Décisions
CA Versailles, ch. soc. 4-4, 16 octobre 2024, n° 22/02383
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 OCTOBRE 2024
N° RG 22/02383
N° Portalis DBV3-V-B7G-VK6K
AFFAIRE :
[E] [Z] [G]
C/
Société CAT FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 7 juillet 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : E
N° RG : F 20/01308
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Philippe ISOUX
Me Cédric GUYADER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [E] [G]
né le 3 août 1958 à [Localité 6]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Philippe ISOUX de la SELARL CABINET PH. ISOUX, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire: 157
APPELANT
****************
Société CAT FRANCE anciennement appelée SAS STVA
N° SIRET : 440 253 714
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Cédric GUYADER de la SELARL INTERVISTA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1227
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 juin 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [G] a été engagé par la société de transport de véhicules automobiles (ci-après la société STVA), en qualité de directeur délégué, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er août 1993.
Cette société est spécialisée dans la logistique et le transport ferroviaire et routier de véhicules automobiles. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.
En novembre 2017, la société Cat France a acquis la société STVA. A cette occasion, la société STVA SAS a été créée. Depuis le 1er janvier 2023, la société STVA a été absorbée par la société Cat LC France, devenue Cat France, qui vient aux droits de la société STVA SAS.
Au dernier état de la relation, M. [G] exerçait les fonctions de directeur des ventes.
Dans le cadre d'un accord de performance collective, le siège social de la société STVA a déménagé de [Localité 5] à [Localité 4].
M. [G] a été licencié par lettre du 21 janvier 2020.
M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 7 juillet 2022, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :
. débouté M. [G] de l'intégralité de ses demandes
. débouté la société STVA de sa demande reconventionnelle
. laissé les dépens à la charge des parties.
Par déclaration adressée au greffe le 26 juillet 2022, M. [G] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 28 mai 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [G] demande à la cour de :
. infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 7 juillet 2022 sauf en ce
qu'il a débouté la société STVA SAS (devenue Cat France) de sa demande reconventionnelle ;
Et statuant à nouveau :
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 180 057,54 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre la somme de 18.005,75 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 110.325,05 euros nets à titre d'indemnité pour privation de contrepartie obligatoire en repos ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 25.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect des repos obligatoires légaux et conventionnels ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 87.763,59 euros nets à titre de complément d'indemnité de licenciement ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 29.722,32 euros bruts à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 2.972,23 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 113.866,64 euros nets à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 15.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
. ordonner la remise, sous astreinte journalière définitive de 100 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification du jugement à intervenir, d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de paie conformes aux condamnations et se réserver le droit de liquider cette astreinte ;
. condamner la société Cat France (anciennement ST'VA SAS) à payer à M. [G] la somme de 5.000 euros nets sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
. rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société Cat France (anciennement STVA SAS).
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Cat France venant aux droits de la société STVA demande à la cour de :
In limine litis:
. juger que la pièce n°8 visée par M. [G] a été produite en violation du secret professionnel absolu qui couvre les échanges entre un avocat et son client ;
En conséquence
. confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 7 juillet 2022 en ce qu'il a écarté la pièce n°8 visée par M. [G] des débats et faire interdiction à M. [G] de s'en prévaloir dans ses écritures et plaidoiries ;
Au fond
A titre principal
. confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 7 juillet 2022 en ce qu'il a :
. jugé que M. [G] bénéficiait du statut de cadre dirigeant ;
. débouté M. [G] de toutes ses demandes à l'encontre de la société STVA aux droits de laquelle vient la société CAT France ;
En conséquence
. débouter M. [G] de toutes ses demandes devant la cour d'appel à l'encontre de la société CAT France;
A titre subsidiaire
. juger que les demandes formées par M. [G] pour la période antérieure au 28 novembre 2017 sont prescrites ;
. juger que l'existence des heures supplémentaires réclamées par M. [G] n'est pas démontrée ;
En conséquence
. débouter M. [G] de toutes ses demandes devant la cour d'appel à l'encontre de la société
A titre très subsidiaire
. juger que les demandes formées par M. [G] pour la période antérieure au 28 novembre 2017 sont prescrites ;
. juger que M. [G] a bénéficié de compensation pour les éventuelles heures supplémentaires effectuées;
En conséquence
. débouter M. [G] de toutes ses demandes devant la cour d'appel à l'encontre de la société CAT France;
En tout état de cause
. condamner M. [G] à verser à la société CAT France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
. condamner M. [G] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la pièce n°8 du salarié
L'employeur se fonde sur l'article 66-5 alinéa 1er de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 dont il ressort que les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci sont couvertes par le secret professionnel. Il rappelle que le secret professionnel est absolu et qu'il n'a pas été remis en cause par la jurisprudence de la Cour de cassation du 22 décembre 2023. Il précise que la pièce 8 produite par le salarié est un rapport d'audit sur le droit du travail, établi par « EY » Société d'avocats pour et à la demande de la société SNCF Logistics. Il en déduit que ce document s'analyse en une consultation rédigée par un cabinet d'avocats pour le compte de la société SNCF Logistics, ancienne société mère de la société STVA, qui est couverte par le secret professionnel. Il ajoute que le salarié n'en ayant pas été destinataire, il ne peut la verser aux débats. Il ajoute que cette pièce n'est pas indispensable au salarié pour son droit à la preuve relative aux heures supplémentaires qu'il revendique.
En réplique, le salarié objecte que la pièce 8 qu'il produit lui avait été donnée lorsqu'il faisait partie des membres de l'encadrement et expose que le secret professionnel ne pèse que sur le professionnel qui en est dépositaire. En toutes hypothèses, ajoute-t-il, et à supposer le mode de preuve illicite, cette pièce n'en est pas moins recevable au regard de la jurisprudence de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 2023.
***
En matière prud'homale, la preuve est libre.
Ce principe implique la liberté dans la recherche et dans la production des preuves et la loi ne dicte pas au juge les modes de preuve qui doivent être présentés par les parties.
Pour autant, il ne signifie pas que tous les modes de preuve sont recevables. L'article 9 du code de procédure civile affecte à chaque partie la charge de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention « conformément à la loi » ; a contrario, un mode de preuve n'est pas admissible lorsqu'il est prohibé par la loi ou les textes conventionnels.
Il résulte de l'article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l'illicéité dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. (Ass. Plénière, 22 décembre 2023 n°20-20.648, publié).
Selon les articles 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, et 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.
Le salarié fait valoir au cas présent que le débiteur de l'obligation au secret professionnel, est l'avocat. En effet, sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévus ou autorisés par la loi, l'avocat ne peut commettre, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel (Soc., 12 mai 2017, 15-28.943 et 15-29.129).
Eu égard au caractère absolu du secret professionnel de l'avocat, le client ne peut en délier l'avocat (Civ.1, 6 avril 2004, n°00-19.245). Le secret professionnel s'étend à d'autres personnes que l'avocat lui-même et s'attache à la nature des documents produits davantage qu'à la personne de celui qui les produit en justice (Civ1. 14 janvier 2010 08.21-854 publié).
Toutefois, si, selon les principes rappelés par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, les correspondances échangées entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, il demeure qu'elles peuvent notamment être saisies dans le cadre des opérations de visites prévues par le second dès lors qu'elles ne concernent pas l'exercice des droits de la défense (Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-84.304, publié).
En outre, le secret professionnel de l'avocat ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures d'instruction sollicitées, destinées à établir la faute de l'avocat, sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en 'uvre avec des garanties adéquates (1re Civ., 6 décembre 2023, pourvoi n° 22-19.285, publié).
Il en résulte qu'un document couvert par le secret professionnel de l'avocat et obtenu de façon illicite, peut être produit en justice par un tiers à la relation client-avocat à la condition toutefois, pour le juge, d'apprécier si une telle preuve ne porte pas une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Au cas présent il n'est pas discuté que la pièce 8 produite par le salarié est une consultation d'avocat adressée à la société SNCF Logistics qui, seule, en a été destinataire, pour l'avoir commandée. A ce titre, elle est « couverte par le secret professionnel » au sens de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.
Le salarié se contente d'affirmer, sans offre de preuve, qu'il a obtenu ce document parce qu'il « avait été diffusé, en son temps, auprès des membres de l'encadrement dont [il] faisait partie ». La cour relève toutefois que ce rapport date de février 2017 et que le salarié expose par ailleurs dans ses conclusions qu'il ne participait pas à la direction de l'entreprise entre janvier 2017 et décembre 2019. Il en résulte qu'il n'y avait aucune raison à ce que le salarié, même en qualité de membre de l'encadrement, se voit remettre la consultation litigieuse, qui n'était destinée qu'aux dirigeants de l'entreprise.
Dans la mesure où la société SNCF Logistics, cliente du cabinet d'avocats Ernst&Young, ne pouvait délier ce dernier de son secret professionnel, la pièce 8 litigieuse ne peut avoir été mise en possession du salarié que de manière illicite.
En invoquant la jurisprudence de la Cour de cassation du 22 décembre 2023, le salarié demande implicitement à la cour d'exercer un contrôle de proportionnalité en appréciant si le rejet de sa pièce n°8, couverte par le secret professionnel de l'avocat, porte atteinte à son droit à la preuve.
La cour relève à cet égard qu'il ressort de la lecture de ses conclusions que le salarié se prévaut de cette pièce pour soutenir sa demande de rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires et sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la pièce en question étant en ce dernier cas produite pour en établir l'élément intentionnel.
Or, dans un cas comme dans l'autre, ainsi qu'il sera vu plus loin, la production de la pièce litigieuse n'est pas indispensable à l'exercice, par le salarié, de son droit à la preuve dès lors qu'il dispose d'autres moyens de preuve pour soutenir ses demandes.
Pour l'ensemble de ces motifs, il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il écarte cette pièce des débats.
Sur les demandes relatives au temps de travail
Le salarié reproche au conseil de prud'hommes d'avoir jugé qu'il était cadre dirigeant, alors selon lui qu'il ne l'était pas, ce qui lui permet de revendiquer le paiement des heures supplémentaires qu'il a réalisées ainsi qu'une contrepartie obligatoire en repos et une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Il fait valoir qu'il a été privé de ses repos hebdomadaires, tant légaux que conventionnels.
En réplique, l'employeur expose que le salarié ayant la qualité de cadre dirigeant, il ne peut être fait droit à aucune des demandes qu'il forme relativement au temps de travail et, subsidiairement, si la cour devait estimer que le salarié n'était pas cadre dirigeant, il conclut à l'absence de preuve des heures supplémentaires revendiquées par le salarié.
***
Sur le statut de cadre dirigeant
Le salarié expose que plusieurs éléments convergent vers une impossibilité, pour lui, d'avoir ce statut, lequel est par définition dérogatoire et exceptionnel. A cet égard, il fait valoir :
. que la société STVA l'a interrogé en 2019 sur les heures supplémentaires qu'il effectuait,
. qu'il n'était que directeur des ventes et n'encadrait qu'une petite équipe de neuf personnes au sein de sa « BU Ouest »,
. qu'il n'était investi d'aucun mandat social au sein de la société STVA et n'était membre ni des organes de direction, ni du CODIR, ni du COMEX,
. qu'il était placé sous le lien de subordination de MM. [R] et [B],
. qu'il ne disposait d'aucune délégation.
En réplique, l'employeur affirme que le salarié était cadre dirigeant dès lors, selon lui, qu'il était directeur des ventes, soit une des plus hautes fonctions au sein de la société STVA, qu'il relevait du groupe 7 correspondant à la catégorie des cadres supérieurs, qu'il était impliqué dans la prise de décision concernant des sujets sensibles et supervisait plusieurs autres salariés. Il ajoute que le salarié avait une délégation de pouvoir pour représenter la société STVA dans son activité de commissionnaire de transport qui constitue un élément indispensable pour l'activité d'une société de transport et qu'il a été entre 2006 et 2013 gérant de plusieurs filiales. Il précise encore que le salarié disposait d'une large autonomie dans l'organisation de son travail et qu'il percevait une rémunération conséquente de 9 146,10 euros bruts, son salaire moyen des 12 derniers mois étant de 13 243,23 euros bruts, ce qui se situe dans les rémunérations les plus importantes de la société.
***
L'article L. 3111-2 du code du travail dispose que les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III. Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.
Les critères cumulatifs exigés par ce texte impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise (Soc., 31 janvier 2012, n°10.24-412 publié).
En l'espèce, le salarié établit avoir été interrogé par courriel le 8 octobre 2019 par M. [R] (directeur commercial et marketing groupe) sur ses heures supplémentaires. Il ressort en effet de ce courriel que M. [R] rappelait au salarié le contexte de son courriel, caractérisé par une pression exercée sur CAT pour régulariser les heures supplémentaires réalisées par le personnel de la société STVA. Il demandait au salarié de faire le point sur les heures supplémentaires de ses collaborateurs mais concluait également son courriel ainsi : « Également, il me faut regarder ta situation personnelle par rapport à ces paramètres sur les deux questions récupération et heures supplémentaires ». Ainsi, M. [R] ne le considérait donc pas comme un cadre dirigeant.
En outre, ainsi qu'il le fait observer à juste titre, le salarié ne figure pas sur l'organigramme de la direction de la société STVA ni dans l'organigramme de la direction de la « BU (business unit) Ouest » de décembre 2016 : le président est M. [N] à qui sont rattachés trois directeurs : le directeur commercial et marketing (M. [R]), le directeur des opérations (M. [B]) et le directeur financier, juridique, immobilier (M. [J]). M. [B] est présenté, dans l'organigramme de la « BU Ouest », comme en étant le directeur, auquel sont rattachés six directeurs, dont M. [G], directeur des ventes, en charge de neuf collaborateurs, sur une BU qui en compte une quarantaine.
Si le salarié a été investi de mandats sociaux au sein de filiales de la société, il n'en demeure pas moins que ces mandats n'ont duré qu'entre 2006 et 2013. Or, les demandes du salarié concernent une période postérieure de sorte que ces mandats sont sans influence sur la qualité de cadre dirigeant du salarié.
Il n'est par ailleurs pas discuté que le salarié n'était membre ni des organes de direction (directoire et conseil de surveillance) ni du CODIR, ni du COMEX. Il était placé sous le lien de subordination de MM. [R] et [B], respectivement directeur commercial et directeur des opération qui, eux, étaient membres du directoire puis, pour ce qui concerne M. [B], président du directoire à compter de mai 2022.
Il n'est pas discuté que le salarié ne disposait d'aucune délégation, de signature ou de pouvoir, qui aurait pu lui permettre de signer un contrat de travail, ou un contrat avec les fournisseurs de la société.
Est en revanche en discussion entre les parties l'existence d'une délégation de pouvoir pour la réalisation de prestations en lien avec l'activité de commissionnaire de transport de la société STVA.
Cette délégation de pouvoir est établie par l'employeur qui, en pièce 9, produit l'avenant au contrat de travail du salarié en date du 25 juillet 2016 concernant cette délégation.
Par cet avenant, il était « demandé (au salarié) tout particulièrement de gérer au sein de la société STVA, son activité de commissionnaire de transport étant précisé que [le salarié disposerait] pour ce faire de tout pouvoir, de toute l'autonomie et des moyens nécessaires (notamment vis-à-vis des personnels concernés) pour la bonne réalisation des prestations correspondantes ». L'avenant ajoute : « Vous aurez ainsi la responsabilité d'assurer le respect de l'ensemble de la réglementation applicable et de veiller à ce que soient prévenus et évités tous les dommages et accidents susceptibles de survenir au titre de cette activité de commissionnaire de transport ».
Néanmoins, une telle délégation ne conférait pas au salarié un pouvoir de gestion de l'entreprise. Cette délégation était spécifiquement liée à l'activité de commissionnaire de transport de la société dans une acception seulement technique (« assurer le respect de l'ensemble de la réglementation applicable (') veiller à ce que soient prévenus et évités tous les dommages et accidents (') »), sans avoir pour effet sa participation effective à la direction de l'entreprise.
Certes, l'employeur tire argument de ce qu'il a consulté le salarié sur des sujets importants pour en déduire que celui-ci participait à la direction de l'entreprise, notamment dans le cadre de courriels d'octobre 2019 adressés par M. [R] au salarié, au sujet des heures supplémentaires et des récupérations des collaborateurs.
La cour relève néanmoins de première part que M. [R] donne des directives au salarié, lequel n'est associé qu'à une prise de décision limitée. Le salarié y est en effet davantage confronté à une décision déjà prise par la direction (régulariser les heures supplémentaires des collaborateurs) qu'à une réelle sollicitation lui offrant une marge de man'uvre suffisante pour caractériser sa participation à la direction de l'entreprise.
La cour relève d'autre part que dans son courriel du 8 octobre 2017, M. [R] n'invite le salarié qu'à évoquer sa situation personnelle et celle de ses collaborateurs (« J'ai mis en pièce jointe un tableur reprenant les salariés STVA sous ta responsabilité » - pièce 7 du salarié). L'implication du salarié est donc limitée à son seul service et non à l'intégralité des salariés de la société STVA.
En définitive, même si le salarié était cadre supérieur, s'il bénéficiait d'une large autonomie dans l'organisation de son emploi du temps et si sa rémunération figurait au rang des plus hautes rémunérations de l'entreprise (cf. pièce 10 de l'employeur), il n'en demeure pas moins que considération prise des fonctions réellement occupées par le salarié, il ne participait pas à la direction de l'entreprise.
Le salarié, qui n'était en conséquence pas cadre dirigeant, peut donc prétendre à un rappel d'heures supplémentaires, étant précisé qu'il n'était soumis à aucune convention de forfait en jours.
***
Sur les heures supplémentaires
Le salarié, qui conteste la prescription qui lui est opposée, soutient en premier lieu que contrairement à ce qu'affirme l'employeur, il a saisi le conseil de prud'hommes le 24 juillet 2020 et non pas le 28 novembre 2020, et en second lieu qu'en vertu de l'article L. 3245-1 du code du travail, il peut faire remonter sa demande aux trois années précédant la rupture du contrat de travail. Au fond, le salarié soutient qu'il a réalisé des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées et affirme apporter aux débats, par ses pièces 12 et 13, des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.
En réplique, l'employeur estime prescrite les demandes du salarié concernant la période antérieure au 28 novembre 2017, car il n'a saisi le conseil de prud'hommes que le 28 novembre 2020. Au fond, il objecte que le salarié n'a, durant l'exécution du contrat de travail, jamais formulé de réclamation ou alerte concernant son temps de travail ni demandé le paiement d'heures supplémentaires, même lorsqu'il a été expressément interrogé sur cette question en octobre 2019. Il fait observer que les demandes du salarié ont diminué entre sa requête (208 733,40 euros demandés) et la présente instance (180 057,54 euros demandés) et conteste le décompte du salarié, lequel se contente de mentionner l'heure du « dernier email » pour en déduire arbitrairement un nombre d'heures supplémentaires effectuées par jour au-delà de 18h00. Il en conclut que son décompte n'est pas suffisamment précis, d'autant que le salarié n'y précise pas ses heures d'arrivée.
Il ajoute que le salarié n'y tient pas compte de ses jours de congés, comme par exemple en février 2017, ni du fait qu'il habitait à [Localité 1] et qu'il lui arrivait régulièrement d'arriver le lundi en fin de matinée et de retourner à son domicile dès le vendredi voire le jeudi après-midi. Il soutient qu'il ne lui a pas demandé de réaliser des heures supplémentaires ni ne lui a imposé une charge de travail rendant nécessaire l'accomplissement d'heures supplémentaires.
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Sur la prescription
Les actions en paiement ou en répétition des salaires sont prescrites au bout de 3 ans par application de l'article L. 3245-1 du code du travail qui dispose : « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. »
Ainsi qu'il ressort de la pièce 22 du salarié, il a saisi le conseil de prud'hommes par lettre du 24 juillet 2020 envoyée au conseil le jour même, qui l'a réceptionnée le 28 juillet 2020 (cf. page 1 du jugement).
Le salarié a été licencié par lettre du 21 janvier 2020 envoyée le 22 janvier 2020 (reçue le 24 janvier 2020).
La rupture d'un contrat de travail se situant à la date où l'employeur a manifesté sa volonté d'y mettre fin, c'est-à-dire au jour de l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant la rupture (Soc., 11 mai 2005, pourvois n°03-40.650 et n°03-40.651, publié), la date de la rupture doit en l'espèce être située au 22 janvier 2020.
En application de l'article L. 3245-1, la demande de rappel de salaire présentée par le salarié peut porter sur les sommes dues au titre des trois années précédant le 22 janvier 2020, c'est-à-dire en l'espèce sur les sommes dues depuis le 22 janvier 2017.
En ce qui concerne spécifiquement le mois de janvier 2017, le point de départ de la prescription étant fixé à la date à laquelle le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, il en résulte que, concernant un rappel de salaire, le délai de prescription court à compter de la date à laquelle la créance salariale est exigible. Ainsi, pour les salariés payés au mois, comme c'est le cas de M. [G], la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.
Le salarié peut donc former une demande pour l'intégralité du mois de janvier 2017.
Le salarié forme une demande de rappel de salaire couvrant la période comprise entre le mois de janvier 2017 et le mois de décembre 2019.
Sa demande de rappel de salaire n'est donc pas prescrite.
Sur le fond
L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'« en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié. Il appartient également à l'employeur de justifier des horaires de travail effectués par l'intéressé.
Il revient ainsi au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre l'instauration d'un débat contradictoire et à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance des heures supplémentaires et fixe en conséquence les créances salariales s'y rapportant.
En l'espèce, le salarié soumet à la cour les éléments suivants :
. un tableau (pièce 12) présentant :
. pour chaque jour entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019, l'heure de son dernier courriel,
. le récapitulatif hebdomadaire du volume d'heures travaillées entre la première semaine de l'année 2017 et la dernière semaine de l'année 2019,
. un tableau (en pièce 12bis) présentant une liste d'environ mille-six-cent courriels professionnels adressés par le salarié durant l'année 2019 indiquant leur objet, la date de leur envoi, la taille des courriels (exprimé en Ko) et l'heure d'envoi (toujours postérieure à 18h00),
. un tableau (en pièce 13) présentant une liste d'environ quatre-cents courriels envoyés ou reçus un samedi ou un dimanche entre janvier 2017 et décembre 2019.
. un tableau (pièce 13bis) présentant entre janvier 2017 et décembre 2019 une liste de courriels reçus par le salarié un samedi ou un dimanche décrivant la taille des courriels (exprimée en Ko),
. une liasse (pièce 13ter) correspondant à un aperçu de plusieurs centaines de courriels.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
L'employeur se borne en premier lieu à estimer que les éléments présentés par le salarié ne sont pas précis alors que la cour a jugé qu'il l'étaient, et en second lieu à présenter des incohérences dans le décompte du salarié.
Au rang de ces incohérences, l'employeur expose que le salarié, qui vivait à [Localité 1] mais travaillait à [Localité 5], rentrait fréquemment à [Localité 1] en fin de semaine le jeudi ou le vendredi après-midi et revenait le lundi en fin de matinée. L'employeur démontre la réalité de cette affirmation par la production de ses pièces 12-1 à 12-3 correspondant à des notes de frais du salarié établies entre 2017 et 2019. A titre d'exemples :
. le salarié, qui résidait à l'hôtel lorsqu'il travaillait à [Localité 5], a réservé des nuitées du lundi 18 décembre au vendredi 22 décembre 2017, ce qui montre que, pour cette semaine là, le salarié n'a pas réservé sa chambre dès le dimanche et donc, qu'il est arrivé le lundi ce qui contredit son affirmation selon laquelle il « faisait systématiquement ses trajets les dimanches soir et repartait en région toulousaine les vendredis en fin d'après-midi » (cf. ses conclusions page 30) ;
. le vendredi 24 novembre 2017, le salarié a pris un taxi à l'aéroport de [7] à 16h26, ce qui suppose que, comme le soutient l'employeur, il est parti du travail en début d'après-midi ;
. le salarié a réservé quatre nuitées d'hôtel du dimanche 18 au jeudi 22 mars 2018 ce qui établit qu'il n'a pas réservé sa chambre pour la nuit du jeudi au vendredi et implique un départ le jeudi soir.
Ces éléments, nombreux contrairement à ce que soutient le salarié, sont de nature à réduire l'amplitude de travail qu'il revendique.
Ils ne suppriment toutefois pas toutes les heures supplémentaires sollicitées par M. [G], étant précisé qu'un salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées (Soc., 14 novembre 2018, n°17-16.959, publié).
Or, en l'espèce, compte tenu des fonctions exercées par le salarié, cadre supérieur, du volume très important des tâches qui lui étaient confiées comme en témoignent les courriels produits par le salarié, la réalisation des tâches qui lui étaient confiées rendait nécessaire la réalisation d'heures supplémentaires.
Peu importe que le salarié n'ait pas, durant la relation contractuelle, sollicité le paiement de ses heures supplémentaires, fut-ce même lorsque, en octobre 2019, il lui a été demandé s'il en avait réalisé et a répondu : « 0 ». Ce dernier élément ressort de la pièce 9 du salarié. Il s'agit d'un « accord individuel » proposé au salarié courant décembre 2019.
Dans un exposé préalable, cet accord en rappelle le contexte : « Au cours de la période du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2019, [le salarié] a estimé qu'il n'avait pas eu la possibilité de récupérer un certain nombre de demi-journées de repos hebdomadaires (dit demi-journées RH) qu'il avait dû travailler, malgré les règles en vigueur dans la société. De même il a estimé avoir réalisé des heures supplémentaires qui n'ont jusqu'à aujourd'hui été ni récupérées, ni rémunérées. Cette question a été portée à l'attention de la direction de la société (') ».
Dans ce contexte, un accord a été proposé au salarié et il en ressort : « article 1. Après discussion et dans le cadre de concessions réciproques, les parties sont parvenues à un accord sur le nombre de droits à repos à récupérer qui est au total de 0 demi-journées ».
Or, le salarié n'a pas signé cet accord. Il en résulte que l'employeur ne peut exciper de cet accord pour contester les prétentions du salarié.
Enfin, l'employeur estime qu'il convient de vérifier si la rémunération perçue par le salarié ne compense pas, au moins en partie, les heures supplémentaires accomplies. Il se réfère en cela à plusieurs jurisprudences de la Cour de cassation, qui concernent toutefois des salariés soumis à un forfait en heure déclaré nul ou inopposable, ce qui n'est pas le cas de M. [G] qui n'était soumis à aucune convention de forfait.
Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que le salarié a réalisé des heures supplémentaires non rémunérées, dans une proportion cependant moindre que celle invoquée. La cour évalue en conséquence à la somme de 132 945,26 euros (dont 45 756,53 euros au titre de la seule année 2019) le montant du rappel de salaire dû au salarié au titre des heures supplémentaires qu'il a réalisées au-delà de 35 heures du mois de janvier 2017 au mois de décembre 2019.
Le jugement sera donc infirmé et, statuant à nouveau, l'employeur sera condamné à payer au salarié la somme ainsi arrêtée, outre 13 294,52 euros au titre des congés payés afférents.
***
Sur l'indemnité pour privation de la contrepartie obligatoire en repos
Selon l'article L. 3121-28 du code du travail « toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent. »
L'article L. 3121-30 poursuit ainsi : « Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.
Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires sont celles accomplies au delà de la durée légale.
Les heures supplémentaires ouvrant droit au repos compensateur équivalent mentionné à l'article L. 3121-28 et celles accomplies dans les cas de travaux urgents énumérés à l'article L. 3132-4 ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires. »
L'article D. 3121-24 prévoit qu'à défaut d'accord prévu au I de l'article L. 3121-33, le contingent annuel d'heures supplémentaires est fixé à deux cent vingt heures par salarié.
Le premier alinéa ne s'applique pas aux salariés mentionnés à l'article L. 3121-56 qui ont conclu une convention de forfait en heures sur l'année.
La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transport du 21 décembre 1950 prévoit en son article 12 que le contingent d'heures supplémentaires est fixé annuellement à 195 heures pour le personnel roulant et à 130 heures pour les autres catégories de personnel.
En l'espèce, la société STVA comptait plus de vingt salariés.
Le salarié n'étant pas un personnel roulant, son contingent est de 130 heures.
Le salarié a réalisé en 2017, 2018 et 2019 plus de 130 heures supplémentaires chaque année de sorte qu'il pouvait prétendre à des repos compensateurs dont il a été privé. Il importe peu à cet égard qu'interrogé en octobre 2019, il n'ait réclamé aucune heure, étant ici rappelé qu'il n'a pas signé l'accord qui lui était soumis en décembre 2019 et qu'en tout état de cause, il résulte de l'article D. 3121-17 du code du travail que l'absence de demande de prise de la contrepartie obligatoire en repos par le salarié ne peut entraîner la perte de son droit au repos.
Compte tenu du volume d'heures supplémentaires retenu par la cour en 2017, 2018 et 2019, il convient de condamner l'employeur, par voie d'infirmation, à payer au salarié la somme de 81 357,45 euros nets à titre d'indemnité pour privation de contrepartie obligatoire en repos.
***
Sur la demande de dommages-intérêts pour privation du repos hebdomadaire légal et conventionnel
Le salarié expose que l'employeur l'a régulièrement privé de son droit à un repos hebdomadaire complet de 35 heures consécutives en raison de sa charge de travail, lui ayant imposé de travailler quasiment tous les samedis et dimanches, et qu'il a également été privé des demi-journées de repos auxquelles il pouvait prétendre en application des dispositions conventionnelles en vigueur dans l'entreprise.
L'employeur objecte que la Cour de cassation a mis fin à sa jurisprudence sur le « préjudice nécessaire », et que le salarié ne fournit aucun élément permettant de caractériser le préjudice qu'il allègue.
***
L'article L. 3132-1 du code du travail interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine.
L'article L. 3132-2 dispose que le repos hebdomadaire a une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives auxquelles s'ajoutent les heures consécutives de repos quotidien prévu au chapitre Ier.
Par conséquent, un salarié ne peut en principe pas travailler plus de six jours par semaine et doit bénéficier d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 24 heures consécutives, auxquelles s'ajoutent les 11 heures consécutives de repos quotidien, ce qui représente au total, au minimum 35 heures consécutives de repos hebdomadaire.
Par ailleurs, il n'est pas discuté que l'accord d'entreprise conclu le 14 juin 1999 instaure des demi-journées de repos, dites demi-journée RH, une semaine sur deux le vendredi après-midi.
L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.
En l'espèce, non seulement l'employeur ne rapporte pas la preuve qu'il a respecté les seuils et plafonds prévus par la loi relativement au repos hebdomadaire, mais en outre, le salarié en présentant à la cour des éléments précis, montre qu'il a travaillé à plusieurs reprises les samedis et dimanches de telle sorte qu'il a fréquemment été privé d'un repos minimum de 35 heures consécutives.
Par ailleurs, il ressort de ces éléments précis que le salarié n'a pas systématiquement bénéficié de sa demi-journée dite « demi-journée RH », même si, après les correctifs appliqués à ses prétentions, la cour a retenu qu'il avait omis de mentionner certaines d'entre elles qui, par conséquent, lui ont été accordées dans les faits.
Si, à juste titre, l'employeur expose que la Cour de cassation a mis fin à sa jurisprudence sur le « préjudice nécessaire », il n'en demeure pas moins que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation (Soc., 11 mai 2023, pourvois n°21-22.281 et 21-22.912).
La privation du repos hebdomadaire du salarié lui a nécessairement causé un préjudice caractérisé par les troubles occasionnés à sa vie personnelle.
Ce préjudice sera réparé par une indemnité de 2 000 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d'infirmation, l'employeur sera condamné.
Sur le complément d'indemnité de rupture
Le salarié expose que du fait du rappel d'heures supplémentaires auquel il peut prétendre, l'assiette de calcul de ses indemnités de rupture est mécaniquement erroné, de sorte qu'il doit bénéficier d'un rappel à ce titre.
L'employeur conclut au rejet de cette demande estimant que le salarié ne peut prétendre à un rappel d'heures supplémentaires. Il rappelle que le salarié a déjà perçu 242 452,47 euros nets au titre de ses indemnités de rupture.
***
A juste titre, le salarié expose que l'assiette de calcul des indemnités de rupture accordées au salarié doit être modifiée pour tenir compte du rappel d'heures supplémentaires qui lui a été accordé.
Lesdites indemnités de rupture ont été calculées sur la base d'une rémunération annuelle de 158 918,84 euros. Au regard du rappel de salaire alloué au titre des heures supplémentaires, ce montant doit être augmenté de la somme de 45 756,53 euros, outre celle de 4 575,65 euros au titre des congés payés afférents.
Il en résulte que la rémunération du salarié doit être arrêtée à la somme de 17 437,58 euros bruts mensuels (soit (158 918,84 + 45 756,53 + 4 575,65) / 12).
Les dispositions conventionnelles (article 17 de la convention collective) prévoient que le salarié bénéficie d'une indemnité de « congédiement » correspondant à 4/10ème de mois par année de présence dans la catégorie ingénieurs et cadres.
Il n'est pas discuté que le salarié justifie d'une ancienneté de 37 ans, 6 mois et 23 jours soit 37,56 ans.
Le salarié pouvait en conséquence prétendre à une indemnité de licenciement de 261 982,20 euros (soit ((17 437,58 x 4) / 10) x 37,56). Or, il n'a perçu à ce titre que la somme de 197 181 euros. Il lui reste donc dû la somme de 64 801,20 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d'infirmation, l'employeur sera condamné.
En ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis, l'article L. 1234-5 du code du travail dispose en son alinéa 2 : « L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. »
Le salaire à prendre en compte englobe tous les éléments de la rémunération auxquels aurait pu prétendre le salarié s'il avait exécuté normalement son préavis à l'exclusion des primes et indemnités représentant des remboursement de frais réellement engagés.
Dès lors, l'assiette de calcul de l'indemnité compensatrice de préavis du salarié doit tenir compte des heures supplémentaires qu'il a effectuées. Par conséquent, c'est sur la base d'une rémunération mensuelle de 17 437,58 euros que doit être déterminée son indemnité.
Il n'est pas discuté que le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant à trois mois de salaire soit 52 312,74 euros. Il n'a toutefois perçu à titre d'indemnité compensatrice de préavis que la somme de 27 177 euros. Il lui reste donc dû la somme de 25 135,74 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d'infirmation, l'employeur sera condamné.
Sur l'indemnité pour travail dissimulé
Le salarié affirme que le travail dissimulé est caractérisé dès lors que ses bulletins de paie ne mentionnent aucune heure supplémentaire et que l'employeur savait qu'il en réalisait et que l'attention de la direction avait spécialement été attirée sur la question des heures supplémentaires dès 2017.
L'employeur fait observer que le salarié n'a pas déclaré d'heures supplémentaires. Il rappelle que dans son courriel du 8 octobre 2019, M. [R] lui demandait s'il avait effectué des heures supplémentaires, ce qui montre que l'employeur en ignorait l'existence. Il ajoute que sur la base des données transmises par le salarié lui-même, ce dernier ne faisait état d'aucune heure supplémentaire et fait observer que le salarié n'a jamais formulé la moindre alerte durant l'exécution de son contrat de travail puis qu'il a attendu de quitter la société pour solliciter, pour la première fois, des « montants astronomiques ».
***
L'article L. 8221-5 du code du travail dispose qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L'article L. 8223-1 dispose qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l'espèce, l'importance et la pérennité de l'écart existant entre les heures effectivement réalisées par le salarié et celles figurant sur les bulletins de salaire ' lesquels ne rétribuent le salarié pour aucune heure supplémentaire ' suffisent à établir l'élément intentionnel, ce d'autant que le salarié n'était soumis à aucun forfait relatif à son temps de travail et donc, que l'employeur ne pouvait ignorer que sa situation du salarié était régie par le droit commun.
Certes, l'employeur fait observer que M. [R] a invité le salarié à lui indiquer s'il avait réalisé des heures supplémentaires, ce qui, selon lui, montre l'absence d'élément intentionnel.
Néanmoins, il doit être rappelé que l'employeur est tenu d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées par le salarié.
Or, comme rappelé ci-dessus, le salarié a réalisé un volume très important d'heures supplémentaires. En particulier, la cour relève que dans la liasse de courriels produits par le salarié (pièce 13ter), nombreux sont ceux qui sont adressés à M. [R] par le salarié ou inversement un samedi ou un dimanche entre 2017 et 2019. Quelques-uns sont aussi adressés à ou par M. [B] en 2017. Par conséquent, ni M. [R], supérieur hiérarchique du salarié, ni M. [B], membre du directoire et directeur des opérations et donc également supérieur hiérarchique du salarié, n'ignoraient que ce dernier réalisait un temps de travail hebdomadaire supérieur à 35 heures.
C'est par conséquent de façon intentionnelle que l'employeur s'est soustrait à ses obligations déclaratives, en mentionnant sur les bulletins de paie du salarié un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Il convient dès lors, par voie d'infirmation, de condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité forfaitaire de 104 625,48 euros (17 437,58 x 6).
Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol.
En l'espèce, en s'opposant aux demandes du salarié, l'employeur n'a pas fait acte de malice, de mauvaise foi ni commis une erreur grave équivalente au dol.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il déboute le salarié de ce chef de demande.
Sur la remise des documents
Il conviendra de donner injonction à l'employeur de remettre au salarié une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
Il conviendra de condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu'il écarte des débats la pièce n°8 produite par M. [G] et le déboute de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société CAT France à payer à M. [G] les sommes suivantes :
. 132 945,26 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées de janvier 2017 à décembre 2019, outre 13 294,52 euros au titre des congés payés afférents,
. 81 357,45 euros nets à titre d'indemnité pour privation de la contrepartie obligatoire en repos,
. 2 000 euros de dommages-intérêts pour privation du repos hebdomadaire légal et conventionnel,
. 64 801,20 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement,
. 25 135,74 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis, outre 2 513,57 euros au titre des congés payés afférents,
. 104 625,48 euros d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
DONNE injonction à la société CAT France de remettre à M. [G] une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,
REJETTE la demande d'astreinte.
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société CAT France à payer à M. [G] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société CAT France aux dépens de la procédure d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 OCTOBRE 2024
N° RG 22/02383
N° Portalis DBV3-V-B7G-VK6K
AFFAIRE :
[E] [Z] [G]
C/
Société CAT FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 7 juillet 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : E
N° RG : F 20/01308
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Philippe ISOUX
Me Cédric GUYADER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [E] [G]
né le 3 août 1958 à [Localité 6]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Philippe ISOUX de la SELARL CABINET PH. ISOUX, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire: 157
APPELANT
****************
Société CAT FRANCE anciennement appelée SAS STVA
N° SIRET : 440 253 714
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Cédric GUYADER de la SELARL INTERVISTA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1227
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 juin 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [G] a été engagé par la société de transport de véhicules automobiles (ci-après la société STVA), en qualité de directeur délégué, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er août 1993.
Cette société est spécialisée dans la logistique et le transport ferroviaire et routier de véhicules automobiles. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.
En novembre 2017, la société Cat France a acquis la société STVA. A cette occasion, la société STVA SAS a été créée. Depuis le 1er janvier 2023, la société STVA a été absorbée par la société Cat LC France, devenue Cat France, qui vient aux droits de la société STVA SAS.
Au dernier état de la relation, M. [G] exerçait les fonctions de directeur des ventes.
Dans le cadre d'un accord de performance collective, le siège social de la société STVA a déménagé de [Localité 5] à [Localité 4].
M. [G] a été licencié par lettre du 21 janvier 2020.
M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 7 juillet 2022, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :
. débouté M. [G] de l'intégralité de ses demandes
. débouté la société STVA de sa demande reconventionnelle
. laissé les dépens à la charge des parties.
Par déclaration adressée au greffe le 26 juillet 2022, M. [G] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 28 mai 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [G] demande à la cour de :
. infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 7 juillet 2022 sauf en ce
qu'il a débouté la société STVA SAS (devenue Cat France) de sa demande reconventionnelle ;
Et statuant à nouveau :
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 180 057,54 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre la somme de 18.005,75 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 110.325,05 euros nets à titre d'indemnité pour privation de contrepartie obligatoire en repos ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 25.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect des repos obligatoires légaux et conventionnels ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 87.763,59 euros nets à titre de complément d'indemnité de licenciement ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 29.722,32 euros bruts à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 2.972,23 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 113.866,64 euros nets à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
. condamner la société Cat France (anciennement STVA SAS) à payer à M. [G] la somme de 15.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
. ordonner la remise, sous astreinte journalière définitive de 100 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification du jugement à intervenir, d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de paie conformes aux condamnations et se réserver le droit de liquider cette astreinte ;
. condamner la société Cat France (anciennement ST'VA SAS) à payer à M. [G] la somme de 5.000 euros nets sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
. rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société Cat France (anciennement STVA SAS).
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Cat France venant aux droits de la société STVA demande à la cour de :
In limine litis:
. juger que la pièce n°8 visée par M. [G] a été produite en violation du secret professionnel absolu qui couvre les échanges entre un avocat et son client ;
En conséquence
. confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 7 juillet 2022 en ce qu'il a écarté la pièce n°8 visée par M. [G] des débats et faire interdiction à M. [G] de s'en prévaloir dans ses écritures et plaidoiries ;
Au fond
A titre principal
. confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 7 juillet 2022 en ce qu'il a :
. jugé que M. [G] bénéficiait du statut de cadre dirigeant ;
. débouté M. [G] de toutes ses demandes à l'encontre de la société STVA aux droits de laquelle vient la société CAT France ;
En conséquence
. débouter M. [G] de toutes ses demandes devant la cour d'appel à l'encontre de la société CAT France;
A titre subsidiaire
. juger que les demandes formées par M. [G] pour la période antérieure au 28 novembre 2017 sont prescrites ;
. juger que l'existence des heures supplémentaires réclamées par M. [G] n'est pas démontrée ;
En conséquence
. débouter M. [G] de toutes ses demandes devant la cour d'appel à l'encontre de la société
A titre très subsidiaire
. juger que les demandes formées par M. [G] pour la période antérieure au 28 novembre 2017 sont prescrites ;
. juger que M. [G] a bénéficié de compensation pour les éventuelles heures supplémentaires effectuées;
En conséquence
. débouter M. [G] de toutes ses demandes devant la cour d'appel à l'encontre de la société CAT France;
En tout état de cause
. condamner M. [G] à verser à la société CAT France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
. condamner M. [G] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la pièce n°8 du salarié
L'employeur se fonde sur l'article 66-5 alinéa 1er de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 dont il ressort que les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci sont couvertes par le secret professionnel. Il rappelle que le secret professionnel est absolu et qu'il n'a pas été remis en cause par la jurisprudence de la Cour de cassation du 22 décembre 2023. Il précise que la pièce 8 produite par le salarié est un rapport d'audit sur le droit du travail, établi par « EY » Société d'avocats pour et à la demande de la société SNCF Logistics. Il en déduit que ce document s'analyse en une consultation rédigée par un cabinet d'avocats pour le compte de la société SNCF Logistics, ancienne société mère de la société STVA, qui est couverte par le secret professionnel. Il ajoute que le salarié n'en ayant pas été destinataire, il ne peut la verser aux débats. Il ajoute que cette pièce n'est pas indispensable au salarié pour son droit à la preuve relative aux heures supplémentaires qu'il revendique.
En réplique, le salarié objecte que la pièce 8 qu'il produit lui avait été donnée lorsqu'il faisait partie des membres de l'encadrement et expose que le secret professionnel ne pèse que sur le professionnel qui en est dépositaire. En toutes hypothèses, ajoute-t-il, et à supposer le mode de preuve illicite, cette pièce n'en est pas moins recevable au regard de la jurisprudence de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 2023.
***
En matière prud'homale, la preuve est libre.
Ce principe implique la liberté dans la recherche et dans la production des preuves et la loi ne dicte pas au juge les modes de preuve qui doivent être présentés par les parties.
Pour autant, il ne signifie pas que tous les modes de preuve sont recevables. L'article 9 du code de procédure civile affecte à chaque partie la charge de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention « conformément à la loi » ; a contrario, un mode de preuve n'est pas admissible lorsqu'il est prohibé par la loi ou les textes conventionnels.
Il résulte de l'article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l'illicéité dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. (Ass. Plénière, 22 décembre 2023 n°20-20.648, publié).
Selon les articles 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, et 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.
Le salarié fait valoir au cas présent que le débiteur de l'obligation au secret professionnel, est l'avocat. En effet, sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévus ou autorisés par la loi, l'avocat ne peut commettre, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel (Soc., 12 mai 2017, 15-28.943 et 15-29.129).
Eu égard au caractère absolu du secret professionnel de l'avocat, le client ne peut en délier l'avocat (Civ.1, 6 avril 2004, n°00-19.245). Le secret professionnel s'étend à d'autres personnes que l'avocat lui-même et s'attache à la nature des documents produits davantage qu'à la personne de celui qui les produit en justice (Civ1. 14 janvier 2010 08.21-854 publié).
Toutefois, si, selon les principes rappelés par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, les correspondances échangées entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, il demeure qu'elles peuvent notamment être saisies dans le cadre des opérations de visites prévues par le second dès lors qu'elles ne concernent pas l'exercice des droits de la défense (Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-84.304, publié).
En outre, le secret professionnel de l'avocat ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures d'instruction sollicitées, destinées à établir la faute de l'avocat, sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en 'uvre avec des garanties adéquates (1re Civ., 6 décembre 2023, pourvoi n° 22-19.285, publié).
Il en résulte qu'un document couvert par le secret professionnel de l'avocat et obtenu de façon illicite, peut être produit en justice par un tiers à la relation client-avocat à la condition toutefois, pour le juge, d'apprécier si une telle preuve ne porte pas une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Au cas présent il n'est pas discuté que la pièce 8 produite par le salarié est une consultation d'avocat adressée à la société SNCF Logistics qui, seule, en a été destinataire, pour l'avoir commandée. A ce titre, elle est « couverte par le secret professionnel » au sens de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.
Le salarié se contente d'affirmer, sans offre de preuve, qu'il a obtenu ce document parce qu'il « avait été diffusé, en son temps, auprès des membres de l'encadrement dont [il] faisait partie ». La cour relève toutefois que ce rapport date de février 2017 et que le salarié expose par ailleurs dans ses conclusions qu'il ne participait pas à la direction de l'entreprise entre janvier 2017 et décembre 2019. Il en résulte qu'il n'y avait aucune raison à ce que le salarié, même en qualité de membre de l'encadrement, se voit remettre la consultation litigieuse, qui n'était destinée qu'aux dirigeants de l'entreprise.
Dans la mesure où la société SNCF Logistics, cliente du cabinet d'avocats Ernst&Young, ne pouvait délier ce dernier de son secret professionnel, la pièce 8 litigieuse ne peut avoir été mise en possession du salarié que de manière illicite.
En invoquant la jurisprudence de la Cour de cassation du 22 décembre 2023, le salarié demande implicitement à la cour d'exercer un contrôle de proportionnalité en appréciant si le rejet de sa pièce n°8, couverte par le secret professionnel de l'avocat, porte atteinte à son droit à la preuve.
La cour relève à cet égard qu'il ressort de la lecture de ses conclusions que le salarié se prévaut de cette pièce pour soutenir sa demande de rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires et sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la pièce en question étant en ce dernier cas produite pour en établir l'élément intentionnel.
Or, dans un cas comme dans l'autre, ainsi qu'il sera vu plus loin, la production de la pièce litigieuse n'est pas indispensable à l'exercice, par le salarié, de son droit à la preuve dès lors qu'il dispose d'autres moyens de preuve pour soutenir ses demandes.
Pour l'ensemble de ces motifs, il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il écarte cette pièce des débats.
Sur les demandes relatives au temps de travail
Le salarié reproche au conseil de prud'hommes d'avoir jugé qu'il était cadre dirigeant, alors selon lui qu'il ne l'était pas, ce qui lui permet de revendiquer le paiement des heures supplémentaires qu'il a réalisées ainsi qu'une contrepartie obligatoire en repos et une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Il fait valoir qu'il a été privé de ses repos hebdomadaires, tant légaux que conventionnels.
En réplique, l'employeur expose que le salarié ayant la qualité de cadre dirigeant, il ne peut être fait droit à aucune des demandes qu'il forme relativement au temps de travail et, subsidiairement, si la cour devait estimer que le salarié n'était pas cadre dirigeant, il conclut à l'absence de preuve des heures supplémentaires revendiquées par le salarié.
***
Sur le statut de cadre dirigeant
Le salarié expose que plusieurs éléments convergent vers une impossibilité, pour lui, d'avoir ce statut, lequel est par définition dérogatoire et exceptionnel. A cet égard, il fait valoir :
. que la société STVA l'a interrogé en 2019 sur les heures supplémentaires qu'il effectuait,
. qu'il n'était que directeur des ventes et n'encadrait qu'une petite équipe de neuf personnes au sein de sa « BU Ouest »,
. qu'il n'était investi d'aucun mandat social au sein de la société STVA et n'était membre ni des organes de direction, ni du CODIR, ni du COMEX,
. qu'il était placé sous le lien de subordination de MM. [R] et [B],
. qu'il ne disposait d'aucune délégation.
En réplique, l'employeur affirme que le salarié était cadre dirigeant dès lors, selon lui, qu'il était directeur des ventes, soit une des plus hautes fonctions au sein de la société STVA, qu'il relevait du groupe 7 correspondant à la catégorie des cadres supérieurs, qu'il était impliqué dans la prise de décision concernant des sujets sensibles et supervisait plusieurs autres salariés. Il ajoute que le salarié avait une délégation de pouvoir pour représenter la société STVA dans son activité de commissionnaire de transport qui constitue un élément indispensable pour l'activité d'une société de transport et qu'il a été entre 2006 et 2013 gérant de plusieurs filiales. Il précise encore que le salarié disposait d'une large autonomie dans l'organisation de son travail et qu'il percevait une rémunération conséquente de 9 146,10 euros bruts, son salaire moyen des 12 derniers mois étant de 13 243,23 euros bruts, ce qui se situe dans les rémunérations les plus importantes de la société.
***
L'article L. 3111-2 du code du travail dispose que les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III. Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.
Les critères cumulatifs exigés par ce texte impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise (Soc., 31 janvier 2012, n°10.24-412 publié).
En l'espèce, le salarié établit avoir été interrogé par courriel le 8 octobre 2019 par M. [R] (directeur commercial et marketing groupe) sur ses heures supplémentaires. Il ressort en effet de ce courriel que M. [R] rappelait au salarié le contexte de son courriel, caractérisé par une pression exercée sur CAT pour régulariser les heures supplémentaires réalisées par le personnel de la société STVA. Il demandait au salarié de faire le point sur les heures supplémentaires de ses collaborateurs mais concluait également son courriel ainsi : « Également, il me faut regarder ta situation personnelle par rapport à ces paramètres sur les deux questions récupération et heures supplémentaires ». Ainsi, M. [R] ne le considérait donc pas comme un cadre dirigeant.
En outre, ainsi qu'il le fait observer à juste titre, le salarié ne figure pas sur l'organigramme de la direction de la société STVA ni dans l'organigramme de la direction de la « BU (business unit) Ouest » de décembre 2016 : le président est M. [N] à qui sont rattachés trois directeurs : le directeur commercial et marketing (M. [R]), le directeur des opérations (M. [B]) et le directeur financier, juridique, immobilier (M. [J]). M. [B] est présenté, dans l'organigramme de la « BU Ouest », comme en étant le directeur, auquel sont rattachés six directeurs, dont M. [G], directeur des ventes, en charge de neuf collaborateurs, sur une BU qui en compte une quarantaine.
Si le salarié a été investi de mandats sociaux au sein de filiales de la société, il n'en demeure pas moins que ces mandats n'ont duré qu'entre 2006 et 2013. Or, les demandes du salarié concernent une période postérieure de sorte que ces mandats sont sans influence sur la qualité de cadre dirigeant du salarié.
Il n'est par ailleurs pas discuté que le salarié n'était membre ni des organes de direction (directoire et conseil de surveillance) ni du CODIR, ni du COMEX. Il était placé sous le lien de subordination de MM. [R] et [B], respectivement directeur commercial et directeur des opération qui, eux, étaient membres du directoire puis, pour ce qui concerne M. [B], président du directoire à compter de mai 2022.
Il n'est pas discuté que le salarié ne disposait d'aucune délégation, de signature ou de pouvoir, qui aurait pu lui permettre de signer un contrat de travail, ou un contrat avec les fournisseurs de la société.
Est en revanche en discussion entre les parties l'existence d'une délégation de pouvoir pour la réalisation de prestations en lien avec l'activité de commissionnaire de transport de la société STVA.
Cette délégation de pouvoir est établie par l'employeur qui, en pièce 9, produit l'avenant au contrat de travail du salarié en date du 25 juillet 2016 concernant cette délégation.
Par cet avenant, il était « demandé (au salarié) tout particulièrement de gérer au sein de la société STVA, son activité de commissionnaire de transport étant précisé que [le salarié disposerait] pour ce faire de tout pouvoir, de toute l'autonomie et des moyens nécessaires (notamment vis-à-vis des personnels concernés) pour la bonne réalisation des prestations correspondantes ». L'avenant ajoute : « Vous aurez ainsi la responsabilité d'assurer le respect de l'ensemble de la réglementation applicable et de veiller à ce que soient prévenus et évités tous les dommages et accidents susceptibles de survenir au titre de cette activité de commissionnaire de transport ».
Néanmoins, une telle délégation ne conférait pas au salarié un pouvoir de gestion de l'entreprise. Cette délégation était spécifiquement liée à l'activité de commissionnaire de transport de la société dans une acception seulement technique (« assurer le respect de l'ensemble de la réglementation applicable (') veiller à ce que soient prévenus et évités tous les dommages et accidents (') »), sans avoir pour effet sa participation effective à la direction de l'entreprise.
Certes, l'employeur tire argument de ce qu'il a consulté le salarié sur des sujets importants pour en déduire que celui-ci participait à la direction de l'entreprise, notamment dans le cadre de courriels d'octobre 2019 adressés par M. [R] au salarié, au sujet des heures supplémentaires et des récupérations des collaborateurs.
La cour relève néanmoins de première part que M. [R] donne des directives au salarié, lequel n'est associé qu'à une prise de décision limitée. Le salarié y est en effet davantage confronté à une décision déjà prise par la direction (régulariser les heures supplémentaires des collaborateurs) qu'à une réelle sollicitation lui offrant une marge de man'uvre suffisante pour caractériser sa participation à la direction de l'entreprise.
La cour relève d'autre part que dans son courriel du 8 octobre 2017, M. [R] n'invite le salarié qu'à évoquer sa situation personnelle et celle de ses collaborateurs (« J'ai mis en pièce jointe un tableur reprenant les salariés STVA sous ta responsabilité » - pièce 7 du salarié). L'implication du salarié est donc limitée à son seul service et non à l'intégralité des salariés de la société STVA.
En définitive, même si le salarié était cadre supérieur, s'il bénéficiait d'une large autonomie dans l'organisation de son emploi du temps et si sa rémunération figurait au rang des plus hautes rémunérations de l'entreprise (cf. pièce 10 de l'employeur), il n'en demeure pas moins que considération prise des fonctions réellement occupées par le salarié, il ne participait pas à la direction de l'entreprise.
Le salarié, qui n'était en conséquence pas cadre dirigeant, peut donc prétendre à un rappel d'heures supplémentaires, étant précisé qu'il n'était soumis à aucune convention de forfait en jours.
***
Sur les heures supplémentaires
Le salarié, qui conteste la prescription qui lui est opposée, soutient en premier lieu que contrairement à ce qu'affirme l'employeur, il a saisi le conseil de prud'hommes le 24 juillet 2020 et non pas le 28 novembre 2020, et en second lieu qu'en vertu de l'article L. 3245-1 du code du travail, il peut faire remonter sa demande aux trois années précédant la rupture du contrat de travail. Au fond, le salarié soutient qu'il a réalisé des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées et affirme apporter aux débats, par ses pièces 12 et 13, des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.
En réplique, l'employeur estime prescrite les demandes du salarié concernant la période antérieure au 28 novembre 2017, car il n'a saisi le conseil de prud'hommes que le 28 novembre 2020. Au fond, il objecte que le salarié n'a, durant l'exécution du contrat de travail, jamais formulé de réclamation ou alerte concernant son temps de travail ni demandé le paiement d'heures supplémentaires, même lorsqu'il a été expressément interrogé sur cette question en octobre 2019. Il fait observer que les demandes du salarié ont diminué entre sa requête (208 733,40 euros demandés) et la présente instance (180 057,54 euros demandés) et conteste le décompte du salarié, lequel se contente de mentionner l'heure du « dernier email » pour en déduire arbitrairement un nombre d'heures supplémentaires effectuées par jour au-delà de 18h00. Il en conclut que son décompte n'est pas suffisamment précis, d'autant que le salarié n'y précise pas ses heures d'arrivée.
Il ajoute que le salarié n'y tient pas compte de ses jours de congés, comme par exemple en février 2017, ni du fait qu'il habitait à [Localité 1] et qu'il lui arrivait régulièrement d'arriver le lundi en fin de matinée et de retourner à son domicile dès le vendredi voire le jeudi après-midi. Il soutient qu'il ne lui a pas demandé de réaliser des heures supplémentaires ni ne lui a imposé une charge de travail rendant nécessaire l'accomplissement d'heures supplémentaires.
***
Sur la prescription
Les actions en paiement ou en répétition des salaires sont prescrites au bout de 3 ans par application de l'article L. 3245-1 du code du travail qui dispose : « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. »
Ainsi qu'il ressort de la pièce 22 du salarié, il a saisi le conseil de prud'hommes par lettre du 24 juillet 2020 envoyée au conseil le jour même, qui l'a réceptionnée le 28 juillet 2020 (cf. page 1 du jugement).
Le salarié a été licencié par lettre du 21 janvier 2020 envoyée le 22 janvier 2020 (reçue le 24 janvier 2020).
La rupture d'un contrat de travail se situant à la date où l'employeur a manifesté sa volonté d'y mettre fin, c'est-à-dire au jour de l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant la rupture (Soc., 11 mai 2005, pourvois n°03-40.650 et n°03-40.651, publié), la date de la rupture doit en l'espèce être située au 22 janvier 2020.
En application de l'article L. 3245-1, la demande de rappel de salaire présentée par le salarié peut porter sur les sommes dues au titre des trois années précédant le 22 janvier 2020, c'est-à-dire en l'espèce sur les sommes dues depuis le 22 janvier 2017.
En ce qui concerne spécifiquement le mois de janvier 2017, le point de départ de la prescription étant fixé à la date à laquelle le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, il en résulte que, concernant un rappel de salaire, le délai de prescription court à compter de la date à laquelle la créance salariale est exigible. Ainsi, pour les salariés payés au mois, comme c'est le cas de M. [G], la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.
Le salarié peut donc former une demande pour l'intégralité du mois de janvier 2017.
Le salarié forme une demande de rappel de salaire couvrant la période comprise entre le mois de janvier 2017 et le mois de décembre 2019.
Sa demande de rappel de salaire n'est donc pas prescrite.
Sur le fond
L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'« en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié. Il appartient également à l'employeur de justifier des horaires de travail effectués par l'intéressé.
Il revient ainsi au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre l'instauration d'un débat contradictoire et à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance des heures supplémentaires et fixe en conséquence les créances salariales s'y rapportant.
En l'espèce, le salarié soumet à la cour les éléments suivants :
. un tableau (pièce 12) présentant :
. pour chaque jour entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019, l'heure de son dernier courriel,
. le récapitulatif hebdomadaire du volume d'heures travaillées entre la première semaine de l'année 2017 et la dernière semaine de l'année 2019,
. un tableau (en pièce 12bis) présentant une liste d'environ mille-six-cent courriels professionnels adressés par le salarié durant l'année 2019 indiquant leur objet, la date de leur envoi, la taille des courriels (exprimé en Ko) et l'heure d'envoi (toujours postérieure à 18h00),
. un tableau (en pièce 13) présentant une liste d'environ quatre-cents courriels envoyés ou reçus un samedi ou un dimanche entre janvier 2017 et décembre 2019.
. un tableau (pièce 13bis) présentant entre janvier 2017 et décembre 2019 une liste de courriels reçus par le salarié un samedi ou un dimanche décrivant la taille des courriels (exprimée en Ko),
. une liasse (pièce 13ter) correspondant à un aperçu de plusieurs centaines de courriels.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
L'employeur se borne en premier lieu à estimer que les éléments présentés par le salarié ne sont pas précis alors que la cour a jugé qu'il l'étaient, et en second lieu à présenter des incohérences dans le décompte du salarié.
Au rang de ces incohérences, l'employeur expose que le salarié, qui vivait à [Localité 1] mais travaillait à [Localité 5], rentrait fréquemment à [Localité 1] en fin de semaine le jeudi ou le vendredi après-midi et revenait le lundi en fin de matinée. L'employeur démontre la réalité de cette affirmation par la production de ses pièces 12-1 à 12-3 correspondant à des notes de frais du salarié établies entre 2017 et 2019. A titre d'exemples :
. le salarié, qui résidait à l'hôtel lorsqu'il travaillait à [Localité 5], a réservé des nuitées du lundi 18 décembre au vendredi 22 décembre 2017, ce qui montre que, pour cette semaine là, le salarié n'a pas réservé sa chambre dès le dimanche et donc, qu'il est arrivé le lundi ce qui contredit son affirmation selon laquelle il « faisait systématiquement ses trajets les dimanches soir et repartait en région toulousaine les vendredis en fin d'après-midi » (cf. ses conclusions page 30) ;
. le vendredi 24 novembre 2017, le salarié a pris un taxi à l'aéroport de [7] à 16h26, ce qui suppose que, comme le soutient l'employeur, il est parti du travail en début d'après-midi ;
. le salarié a réservé quatre nuitées d'hôtel du dimanche 18 au jeudi 22 mars 2018 ce qui établit qu'il n'a pas réservé sa chambre pour la nuit du jeudi au vendredi et implique un départ le jeudi soir.
Ces éléments, nombreux contrairement à ce que soutient le salarié, sont de nature à réduire l'amplitude de travail qu'il revendique.
Ils ne suppriment toutefois pas toutes les heures supplémentaires sollicitées par M. [G], étant précisé qu'un salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées (Soc., 14 novembre 2018, n°17-16.959, publié).
Or, en l'espèce, compte tenu des fonctions exercées par le salarié, cadre supérieur, du volume très important des tâches qui lui étaient confiées comme en témoignent les courriels produits par le salarié, la réalisation des tâches qui lui étaient confiées rendait nécessaire la réalisation d'heures supplémentaires.
Peu importe que le salarié n'ait pas, durant la relation contractuelle, sollicité le paiement de ses heures supplémentaires, fut-ce même lorsque, en octobre 2019, il lui a été demandé s'il en avait réalisé et a répondu : « 0 ». Ce dernier élément ressort de la pièce 9 du salarié. Il s'agit d'un « accord individuel » proposé au salarié courant décembre 2019.
Dans un exposé préalable, cet accord en rappelle le contexte : « Au cours de la période du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2019, [le salarié] a estimé qu'il n'avait pas eu la possibilité de récupérer un certain nombre de demi-journées de repos hebdomadaires (dit demi-journées RH) qu'il avait dû travailler, malgré les règles en vigueur dans la société. De même il a estimé avoir réalisé des heures supplémentaires qui n'ont jusqu'à aujourd'hui été ni récupérées, ni rémunérées. Cette question a été portée à l'attention de la direction de la société (') ».
Dans ce contexte, un accord a été proposé au salarié et il en ressort : « article 1. Après discussion et dans le cadre de concessions réciproques, les parties sont parvenues à un accord sur le nombre de droits à repos à récupérer qui est au total de 0 demi-journées ».
Or, le salarié n'a pas signé cet accord. Il en résulte que l'employeur ne peut exciper de cet accord pour contester les prétentions du salarié.
Enfin, l'employeur estime qu'il convient de vérifier si la rémunération perçue par le salarié ne compense pas, au moins en partie, les heures supplémentaires accomplies. Il se réfère en cela à plusieurs jurisprudences de la Cour de cassation, qui concernent toutefois des salariés soumis à un forfait en heure déclaré nul ou inopposable, ce qui n'est pas le cas de M. [G] qui n'était soumis à aucune convention de forfait.
Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que le salarié a réalisé des heures supplémentaires non rémunérées, dans une proportion cependant moindre que celle invoquée. La cour évalue en conséquence à la somme de 132 945,26 euros (dont 45 756,53 euros au titre de la seule année 2019) le montant du rappel de salaire dû au salarié au titre des heures supplémentaires qu'il a réalisées au-delà de 35 heures du mois de janvier 2017 au mois de décembre 2019.
Le jugement sera donc infirmé et, statuant à nouveau, l'employeur sera condamné à payer au salarié la somme ainsi arrêtée, outre 13 294,52 euros au titre des congés payés afférents.
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Sur l'indemnité pour privation de la contrepartie obligatoire en repos
Selon l'article L. 3121-28 du code du travail « toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent. »
L'article L. 3121-30 poursuit ainsi : « Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.
Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires sont celles accomplies au delà de la durée légale.
Les heures supplémentaires ouvrant droit au repos compensateur équivalent mentionné à l'article L. 3121-28 et celles accomplies dans les cas de travaux urgents énumérés à l'article L. 3132-4 ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires. »
L'article D. 3121-24 prévoit qu'à défaut d'accord prévu au I de l'article L. 3121-33, le contingent annuel d'heures supplémentaires est fixé à deux cent vingt heures par salarié.
Le premier alinéa ne s'applique pas aux salariés mentionnés à l'article L. 3121-56 qui ont conclu une convention de forfait en heures sur l'année.
La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transport du 21 décembre 1950 prévoit en son article 12 que le contingent d'heures supplémentaires est fixé annuellement à 195 heures pour le personnel roulant et à 130 heures pour les autres catégories de personnel.
En l'espèce, la société STVA comptait plus de vingt salariés.
Le salarié n'étant pas un personnel roulant, son contingent est de 130 heures.
Le salarié a réalisé en 2017, 2018 et 2019 plus de 130 heures supplémentaires chaque année de sorte qu'il pouvait prétendre à des repos compensateurs dont il a été privé. Il importe peu à cet égard qu'interrogé en octobre 2019, il n'ait réclamé aucune heure, étant ici rappelé qu'il n'a pas signé l'accord qui lui était soumis en décembre 2019 et qu'en tout état de cause, il résulte de l'article D. 3121-17 du code du travail que l'absence de demande de prise de la contrepartie obligatoire en repos par le salarié ne peut entraîner la perte de son droit au repos.
Compte tenu du volume d'heures supplémentaires retenu par la cour en 2017, 2018 et 2019, il convient de condamner l'employeur, par voie d'infirmation, à payer au salarié la somme de 81 357,45 euros nets à titre d'indemnité pour privation de contrepartie obligatoire en repos.
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Sur la demande de dommages-intérêts pour privation du repos hebdomadaire légal et conventionnel
Le salarié expose que l'employeur l'a régulièrement privé de son droit à un repos hebdomadaire complet de 35 heures consécutives en raison de sa charge de travail, lui ayant imposé de travailler quasiment tous les samedis et dimanches, et qu'il a également été privé des demi-journées de repos auxquelles il pouvait prétendre en application des dispositions conventionnelles en vigueur dans l'entreprise.
L'employeur objecte que la Cour de cassation a mis fin à sa jurisprudence sur le « préjudice nécessaire », et que le salarié ne fournit aucun élément permettant de caractériser le préjudice qu'il allègue.
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L'article L. 3132-1 du code du travail interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine.
L'article L. 3132-2 dispose que le repos hebdomadaire a une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives auxquelles s'ajoutent les heures consécutives de repos quotidien prévu au chapitre Ier.
Par conséquent, un salarié ne peut en principe pas travailler plus de six jours par semaine et doit bénéficier d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 24 heures consécutives, auxquelles s'ajoutent les 11 heures consécutives de repos quotidien, ce qui représente au total, au minimum 35 heures consécutives de repos hebdomadaire.
Par ailleurs, il n'est pas discuté que l'accord d'entreprise conclu le 14 juin 1999 instaure des demi-journées de repos, dites demi-journée RH, une semaine sur deux le vendredi après-midi.
L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.
En l'espèce, non seulement l'employeur ne rapporte pas la preuve qu'il a respecté les seuils et plafonds prévus par la loi relativement au repos hebdomadaire, mais en outre, le salarié en présentant à la cour des éléments précis, montre qu'il a travaillé à plusieurs reprises les samedis et dimanches de telle sorte qu'il a fréquemment été privé d'un repos minimum de 35 heures consécutives.
Par ailleurs, il ressort de ces éléments précis que le salarié n'a pas systématiquement bénéficié de sa demi-journée dite « demi-journée RH », même si, après les correctifs appliqués à ses prétentions, la cour a retenu qu'il avait omis de mentionner certaines d'entre elles qui, par conséquent, lui ont été accordées dans les faits.
Si, à juste titre, l'employeur expose que la Cour de cassation a mis fin à sa jurisprudence sur le « préjudice nécessaire », il n'en demeure pas moins que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation (Soc., 11 mai 2023, pourvois n°21-22.281 et 21-22.912).
La privation du repos hebdomadaire du salarié lui a nécessairement causé un préjudice caractérisé par les troubles occasionnés à sa vie personnelle.
Ce préjudice sera réparé par une indemnité de 2 000 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d'infirmation, l'employeur sera condamné.
Sur le complément d'indemnité de rupture
Le salarié expose que du fait du rappel d'heures supplémentaires auquel il peut prétendre, l'assiette de calcul de ses indemnités de rupture est mécaniquement erroné, de sorte qu'il doit bénéficier d'un rappel à ce titre.
L'employeur conclut au rejet de cette demande estimant que le salarié ne peut prétendre à un rappel d'heures supplémentaires. Il rappelle que le salarié a déjà perçu 242 452,47 euros nets au titre de ses indemnités de rupture.
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A juste titre, le salarié expose que l'assiette de calcul des indemnités de rupture accordées au salarié doit être modifiée pour tenir compte du rappel d'heures supplémentaires qui lui a été accordé.
Lesdites indemnités de rupture ont été calculées sur la base d'une rémunération annuelle de 158 918,84 euros. Au regard du rappel de salaire alloué au titre des heures supplémentaires, ce montant doit être augmenté de la somme de 45 756,53 euros, outre celle de 4 575,65 euros au titre des congés payés afférents.
Il en résulte que la rémunération du salarié doit être arrêtée à la somme de 17 437,58 euros bruts mensuels (soit (158 918,84 + 45 756,53 + 4 575,65) / 12).
Les dispositions conventionnelles (article 17 de la convention collective) prévoient que le salarié bénéficie d'une indemnité de « congédiement » correspondant à 4/10ème de mois par année de présence dans la catégorie ingénieurs et cadres.
Il n'est pas discuté que le salarié justifie d'une ancienneté de 37 ans, 6 mois et 23 jours soit 37,56 ans.
Le salarié pouvait en conséquence prétendre à une indemnité de licenciement de 261 982,20 euros (soit ((17 437,58 x 4) / 10) x 37,56). Or, il n'a perçu à ce titre que la somme de 197 181 euros. Il lui reste donc dû la somme de 64 801,20 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d'infirmation, l'employeur sera condamné.
En ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis, l'article L. 1234-5 du code du travail dispose en son alinéa 2 : « L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. »
Le salaire à prendre en compte englobe tous les éléments de la rémunération auxquels aurait pu prétendre le salarié s'il avait exécuté normalement son préavis à l'exclusion des primes et indemnités représentant des remboursement de frais réellement engagés.
Dès lors, l'assiette de calcul de l'indemnité compensatrice de préavis du salarié doit tenir compte des heures supplémentaires qu'il a effectuées. Par conséquent, c'est sur la base d'une rémunération mensuelle de 17 437,58 euros que doit être déterminée son indemnité.
Il n'est pas discuté que le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant à trois mois de salaire soit 52 312,74 euros. Il n'a toutefois perçu à titre d'indemnité compensatrice de préavis que la somme de 27 177 euros. Il lui reste donc dû la somme de 25 135,74 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d'infirmation, l'employeur sera condamné.
Sur l'indemnité pour travail dissimulé
Le salarié affirme que le travail dissimulé est caractérisé dès lors que ses bulletins de paie ne mentionnent aucune heure supplémentaire et que l'employeur savait qu'il en réalisait et que l'attention de la direction avait spécialement été attirée sur la question des heures supplémentaires dès 2017.
L'employeur fait observer que le salarié n'a pas déclaré d'heures supplémentaires. Il rappelle que dans son courriel du 8 octobre 2019, M. [R] lui demandait s'il avait effectué des heures supplémentaires, ce qui montre que l'employeur en ignorait l'existence. Il ajoute que sur la base des données transmises par le salarié lui-même, ce dernier ne faisait état d'aucune heure supplémentaire et fait observer que le salarié n'a jamais formulé la moindre alerte durant l'exécution de son contrat de travail puis qu'il a attendu de quitter la société pour solliciter, pour la première fois, des « montants astronomiques ».
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L'article L. 8221-5 du code du travail dispose qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L'article L. 8223-1 dispose qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l'espèce, l'importance et la pérennité de l'écart existant entre les heures effectivement réalisées par le salarié et celles figurant sur les bulletins de salaire ' lesquels ne rétribuent le salarié pour aucune heure supplémentaire ' suffisent à établir l'élément intentionnel, ce d'autant que le salarié n'était soumis à aucun forfait relatif à son temps de travail et donc, que l'employeur ne pouvait ignorer que sa situation du salarié était régie par le droit commun.
Certes, l'employeur fait observer que M. [R] a invité le salarié à lui indiquer s'il avait réalisé des heures supplémentaires, ce qui, selon lui, montre l'absence d'élément intentionnel.
Néanmoins, il doit être rappelé que l'employeur est tenu d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées par le salarié.
Or, comme rappelé ci-dessus, le salarié a réalisé un volume très important d'heures supplémentaires. En particulier, la cour relève que dans la liasse de courriels produits par le salarié (pièce 13ter), nombreux sont ceux qui sont adressés à M. [R] par le salarié ou inversement un samedi ou un dimanche entre 2017 et 2019. Quelques-uns sont aussi adressés à ou par M. [B] en 2017. Par conséquent, ni M. [R], supérieur hiérarchique du salarié, ni M. [B], membre du directoire et directeur des opérations et donc également supérieur hiérarchique du salarié, n'ignoraient que ce dernier réalisait un temps de travail hebdomadaire supérieur à 35 heures.
C'est par conséquent de façon intentionnelle que l'employeur s'est soustrait à ses obligations déclaratives, en mentionnant sur les bulletins de paie du salarié un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Il convient dès lors, par voie d'infirmation, de condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité forfaitaire de 104 625,48 euros (17 437,58 x 6).
Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol.
En l'espèce, en s'opposant aux demandes du salarié, l'employeur n'a pas fait acte de malice, de mauvaise foi ni commis une erreur grave équivalente au dol.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il déboute le salarié de ce chef de demande.
Sur la remise des documents
Il conviendra de donner injonction à l'employeur de remettre au salarié une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
Il conviendra de condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu'il écarte des débats la pièce n°8 produite par M. [G] et le déboute de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société CAT France à payer à M. [G] les sommes suivantes :
. 132 945,26 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées de janvier 2017 à décembre 2019, outre 13 294,52 euros au titre des congés payés afférents,
. 81 357,45 euros nets à titre d'indemnité pour privation de la contrepartie obligatoire en repos,
. 2 000 euros de dommages-intérêts pour privation du repos hebdomadaire légal et conventionnel,
. 64 801,20 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement,
. 25 135,74 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis, outre 2 513,57 euros au titre des congés payés afférents,
. 104 625,48 euros d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
DONNE injonction à la société CAT France de remettre à M. [G] une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,
REJETTE la demande d'astreinte.
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société CAT France à payer à M. [G] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société CAT France aux dépens de la procédure d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente