession.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à la date de souscription du prêt litigieux, [J] [U] n'avait pas d'alternative financière pour faire face à ses engagements. À cet égard, il ressort des propres écritures de ses ayants-droit que « le Crédit du Nord a directement réglé le Crédit Agricole (Pièce 31 et 33) et que seules les sommes de 70 000 et 53 662,38 € ont été créditées sur le compte des époux [U] soit 123 662,38 € qui ont permis au Crédit du Nord de solder en ses livres divers comptes débiteurs (compte-courant W [U], étoile avance, compte W [U], compte [E], compte SCI Pamar) ».
Dans ces conditions, il est certain que [J] [U] aurait en tout état de cause conclu ce prêt, en dépit du manquement par le notaire à son obligation de conseil. Alors qu'il était tout aussi indubitable qu'aucune garantie décès ne serait accordée à un tel emprunteur admis en unité de soins palliatifs, la circonstance que deux immeubles soient apportés en garantie de cet emprunt était également inéluctable au regard du montant du prêt consenti. La faute établie à l'encontre du notaire n'a ainsi pas davantage causé la perte des deux immeubles ayant servi à rembourser le prêt litigieux, alors que les ayants-droit de [J] [U] n'indiquent pas quelle autre garantie aurait pu être apportée alternativement pour réaliser un emprunt devenu indispensable pour solder une dette échue et apurer une série de comptes débiteurs.
Aucune perte de chance en relation causale avec le défaut de conseil par le notaire n'est en définitive établie. La responsabilité professionnelle du notaire n'est ainsi pas démontrée et les demandes indemnitaires formulées à ce titre doivent être rejetées.
Le jugement critiqué est par conséquent infirmé en ce qu'il a condamné les notaires et la Scp notariale à indemniser les ayants-droit de [J] [U], au titre d'une telle faute.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
et d'autre part, à condamner in solidum les ayants-droit de [J] [U], outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer à la Scp notariale et à MM. [O] et [B], la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement rendu le 25 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Valenciennes en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Et statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit que la responsabilité civile professionnelle de la Scp Notaval et de MM. [A] [O] et [G] [B] n'est pas engagée ;
Déboute par conséquent Mme [P] [E] veuve [U] et M. [H] [U] de l'intégralité de leurs demandes indemnitaires ;
Condamne in solidum Mme [P] [E] veuve [U] et M. [H] [U] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne in solidum Mme [P] [E] veuve [U] et M. [H] [U] à payer à la Scp Notaval et de MM. [A] [O] et [G] [B], la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en première instance et en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.
Le greffier
Harmony POYTEAU
Le président
Guillaume SALOMON