Décisions
CA Caen, 1re ch. civ.-expro, 29 octobre 2024, n° 22/01638
CAEN
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE CAEN
CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS
MINUTE N°
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29 Octobre 2024
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DOSSIER N° N° RG 22/01638 - N° Portalis DBVC-V-B7G-HAMX
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Société Anonyme RESEAU DE TRANSPORTD'ELECTRICITE (RTE) prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
C/
[J] [L]
[M] [D]
G.A.E.C. DES RUETTES
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ARRET DU
vingt neuf Octobre deux mille vingt quatre
APPELANTE
Société Anonyme RESEAU DE TRANSPORTD'ELECTRICITE (RTE) prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 6]
représentée par Me SCANVIC, avocat au barreau de PARIS,
INTIMÉS
Monsieur [J] [L]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représenté par Me LAFORGUE, avocat au barreau de PARIS
Monsieur [M] [D]
[Adresse 8]
[Localité 4]
représenté par Me LAFORGUE, avocat au barreau de PARIS
G.A.E.C. DES RUETTES, ANCIENNEMENT GAEC DU BOURG GAUTIER, ANCIENNEMENT EARL LES TONNELIERS
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me LAFORGUE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur G. GUIGUESSON Président de la Chambre déléguée par ordonnance du Premier président près la Cour d'appel de Caen Madame G. VELMANS, Conseillère
Madame M-C. DELAUBIER, Conseillère,
GREFFIER lors des débats :
Madame M. COLLET
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 Juin 2024, au cours de laquelle l'affaire a été débattue
ARRET :
rendu publiquement le vingt neuf Octobre deux mille vingt quatre, après prorogation du délibéré initialement fixé au 15 octobre 2024, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées préalablement dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, et signé par Monsieur G. GUIGUESSON, Président, et Madame COLLET, Greffière à laquelle la minute a été remise.
* *
* EXPOSE DU LITIGE
M. [J] [L] pratique l'élevage laitier depuis de nombreuses années. Il a procédé à l'aménagement d'une stabulation en 1990 et l'atelier vache est situé à 40 mètres d'un transformateur d'une ligne HTA et 250 m d'une ligne 400 kV Launay-Menuel.
Ayant constaté des troubles du comportement et une explosion des mammites chez ses vaches avec baisse de la production laitière, dont l'origine infectieuse, alimentaire ou zootechnique n'a pu être confirmée, il a fait intervenir en 2005 un géobiologue qui a constaté la présence de courant de quelques milliampères dans la terre et dans les tubulures de la salle de traite.
Ni le changement d'éclairage, ni la réalisation de liaisons équiponentielles, ni les travaux entrepris à la suite des investigations du Groupe Permanent de Sécurité Electrique dans le cadre d'une expertise technique, n'ont amélioré la situation.
L'arrêt sous tension de la ligne HT entre le 2 et le 29 août 2012 pour permettre l'achèvement de la construction de la ligne, a permis de constater une amélioration nette du comportement du cheptel et une diminution des mammites.
M. [L] a décidé par la suite de délocaliser son exploitation à compter du 1er avril 2014. Il s'en est suivi un retour à la normale en termes de taux cellulaires dans le lait.
M. [L] s'est ensuite associé avec son frère, M. [M] [D], modifiant la dénomination sociale de l'EARL Les Tonnelières en celle du Gaec du Bourg Gautier.
N'ayant pu obtenir amiablement l'indemnisation de ses préjudices par la société Réseau de Transport d'Electricité (la société RTE) ce, malgré une mise en demeure en date du 23 juillet 2020, MM. [L] et [D], et le Gaec du Bourg Gautier, l'ont assignée suivant acte d'huissier du 21 septembre 2020 devant le tribunal judiciaire de Coutances.
Par arrêt du 29 mars 2022, la cour de céans a déclaré le juge de l'expropriation de ce tribunal compétent pour statuer sur leurs demandes.
Par jugement du 2 juin 2022, le juge de l'expropriation a :
- rejeté les exceptions soulevées par la société RTE ;
- déclaré le Gaec du Bourg Gautier, M. [J] [L] et M. [M] [D] recevables en leur action ;
- condamné la société RTE à payer au Gaec du Bourg Gautier la somme de 458.337 euros au titre du préjudice d'exploitation ;
- débouté le Gaec du Bourg Gautier de ses demandes au titre des pertes économiques dues aux mammites ;
- débouté M. [J] [L] de ses demandes au titre du travail supplémentaire et du préjudice moral ;
- rejeté toutes autres demandes ;
- condamné la société RTE aux dépens avec bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Dumaine.
Par déclaration du 28 juin 2022, la société RTE a formé appel de la décision.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 21 mars 2023, elle sollicitait :
- l'annulation du jugement pour violation du principe du contradictoire en cela que le jugement relève d'office, sans que les parties aient pu échanger préalablement, que le régime de prescription applicable relève de l'article 2227 du code civil et non de l'article 2224 de ce code comme discuté entre les parties ;
- à défaut, l'annulation du jugement en cela qu'il a par erreur de droit retenu l'applicabilité en l'espèce de l'article 2227 du code civil et non celle de l'article 2224 du même code, et, de ce fait, rejeté l'exception de prescription opposée par l'appelante aux demandes des intimés ;
- à défaut encore, l'annulation totale du jugement si la cour devait le juger indivisible, sinon sa réformation en ce qu'il a déclaré les intimés recevables en leur action et reconnu la responsabilité de l'appelante dans les dommages invoqués par les intimés, l'a condamnée au paiement de 458.337 euros au titre du préjudice d'exploitation invoqué par eux et au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
En tout état de cause,
- le rejet des demandes adverses ;
- la condamnation solidaire des intimés au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions en date du 29 décembre 2022, le commissaire du gouvernement demandait à la cour de :
- dire que l'action des demandeurs n'est pas prescrite ;
- nommer un expert pour statuer sur le bien-fondé des demandes en réparation des requérants et le montant éventuel des indemnités.
