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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 22 octobre 2024, n° 21/02356

CHAMBÉRY

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CA Chambéry n° 21/02356

22 octobre 2024

GS/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 22 Octobre 2024

N° RG 21/02356 - N° Portalis DBVY-V-B7F-G3UJ

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON-LES-BAINS en date du 03 Novembre 2021

Appelante

S.A. AXA FRANCE IARD, dont le siège social est situé [Adresse 2]

Représentée par la SELARL LEGI RHONE ALPES, avocats postulants au barreau d'ANNECY

Représentée par la SCP BOUCKAERT ORMEN PASSEMARD SPORTES, avocats plaidants au barreau de PARIS

Intimée

S.A.R.L. PEAXAA, dont le siège social est situé [Adresse 3]

Représentée par la SAS MERMET & ASSOCIES, avocats postulants au barreau de THONON-LES-BAINS

Représentée par la SELARL BALLORIN-BAUDRY, avocats plaidants au barreau de DIJON

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Date de l'ordonnance de clôture : 29 Avril 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 juin 2024

Date de mise à disposition : 22 octobre 2024

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Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller, en remplacement de Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre régulièrement empêchée, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Inès REAL DEL SARTE, Magistrate Honoraire, avec l'assistance de Mme Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes, au dépôt des dossiers et communication de la date du délibéré,

Et lors du délibéré, par :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

- Madame Inès REAL DEL SARTE, Magistrate honoraire

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Faits et procédure

La société Peaxaa, exerçant une activité de station-service autoroutière et restaurant au niveau de l'aire de [Localité 4], sur l'autoroute A40, a souscrit le 28 février 2017 un contrat d'assurance multirisque professionnel auprès de la société Axa France Iard, comprenant une garantie pertes d'exploitation.

Suivant arrêté du 14 mars 2020, la société Peaxaa a dû fermer son activité de restauration sur place à compter du 15 mars 2020. La fermeture a été prolongée par des arrêtés successifs.

La société Peaxaa a procédé à une déclaration de sinistre auprès de la société Axa France Iard afin d'obtenir l'indemnisation de ses pertes d'exploitation. L'assureur a cependant refisé sa garantie.

Par ordonnance du 20 mai 2021, la présidente du tribunal de commerce de Thonon-les-Bains a autorisé la société Peaxaa à assigner la société Axa France Iard à bref délai.

Par acte d'huissier du 1er juin 2021, la société Peaxaa a assigné la société Axa France Iard devant le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains notamment aux fins de mobiliser sa garantie pertes d'exploitation pour couvrir les pertes subies au cours de la période de fermeture de son restaurant du 15 mars au 2 juin 2020.

Par jugement du 3 novembre 2021, le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :

Au principal,

- Dit que les conditions relatives à l'application de la clause de perte d'exploitation contenues dans le contrat n °753067604 sont réunies ;

- Dit que l'exclusion y contenue, vidée de substance est réputée non écrite ;

En conséquence,

- Dit que la demande est fondée en son principe ;

- Dit que le droit à indemnisation doit s'appliquer pour les périodes du 15 mars au 2 juin 2020, puis du 29 octobre 2020 jusqu'à autorisation administrative de réouverture au public dans les limites contenues dans la clause précitée à savoir dans la limite de trois mois maximums ;

- Ordonné une mesure d'expertise aux fins d'établir le montant de l'indemnisation ;

- Dit que le déroulement de la mesure sera suivi par le juge en charge des expertises et dit qu'en cas d'empêchement, il pourra être substitué par le Président du Tribunal,

- Désigné M. [H] [K] exerçant [Adresse 1] en qualité d'expert ;

Avec pour mission de :

- Prendre connaissance des conditions particulières no 753067604, et des conditions générales no 460645G,

- Prendre connaissance de tout élément comptable de la société Peaxxaa et du rapport comptable établit par l'expert-comptable de la requérante et des pièces produites par les parties,

- Évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute subie pendant la période d'indemnisation conformément aux conditions du contrat d'assurance et aux méthodes de calcul y fixées,

- Évaluer le montant des frais - supplémentaires d'exploitation pendant la période d'indemnisation conformément aux conditions du contrat d'assurance,

- Entendre tout sachant lui permettant de mener à bien sa mission d'expertise,

- Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à sa mission S'il l'estime nécessaire, se rendre sur place,

- Dit que le montant de l'indemnisation sera définitivement fixé à l'issue des opérations d'expertise et dès lors sursoit à statuer sur la condamnation dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert ;

- Dit que dès lors que l'évènement sera intervenu, il incombera à la partie la plus diligente de nous saisir à nouveau ;

- Ordonné le paiement par provision par la société Axa France lard à la société Peaxaa de la somme de 25 000 euros à valoir sur l'indemnité d'assurance au titre de ses pertes d'exploitation pendant les périodes précitées, la déboute du surplus de sa demande ;

- Sursis à statuer pour la fixation du montant définitif de l'indemnité due par la société Axa France lard à la Société Peaxaa dans l'attente du rapport de l'expert ;

- Ordonné le paiement par provision par la société Axa France lard à la Société Peaxaa de la somme de 5 000 euros correspondant au montant à avancer par elle sur la rémunération de l'expert sur justification du paiement effectif par la société Peaxaa et la déboute du surplus de sa demande ;

- Débouté la société Peaxaa de sa demande au titre des dommages et intérêts ;

- Réservé les dépens et les frais irrépétibles.

Au visa principalement des motifs suivants :

la garantie de pertes d'exploitation suite à une fermeture administrative est mobilisable, dès lors que les parties ne contestent pas que ses conditions d'application se trouvent réunies, à savoir une décision prise par une autorité administrative compétente et extérieure à l'assurée, résultant d'une maladie contagieuse ou d'une épidémie ;

la clause stipulée dans les conditions particulières, excluant la garantie dans le cas où plusieurs établissements situés dans le département doivent fermer pour la même cause, prive de sa substance l'obligation de l'assureur, et doit ainsi être écartée ;

une mesure d'expertise est nécessaire à l'effet de fixer le montant de l'indemnité à laquelle peut prétendre l'assurée ;

une provision d'un montant de 25 000 euros peut être allouée à la requérante, laquelle ne démontre pas que la méthode de calcul adoptée pour aboutir à la somme qu'elle réclame serait rélisée en adéquation avec le contrat;

la société Peaxaa ne rapporte la preuve d'aucun préjudice qui lui aurait été causé par la résistance abusive de l'assureur.

Par déclaration au greffe du 7 décembre 2021, la société Axa France Iard a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu'elle a :

- sursis à statuer pour la fixation du montant définitif de l'indemnité due par la société Axa France lard à la Société Peaxaa dans l'attente du rapport de l'expert ;

- débouté la société Peaxaa de sa demande au titre des dommages et intérêt ;

- réservé les dépens et les frais irrépétibles.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières écritures du 28 mars 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Axa France Iard sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du 3 novembre 2021 du tribunal de commerce de Thonon-les-Bains en ce qu'il l'a débouté de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion ;

- Confirmer le jugement du 3 novembre 2021 du tribunal de commerce de Thonon-les-Bains en ce qu'il a débouté la société Peaxaa de sa demande de condamnation pour résistance abusive et de sa demande de provision ad litem ;

Statuant à nouveau,

- Juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce ;

- Juger que cette clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du code des assurances ;

- Juger que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et respecte le caractère limité de l'article L. 113-1 du code des assurances et qu'elle ne prive pas son obligation essentielle de sa substance au sens de l'article 1170 du code civil ;

En conséquence,

- Juger applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie ;

- Débouter l'Assurée de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 3 novembre 2021 ;

- Annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le Tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains ;

A titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement du 3 novembre 2021 en ce qu'il a débouté la société Peaxxa de sa demande de provision ad litem de 10000 euros ;

- Ordonner la fixation de la mission de l'Expert désigné par le Tribunal de commerce de Thonon-les-Bains comme suit :

- Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'Assurée et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années ;

- Entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;

- Examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable ;

- Donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées ;

- Donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'Assurée ;

- Donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars et le 29 octobre 2020 ;

En tout état de cause,

- Débouter l'assurée de toutes demandes, fins ou conclusions contraires au présent dispositif ;

- Condamner l'assurée à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir que :

' la Cour de cassation a, dans ses arrêts du 1er décembre 2022, confirmés à plusieurs reprises ensuite, mis un terme aux divergences jurisprudentielles qui existaient auparavant, en estimant que la clause d'exclusion contenue dans ses contrats était formelle et limitée ;

' la clause d'exclusion répond au formalisme exigé par les dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances ;

' la lecture de la clause d'exclusion ne souffre d'aucune interprétation, est claire et respecte donc le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du code des assurances;

' la commune intention des parties, lors de la souscription du contrat, n'était pas de couvrir le risque d'une fermeture généralisée à l'ensemble du territoire, risque totalement imprévisible à l'époque, mais de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation d'un restaurant exposé à des risques biologiques ;

' la clause d'exclusion n'est pas contraire à l'article 1170 du code civil, dès lors que la fréquence de réalisation du risque assuré, à savoir la fermeture administrative individuelle d'un restaurant pour cause d'épidémie, demeure plus probable que celle du risque exclu par le contrat d'assurance, à savoir la fermeture collective d'établissements pour cause d'épidémie, de sorte que le périmètre de la garantie qui subsiste ne présente nullement un caractère dérisoire.

Aux termes de ses dernières écritures du 10 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Peaxaa demande quant à elle à la cour de :

- Confirmer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Thonon les Bains du 3 novembre 2021 en ce qu'il a :

- dit que les conditions relatives à l'application de la clause de perte d'exploitation contenues dans le contrat n° 753067604 sont réunies,0

- dit que l'exclusion y contenue, vidée de substance est réputée non écrite, En conséquence,

- dit que la demande est fondée en son principe,

- dit que le droit à indemnisation doit s'appliquer pour les périodes du 15 mars au 2 juin 2020, puis du 29 octobre 2020 jusqu'à autorisation administrative de réouverture au public dans les limites contenues dans la clause précitée à savoir dans la limite de trois mois maximum,

- ordonné une mesure d'expertise aux fins d'établir le montant de l'indemnisation,

- sursis à statuer pour la fixation du montant définitif de l'indemnité due par la société Axa France Iard à la société Peaxaa dans l'attente du rapport de l'expert,

- ordonné le paiement par provision par la société Axa France Iard à la société Peaxaa de la somme de 5 000 euros correspondant au montant à avancer par elle sur la rémunération de l'expert sur justification du paiement effectif par la société Peaxaa et la déboute du surplus de sa demande ;

Faisant droit à l'appel incident sur les chefs du jugement mentionné dans les présentes conclusions,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Fixé le montant de la provision à 25 000 euros et l'a débouté du surplus de sa demande,

- L'a déboutée de sa demande au titre des dommages et intérêts,

- Réservé les dépens et les frais irrépétibles ;

En conséquence, statuant à nouveau :

- Condamner la société Axa France Iard à lui payer la somme de 162 450 euros à titre de provision sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard à compter du 15 ème jour suivant la signification du jugement à intervenir ;

- Se réserver expressément la faculté de liquider cette astreinte ;

- Condamner la société Axa France Iard à lui payer la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- Condamner la société Axa France Iard à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en première instance ;

- Condamner la société Axa France Iard aux entiers dépens de première instance ;

Y ajoutant,

- Condamner la société Axa France Iard à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés devant la cour d'appel ;

- Condamner la société Axa France Iard aux entiers dépens de l'instance d'appel, dont distraction au profit de la société Mermet et Associés, sur son affirmation d'avance.

Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir que :

' les circonstances particulières de réalisation du risque qui sont prévues par la clause d'exclusion ne se trouvent pas réunies, en l'absence d'une pluralité de décisions administratives de fermetures dans le même département ;

' la clause d'exclusion n'est pas mentionnée en caractères très apparents, n'étant ni soulignée, ni en couleur ni encadrée; elle ne répond ainsi pas au formalisme exigé par les dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances ;

' elle ne présente pas non plus un caractère formel et limité, en ce que la notion d''épidémie' n'est pas définie par le contrat, et que la clause, telle qu'elle est rédigée, contredit l'obligation essentielle de garantie ;

' l'assureur a manqué à son devoir d'information et de conseil en n'explicitant pas le contenu de la clause d'exclusion stipulée au contrat, ce qui doit le conduire à l'indemnier du préjudice lié à la perte de chance de souscrire un contrat adapté aux risques.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 29 avril 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 4 juin 2024.

MOTIFS ET DÉCISION

I - Sur la clause d'exclusion de garantie

Les conditions particulières du contrat d'assurance multirisque professionnelle souscrit par la société Peaxaa le 28 février 2017, dans le cadre de son activité d'exploitation de station-service autoroutière et restauration, prévoient, en leur annexe 4, une extension de la garantie des pertes d'exploitation suite à une fermeture administrative, qui est ainsi libellée :

'la garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

1. La décision de fermeture a été prise par une autorité adminitrative compétente et extérieure à vous-même.

2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication'.

Toutefois, ces mêmes clauses particulières stipulent également, dans le même paragraphe, une clause d'exclusion libellée certes dans la même police, avec la même couleur, sans surlignage, mais en caractères majuscules, indiquant que sont exclues :

- les pertes d'exploitation, lorsqu'à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.

' Sur la mobilisation de la clause d'exclusion

La société Peaxaa soutient, en premier lieu, que cette clause d'exclusion, qu'elle souhaite par ailleurs voir écarter, ne serait pas applicable, dès lors qu'à la date de l'arrêté ministériel du 14 mars 2020, aucun autre établissement ne faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour la même cause. Selon elle, la garantie ne serait ainsi exclue qu'en cas de pluralité de décisions de fermetures administratives individuelles, et non en présence d'une seule décision de fermeture collective, comme en l'espèce.

Une telle argumentation ne saurait cependant être accueillie, puisque la stipulation contractuelle litigieuse ne subordonne nullement son application à l'existence d'une pluralité de décisions administratives de fermeture, ni n'impose que les décisions visant des tiers soient antérieures au sinistre déclaré.

Force est de constater, ainsi, que la clause d'exclusion stipulée aux conditions particulières, si elle était déclarée régulière, devrait recevoir application.

La validité d'une clause d'exclusion repose notamment sur sa conformité aux dispositions de l'article L 112-4 in fine du code des assurances, sur son caractère formel et son caractère limité.

' Sur la conformité de la clause d'exclusion litigieuse aux dispositions de l'article L 112-4 dernier alinéa

Le dernier alinéa de l'article L 112-4 prévoit que 'Les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents'.L'attention de l'assuré doit être attirée par la différence matérielle entre les clauses d'exclusion et les autres clauses.

En l'espèce, la partie litigieuse de la clause est, contrairement à la partie relative aux conditions nécessaires pour la mise en oeuvre de la garantie, rédigée dans sa totalité en lettres majuscules et la cause d'exclusion est mise en exergue par un retour à la ligne après la mention 'sont exclues' suivi d'un tiret.Cette présentation avec la typographie particulière, en caractères très apparents, est propre à attirer l'attention de l'assuré.

Le fait que le cas d'exclusion ne soit pas reproduit en suivant la même présentation que ceux figurant pour d'autres garanties dans les conditions générales est indifférent, dès lors que le caractère 'très apparent' d'une clause d'exclusion ne peut s'apprécier que par rapport à la présentation des autres clauses entourant la clause litigieuse. Par ailleurs, le législateur n'a pas imposé une norme particulière pour la présentation des cas d'exclusion et n'a pas exigé que toutes les clauses d'exclusion soient présentées dans les documents contractuels de la même manière, étant observé que les causes d'exclusion de garantie de responsabilité civile concernée par le paragraphe suivant la clause litigieuse sont présentées à l'identique du cas d'exclusion pour la perte d'exploitation suite à fermeture administrative. Enfin, un assuré est apte à faire la différence entre un titre de paragraphe d'une demi ligne ou d'une ligne écrit en majuscules et des causes d'exclusion de plusieurs lignes à la suite, écrites en majuscules.

La clause (ou cas d'exclusion) litigieuse apparaît ainsi conforme à la disposition finale de l'article L 112-4 du code des assurances.

' Sur le caractère formel de la clause litigieuse

Aux termes de l'alinéa 1 de l'article L 113-1 du code des assurances, 'Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police'.

Le caractère formel d'une clause d'exclusion doit s'apprécier par rapport à la clarté de ses termes et de ses critères d'application et non pas rapport à la clause définissant l'objet ou les conditions de la garantie.

En l'espèce, les termes utilisés pour définir le cas d'exclusion, au demeurant unique, ne nécessitent aucun interprétation : si un autre établissement, peu important sa nature et son activité, implanté dans le même département que celui de l'assuré, est fermé par décision administrative pour une cause identique à celle ayant conduit à la fermeture de l'établissement de l'assuré, à la date de la décision concernant ce dernier, les pertes d'exploitation suite à fermeture administrative ne sont pas garanties. Il n'existe aucun terme équivoque ou qui nécessiterait des connaissances juridiques particulières.

Il en est ainsi de la notion de 'cause identique', qui suppose un fort niveau de précision et qui correspond à une cause de fermeture qui serat en tous points la même.

Par ailleurs, la définition du mot 'épidémie' est sans pertinence pour apprécier le caractère formel de la clause d'exclusion dans laquelle il ne figure pas, puisque le risque assuré est celui de la fermeture administrative et non le risque épidémique, la clause d'exclusion ayant pour périmètre celui de la fermeture administrative, selon qu'elle est individuelle à l'établissement de l'assuré, ou collective, comme touchant d'autres établissements quelqu'ils soient, du département, pour une cause identique parmi les causes énumérées dans la garantie.

Ainsi, la clause d'exclusion litigieuse, claire et précise, n'a pas à être interprétée à défaut de doute au sens de l'article 1190 du code civil.

' Sur le caractère limité de la clause d'exclusion

Le caractère limité de la clause d'exclusion doit s'apprécier non pas en considération de ce qu'elle exclut mais en considération de ce qui est garanti après sa mise en oeuvre.

Une clause d'exclusion n'est pas limitée au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances lorsqu'elle vide la garantie de sa substance en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire (cass civ 2ème 19 janvier 2023 pourvoir 21-21.516).

Cependant, la clause qui exclut de la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative de l'établissement assuré, n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance, dès lors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion.

Ainsi, si la clause limite la garantie à la survenance du risque (fermeture administrative pour l'un des cinq cas prévus), dans le seul établissement de l'assuré au niveau départemental, elle ne la supprime pas. La fermeture administrative de l'établissement du seul assuré pour l'un des cas énoncés dans l'extension de garantie reste un élément probable correspondant à un risque aléatoire assurable, tel que par exemple une épidémie de type légionellose, une intoxication alimentaire ou une maladie contagieuse (cluster), sachant aussi que l'exclusion n'a lieu que si un autre établissement du même département est fermé pour une même cause et à charge pour l'assureur d'en rapporter la preuve.

Force est de ainsi de constater que le périmètre de la garantie qui subsiste ne présente nullement un caractère dérisoire.

Il convient d'observer, d'une manière plus générale, que l'intention des parties exprimée dans la convention est claire et ne peut donner lieu à la moindre interpératation, la société Axa Iard n'ayant jamais entendu couvrir les conséquences d'un risque systémique comme celui engendré par la crise sanitaire qui s'est déclenchée en mars 2020.

La clause d'exclusion litigieuse est donc valable et cette validité n'est pas non plus remise en cause par la proposition d'avenant faite par l'assureur à un certain nombre de ses assurés pour supprimer la garantie perte d'exploitation suite à une fermeture administrative pour cause épidémie ou de maladie infectieuse, celui-ci ayant dû réagir face à la crise liée à la Covid et au problème de la réassurance.

II - Sur le manquement à l'obligation de conseil et d'information

Les articles L 112-2 (remise avant la conclusion du contrat d'une fiche d'information, d'un projet de contrat, des annexes ou d'une notice précisant les garanties et les exclusions) et R 112-3 (attestation par écrit de l'assuré de la remise de ces documents) du code des assurances imposent à l'assureur à une obligation d'information et de conseil.

En l'espèce, la société Peaxaa fait grief à son assureur de n'avoir pas attiré son attention sur le contenu précis de la clause d'exclusion stipulée au contrat, faisant obstacle à sa garantie.

Cependant, comme il a déjà indiqué, l'exclusion contenue dans la clause de garantie est parfaitement visible. Il appartenait ainsi à l'assurée de prendre connaissance de l'ensemble des documents contractuels et la lecture de cette clause informait l'intimée du cas d'exclusion. En outre, la société Peaxaa n'allègue ni a fortiori ni démontre avoir manifesté son intention d'être couverte du risque dans un tel cas d'épidémie ou de pandémie, et il ne peut être reproché à l'assureur en 2017, lorsque le contrat d'assurance a été conclu, de ne pas avoir attiré l'attention sur le risque de survenance d'une pandémie mondiale telle que la covid-19, que nul ne pouvait de toute évidence anticiper à cette époque.

Ainsi, aucun manquement de l'assureur à son obligation de conseil et d'information ne se trouve caractérisé, et il n'est pas non plus et au surplus démontré l'existence d'un préjudice lié à une perte de chance de voir le risque de fermeture administrative pour pandémie être couvert par une autre assurance, de sorte que l'argumentation exposée de ce chef ne pourra être accueillie.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la décision entreprise sera infirmée et les prétentions de la société Peaxaa tendant à être indemnisée par sa compagnie d'assurance des pertes d'exploitation subies suite aux arrêtés gouvenementaux pris dans le cadre de la gestion de la pandémie de Covid seront rejetées.

III - Sur les dommages-intérêts pour résistance abusive et les mesures accessoires

Dès lors que la garantie de la société Axa France Iard n'était pas mobilisable, il ne saurait lui être imputé la moindre résistance abusive. La demande de dommages-intérêts formée de ce chef ne pourra ainsi être accueillie.

En tant que partie perdante, la société Peaxaa sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront par contre rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Peaxaa de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Et statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déboute la société Peaxaa de l'ensemble de ses prétentions,

Y ajoutant,

Condamne la société Peaxaa aux dépens de première instance et d'appel,

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 22 octobre 2024

à

la SELARL LEGI RHONE ALPES

la SAS MERMET & ASSOCIES

Copie exécutoire délivrée le 22 octobre 2024

à

la SAS MERMET & ASSOCIES