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Décisions

CA Colmar, ch. 2 a, 11 octobre 2024, n° 22/01908

COLMAR

Arrêt

Autre

CA Colmar n° 22/01908

11 octobre 2024

MINUTE N° 398/2024

Copie exécutoire

aux avocats

Le 11 octobre 2024

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 11 OCTOBRE 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/01908 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H2Y6

Décision déférée à la cour : 22 Mars 2022 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

Madame [R] [K]

demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me Vincent FRITSCH, avocat à Strasbourg.

INTIMÉS :

Maître [S] [U]

exerçant son activité [Adresse 3]

La S.A.S. LSN ASSURANCES, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1]

représentés par Me Christine LAISSUE-STRAVOPODIS de la SELARL ACVF ASSOCIES, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 Mai 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre

Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseiller

Madame Nathalie HERY, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 3 août 1995, Maître [S] [U], notaire associé à [Localité 6], a reçu en la forme authentique :

- un acte de donation en avancement d'hoirie par lequel M. [T] [K] et son épouse, Mme [P] [V] [J] ont fait donation à leurs filles Mmes [R] [K] et [E] [K], en indivision chacune pour moitié, de la pleine propriété d'un terrain situé à [Adresse 7] ;

- un acte de partage mettant un terme à l'indivision existant entre Mmes [R] [K] et [E] [K] aux termes duquel Mme [R] [K] s'est vue attribuer la nue-propriété d'un immeuble sis [Adresse 4], provenant d'une donation précédente, et Mme [E] [K] la pleine propriété du terrain situé à [Adresse 7].

Cet acte était affecté de différentes erreurs s'agissant du montant de la masse totale à partager, de la part de chacune des copartageantes, et de la soulte.

Se plaignant de ce qu'elle avait découvert l'existence du préjudice découlant de ces erreurs suite à un redressement fiscal en 2015, Mme [R] [K] a, par acte d'huissier délivré le 24 juillet 2018, fait attraire Me [S] [U] et la SAS LSN Assurance, en qualité d'assureur de ce dernier, devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, aux fins d'obtenir indemnisation de ses préjudices d'ordre matériel, fiscal et moral.

Par jugement contradictoire du 22 mars 2022, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

- déclaré irrecevable l'action menée par Mme [R] [K] à l'encontre de la SAS LSN Assurance ;

- déclaré irrecevable l'action menée par Mme [R] [K] à l'encontre de Me [S] [U] pour cause de prescription ;

- condamné Mme [R] [K] à payer à Me [S] [U] et la SAS LSN Assurance une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Le tribunal, sur la fin de non-recevoir soulevée par la SAS LSN Assurance tirée du défaut de qualité à défendre, a constaté qu'il résultait de son extrait Kbis qu'elle exerçait une simple activité de courtier en assurance, et qu'il n'était pas démontré qu'elle aurait été l'assureur de Maître [U], de sorte que l'action intentée à son encontre devait être déclarée irrecevable.

Le tribunal, sur le moyen tiré de la prescription de l'action principale, a considéré que les erreurs contenues dans l'acte du 3 août 1995 étaient manifestes et visibles, et qu'elles ne pouvaient être ignorées par les parties qui connaissaient la valeur des biens concernés par le partage. Il a ajouté, en réponse à l'allégation de Mme [R] [K] selon laquelle elle n'aurait découvert l'existence de son préjudice qu'au moment où elle avait été destinataire d'un redressement fiscal en 2015, qu'il résultait de la lecture dudit redressement qu'il n'était pas en lien avec la demande mais concernait l'évaluation d'un autre bien immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 6], compris dans la déclaration de succession établie le 28 février 2013, suite au décès de son père survenu le [Date décès 5] 2012, et non pas des erreurs contenues dans l'acte de partage de 1995, de sorte qu'il ne pouvait constituer le point de départ du délai de prescription.

Le tribunal a considéré ainsi que le point de départ du délai de prescription devait être fixé au jour de la signature de l'acte de 'donation partage' litigieux, soit le 3 août 1995, de sorte que la prescription de l'action en responsabilité dirigée contre le notaire, de nature délictuelle, était acquise au 3 août 2005, puisque par application de l'article 2270-1, ancien du code civil, le délai de prescription était de 10 ans à l'époque.

Mme [K] a interjeté appel de ce jugement le 13 mai 2022, en toutes ses dispositions.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 3 octobre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 avril 2023, Mme [K] demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable et bien fondé ;

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- à titre principal, déclarer sa demande recevable et renvoyer le dossier devant le tribunal judiciaire de Strasbourg afin qu'il soit statué sur le fond ;

- subsidiairement, déclarer sa demande recevable, bien fondée et compte tenu des pouvoirs d'évocation de la Cour :

- déclarer que Me [U] a commis des fautes grossières dans la rédaction des actes notariés précités, alors qu'il était chargé de leur rédaction ;

- déclarer que son assureur a reconnu lui-même le caractère grossier des fautes de Me [U] ;

- déclarer que la partie demanderesse n'est ni juriste, ni notaire et ne disposait d'aucune connaissance en matière de succession ;

- déclarer que Me [U] a engagé sa responsabilité contractuelle, sinon délictuelle ;

- déclarer qu'il existe un lien direct entre les fautes commises par Me [U] et le préjudice subi par la demanderesse ;

- déclarer que l'action en responsabilité à l'encontre de Maître [U] n'est pas prescrite, le dommage étant apparu en 2015 au plus tôt, mais qu'il est en réalité apparu par suite du jugement rendu en date du 26 avril 2017 ;

- condamner, conjointement, solidairement, sinon in solidum, les parties défenderesses à réparer l'entier préjudice subi par la demanderesse, à savoir :

- 4 886,95 euros au titre de son préjudice matériel subi suite à son redressement fiscal, ainsi que les intérêts légaux à compter du 30 avril 2015, date de la proposition de rectification,

- 14 699,66 euros au titre des frais, intérêts du prêt et assurance liés à la souscription d'un prêt pour le règlement de la soulte indue,

- 12 238,71 euros au titre des intérêts légaux frais, intérêts et assurance liés à la souscription d'un prêt pour le règlement de la soulte indue depuis la date du règlement (intérêts légaux sur la somme précédente depuis le 23 août 1995),

- 25 000 euros au titre du préjudice moral,

- condamner les parties adverses conjointement, sinon solidairement, sinon in solidum à payer les intérêts légaux sur la somme de 11 433,67 euros à compter de la passation de l'acte le 3 août 1995 et ordonner la capitalisation des intérêts ;

- condamner les parties adverses conjointement, sinon solidairement, sinon in solidum à payer les intérêts légaux sur les sommes de 4 886,95 euros et de 25 000 euros à compter du 30 avril 2015, date de la proposition de rectification,

- débouter les parties adverses de toutes leurs fins et conclusions ;

- condamner les parties adverses conjointement, sinon solidairement, sinon in solidum à payer chacune la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de la procédure d'appel et de première instance ;

- condamner les parties défenderesses conjointement, sinon solidairement, sinon in solidum, aux entiers frais et dépens de la procédure, et y compris l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de la décision à intervenir par voie d'huissier et en particulier tous les droits de recouvrement ou d'encaissement visés par le décret 96-1080 du 12 décembre 1996 modifié par le décret 2001-212 du 8 mars 2001, sans exclusion du droit de recouvrement ou d'encaissement à la charge des créanciers prévu à l'article 10 du décret ;

- condamner, Me [U], si par impossible la société LSN se révélait ne pas être l'assureur en responsabilité civile de Me [U], à tenir Mme [K] quitte et indemne de toute condamnation de sa part au profit de la société LSN, en indemnité de procédure, intérêts légaux, frais et dépens.

Au soutien de son appel, elle fait valoir, sur la recevabilité de sa demande vis-à-vis de la société LSN Assurance, qu'aux termes de deux courriers en date du 7 novembre 2017 et du 15 mai 2018, celle-ci s'est présentée comme étant l'assureur de responsabilité civile de Me [U] et qu'elle a pris position sur le litige.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, elle fait valoir, au visa des articles 2270-1, ancien et 2224 du code civil, que la prescription n'est pas acquise puisque le point de départ du délai est le jour où le titulaire d'un droit a connu les faits lui permettant de l'exercer et qu'en l'espèce, n'étant pas notaire, ni juriste, la faute du notaire ne lui a été révélée que par le redressement fiscal du 30 avril 2015, ayant conduit au paiement de droits additionnels à l'administration fiscale, le redressement fiscal, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, n'étant pas dépourvu de lien avec l'acte de 1995 puisque le calcul des droits intègre les donations précédentes pour l'application des abattements, or Maître [U] avait comptabilisé en trop une somme de 75 000 francs.

Elle indique que les deux actes notariés intervenus le même jour portaient sur des donations en pleine propriété pour certains biens et uniquement en nue-propriété pour les autres, ce qui rendait l'évaluation et les erreurs moins décelables pour un non-sachant, et que ce n'est que par la proposition de rectification de l'administration fiscale et les explications qui lui ont été données lors du redressement, le 30 avril 2015, qu'elle a pris conscience de ses préjudices.

Elle ajoute que ce n'est qu'à la date du redressement, voire même à la date de mise en recouvrement, que le dommage consécutif à la majoration des droits s'est manifesté, de sorte que sa demande à ce titre n'est pas prescrite.

De même, ce n'est qu'au moment du redressement qu'elle a pris conscience qu'elle avait versé, à tort, une soulte à sa soeur, alors que c'était elle qui la lui devait. Elle en veut pour preuve le fait qu'elle a passé un autre acte, dans la même étude en 2008, ce qu'elle n'aurait pas fait si elle avait eu conscience des erreurs précédemment commises. C'est en outre cohérent avec le fait qu'elle n'ait agi qu'en 2015 en répétition de l'indu contre sa soeur. Par ailleurs, dès lors que, dans le cadre de cette procédure, le tribunal a rectifié l'acte litigieux par un jugement du 26 avril 2017, c'est à cette date que le dommage s'est révélé.

Sa demande au titre du dommage résultant de la souscription d'un prêt pour le paiement de la soulte n'est pas non plus prescrite, puisque le dommage n'a été révélé qu'en 2015, et qu'il n'a été réellement constitué qu'au jour du jugement du 26 avril 2017.

Enfin, le dommage moral résulte du refus d'indemnisation opposé par Maître [U] en 2016.

Sur la faute du notaire, elle soutient que Maître [U] a commis de graves erreurs qui l'ont directement conduite à être lésée dans ses droits successoraux et sur le plan fiscal, ainsi qu'à faire l'objet d'un redressement fiscal, qu'il a ainsi manqué à ses devoirs d'authentification et de conseil, et que l'efficacité de l'acte n'a pas non plus été garantie. Elle précise que son action contre le notaire n'est pas subsidiaire et qui lui est loisible d'agir à son encontre alors même qu'elle disposerait d'un recours contre sa s'ur.

Elle expose avoir subi un préjudice matériel lié au paiement d'une soulte qui n'était pas due, à la souscription d'un prêt pour ce règlement, ce qui a généré des intérêts et des cotisations d'assurance, ainsi qu'au paiement de droits additionnels, augmenté des intérêts de retard, outre les frais liés à la procédure qu'elle a dû engager contre sa soeur.

Elle estime subir un préjudice moral tiré du refus persistant et injustifié de M. [U] de faire droit à sa demande légitime.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 mai 2023, M. [S] [U] et la société LSN Assurance concluent au rejet de l'appel principal et à la confirmation du jugement entrepris. Ils demandent à la cour de :

- rejeter l'appel ;

- confirmer le jugement entrepris ;

- à titre subsidiaire, dire et juger qu'il n'y a pas lieu à renvoyer la procédure devant le tribunal judiciaire de Strasbourg ;

- débouter Mme [R] [K] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [R] [K] à leur payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La société LSN Assurance fait valoir qu'elle n'a pas qualité à défendre, dès lors qu'elle est seulement courtier en assurance, qu'elle n'a jamais prétendu se substituer à l'assureur de Maître [U] et qu'elle s'est au contraire présentée en qualité de mandataire dudit assureur, l'appelante ne démontrant nullement l'existence des relations contractuelles qu'elle allègue entre les intimés.

Maître [U] approuve le jugement entrepris en ce qu'il a retenu pour point de départ du délai de prescription de l'action, la date de signature de l'acte, c'est-à-dire le 3 août 1995, dès lors que les erreurs matérielles affectant l'acte de partage sont tellement grossières qu'elles n'ont pu sérieusement échapper à l'appelante, comme l'avait déjà retenu le tribunal dans son jugement du 26 avril 2017.

Les intimés partagent l'analyse du premier juge et soulignent que la proposition de rectification fiscale du 30 avril 2015 concerne exclusivement la déclaration de succession établie le 28 février 2013, suite au décès du père de l'appelante, qu'elle est relative à des biens immobiliers distincts, et qu'elle est donc, par nature, totalement étrangère à l'acte de partage litigieux reçu le 3 août 1995, et ne saurait proroger le point de départ du délai de prescription.

Le jugement du 26 avril 2017 ne saurait non plus constituer le point de départ du délai de prescription puisque Mme [K] a été déboutée de sa demande en répétition de l'indu dirigée contre sa soeur en raison de l'irrecevabilité de sa demande jugée prescrite.

Sur la faute de Maître [U], dont la responsabilité ne peut être recherchée que sur un fondement délictuel, ils n'entendent pas contester la matérialité des erreurs contenues dans l'acte du 3 août 1995, mais considèrent qu'il s'agit d'erreurs purement matérielles qui n'ont pu nuire à la compréhension de l'acte, outre le fait que Mme [K] était bien redevable d'une soulte à l'égard de sa s'ur.

Ils contestent le lien de causalité entre le montant réclamé au titre du prétendu préjudice fiscal et la faute du notaire puisque cette somme a été réclamée par l'administration fiscale à l'appelante en raison d'anomalies et d'erreurs relevées après le décès du père de l'appelante, et non relativement aux actes de donation et de partage du 3 août 1995 qui ne pouvaient plus faire l'objet d'un redressement, ni avoir aucune incidence fiscale au moment de la succession. Enfin, ils estiment excessive et injustifiée la somme réclamée au titre du préjudice moral, relevant que Mme [R] [K] a tardé à agir contre sa soeur et qu'elle a déclaré l'immeuble qui lui avait été attribué en dessous de sa valeur.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'est tenue de statuer que sur les prétentions figurant au dispositif des dernières écritures des parties et n'a pas à répondre à des demandes tendant à voir 'déclarer' ou 'constater' qui correspondent seulement à la reprise de moyens développés dans les motifs des conclusions et sont dépourvues d'effets juridiques.

1- Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la société LSN

Il ressort de l'extrait Kbis de la société LSN que celle-ci a une activité de courtage en assurance et n'est pas une société d'assurance, sa qualité de courtier étant au demeurant mentionnée au bas des courriers des 7 novembre 2017 et 15 mai 2018 qu'elle a adressés aux conseils successifs de Mme [K].

Si le premier de ces courriers comporte une mention ambiguë quant à la qualité de cette société qui indique intervenir en 'qualité d'assureur de conseil de Maître [S] [U]', les deux courriers se terminent toutefois par une phrase indiquant que l'assureur de responsabilité civile de Me [U] n'entend pas donner suite à la demande, ce qui implique que la société LSN n'est pas l'assureur de responsabilité mais un mandataire, quand bien même n'indique-t-elle pas l'identité de cet assureur.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a déclaré irrecevable la demande de Mme [K] dirigée contre la société LSN pour défaut de qualité à défendre de cette dernière.

2- Sur la prescription des demandes dirigées contre Maître [U]

Le notaire, en sa qualité d'officier ministériel chargé d'authentifier les actes qu'il reçoit, engage sa responsabilité en cas de manquement à ses obligations, sur le fondement de l'article 1382, ancien, du code civil, applicable au litige, s'agissant d'un acte reçu en 1995.

Selon l'article 2270-1 du code civil, en vigueur avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

Selon l'article 2224 du même code, dans sa rédaction issue de cette loi, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Quel que soit le texte applicable, le point de départ du délai de prescription n'est pas la date de la faute commise par le notaire, mais la date de manifestation du dommage ou celle à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Mme [K] prétendant subir différents préjudices, il convient de rechercher, pour chacun d'eux, à quelle date elle en a eu connaissance.

Elle invoque tout d'abord un préjudice matériel lié au fait d'avoir dû payer une soulte de 75 000 francs et d'avoir dû souscrire un emprunt pour la payer et supporter le coût des intérêts et des cotisations d'assurance afférents.

Il convient de constater en premier lieu que si l'acte de partage indique, en première page, que la valeur en pleine propriété du terrain sis [Adresse 7] à [Localité 6] est de 150 000 francs, valeur identique à celle figurant dans l'acte de donation du même jour, et que la valeur de la nue-propriété de l'immeuble sis [Adresse 8] est de 225 000 francs, toutefois en page deux, il est mentionné que la masse à partager, comprenant seulement ces deux immeubles, s'établit à 450 000 francs, soit 225 000 francs revenant à chacune des copartageantes, alors que le total des deux valeurs précédentes est de 375 000 francs, soit 187 500 francs revenant à chacune des copartageantes.

En deuxième lieu, l'acte mentionne, de manière tout aussi erronée qu'est attribué à Mme [E] [K] le terrain sis [Adresse 7] évalué à 300 000 francs (au lieu de 150 000 francs) et à Mme [R] [K] la nue-propriété de l'immeuble sis [Adresse 8] évaluée à 150 000 francs (au lieu de 225 000 francs), et qu'une soulte de 75 000 francs était due par Mme [E] [K].

Enfin, l'acte indique en page 3, en contradiction avec la mention précédente, que cette soulte de 75 000 francs est payable par Mme [R] [K], selon des modalités qui sont détaillées.

Contrairement à ce que soutient Mme [K], ce n'est pas au jour du jugement du 26 avril 2017 ayant déclaré irrecevable sa demande en répétition de l'indu dirigée contre sa soeur et ordonné la rectification de l'acte notarié, qu'elle a eu connaissance de son dommage, consistant à devoir payer une soulte de 75 000 francs, alors qu'après rétablissement des valeurs exactes, elle n'était redevable que d'une soulte de 37 500 francs (225 000 - 187 500), mais bien au jour de l'acte, qui était manifestement affecté de nombreuses incohérences et d'une erreur de calcul évidente, lesquelles ne pouvaient pas lui échapper quand bien même n'est-elle pas juriste.

Par ailleurs, le fait que lui soit attribuée la nue-propriété de l'immeuble sis [Adresse 8] n'était pas susceptible de créer une confusion, puisque l'acte ne fait clairement état que de la seule valeur de la nue-propriété.

La demande de ce chef est donc irrecevable comme prescrite le délai de 10 ans précité étant en effet expiré au jour de l'assignation.

En revanche, le préjudice fiscal dont se prévaut Mme [K] qui résulte de la prise en compte des donations antérieures pour le calcul des droits dus dans la succession de son père, s'agissant de 'la valeur totale de la succession' et de l'application d'un abattement déjà utilisé inexact du fait des erreurs commises en 1995 par le notaire, n'a pu être connu par Mme [K], au plus tôt, qu'au jour de la notification de la proposition de rectification émise par l'administration fiscale, soit le 30 avril 2015.

La demande de Mme [K] n'est donc pas prescrite en tant qu'elle tend à obtenir réparation du préjudice résultant de la majoration des droits qu'elle a dû acquitter au titre de la succession de son père. Le jugement sera donc infirmé dans cette limite en tant qu'il a déclaré l'action dirigée contre Maître [U] irrecevable.

De même, le préjudice moral invoqué qui résulte du refus d'indemnisation de Maître [U] n'a pu naître qu'au jour où ce refus a été opposé à Mme [K] suite à sa réclamation du 12 septembre 2017, de sorte que la demande n'est pas non plus prescrite de ce chef et que le jugement devra également être réformé dans cette limite.

L'appel ayant dévolu à la cour la connaissance de l'entier litige, il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire devant le premier juge, ni à évocation.

3 - Sur les fautes reprochées à Maître [U] et le préjudice

Les erreurs ci-dessus évoquées que comporte l'acte de partage ne sont pas contestées par l'intimé qui les qualifie lui-même de 'grossières'. Dans la mesure, où ces erreurs affectent la portée de l'acte reçu par son ministère et les obligations en découlant, Maître [U] engage sa responsabilité délictuelle à l'égard de Mme [K].

S'agissant du préjudice, Mme [K] ne demande pas une indemnisation au titre de la majoration des droits qu'elle a dû acquitter au titre de la succession de son père consécutive à la rectification de la valeur de biens composant la succession de ce dernier, mais au titre d'une majoration des droits résultant de l'application d'un abattement moindre à raison de la prise en compte d'un abattement utilisé lié aux donations antérieures erroné.

En l'occurrence, la proposition de rectification prend en considération un abattement déjà utilisé de 86 250 euros.

Or, comme le relève Maître [U], la donation de 1995, intervenue plus de dix ans avant le décès de [T] [K], ne pouvait avoir aucune incidence fiscale sur les droits à payer au moment de l'ouverture de sa succession, le [Date décès 5] 2012.

En effet, l'article 784 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige, dont les termes sont rappelés dans la proposition de rectification, dispose, en ses alinéas 2 et 3 que : « La perception est effectuée en ajoutant à la valeur des biens compris dans la donation ou la déclaration de succession celle des biens qui ont fait l'objet de donations antérieures, à l'exception de celles passées depuis plus de dix ans, et, lorsqu'il y a lieu à application d'un tarif progressif, en considérant ceux de ces biens dont la transmission n'a pas encore été assujettie au droit de mutation à titre gratuit comme inclus dans les tranches les plus élevées de l'actif imposable.

Pour le calcul des abattements et réductions édictés par les articles 779 et 780, il est tenu compte des abattements et des réductions effectués sur les donations antérieures visées à l'alinéa précédent consenties par la même personne. ».

Il résulte par ailleurs, sans équivoque, de la déclaration de succession établie suite au décès de [T] [K] que l'abattement de 86 250 euros correspond à une donation consentie à due concurrence par le défunt à chacune de ses deux filles le 15 décembre 2008.

Les erreurs commises par Maître [U] ayant été dépourvues d'incidence fiscale sur la liquidation des droits dus par Mme [K] dans la succession de son père, sa demande de ce chef doit être rejetée.

Le refus d'indemnisation du notaire n'étant pas injustifié au vu de ce qui précède, Mme [K] ne peut se prévaloir d'un préjudice moral découlant de ce refus. Sa demande sera par conséquent rejetée.

4 - Sur les dépens et les frais exclus des dépens

En considération des circonstances de la cause, il convient d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens, et de dire que chacune des parties supportera les dépens et les frais exclus des dépens qu'elle a exposés en première instance comme en cause d'appel.

L'appel en garantie formé par Mme [K] au cas où des montants seraient mis à sa charge à l'égard de la société LSN au titre des dépens et frais irrépétibles sera, dans ces conditions, déclaré sans objet.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 22 mars 2022 en tant qu'il a déclaré irrecevable l'action menée par Mme [K] à l'encontre de Maître [U] pour cause de prescription, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens ;

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant au jugement,

DECLARE irrecevable comme prescrite la demande de Mme [R] [K] tendant à la réparation du préjudice résultant du paiement de la soulte et de son financement par un emprunt ;

DECLARE recevables les demandes de Mme [R] [K] en réparation de son préjudice fiscal et de son préjudice moral ;

REJETTE les demandes de Mme [R] [K] en réparation de son préjudice fiscal et de son préjudice moral ;

CONSTATE que l'appel en garantie de Mme [K] est sans objet ;

CONDAMNE chacune des parties à supporter les dépens et frais exclus des dépens qu'elle a supportés en première instance comme en cause d'appel.

La greffière, La présidente de chambre,