Aux termes de leurs conclusions en date du 6 janvier 2023, MM. [L] et [D], et le Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier concluaient :
- A titre principal à la confirmation du jugement ;
- subsidiairement si devait être retenue l'application de l'article 2224 du code civil, à la recevabilité de leur action ;
- au rejet des demandes de la société RTE au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- à la condamnation de la société RTE à payer à chacun d'entre eux, la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par arrêt du 17 octobre 2023, la présente cour a :
Confirmé le jugement du juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Coutances du 2 juin 2022 en ce qu'il a déclaré le Gaec des Ruettes anciennement du Bourg Gautier, MM. [J] [L] et [M] [D] recevables en leur action ;
Y ajoutant,
Déclaré le Gaec des Ruettes anciennement du Bourg Gautier, MM. [J] [L] et [M] [D] bien-fondés en leur demande d'indemnisation ;
Sursis à statuer sur les autres demandes ;
Ordonné la réouverture des débats et enjoint au Gaec des Ruettes anciennement du Bourg Gautier, MM. [J] [L] et [M] [D] de communiquer toutes pièces comptables mentionnant le montant spécifique des pertes d'exploitation au titre de la perte de lait pour les années concernées, à l'exclusion des pertes économiques dues aux mammites ;
Renvoyé l'affaire à la mise en état du 31 janvier 2024 pour conclusions des parties après production desdites pièces et fixation.
Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi formé par la société RTE le 18 décembre 2023.
Par conclusions reçues le 30 janvier 2024, MM. [L] et [D], et le Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier concluent à :
- la confirmation du jugement en ce qu'il a :
* condamné la société RTE à payer au Gaec du Bourg Gautier la somme de 458.337 euros au titre du préjudice d'exploitation ;
* condamné la société RTE à payer au Gaec du Bourg Gautier la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés directement au profit de Me Dumaine, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
- au rejet des demandes de la société RTE au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- à la condamnation de la société RTE à payer à chacun d'entre eux, la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La société RTE a adressé son mémoire le 30 mai 2024. Elle demande à la cour de :
- rejeter les demandes de MM. [J] [L] et [M] [D], et du Gaec du Bourg Gautier aux droits duquel vient le Gaec des Ruettes ;
- condamner MM. [J] [L], [M] [D] et le Gaec des Ruettes venant aux droits du Gaec du Bourg Gautier solidairement à lui verser la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de nouveau mémoire.
Les parties ont entendu que la cour statue sur les demandes ayant fait l'objet d'un sursis à statuer lors de l'audience du 12 juin 2024 à laquelle elles ont été convoquées.
MOTIFS
En suite de l'arrêt rendu le 17 octobre 2023, la présente cour doit statuer sur le montant de l'indemnisation à allouer aux intimés ainsi que sur les demandes accessoires relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
- Sur le montant de l'indemnisation :
La cour a déclaré le Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier, MM. [J] [L] et [M] [D] bien-fondés à obtenir réparation de leur préjudice.
Il a été rappelé que :
- le premier juge avait indemnisé les seules pertes d'exploitation pour un montant total de 458.337 euros et débouté les intimés de leurs autres demandes, notamment au titre des pertes économiques dues aux mammites ;
- les intimés sollicitaient la confirmation du jugement et ne formaient pas d'appel incident au titre des autres demandes indemnitaires rejetées ;
- la société RTE contestait le chiffrage retenu par le premier juge ;
- le commissaire du gouvernement sollicitait la désignation d'un expert pour évaluer le montant éventuel des indemnités.
La cour a estimé qu'il n'y avait pas lieu de recourir à une expertise pour évaluer les pertes d'exploitation mais qu'il était néanmoins nécessaire de disposer de pièces comptables ou à tout le moins d'une évaluation détaillée réalisée par un expert comptable, pour déterminer les pertes d'exploitation relatives aux pertes de lait, le préjudice lié aux mammites ayant été rejeté par le premier juge sans que les intimés n'aient formé d'appel incident sur ce point, relevant que les documents produits par les intimés ne permettaient pas en effet, d'opérer cette distinction.
Après réouverture des débats, le Gaec des Ruettes, MM. [J] [L] et [M] [D] font valoir qu'en réalité les pertes d'exploitation et les pertes économiques liées aux mammites correspondent exactement au même préjudice économique, raison pour laquelle ils ont été déboutés par le tribunal de leur demande d'indemnisation distincte formée au titre des pertes économiques dues aux mammites en sus de leur demandes formées au titre des pertes d'exploitation, et considérée à juste titre par le premier juge, comme une double demande d'indemnisation d'un même préjudice.
A titre confirmatif, ils se rapportent à la motivation du tribunal ayant retenu le chiffrage du document établi par la chambre de l'agriculture de la Manche pour la période de 1992 à 2008, ayant lui-même servi de base aux calculs effectués par Manche Conseil Elevage pour les années ultérieures (2009 à 2011) afin d'établir le montant total des pertes d'exploitation à 458.337 euros.
Ils rappellent que la sur-incidence de mammites génère majoritairement trois types de pertes économiques, une perte de lait produit, une perte de qualité de lait produit influant directement sur son prix de revente, et enfin un surcoût d'intervention vétérinaire ; que le calcul des pertes d'exploitation réalisé par la chambre d'agriculture - validé dans son principe par RTE en ce que les pertes des années 2007 et 2008 ont déjà été indemnisées par l'entreprise - intègrent précisément ces trois formes de pertes, raison pour laquelle, ayant pris conscience de leur erreur d'interprétation, ils n'ont pas sollicité l'infirmation du jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande 'redondante' d'indemnisation du préjudice économique des mammites.
Ils ajoutent que le cabinet d'expert-comptable Cerfrance n'a pas été en mesure de distinguer entre pertes d'exploitation et préjudice économique liés aux mammites comme demandé par la cour. Ils précisent néanmoins que celui-ci a mené une étude des liasses comptables pour chercher à certifier le quantum des pertes retenues par la chambre de l'agriculture de la Manche par le passé, ce qui l'a conduit à constater que
cette dernière avait légèrement sous-évalué les frais vétérinaires et le prix du lait sur les années en cause.
En l'absence d'appel incident, ils entendent maintenir leur demande de confirmation du jugement quant au montant alloué ce, malgré la mise en exergue de cette différence en leur faveur.
La société RTE réplique que intimés n'ont produit aucune pièce comptable, ni 'l'évaluation détaillée réalisée par un expert-comptable pour déterminer les pertes d'exploitations relatives aux pertes de lait' sollicitée par la cour. Elle ajoute que le seul document versé, supposé conforter celui de la chambre d'agriculture, met en évidence des écarts entre les chiffres de cette dernière et ceux qui résultent de la comptabilité du cabinet Cerfrance sans que celui-ci ne puisse justifier ces écarts.
Elle précise que les calculs réalisés par la chambre d'agriculture ne sont pas probants en ce qu'ils reposent sur les données chiffrées fournies par les intimés (ainsi s'agissant du prix du lait payé), lesquels ne sont pas étayés, que le prix de référence retenu est le fruit d'une moyenne sur le département, et que le préjudice pour les années 2009 à 2011 a été déterminé par extrapolation.
Elle estime dès lors que le rejet de la demande des intimés s'impose en l'absence d'éléments suffisamment probants pour déterminer le montant réclamé.
Sur ce,
Par application de l'article L 323-7 du code de l'énergie, lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L 323-4 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants-droit.
L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le juge judiciaire.
En premier lieu, il convient de rappeler que le premier juge a alloué aux intimés une somme de 458.337 euros au titre de la perte d'exploitation en se référant :
- au document établi par la chambre d'agriculture de la Manche, basé sur l'estimation de la perte de recettes lié au comptage cellulaire du lait, à la fréquence de mammites cliniques et aux charges supplémentaires correspondant au surcoût de frais vétérinaires et au temps consacré aux animaux, le dit document répertoriant les pertes de 1992 à 2008, tenant compte des données incomplètes quant au nombre de mammites survenues en 1996, 1997 et 1998 ;
- au tableau de calcul des pertes de production laitières effectué par Manche Conseil Elevage pour les années ultérieures (2008 à 2011) sur la base du document de la chambre d'agriculture précité ;
- au courrier du 30 juin 2011 par lequel la société RTE indiquait à M. [L] et l'Earl les Tonnelières être disposée à prendre en charge les pertes d'exploitation des années 2007 et 2008 pour un montant de 74 789 euros 'sur la base du bilan réalisé par la chambre d'agriculture de la Manche'.
Le juge de l'expropriation a ensuite relevé que les mêmes chiffres du document de la chambre d'agriculture ne pouvaient donner lieu à deux indemnisations différentes, rejetant ainsi notamment la demande distincte d'indemnisation au titre des pertes économiques dues aux mammites formée pour un montant de 400.400 euros.
Reprenant le chiffrage de ce même document, elle a fixé la perte d'exploitation comme suit :
- de 1992 à 2006 inclus : 369.955 euros ;
- pour les années 2007 et 2008 : 74.789 euros (déjà pris en charge par RTE) ;
- de 2009 à 2011 : 88.382 euros.
Soit un montant total de 458.337 euros.
Les intimés précisent solliciter la confirmation du jugement en ce que les pertes d'exploitation à indemniser ont été constituées, de fait, par la sur-incidence de mammites générant trois types de pertes économiques à savoir une perte de quantité de lait produit, une perte de qualité de lait produit influant directement sur le prix de revente et enfin le surcoût d'intervention vétérinaire. Ces derniers éléments informatifs d'ordre général relatifs aux différents types de pertes économiques résultant des mammites cliniques sont documentés par les intimés et du reste non critiqués par la société RTE.
Il en résulte que la demande d'indemnisation des pertes économiques dues aux mammites a été rejetée par le premier juge, non en raison de l'absence de toute perte économique résultant des mammites, mais uniquement en ce que ces pertes avaient déjà été indemnisées au titre des pertes d'exploitation.
Il doit être ainsi entendu que les pertes d'exploitation, à savoir le préjudice économique lié aux pertes subies par l'éleveur ou aux gains manqués, se confondent avec les pertes économiques résultant des mammites.
En conséquence, la question à laquelle doit répondre la cour n'est pas de déterminer les pertes d'exploitation indépendantes des pertes économiques dues aux mammites mais d'évaluer le préjudice subi résultant de ces pertes, reconnu par la cour en son principe, ce, sur la base des éléments communiqués par les intimés dont la société RTE conteste le caractère probant.
A cette fin, la cour dispose des mêmes éléments que ceux produits en première instance, et, nouvellement, d'un document du cabinet d'expert-comptable Cerfrance intitulé 'Etude et comparaison des documents comptables et des documents réalisés par la chambre d'agriculture' réalisé à la demande des intimés en suite de la réouverture des débats ordonnée.
Liminairement, il convient de rappeler que dans son document 'Evaluation des pertes sur l'exploitation laitière de 'Earl des Tonnelières' (pièce 29 des intimés), la chambre de l'agriculture a rappelé la méthodologie utilisée aux fins d'évaluer le préjudice subi, évaluation basée sur 'l'estimation de la perte de recettes liée au comptage cellulaire du lait et la fréquence des mammites cliniques, les charges supplémentaires correspondant au surcoût des frais vétérinaires et au temps consacré au soin des animaux'.
Les pertes économiques ainsi déterminées et évaluées se rapportent au préjudice résultant de :
- la perte de production (ou de non livraison) du lait,
- la perte de qualité du lait,
- les frais vétérinaires et temps supplémentaires consacrés aux soins des animaux.
La chambre d'agriculture explique les modalités de calcul pour évaluer la perte due au lait non livré ou non produit d'une vache atteinte de mammite (lait éliminé pendant 6 jours) en se référant à la production moyenne annuelle par vache (7500 litres) correspondant aux données enregistrées dans l'élevage, estimant la perte journalière à 25 litres /jour. Rappelant que le taux de mammites acceptable concerne 20% des vaches, elle en déduit la quantité de lait perdue annuellement (soit : 25 l x 6 jours x nombre de mammites cliniques constatées par an -nombre de vaches x 20%).
Après avoir indiqué qu'une vache laitière ayant un taux cellulaire dans le lait élevé et / ou étant atteinte de mammites cliniques subit une baisse de production laitière de l'ordre de 20%, elle indique la formule de calcul retenue en considérant qu'en moyenne, le fait générateur se situe en milieu de lactation et concerne 2/3 des animaux (soit : nombre moyen annuel de vaches x 2/3 x (7500 l:2) x 20%).
Enfin, la chambre d'agriculture a précisé que le prix du lait de référence est issu des comptes départementaux de l'agriculture, s'agissant du prix moyen payé aux producteurs qui intègre les variations selon la qualité.
S'agissant des frais vétérinaires liés à l'état sanitaire des vaches laitières, elle indique que le montant provient des documents comptables de l'Earl estimé en déduisant les frais vétérinaires 'normaux' d'une exploitation laitière de ce type.
Le tableau dressé reprend les résultats obtenus à partir des différents items expliqués.
En premier lieu, la cour relève que la société RTE qui a pris en charge l'indemnisation du préjudice subi par les intimés pour les années 2007 et 2008 sur les bases de ce document n'a pas contesté en son temps la méthodologie ainsi employée.
Les données objectives utilisées et modalités de calcul retenues ne sont pas critiquées expressément, s'agissant en particulier de l'évaluation des pertes de lait (telles que la perte due au lait non livré ou non produit d'une vache atteinte de mammite durant 6 jours, la baisse de production laitière de 20%...).
De surcroît, il est manifeste que le 'prix lait comptes départementaux', prix du lait moyen payé aux producteurs du département intégrant les variations selon la qualité est une référence objective pour évaluer le préjudice subi en raison de la perte de lait ou de sa perte de qualité et il n'est pas allégué d'erreurs commises dans la reprise des prix du lait issu des comptes départementaux sur le tableau ainsi élaboré.
S'agissant des données remises par l'éleveur à la chambre d'agriculture, il n'apparaît pas que le nombre moyen annuel de vaches de la structure agricole concernée repris au tableau soit critiqué, ni que la société RTE remette en cause le nombre de mammites répertoriées ce, alors que les taux cellulaires moyens ont fait l'objet d'un suivi 'qualité de lait' dans le cadre du protocole relatif à la mise en oeuvre du suivi vétérinaire et zoothechnique signé le 4 février 2008 et qu'en outre, la chambre d'agriculture a tenu compte de l'absence de telles données qui n'avaient pu lui être transmises pour les années 1997 à 1998.
S'agissant des autres données communiquées par l'éleveur, le dernier document établi par le cabinet d'expert-comptable Cerfrance sur la base des dossiers comptables, révèle une surcharge de frais vétérinaires liée aux mammites supérieure à celle constatée par la chambre d'agriculture de sorte que cet élément constitutif du préjudice dont il est sollicité l'indemnisation ne saurait être remis en cause.
Enfin, s'agissant du prix du lait moyen payé à la structure agricole, il doit être relevé que le même document Cerfrance établit la réalité d'écarts entre les données issues de la comptabilité et le tableau réalisé par la chambre d'agriculture sans que l'expert-comptable ne puisse les justifier.
Ce constat est de nature à remettre en cause uniquement les moins values 'super A' (en cas de perte de qualité de lait impactant le prix moyen du lait payé) déterminées à partir de ces données mais non les pertes de lait (non produit ou non livré) calculées au prix du lait moyen départemental.
Au vu de ces constatations, il y a ainsi lieu de relever l'absence de préjudice au titre de la perte de qualité de lait concernant les années 1992 (-2161,40 euros), 1995 (-4140,19 euros), 1999 (-172,56 euros) et 2003 (-969,97 euros), années pour lesquelles le prix moyen du lait payé tel que relevé par l'expert comptable est supérieur au prix moyen départemental, ainsi pour exemple : année 1992, le prix moyen du lait payé est repris dans le tableau de la chambre d'agriculture pour un montant de 295,75 euros au lieu de 314,48 euros tel que relevé par Cerfrance alors que le prix moyen départemental est de 311euros.
Il sera rappelé par ailleurs l'absence d'un tel préjudice relevé sur le tableau de la chambre d'agriculture pour les années 2000 et 2002 et que les années 2007 et 2008 déjà indemnisées par la société RTE, n'ont pas à être prises en compte.
Pour les autres années, il y a lieu de prendre en considération les écarts relevés par l'expert-comptable quant au prix du lait payé tel qu'issu des éléments comptables ainsi mis en exergue et les valeurs reprises sur le tableau de la chambre d'agriculture, et de recalculer le préjudice résultant de la perte de qualité de lait pour chaque année concernée, soit pour exemple pour l'année 1993 (729,11 euros au lieu de 2161,40 euros), étant observé que pour certaines années comme 2009, le prix 'tableau' (280,21 euros) est inférieur au prix 'comptable' (272 euros), de sorte que le préjudice à évaluer est plus important que celui retenu par la chambre d'agriculture ce, en faveur des intimés.
L'ensemble de ces éléments conduit en définitive la cour à retenir un préjudice total au titre de la perte de qualité de lait de 36.087,92 euros au lieu de 50.007,36 euros pour les années 1992 à 2011 à l'exclusion des années 2007 et 2008, soit une différence de 13.919,44 euros en défaveur des intimés.
Il reste à préciser que les calculs opérés pour les années 2009 à 2011 ont été réalisés sur les mêmes bases que ceux de la chambre d'agriculture de sorte qu'il n'y a pas motif à les remettre en cause sous réserve des corrections ci-dessus apportées.
Du tout, la cour considère que les intimés justifient d'un préjudice au titre des pertes économiques d'un montant total de 444.417,56 euros (soit 458.337 euros - 13.919,44 euros).
En conséquence, le jugement sera ainsi infirmé uniquement s'agissant du montant de la somme allouée au titre des pertes d'exploitations et la société RTE condamnée à payer au Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier la somme de 444.417,56 euros.
- Sur les demandes accessoires :
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est justifié de faire droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel par le Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier et de condamner la société RTE à lui payer la somme de 2000 euros, les demandes présentées à ce titre par les autres intimés étant rejetées.
La société RTE, partie perdante, doit être déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Dans les limites de l'appel et après réouverture des débats ordonnée par arrêt du 17 octobre 2023 :
Infirme le jugement du juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Coutances du 2 juin 2022 en ce qu'il a condamné la société RTE à payer au Gaec du Bourg Gautier (devenu Gaec des Ruettes) la somme de 458.337 euros au titre du préjudice d'exploitation ;
Le confirme pour le surplus des dispositions dont la cour restait saisie ;
Statuant à nouveau du seul chef infirmé et y ajoutant,
Condamne la société RTE à payer au Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier la somme de 444.417,56 euros au titre du préjudice d'exploitation ;
Condamne la société RTE à payer au Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Rejette les autres demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société RTE aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON
CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS
MINUTE N°
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29 Octobre 2024
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DOSSIER N° N° RG 22/01638 - N° Portalis DBVC-V-B7G-HAMX
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Société Anonyme RESEAU DE TRANSPORTD'ELECTRICITE (RTE) prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
C/
[J] [L]
[M] [D]
G.A.E.C. DES RUETTES
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ARRET DU
vingt neuf Octobre deux mille vingt quatre
APPELANTE
Société Anonyme RESEAU DE TRANSPORTD'ELECTRICITE (RTE) prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 6]
représentée par Me SCANVIC, avocat au barreau de PARIS,
INTIMÉS
Monsieur [J] [L]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représenté par Me LAFORGUE, avocat au barreau de PARIS
Monsieur [M] [D]
[Adresse 8]
[Localité 4]
représenté par Me LAFORGUE, avocat au barreau de PARIS
G.A.E.C. DES RUETTES, ANCIENNEMENT GAEC DU BOURG GAUTIER, ANCIENNEMENT EARL LES TONNELIERS
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me LAFORGUE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur G. GUIGUESSON Président de la Chambre déléguée par ordonnance du Premier président près la Cour d'appel de Caen Madame G. VELMANS, Conseillère
Madame M-C. DELAUBIER, Conseillère,
GREFFIER lors des débats :
Madame M. COLLET
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 Juin 2024, au cours de laquelle l'affaire a été débattue
ARRET :
rendu publiquement le vingt neuf Octobre deux mille vingt quatre, après prorogation du délibéré initialement fixé au 15 octobre 2024, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées préalablement dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, et signé par Monsieur G. GUIGUESSON, Président, et Madame COLLET, Greffière à laquelle la minute a été remise.
* *
* EXPOSE DU LITIGE
M. [J] [L] pratique l'élevage laitier depuis de nombreuses années. Il a procédé à l'aménagement d'une stabulation en 1990 et l'atelier vache est situé à 40 mètres d'un transformateur d'une ligne HTA et 250 m d'une ligne 400 kV Launay-Menuel.
Ayant constaté des troubles du comportement et une explosion des mammites chez ses vaches avec baisse de la production laitière, dont l'origine infectieuse, alimentaire ou zootechnique n'a pu être confirmée, il a fait intervenir en 2005 un géobiologue qui a constaté la présence de courant de quelques milliampères dans la terre et dans les tubulures de la salle de traite.
Ni le changement d'éclairage, ni la réalisation de liaisons équiponentielles, ni les travaux entrepris à la suite des investigations du Groupe Permanent de Sécurité Electrique dans le cadre d'une expertise technique, n'ont amélioré la situation.
L'arrêt sous tension de la ligne HT entre le 2 et le 29 août 2012 pour permettre l'achèvement de la construction de la ligne, a permis de constater une amélioration nette du comportement du cheptel et une diminution des mammites.
M. [L] a décidé par la suite de délocaliser son exploitation à compter du 1er avril 2014. Il s'en est suivi un retour à la normale en termes de taux cellulaires dans le lait.
M. [L] s'est ensuite associé avec son frère, M. [M] [D], modifiant la dénomination sociale de l'EARL Les Tonnelières en celle du Gaec du Bourg Gautier.
N'ayant pu obtenir amiablement l'indemnisation de ses préjudices par la société Réseau de Transport d'Electricité (la société RTE) ce, malgré une mise en demeure en date du 23 juillet 2020, MM. [L] et [D], et le Gaec du Bourg Gautier, l'ont assignée suivant acte d'huissier du 21 septembre 2020 devant le tribunal judiciaire de Coutances.
Par arrêt du 29 mars 2022, la cour de céans a déclaré le juge de l'expropriation de ce tribunal compétent pour statuer sur leurs demandes.
Par jugement du 2 juin 2022, le juge de l'expropriation a :
- rejeté les exceptions soulevées par la société RTE ;
- déclaré le Gaec du Bourg Gautier, M. [J] [L] et M. [M] [D] recevables en leur action ;
- condamné la société RTE à payer au Gaec du Bourg Gautier la somme de 458.337 euros au titre du préjudice d'exploitation ;
- débouté le Gaec du Bourg Gautier de ses demandes au titre des pertes économiques dues aux mammites ;
- débouté M. [J] [L] de ses demandes au titre du travail supplémentaire et du préjudice moral ;
- rejeté toutes autres demandes ;
- condamné la société RTE aux dépens avec bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Dumaine.
Par déclaration du 28 juin 2022, la société RTE a formé appel de la décision.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 21 mars 2023, elle sollicitait :
- l'annulation du jugement pour violation du principe du contradictoire en cela que le jugement relève d'office, sans que les parties aient pu échanger préalablement, que le régime de prescription applicable relève de l'article 2227 du code civil et non de l'article 2224 de ce code comme discuté entre les parties ;
- à défaut, l'annulation du jugement en cela qu'il a par erreur de droit retenu l'applicabilité en l'espèce de l'article 2227 du code civil et non celle de l'article 2224 du même code, et, de ce fait, rejeté l'exception de prescription opposée par l'appelante aux demandes des intimés ;
- à défaut encore, l'annulation totale du jugement si la cour devait le juger indivisible, sinon sa réformation en ce qu'il a déclaré les intimés recevables en leur action et reconnu la responsabilité de l'appelante dans les dommages invoqués par les intimés, l'a condamnée au paiement de 458.337 euros au titre du préjudice d'exploitation invoqué par eux et au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
En tout état de cause,
- le rejet des demandes adverses ;
- la condamnation solidaire des intimés au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions en date du 29 décembre 2022, le commissaire du gouvernement demandait à la cour de :
- dire que l'action des demandeurs n'est pas prescrite ;
- nommer un expert pour statuer sur le bien-fondé des demandes en réparation des requérants et le montant éventuel des indemnités.
Aux termes de leurs conclusions en date du 6 janvier 2023, MM. [L] et [D], et le Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier concluaient :
- A titre principal à la confirmation du jugement ;
- subsidiairement si devait être retenue l'application de l'article 2224 du code civil, à la recevabilité de leur action ;
- au rejet des demandes de la société RTE au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- à la condamnation de la société RTE à payer à chacun d'entre eux, la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par arrêt du 17 octobre 2023, la présente cour a :
Confirmé le jugement du juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Coutances du 2 juin 2022 en ce qu'il a déclaré le Gaec des Ruettes anciennement du Bourg Gautier, MM. [J] [L] et [M] [D] recevables en leur action ;
Y ajoutant,
Déclaré le Gaec des Ruettes anciennement du Bourg Gautier, MM. [J] [L] et [M] [D] bien-fondés en leur demande d'indemnisation ;
Sursis à statuer sur les autres demandes ;
Ordonné la réouverture des débats et enjoint au Gaec des Ruettes anciennement du Bourg Gautier, MM. [J] [L] et [M] [D] de communiquer toutes pièces comptables mentionnant le montant spécifique des pertes d'exploitation au titre de la perte de lait pour les années concernées, à l'exclusion des pertes économiques dues aux mammites ;
Renvoyé l'affaire à la mise en état du 31 janvier 2024 pour conclusions des parties après production desdites pièces et fixation.
Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi formé par la société RTE le 18 décembre 2023.
Par conclusions reçues le 30 janvier 2024, MM. [L] et [D], et le Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier concluent à :
- la confirmation du jugement en ce qu'il a :
* condamné la société RTE à payer au Gaec du Bourg Gautier la somme de 458.337 euros au titre du préjudice d'exploitation ;
* condamné la société RTE à payer au Gaec du Bourg Gautier la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés directement au profit de Me Dumaine, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
- au rejet des demandes de la société RTE au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- à la condamnation de la société RTE à payer à chacun d'entre eux, la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La société RTE a adressé son mémoire le 30 mai 2024. Elle demande à la cour de :
- rejeter les demandes de MM. [J] [L] et [M] [D], et du Gaec du Bourg Gautier aux droits duquel vient le Gaec des Ruettes ;
- condamner MM. [J] [L], [M] [D] et le Gaec des Ruettes venant aux droits du Gaec du Bourg Gautier solidairement à lui verser la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de nouveau mémoire.
Les parties ont entendu que la cour statue sur les demandes ayant fait l'objet d'un sursis à statuer lors de l'audience du 12 juin 2024 à laquelle elles ont été convoquées.
MOTIFS
En suite de l'arrêt rendu le 17 octobre 2023, la présente cour doit statuer sur le montant de l'indemnisation à allouer aux intimés ainsi que sur les demandes accessoires relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
- Sur le montant de l'indemnisation :
La cour a déclaré le Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier, MM. [J] [L] et [M] [D] bien-fondés à obtenir réparation de leur préjudice.
Il a été rappelé que :
- le premier juge avait indemnisé les seules pertes d'exploitation pour un montant total de 458.337 euros et débouté les intimés de leurs autres demandes, notamment au titre des pertes économiques dues aux mammites ;
- les intimés sollicitaient la confirmation du jugement et ne formaient pas d'appel incident au titre des autres demandes indemnitaires rejetées ;
- la société RTE contestait le chiffrage retenu par le premier juge ;
- le commissaire du gouvernement sollicitait la désignation d'un expert pour évaluer le montant éventuel des indemnités.
La cour a estimé qu'il n'y avait pas lieu de recourir à une expertise pour évaluer les pertes d'exploitation mais qu'il était néanmoins nécessaire de disposer de pièces comptables ou à tout le moins d'une évaluation détaillée réalisée par un expert comptable, pour déterminer les pertes d'exploitation relatives aux pertes de lait, le préjudice lié aux mammites ayant été rejeté par le premier juge sans que les intimés n'aient formé d'appel incident sur ce point, relevant que les documents produits par les intimés ne permettaient pas en effet, d'opérer cette distinction.
Après réouverture des débats, le Gaec des Ruettes, MM. [J] [L] et [M] [D] font valoir qu'en réalité les pertes d'exploitation et les pertes économiques liées aux mammites correspondent exactement au même préjudice économique, raison pour laquelle ils ont été déboutés par le tribunal de leur demande d'indemnisation distincte formée au titre des pertes économiques dues aux mammites en sus de leur demandes formées au titre des pertes d'exploitation, et considérée à juste titre par le premier juge, comme une double demande d'indemnisation d'un même préjudice.
A titre confirmatif, ils se rapportent à la motivation du tribunal ayant retenu le chiffrage du document établi par la chambre de l'agriculture de la Manche pour la période de 1992 à 2008, ayant lui-même servi de base aux calculs effectués par Manche Conseil Elevage pour les années ultérieures (2009 à 2011) afin d'établir le montant total des pertes d'exploitation à 458.337 euros.
Ils rappellent que la sur-incidence de mammites génère majoritairement trois types de pertes économiques, une perte de lait produit, une perte de qualité de lait produit influant directement sur son prix de revente, et enfin un surcoût d'intervention vétérinaire ; que le calcul des pertes d'exploitation réalisé par la chambre d'agriculture - validé dans son principe par RTE en ce que les pertes des années 2007 et 2008 ont déjà été indemnisées par l'entreprise - intègrent précisément ces trois formes de pertes, raison pour laquelle, ayant pris conscience de leur erreur d'interprétation, ils n'ont pas sollicité l'infirmation du jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande 'redondante' d'indemnisation du préjudice économique des mammites.
Ils ajoutent que le cabinet d'expert-comptable Cerfrance n'a pas été en mesure de distinguer entre pertes d'exploitation et préjudice économique liés aux mammites comme demandé par la cour. Ils précisent néanmoins que celui-ci a mené une étude des liasses comptables pour chercher à certifier le quantum des pertes retenues par la chambre de l'agriculture de la Manche par le passé, ce qui l'a conduit à constater que
cette dernière avait légèrement sous-évalué les frais vétérinaires et le prix du lait sur les années en cause.
En l'absence d'appel incident, ils entendent maintenir leur demande de confirmation du jugement quant au montant alloué ce, malgré la mise en exergue de cette différence en leur faveur.
La société RTE réplique que intimés n'ont produit aucune pièce comptable, ni 'l'évaluation détaillée réalisée par un expert-comptable pour déterminer les pertes d'exploitations relatives aux pertes de lait' sollicitée par la cour. Elle ajoute que le seul document versé, supposé conforter celui de la chambre d'agriculture, met en évidence des écarts entre les chiffres de cette dernière et ceux qui résultent de la comptabilité du cabinet Cerfrance sans que celui-ci ne puisse justifier ces écarts.
Elle précise que les calculs réalisés par la chambre d'agriculture ne sont pas probants en ce qu'ils reposent sur les données chiffrées fournies par les intimés (ainsi s'agissant du prix du lait payé), lesquels ne sont pas étayés, que le prix de référence retenu est le fruit d'une moyenne sur le département, et que le préjudice pour les années 2009 à 2011 a été déterminé par extrapolation.
Elle estime dès lors que le rejet de la demande des intimés s'impose en l'absence d'éléments suffisamment probants pour déterminer le montant réclamé.
Sur ce,
Par application de l'article L 323-7 du code de l'énergie, lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L 323-4 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants-droit.
L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le juge judiciaire.
En premier lieu, il convient de rappeler que le premier juge a alloué aux intimés une somme de 458.337 euros au titre de la perte d'exploitation en se référant :
- au document établi par la chambre d'agriculture de la Manche, basé sur l'estimation de la perte de recettes lié au comptage cellulaire du lait, à la fréquence de mammites cliniques et aux charges supplémentaires correspondant au surcoût de frais vétérinaires et au temps consacré aux animaux, le dit document répertoriant les pertes de 1992 à 2008, tenant compte des données incomplètes quant au nombre de mammites survenues en 1996, 1997 et 1998 ;
- au tableau de calcul des pertes de production laitières effectué par Manche Conseil Elevage pour les années ultérieures (2008 à 2011) sur la base du document de la chambre d'agriculture précité ;
- au courrier du 30 juin 2011 par lequel la société RTE indiquait à M. [L] et l'Earl les Tonnelières être disposée à prendre en charge les pertes d'exploitation des années 2007 et 2008 pour un montant de 74 789 euros 'sur la base du bilan réalisé par la chambre d'agriculture de la Manche'.
Le juge de l'expropriation a ensuite relevé que les mêmes chiffres du document de la chambre d'agriculture ne pouvaient donner lieu à deux indemnisations différentes, rejetant ainsi notamment la demande distincte d'indemnisation au titre des pertes économiques dues aux mammites formée pour un montant de 400.400 euros.
Reprenant le chiffrage de ce même document, elle a fixé la perte d'exploitation comme suit :
- de 1992 à 2006 inclus : 369.955 euros ;
- pour les années 2007 et 2008 : 74.789 euros (déjà pris en charge par RTE) ;
- de 2009 à 2011 : 88.382 euros.
Soit un montant total de 458.337 euros.
Les intimés précisent solliciter la confirmation du jugement en ce que les pertes d'exploitation à indemniser ont été constituées, de fait, par la sur-incidence de mammites générant trois types de pertes économiques à savoir une perte de quantité de lait produit, une perte de qualité de lait produit influant directement sur le prix de revente et enfin le surcoût d'intervention vétérinaire. Ces derniers éléments informatifs d'ordre général relatifs aux différents types de pertes économiques résultant des mammites cliniques sont documentés par les intimés et du reste non critiqués par la société RTE.
Il en résulte que la demande d'indemnisation des pertes économiques dues aux mammites a été rejetée par le premier juge, non en raison de l'absence de toute perte économique résultant des mammites, mais uniquement en ce que ces pertes avaient déjà été indemnisées au titre des pertes d'exploitation.
Il doit être ainsi entendu que les pertes d'exploitation, à savoir le préjudice économique lié aux pertes subies par l'éleveur ou aux gains manqués, se confondent avec les pertes économiques résultant des mammites.
En conséquence, la question à laquelle doit répondre la cour n'est pas de déterminer les pertes d'exploitation indépendantes des pertes économiques dues aux mammites mais d'évaluer le préjudice subi résultant de ces pertes, reconnu par la cour en son principe, ce, sur la base des éléments communiqués par les intimés dont la société RTE conteste le caractère probant.
A cette fin, la cour dispose des mêmes éléments que ceux produits en première instance, et, nouvellement, d'un document du cabinet d'expert-comptable Cerfrance intitulé 'Etude et comparaison des documents comptables et des documents réalisés par la chambre d'agriculture' réalisé à la demande des intimés en suite de la réouverture des débats ordonnée.
Liminairement, il convient de rappeler que dans son document 'Evaluation des pertes sur l'exploitation laitière de 'Earl des Tonnelières' (pièce 29 des intimés), la chambre de l'agriculture a rappelé la méthodologie utilisée aux fins d'évaluer le préjudice subi, évaluation basée sur 'l'estimation de la perte de recettes liée au comptage cellulaire du lait et la fréquence des mammites cliniques, les charges supplémentaires correspondant au surcoût des frais vétérinaires et au temps consacré au soin des animaux'.
Les pertes économiques ainsi déterminées et évaluées se rapportent au préjudice résultant de :
- la perte de production (ou de non livraison) du lait,
- la perte de qualité du lait,
- les frais vétérinaires et temps supplémentaires consacrés aux soins des animaux.
La chambre d'agriculture explique les modalités de calcul pour évaluer la perte due au lait non livré ou non produit d'une vache atteinte de mammite (lait éliminé pendant 6 jours) en se référant à la production moyenne annuelle par vache (7500 litres) correspondant aux données enregistrées dans l'élevage, estimant la perte journalière à 25 litres /jour. Rappelant que le taux de mammites acceptable concerne 20% des vaches, elle en déduit la quantité de lait perdue annuellement (soit : 25 l x 6 jours x nombre de mammites cliniques constatées par an -nombre de vaches x 20%).
Après avoir indiqué qu'une vache laitière ayant un taux cellulaire dans le lait élevé et / ou étant atteinte de mammites cliniques subit une baisse de production laitière de l'ordre de 20%, elle indique la formule de calcul retenue en considérant qu'en moyenne, le fait générateur se situe en milieu de lactation et concerne 2/3 des animaux (soit : nombre moyen annuel de vaches x 2/3 x (7500 l:2) x 20%).
Enfin, la chambre d'agriculture a précisé que le prix du lait de référence est issu des comptes départementaux de l'agriculture, s'agissant du prix moyen payé aux producteurs qui intègre les variations selon la qualité.
S'agissant des frais vétérinaires liés à l'état sanitaire des vaches laitières, elle indique que le montant provient des documents comptables de l'Earl estimé en déduisant les frais vétérinaires 'normaux' d'une exploitation laitière de ce type.
Le tableau dressé reprend les résultats obtenus à partir des différents items expliqués.
En premier lieu, la cour relève que la société RTE qui a pris en charge l'indemnisation du préjudice subi par les intimés pour les années 2007 et 2008 sur les bases de ce document n'a pas contesté en son temps la méthodologie ainsi employée.
Les données objectives utilisées et modalités de calcul retenues ne sont pas critiquées expressément, s'agissant en particulier de l'évaluation des pertes de lait (telles que la perte due au lait non livré ou non produit d'une vache atteinte de mammite durant 6 jours, la baisse de production laitière de 20%...).
De surcroît, il est manifeste que le 'prix lait comptes départementaux', prix du lait moyen payé aux producteurs du département intégrant les variations selon la qualité est une référence objective pour évaluer le préjudice subi en raison de la perte de lait ou de sa perte de qualité et il n'est pas allégué d'erreurs commises dans la reprise des prix du lait issu des comptes départementaux sur le tableau ainsi élaboré.
S'agissant des données remises par l'éleveur à la chambre d'agriculture, il n'apparaît pas que le nombre moyen annuel de vaches de la structure agricole concernée repris au tableau soit critiqué, ni que la société RTE remette en cause le nombre de mammites répertoriées ce, alors que les taux cellulaires moyens ont fait l'objet d'un suivi 'qualité de lait' dans le cadre du protocole relatif à la mise en oeuvre du suivi vétérinaire et zoothechnique signé le 4 février 2008 et qu'en outre, la chambre d'agriculture a tenu compte de l'absence de telles données qui n'avaient pu lui être transmises pour les années 1997 à 1998.
S'agissant des autres données communiquées par l'éleveur, le dernier document établi par le cabinet d'expert-comptable Cerfrance sur la base des dossiers comptables, révèle une surcharge de frais vétérinaires liée aux mammites supérieure à celle constatée par la chambre d'agriculture de sorte que cet élément constitutif du préjudice dont il est sollicité l'indemnisation ne saurait être remis en cause.
Enfin, s'agissant du prix du lait moyen payé à la structure agricole, il doit être relevé que le même document Cerfrance établit la réalité d'écarts entre les données issues de la comptabilité et le tableau réalisé par la chambre d'agriculture sans que l'expert-comptable ne puisse les justifier.
Ce constat est de nature à remettre en cause uniquement les moins values 'super A' (en cas de perte de qualité de lait impactant le prix moyen du lait payé) déterminées à partir de ces données mais non les pertes de lait (non produit ou non livré) calculées au prix du lait moyen départemental.
Au vu de ces constatations, il y a ainsi lieu de relever l'absence de préjudice au titre de la perte de qualité de lait concernant les années 1992 (-2161,40 euros), 1995 (-4140,19 euros), 1999 (-172,56 euros) et 2003 (-969,97 euros), années pour lesquelles le prix moyen du lait payé tel que relevé par l'expert comptable est supérieur au prix moyen départemental, ainsi pour exemple : année 1992, le prix moyen du lait payé est repris dans le tableau de la chambre d'agriculture pour un montant de 295,75 euros au lieu de 314,48 euros tel que relevé par Cerfrance alors que le prix moyen départemental est de 311euros.
Il sera rappelé par ailleurs l'absence d'un tel préjudice relevé sur le tableau de la chambre d'agriculture pour les années 2000 et 2002 et que les années 2007 et 2008 déjà indemnisées par la société RTE, n'ont pas à être prises en compte.
Pour les autres années, il y a lieu de prendre en considération les écarts relevés par l'expert-comptable quant au prix du lait payé tel qu'issu des éléments comptables ainsi mis en exergue et les valeurs reprises sur le tableau de la chambre d'agriculture, et de recalculer le préjudice résultant de la perte de qualité de lait pour chaque année concernée, soit pour exemple pour l'année 1993 (729,11 euros au lieu de 2161,40 euros), étant observé que pour certaines années comme 2009, le prix 'tableau' (280,21 euros) est inférieur au prix 'comptable' (272 euros), de sorte que le préjudice à évaluer est plus important que celui retenu par la chambre d'agriculture ce, en faveur des intimés.
L'ensemble de ces éléments conduit en définitive la cour à retenir un préjudice total au titre de la perte de qualité de lait de 36.087,92 euros au lieu de 50.007,36 euros pour les années 1992 à 2011 à l'exclusion des années 2007 et 2008, soit une différence de 13.919,44 euros en défaveur des intimés.
Il reste à préciser que les calculs opérés pour les années 2009 à 2011 ont été réalisés sur les mêmes bases que ceux de la chambre d'agriculture de sorte qu'il n'y a pas motif à les remettre en cause sous réserve des corrections ci-dessus apportées.
Du tout, la cour considère que les intimés justifient d'un préjudice au titre des pertes économiques d'un montant total de 444.417,56 euros (soit 458.337 euros - 13.919,44 euros).
En conséquence, le jugement sera ainsi infirmé uniquement s'agissant du montant de la somme allouée au titre des pertes d'exploitations et la société RTE condamnée à payer au Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier la somme de 444.417,56 euros.
- Sur les demandes accessoires :
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est justifié de faire droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel par le Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier et de condamner la société RTE à lui payer la somme de 2000 euros, les demandes présentées à ce titre par les autres intimés étant rejetées.
La société RTE, partie perdante, doit être déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Dans les limites de l'appel et après réouverture des débats ordonnée par arrêt du 17 octobre 2023 :
Infirme le jugement du juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Coutances du 2 juin 2022 en ce qu'il a condamné la société RTE à payer au Gaec du Bourg Gautier (devenu Gaec des Ruettes) la somme de 458.337 euros au titre du préjudice d'exploitation ;
Le confirme pour le surplus des dispositions dont la cour restait saisie ;
Statuant à nouveau du seul chef infirmé et y ajoutant,
Condamne la société RTE à payer au Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier la somme de 444.417,56 euros au titre du préjudice d'exploitation ;
Condamne la société RTE à payer au Gaec des Ruettes anciennement Gaec du Bourg Gautier la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Rejette les autres demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société RTE aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON