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Décisions

CA Lyon, ch. soc. a, 9 octobre 2024, n° 22/01937

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 22/01937

9 octobre 2024

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 22/01937 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OFTR

[S]

C/

S.A. SNCF

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 17 Février 2022

RG : 20/1095

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 09 OCTOBRE 2024

APPELANT :

[R] [S]

né le 04 Mai 1970 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant Me André CHAMY, avocat au barreau de MULHOUSE

INTIMÉE :

Société NATIONALE SNCF

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Romain MIFSUD de la SARL OCTOJURIS - MIFSUD - PESSON - AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Cassandre ROULIER, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 04 Juin 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Catherine MAILHES,Présidente

Nathalie ROCCI, Conseillère

Anne BRUNNER, Conseillère

Assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Octobre 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES,Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [S] ( Le salarié) a été embauché le 1er mai 1996 à la SNCF en qualité d'attaché technicien supérieur en Ressources Humaines (qualification D).

Le 13 juin 2017, après trois années passées en qualité de dirigeant de l'unité Fret Alsace, il a été nommé dirigeant de l'unité Fret Vallée du Rhône/Loire, poste qu'il occupait au dernier état de la relation contractuelle.

Par courrier du 1er juillet 2019 remis en main propre, le salarié a reçu une demande d'explications écrite, à laquelle il a répondu par lettre du 6 juillet 2019, et a été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire.

Par lettre du 11 juillet 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une sanction fixé au 2 août 2019.

Par lettre du 31 août 2019, la société SNCF Mobilités, aux droits de laquelle vient la Société Nationale SNCF ( ci-après La société) a notifié au salarié son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

«Le 1er juillet 2019, nous vous avons remis en main propre contre décharge une demande

d'explications écrites suite à des faits portés à notre connaissance. Ce même jour, vous avez

été suspendu de vos fonctions par mesure conservatoire des suites de ces mêmes faits et ce

conformément aux procédures prévues par le référentiel GRH 00144.

Le 6 juillet 2019, vous avez répondu à la demande d'explications écrites.

Les explications que vous avez apportées ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre radiation des cadres

pour les motifs ci-dessous exposés.

Depuis le 13 juin 2017, vous exercez les fonctions de Dirigeant d'Unité de FRET vallée du

Rhône/Loire, dont la mission principale est d'être le garant de la réalisation de la production

avec le souci de l'efficacité économique.

A ce titre, vous êtes responsable, entre autre, du management et des résultats de la sécurité (du personnel, des circulations, de l'environnement, de la sûreté et de l'incendie), de l'organisation de l'Unité et de l'optimisation des moyens, du management des hommes, du développement de

leurs compétences et de leur qualité de vie au travail. Vous êtes en charge du dialogue social au sein de votre unité.

Le 9 janvier 2019, lors d'un comité social d'entreprise, la direction générale de l'entreprise a

été interpellée en séance sur des agissements répréhensibles notamment de faits supposés de harcèlement sexuel ayant cours au sein de l'unité de Sibelin, dont vous aviez la responsabilité.

Par courrier en date du 16 janvier 2019, une fédération syndicale, informe le Président du Directoire de SNCF -copie au Président du CSE FRET et l'inspection du Travail-, que le directeur de plate-forme que vous êtes « fait preuve d'attitudes inappropriés dégradantes et surtout lourdement répréhensibles pour l'image de l'entreprise ». II est reproché « une attitude

managériale » inconvenante caractérisée de « violente, [ ...] raciste ».

Le 18 janvier 2019, un agent SNCF sollicite par courrier anonyme le directeur de la cohésion

et des ressources humaines du groupe SNCF aux fins de diligenter une enquête. Celle-ci se justifierait par des « faits graves au règlement interne, code éthique de l'entreprise commis dans l'enceinte Fret Rhône ».

Dès la prise de connaissance de ces signalements et des reproches exprimés à votre encontre,

l'entreprise a diligenté par l'intervention de la direction ressources humaines de SNCF FRET

Autochem à laquelle vous appartenez et le référent de l'éthique SNCF FRET, une enquête sur la problématique soulevée de harcèlement sexuel sur deux alternantes de l'unité de Sibelin pour

laquelle il vous est reproché de ne pas avoir répondu à vos obligations et d'avoir tu ces deux affaires.

Parallèlement, un contrôle interne réalisé par la direction administrative et financière de l'entreprise a relevé des dysfonctionnements importants relatifs à l'utilisation des cartes affaires sur votre entité et aux dépenses générées par 10 collaborateurs dont vous-même. Pour

sécuriser les retours de ces enquêtes, il a été décidé de recourir aux services de la direction de l'éthique du groupe SNCF sur la confirmation de ces agissements managériaux constatés.

II ressort de ce dernier rapport d'enquête contradictoire en date du 21 juin 2019 au cours de laquelle des salariés travaillant sous votre responsabilité ont été auditionnés l'exactitude des faits relevés dans les deux précédents rapports faisant suite aux deux précédentes enquêtes menées entre le 9 janvier et 8 mars derniers.

Ainsi, il vous est reproché un management non exemplaire voire transgressif avec une tolérance de comportements inappropriés d'agents placés sous votre responsabilité managériale et de votre volonté de gérer en toute autonomie des situations internes dépassant votre seul périmètre de compétences et ce afin de masquer la réalité.

Les éléments découlant des témoignages recueillis ne laissent nul doute sur votre conduite et

mettent en évidence des dérives managériales.

En effet, vous adoptez régulièrement une attitude provocatrice par le fait de proférer de façon

répétée, en collectif, à l'égard de collègues de travail ou en s'adressant à eux, des propos incongrus et outrageants.

Vous faites régulièrement des allusions à forte connotation sexiste, religieuse, raciste discriminatoires à l'égard de certains membres du personnel dont certains de ces propos peuvent être associés à votre pouvoir d'évaluer ou de sanctionner : « je n'ai peur de personne ici même de dieu », « lui on va lui tirer dessus, on va l'exterminer »,« j'ai droit de vie et de mort sur vous, moi j'ai fait l'armée, je commande, vous vous êtes les exécutifs et derrière c'est les hommes de troupe »

Vous faites des remarques dans une langue crue en rapport avec le corps de la femme dans le cadre de votre exercice professionnel « à part la mettre dans une camionnette celle-là, je ne sais pas quoi en faire, ça me changera de me faire sucer par des Erythréennes », « [pour une femme qui a de l'embonpoint], vous imaginez la taille de ses ovaires », « tu as sucé pour venir ici », «tu es quasiment la seule à ne pas y être passée, c'est sans doute parce que je suis ton tuteur...ils ont peur ». Vous avez pris la liberté de juger sans réserve de l'éventuelle sexualité des agents : « je cracherai Bien dedans », « ma petite salope, je finirai la nuit avec elle), « je la mettrai bien dans mon lit » « dommage là-bas il y a des putes, tu peux te faire tailler des pipes ».

Vous avez à l'égard de collaborateurs un comportement indélicat fait de questionnements sur

leur vie privée, de commentaires sur leur culture, comportement qui a suscité un profond sentiment de malaise chez les intéressés ou de votre entourage professionnel : « racaille de banlieue de [Localité 7] », « arrête de me coller bougnoule », « en Bosnie, les musulmans on les entendait agoniser, -ce n'est pas bon d'être musulman par ces temps-là », « en réunion [codir], il avait des propos racistes, sexistes, homophobes ».

Cette attitude et ces propos irrévérencieux sont incompatibles avec les règles de l'entreprise et sont d'autant plus inacceptables du fait de votre fonction de directeur d'unité et de votre positionnement de cadre supérieur, fonction et statut qui appellent à l'exemplarité de surcroit dans un contexte social compliqué que vous n'avez pas manqué de soulever.

Les propos récurrents discourtois et désobligeants, par conséquent dégradants, sont préjudiciables aux collaborateurs. Ils portent atteinte à la dignité des personnes, sont contraires au référentiel GRH 0006 et à la charte éthique du groupe SNCF RA 00024, dont l'une des valeurs affirmées est le respect des personnes.

Ces agissements sont inappropriés et intolérables dans le milieu professionnel.

Vous avez enfreint les règles inhérentes à vos fonctions et avez par vos conseils, actions ou inactions, laissé supposer à vos collègues, dont vous aviez la responsabilité managériale, que de tels agissements étaient possibles et tolérés.

Pour exemple, dans le cadre des alertes relatives à la situation de harcèlement sexuel soulevée, les propos sexistes se sont transformés en harcèlement sexuel et trois salariés ont fait l'objet de radiation.

II ressort d'ailleurs des rapports d'enquête que vous avez souhaité circonscrire les faits dénoncés de harcèlement qui étaient portés à votre connaissance à un cercle très réduit de personnes et en n'engageant, de votre propre initiative, envers les personnes incriminées qu'un recadrage oral.

Pour rappel, l'entreprise est tenue à une obligation de prendre les mesures nécessaires pour

assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses travailleurs prescrite par

l'article L. 4121-1 du code du travail, obligation de résultat dont l'objectif est spécifié dans

l'accord interprofessionnel du 26 mars 2010 relatif au harcèlement et à la violence au travail.

En agissant ainsi, vous avez contribué à dégrader les conditions de travail de certains

collaborateurs et à véhiculer une image négative de l'entreprise et du management.

En complément de ces dérives managériales, il vous est également reproché d'avoir sciemment et de façon régulière dérogé aux procédures en vigueur pour servir vos propres intérêts et ceux de certains membres de votre équipe générant ainsi des avantages indus.

II est constaté des dépenses irrégulières d'achats interdits par la carte affaire, des dépenses pour frais de restauration avec notamment des invitations croisées, de fausses déclarations sur les convives déclarés dans le système informatique, des incohérences sur la présence supposée de convives qui sont en congés ou en inviteur eux-mêmes, mettant en évidence « une véritable organisation en réseau croisé ». Ces transgressions constituent un manquement volontaire aux règles de l'entreprise et ont entrainé des sanctions disciplinaires aux contrevenants. Ce comportement fautif, qui ne peut être accepté et qui a généré une perte de confiance, constitue un manquement délibéré à votre obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi de votre contrat de travail ainsi qu'une violation de la charte éthique du groupe SNCF RA 00024.

Au vu de l'ensemble des éléments ci-dessus exposés et pour ces raisons, et malgré les résultats de production que vous avez évoqués, nous sommes contraints de procéder à votre radiation des cadres à compter du 1er juillet 2019.»

****

Par acte reçu le 19 mai 2020, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins d'obtenir :

- à titre principal, l'annulation de la décision de le radier des cadres de la SNCF et voir ordonner sa réintégration aux motifs que l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire et a sanctionné des faits inexistants néanmoins prescrits ;

- à titre subsidiaire, que sa radiation-licenciement soit jugée sans cause réelle et sérieuse.

L'EPIC SNCF Mobilités a été convoqué devant le bureau de conciliation et d'orientation par convocation envoyée le 3 juin 2020.

Par jugement du 17 février 2022, le conseil de prud'hommes de Lyon a :

- Débouté l'EPIC SNCF Mobilités de sa demande liminaire tendant à voir dire que M. [S] a mal dirigé sa demande en ce qu'elle était à son encontre ;

- Dit et jugé que l'EPIC SNCF Mobilités a bien respecté les règles statutaires en matière de sanction et que celle-ci a été régulièrement prononcée ;

- Débouté M. [S] de ses demandes à ce titre ;

- Débouté M. [S] de sa demande d'annulation de la sanction ;

- Débouté M. [S] de voir sa demande d'être rayée des cadres (sic) ;

- Débouté M. [S] de ses demandes d'indemnités au titre de la rupture du contrat de travail, du préavis, de l'indemnité de licenciement, et des dommages et intérêts ;

- Débouté M. [S] de ses demandes salariales, salaire, RTT et prime ;

- Débouté M. [S] de sa demande au titre du préjudice moral ;

- Débouté M. [S] de sa demande d'indemnisation pour perte au titre de sa retraite ;

- Débouté M. [S] de sa demande au titre du non-respect par l'E.P.I.C. SNCF Mobilités de ses obligations au titre de la santé et la sécurité dans le cadre de la convention de forfait;

- Débouté M. [S] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure;

- Dit que la demande de fixation du salaire moyen de M. [S] est sans objet ;

- Constaté qu'il n'y a pas lieu, à exécution provisoire ;

- Débouté les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif ;

- Dit et jugé que chacune des parties supportera ses dépens.

****

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 14 mars 2022, le salarié a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 17 février 2022. L'appel porte sur les chefs du jugement suivants :

1- Dit et juge que l'EPIC SNCF Mobilités a bien respecté les règles statutaires en matière de sanction et que celle-ci a été régulièrement prononcée ;

2- Déboute M. [S] de ses demandes tendant notamment à :

2.1- Dire que l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire et sanctionné des faits inexistants et néanmoins prescrits ;

2.2- Faire annuler la décision de le sanctionner et de le radier des cadres de la SNCF ;

2.3- Ordonner sa réintégration ;

2.4- Condamner la SNCF Mobilités à l'indemniser

2.4.1 du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, rupture du contrat de travail, préavis, indemnité de licenciement et dommages-intérêts,

2.4.2 de ses demandes salariales ( salaire, RTT et prime) et de remise de documents de fin de contrat conformes sous astreinte de 500 euros par jour et document de retard,

2.4.3 de l'indemnisation de son préjudice moral, du manquement aux obligations en matière de santé et sécurité, de la perte de retraite, non respect de la procédure et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

3. Condamner M. [S] à supporter les dépens.

****

Saisi par la société nationale SNCF d'une demande tendant à l'irrecevabilité de l'appel formé par M. [S], le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 6 octobre 2022 :

- Dit que l'appel formé par M. [S] à l'égard de l'établissement SNCF Mobilités est recevable ;

- Dit que le conseiller de la mise en état n'a pas le pouvoir de statuer sur la recevabilité des demandes présentées devant la cour ;

- Condamné la société SNCF aux dépens de l'incident ;

- Condamné la société SNCF à payer à M. [S] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

****

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 28 mai 2024, M. [S] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclaré recevable en ses demandes ;

- Infirmer le jugement entrepris de ce qu'il l'a débouté de ses demandes tant salariales qu'indemnitaires ;

Statuer à nouveau :

- Condamner l'intimée à lui verser les montants suivants :

Congés payés : 2.990 euros,

20 jours de RTT: 3.986 euros,

Prime de fin d'année : 5.115 euros ;

- Condamner l'intimée à lui remettre les documents suivants sous astreinte d'un montant de 500 euros par jour et par document de retard :

un certificat de travail,

la fiche de paie correspondant au solde de tout compte,

l'attestation pôle emploi,

le justificatif de portabilité de la complémentaire maladie ;

Sur le fond,

- Dire que l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire ;

- Dire que l'employeur a sanctionné des faits inexistants néanmoins prescrits ;

- Annuler la décision de le radier des cadres de la SNCF;

- Ordonner sa réintégration à son emploi avec toutes les conséquences de droit, tant sur la carrière, que sur la rémunération ;

Subsidiairement,

- Dire que la radiation-licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

En Conséquence,

- Condamner l'intimée à lui verser la somme de 300.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Subsidiairement par application du barème dit MACRON par application de l'article

L. 1235-3 du Code du Travail,

- Condamner l'intimée à lui verser la somme de 122.760 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner l'intimée à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour

non-respect des règles statutaires ;

En tout cas,

- Annuler la suspension prononcée à son encontre ;

- Condamner l'intimée à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article 1240 du code civil en réparation du préjudice moral subi par lui ;

- Condamner l'intimée à lui verser la somme de 50 000 euros en raison de ses manquements à ses obligations en matière de santé sécurité ;

- Condamner l'intimée à lui verser les sommes suivantes :

16.740 euros à titre d'indemnité de préavis,

1.674 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

64.170 euros à titre d'indemnité de licenciement,

5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SNCF à lui verser la somme de 1.000.000 euros (Un million d'euros) à titre d'indemnisation en raison de la perte des cotisations retraite infligée par l'effet de la radiation des cadres ;

- Condamner l'intimée aux entiers frais et dépens y compris les frais afférents à l'exécution

de l'arrêt à intervenir.

****

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 29 mai 2024, la société SNCF venant aux droits de la SNCF Mobilités, demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a :

Dit et jugé que l'E.P.I.C SNCF Mobilités a bien respecté les règles statutaires en matière de sanction et que celle-ci a été régulièrement prononcée ;

Débouté M. [S] de ses demandes à ce titre ;

Débouté M. [S] de sa demande d'annulation de la sanction ;

Débouté M. [S] de voir sa demande d'être rayé des cadres (sic);

Débouté M. [S] de ses demandes d'indemnités au titre de la rupture du contrat de travail, du préavis, de l'indemnité de licenciement, et des dommages et intérêts ;

Débouté M. [S] de ses demandes salariales, salaire, RTT et prime ;

Débouté M. [S] de sa demande au titre du préjudice moral ;

Débouté M. [S] de sa demande d'indemnisation pour perte au titre de la retraite;

Débouté M. [S] de sa demande au titre du non-respect par l'E.P.I.C SNCF Mobilités de ses obligations au titre de la santé et la sécurité dans le cadre de la convention de forfait ;

Débouté M. [S] de sa demande de dommages et intérêts pour non- respect de la procédure ;

Dit que la demande de fixation de salaire moyen de M. [S] est sans objet ;

A titre subsidiaire, sur le quantum des demandes,

- Dire et juger que les demandes de M. [S] sont injustifiées dans leur principe et dans leur quantum,

- Réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires qu'il formule,

- Fixer la moyenne des salaires de M. [S] à la somme de 5 580 euros,

- Statuer ce que de droit concernant l'indemnité conventionnelle de licenciement et

concernant l'indemnité conventionnelle de préavis,

- Limiter à la somme de 16 550 euros l'indemnisation qu'il est susceptible de percevoir au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,

- Juger que M. [S] ne caractérise pas l'existence du moindre préjudice concernant un prétendu non-respect des règles statutaires, de prétendus manquements aux obligations en matière de santé sécurité et au titre de la perte des cotisations retraites,

- Limiter à la somme de 1euro l'indemnisation qu'il est susceptible de percevoir au titre d'un prétendu non-respect des règles statutaires, de prétendus manquements aux obligations en matière de santé sécurité et au titre de la perte des cotisations retraites.

En tout état de cause,

- Condamner M. [S] à la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture des débats a été ordonnée le 30 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur le solde de tout compte et les documents afférents à la rupture

Le salarié indique qu'il n'a toujours pas été destinataire de son solde de tout compte, ni des documents afférents à la rupture de son contrat de travail.

Il demande la condamnation de l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

2 990 euros au titre des congés payés

3 986 euros au titre de 20 jours de RTT

5 115 euros à titre de prime de fin d'année et d'assortir l'obligation de remise des documents de fin de contrat d'une astreinte de 500 euros par jour de retard et par document.

La société expose que les documents de fin de contrat du salarié ont été établis et lui ont été adressé par l'Epic SNCF Mobilités par courrier recommandé du 24 septembre 2019, sans que le pli ne soit réclamé.

Elle indique par ailleurs que le salarié avait bien reçu le courrier adressé le 4 septembre 2019 renseignant les différents interlocuteurs à joindre dans chaque service et qu'il n'a jamais signalé la moindre anomalie.

Elle indique enfin que ces documents lui ont de nouveau été adressés le 16 juin 2020.

Elle ne conclut pas en revanche sur les demandes au titre des congés payés, des jours de RTT et de la prime de fin d'année.

****

Il résulte de l'article 1353 du code civil que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. En l'espèce, le salarié ne produit aucun élément à l'appui de sa demande chiffrée.

L'employeur justifie par ailleurs de l'envoi par lettre recommandée avec accusé de réception des documents de fin de contrat, en sorte que les demandes du salarié non fondées, doivent être rejetées.

- Sur la procédure de licenciement

1°) sur le défaut de qualité du signataire de la lettre de radiation des cadres

Le salarié soutient, au visa de l'article 3 du statut des relations collectives SNCF, qu'étant affecté à la direction Fret Autochem, l'autorité habilitée à le licencier est le directeur Fret, en l'occurrence M. [Z] [G] et non pas la directrice d'établissement Autochem, Mme [X]. Il fait valoir que :

- un agent de direction ne peut pas se voir notifier une sanction supérieure à une mise à pied (sanction 6 dans l'échelle des sanctions) par une personne ayant qualité de chef d'établissement ou de directeur d'établissement ou par le chef de département ;

- sa lettre de licenciement a été signée par Mme [X], directrice d'établissement ;

- Mme [X] n'a pas reçu de délégation de pouvoir et ne pouvait, en tout état de cause, pas en recevoir compte tenu des règles statutaires ;

- le non respect d'une règle statutaire constitue la violation d'une garantie substantielle de fond qui a pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.

La société fait valoir en réponse, au visa de l'annexe 1 du Référentiel RH 0144 pris en application du chapitre 9 du statut concernant les garanties disciplinaires, qui a trait aux autorités habilitées à prononcer les sanctions, que :

- s'agissant du personnel des directions Fret (comme cela était le cas du demandeur qui occupait un poste de manager au sein de la Direction Fret Autochem), le directeur Fret concerné, en l'espèce Mme [H] [X], Directrice de Fret Autochem, prononce la sanction ;

- en tout état de cause, la sanction prise par Mme [X] l'a été en accord avec M. [Z] [G], Directeur Fret SNCF.

****

Le référentiel ressources humaines de la SNCF GRH 00144, dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2019 comporte une annexe n°1 relative aux autorités habilitées à prononcer les mesures conservatoires et les sanctions.

Il en résulte que l'autorité compétente pour prononcer une mesure de radiation des cadres d'un agent SNCF des organismes de direction est le directeur général délégué Epic SNCF. Pour un agent de SNCF Réseau, l'autorité compétente pour prononcer une mesure de radiation est le directeur de l'organisme pour les agents de l'établissement de production rattaché à l'organisme de direction et les agents de cet organisme.

Enfin, pour l'activité Fret, il est indiqué que l'autorité compétente pour prononcer une sanction disciplinaire relevant du conseil de discipline, dont la radiation, est le Directeur Fret pour la direction Fret et le directeur de l'établissement DGF pour la direction Fret SNCF.

M. [S] occupant un poste de manager au sein de la direction Fret Autochem, la directrice Fret Autochem, en l'espèce Mme [H] [X] est compétente pour prononcer la sanction de radiation des cadres prise à son encontre.

2°) sur la prescription des faits

Il est reproché au salarié:

- d'avoir autorisé ses cadres à déjeuner en utilisant leurs cartes professionnelles lors des périodes de grèves et de crises de production entre avril 2018 et octobre 2018 ;

- d'avoir voulu cacher deux faits de harcèlement sexuels commis par des dirigeants de proximité ;

- d'avoir tenu des propos racistes et sexistes à l'encontre de son personnel.

Le salarié soutient que l'employeur avait connaissance des faits dès février 2019 pour la suspicion de fraude à la carte bancaire et dès mars 2019 pour les faits de harcèlement et que des explications ne lui ont été demandées que le 1er juillet 2019, soit 4 et 3 mois plus tard. Il invoque les éléments sur lesquels s'est fondé l'employeur, soit :

- une enquête sur une suspicion de fraude à l'unité Auvergne Rhône réalisée du 24 janvier 2019 au 6 février 2019, relative à l'utilisation des CB Pro ;

- une enquête réalisée du 9 janvier 2019 au 8 mars 2019 suite à une alerte éthique concernant deux faits de harcèlement sexuel commis par des N-2 et N-3 de M. [S];

- un rapport d'enquête sur les signalements de propos et de comportements qui seraient inappropriés de la part d'un dirigeant d'unité FRET daté du 19 juin 2019.

La société SNCF fait valoir en réponse que :

- plusieurs signalements lui sont parvenus courant janvier 2019 ( signalements par le CSE le 9 janvier, par une fédération syndicale le 16 janvier et par un courrier anonyme le18 janvier) ;

- la direction de l'éthique et de la déontologie a été saisie le 7 février 2019 pour mise en 'uvre d'une enquête interne ;

- la direction de l'éthique et de la déontologie a restitué son rapport d'enquête le 21 juin 2019, ce qui constitue la date de connaissance pleine et entière des faits fautifs et donc le point de départ du délai de 2 mois pour engager la procédure disciplinaire ;

- le salarié a été convoqué pour un entretien préalable à la date du 11 juillet 2019, point de départ de la procédure disciplinaire.

****

Il résulte des pièces versées aux débats qu'un contrôle interne réalisé par la DAF de la Direction Fret Autochem sur les notes de frais, du 24 janvier au 6 février 2019, a révélé des anomalies liées à l'utilisation de la carte affaires au sein de l'Unité Auvergne Rhône Alpes consistant en:

- des dépenses irrégulières pour des achats interdits avec cette carte,

- des dépenses pour frais de restauration sur la zone normale d'emploi, avec la plupart du temps des invitations croisées,

- des fausses déclarations sur les convives déclarés,

- des incohérences sur la présence supposée de convives.

Ce contrôle a par ailleurs mis en évidence, la déclaration d'heures supplémentaires pour des agents rémunérés au forfait afin de les remercier des efforts fournis pendant le mouvement social du printemps.

Parallèlement, une alerte éthique a été déclenchée du 9 janvier au 8 mars 2019, sur des agissements qualifiables de harcèlement sexuel sur des alternantes, enquête qui a révélé:

- des dérives progressives,

- un management qui ne joue pas son rôle d'exemplarité et qui est parfois lui-même dans la transgression,

- un collectif masculin qui peine à intégrer sainement les jeunes femmes,

- la volonté de régler en interne les problématiques sur un modèle de type clanique.

Enfin, la direction de l'éthique et de la déontologie de la SNCF a été saisie d'une mission d'enquête portant expressément sur des 'attitudes inappropriées ' ( propos racistes ou violents) du dirigeant de l'unité Fret Rhône Alpes, ainsi que sur des actes managériaux répréhensibles, en sorte que si l'employeur a été informé dés janvier 2019 de l'existence d'un management inapproprié ou défaillant, et si deux enquêtes internes ont donné lieu à des rapports, la direction de l'éthique et de la déontologie n'a remis son rapport que le 21 juin 2019, au terme duquel elle recommande de lancer un processus disciplinaire à l'encontre du dirigeant de l'unité, avec un niveau de sanction ne nécessitant pas la tenue d'un conseil de discipline.

Dés lors, l'employeur n'a pu avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié qu'à l'issue de la mission d'enquête confiée à la direction de l'éthique et de la déontologie, de sorte qu'en convoquant le salarié le 11 juillet 2019 à un entretien préalable à sa radiation, l'employeur a engagé la procédure disciplinaire dans le délai de deux mois à compter de la connaissance du fait fautif, conformément aux dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail.

3°) sur la mesure de suspension

Le salarié expose qu'il a été licencié 60 jours après la demande d'explications dans le cadre de laquelle il a été suspendu.

Considérant que la mesure de suspension était excessive, qu'elle ne se justifiait pas et qu'elle a abouti à son exclusion du service pendant deux mois, le salarié conclut que l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire dans la mesure de suspension.

La société SNCF oppose à cette argumentation les dispositions statutaires selon lesquelles une mesure de suspension ne doit pas durer plus de deux mois, en sorte que la suspension prise à l'encontre du salarié est régulière.

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Le statut des relations collectives au sein de la SNCF comporte un chapitre 9 sur les garanties disciplinaires et les sanctions, dont l'article 2.5 énonce: ' La suspension ne doit pas durer plus de deux mois sauf impossibilité résultant notamment d'une maladie de l'agent ou de la nécessité d'attendre les résultats d'une action judiciaire.'

En l'espèce, il est constant que :

- la mesure conservatoire a été notifiée au salarié le 1er juillet 2019,

- la procédure disciplinaire a été engagée le 11 juillet 2019,

- l'entretien préalable a eu lieu le 2 août 2019,

- le conseil de discipline s'est réuni le 28 août 2019,

- la radiation des cadres a été notifiée le 31 août 2019, en sorte que la mesure conservatoire justifiée par la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire n'a pas duré plus de deux mois et que l'employeur justifie l'utilisation de ce délai pour les différentes étapes de la procédure disciplinaire.

Et le salarié qui ne démontre pas le caractère déraisonnable de la mesure conservatoire de suspension est débouté de sa demande tendant à ce que la mesure de suspension soit analysée comme équivalent à une mise à pied.

4°) sur le licenciement verbal

Le salarié soutient que la décision de radiation a été prise et annoncée bien avant les explications et le conseil de discipline et s'appuie sur l'attestation de M. [L], délégué syndical qui indique que le matin du conseil de discipline, il a eu une discussion avec M. [Z] [G], Directeur Général Fret qui lui a indiqué :

' Ses collaborateurs ont été licenciés, il en sera de même pour M. [S]'.

La société SNCF expose que le témoignage de M. [L] est à prendre avec la plus grande réserve compte tenu du fait qu'il se présente comme le défenseur du salarié au cours de la procédure disciplinaire.

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Nonobstant la qualité de M. [L], délégué syndical, et l'absence de plainte de la SNCF contre ce dernier pour fausse attestation, en l'absence d'éléments objectifs concordants, ce seul témoignage ne permet pas d'établir l'existence d'un licenciement verbal.

5°) les griefs

a) sur l'utilisation des cartes de paiement professionnelles, le salarié indique qu'il a pris la décision d'autoriser ses collaborateurs à déjeuner avec leurs cartes professionnelles dans deux cas:

quand les collaborateurs participaient aux opérations de production pendant les jours de grève en plus de leur travail et quand les journées dépassaient 12 heures de façon récurrente ;

quand les collaborateurs étaient en groupe de travail pour construire les dossiers de réorganisation des gares et chantiers.

Il ajoute qu'il avait constaté, seul, certains excès dans la fréquence d'utilisation, mais qu'il a donné les instructions afin qu'il soit mis un terme à cette situation. Il invoque un email qu'il aurait adressé le 23 octobre 2018, à l'ensemble de son Codir, aux fins de se remettre dans les conditions d'utilisation réglementaires de leurs cartes professionnelles. Il soutient que si certaines pratiques ont perduré, conduisant l'entreprise à sanctionner neuf de ses collaborateurs, ce fait ne saurait lui être imputé.

Il conclut que ces frais de bouche étaient une compensation des efforts et de l'engagement pendant des périodes difficiles, que cette pratique a été mise en place dans l'intérêt du service et qu'il n'en a tiré aucun avantage individuel.

La société SNCF fait valoir que :

- à la suite d'un contrôle interne diligenté par la Direction administrative et financière de l'Entreprise au début de l'année 2019, il est apparu des suspicions de fraude de différents agents, tous issus de la même unité (Unité Auvergne Rhône Alpes dirigée par M. [S]) ;

- pour l'année 2018, M. [S] a établi 7 notes de frais pour un montant total de 15 598,61 euros,

- sur ce montant total, la SNCF n'approuvait que 1224,82 euros, soit 7,85% du montant total déclaré,

- M. [S] ne daignait pas justifier ses dépenses : plus de 14 300 euros de notes de frais étaient ainsi éditées par M. [S] sans le moindre justificatif.

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Il résulte des débats que ce premier grief n'est contesté ni dans sa matérialité, ni dans son ampleur, et les chiffes avancés par la société SNCF résultent du rapport interne de la DAF de la Direction Fret Autochem évoqué ci-avant.

La justification donnée par le salarié aux anomalies constatées dans l'utilisation des cartes professionnelles caractérise un dévoiement portant sur des montants importants, soit un total de 14 373, 79 euros de frais non justifiés par le salarié pour la seule année 2018.

Il s'agit par ailleurs d'un dévoiement généralisé à l'échelle de l'unité, neuf collaborateurs étant concernés par un usage abusif de leur carte professionnelle au cours de l'année 2018, et le salarié qui prétend avoir pris l'initiative de stopper les pratiques litigieuses ne justifie cependant nullement du courriel du 23 octobre 2018 qu'il invoque à cette fin.

Ce grief est établi.

b) Le deuxième grief fait au salarié est d'avoir cherché à circonscrire des faits de harcèlement qui avaient été portés à sa connaissance, à un nombre restreint de personnes et d'avoir décidé d'un recadrage oral au mépris de la procédure applicable à ce type de situations :

sur le cas de M. [J], le salarié expose que les explications du mis en cause, les mails échangés avec la victime, la déclaration tardive de celle-ci à moins de trois semaines de la fin du contrat lui ont fait pensé à un règlement de compte managerial ; qu'il a procédé à un recadrage de l'intéressé et qu'il a demandé à rester discrets dans le seul but d' éviter la propagation de rumeurs ;

sur le second cas, il indique que dès qu'il a eu connaissance des faits, il a demandé à sa RRH de recevoir les deux personnes concernées et de mener une enquête afin de bien comprendre les faits ; la victime n'avait pas souhaité aller au-delà de l'entretien de recadrage, en sorte qu'il a procédé audit recadrage avec son adjoint.

Il indique qu'il n'avait pas pris le temps de lire les nouveaux documents sur l'éthique car il était débordé par la réorganisation du site de Sibelin qui lui avait été confié.

La société SNCF soutient au contraire que les dérives verbales et comportementales de M. [S], et d'une manière plus générale son absence d'exemplarité, ont généré des comportements inappropriés de certains cadres placés sous sa subordination qui se sont cru autorisés à leur tour, à des dérives sexistes.

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Il résulte des débats que le traitement par le salarié, des deux signalements de harcèlement sexuel portés à sa connaissance, est en tous points contraire aux recommandations de la charte éthique du groupe SNCF versée aux débats dans sa version du 1er janvier 2017. Cette charte se réfère au guide de traitement des allégations de harcèlement à destination des managers et responsables RH, qui préconise d'initier le processus disciplinaire et dans un même temps de placer le tuteur en cause et l'alternante dans des environnements professionnels distincts.

La démarche dite de 'recadrage' mise en oeuvre par le salarié ne permet ni la manifestation de la vérité, ni la protection de la personne se disant victime de faits de harcèlement.

Et les explications du salarié sur le manque de temps pour lire les nouveaux documents de l'éthique ou encore sur un manque de recul en raison de sa charge de travail, du stress et de la fatigue, ne sont pas de nature à atténuer sa faute compte tenu de son niveau de responsabilité.

Enfin, le salarié affirme qu'il a parlé de ces deux affaires en réunion mensuelle des DU avec le Codir Autochem, que son adjoint et sa responsable des ressources humaines étaient en phase avec lui sur les décisions prises, mais il ne fournit cependant aucun élément permettant de vérifier que le traitement qu'il a réservé à ces deux signalements aurait été validé par ses adjoints ou par sa hiérarchie.

Le deuxième grief est établi.

c) Le troisième grief porte sur des propos racistes et sexistes que le salarié conteste, mettant en avant son engagement en faveur de l'insertion et contre les discriminations, par la création d'une auto-école sociale à [Localité 6] et sa participation en 2015 à la création du club régional des entreprises pour l'insertion, structure dont le président est M. [Y] [M], délégué du défenseur des droits.

Le salarié s'appuie sur de nombreux témoignages confirmant qu'il n'a jamais insulté personne.

Il indique que personne ne s'est jamais plaint de son attitude, que s'il avait tenu certains des propos allégués, cela s'était produit dans un contexte d'imitation de sketchs et que ses propos avaient été sortis de leur contexte. Il revendique un langage imagé, truculent dans la vie de tous les jours, un sens de l'humour parfois décalé ou caustique, et de façon générale une personnalité lui permettant d'être proche du terrain et de ses hommes.

La société s'appuie sur l'enquête de la direction de l'Ethique et de la déontologie, invoquant les onze entretiens réalisés avec le salarié, ainsi qu'avec dix autres salariés de différents niveaux hiérarchiques du collectif de travail, ainsi que sur le rapport du mois de mars 2019 sur les faits de harcèlement sexuel au sein de son unité.

La société soutient que M. [S] avait une attitude provocatrice caractérisée par le fait de proférer de façon répétée, en collectif à l'égard de collègues de travail des propos totalement déplacés. Elle cite plusieurs exemples des propos prêtés au salarié.

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Il résulte de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l'identité est néanmoins connue par l'employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence.

En l'espèce, l'employeur ne produit pas d'autre élément que le rapport d'enquête de la direction de l'éthique et de la déontologie, de nature à corroborer les témoignages anonymisés qui y sont rapportés, en sorte que ce grief n'est pas établi.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que deux des griefs reprochés au salarié dans la lettre de notification de sa radiation sont établis et caractérisent des fautes qui lui sont imputables et qui rendent impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du péavis.

La radiation des cadres de M. [S], qui équivaut à un licenciement pour faute grave, repose par conséquent sur une cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes relatives à la requalification de sa radiation en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à l'annulation de la sanction prononcée à son encontre.

- Sur la demande de dommages-intérêts pour non respect de la procédure statutaire

Le salarié soutient que tant la lettre de licenciement que la demande d'explications ne respectent pas les dispositions de l'article 30 du référentiel RH00144 lequel prévoit qu'en cas de sanction disciplinaire, doivent être précisées les références des textes définissant l'infraction, s'il s'agit d'une infraction à des règlements SNCF.

La société n'a pas conclu sur cette demande.

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En application de l'article 30 du référentiel RH00144 de la SNCF, les sanctions disciplinaires

sont toujours notifiées par écrit aux agents auxquels elles s'appliquent. Le ou les motifs précis de la décision prise sont obligatoirement indiqués. Les références des textes définissant l'infraction doivent être mentionnées s'il s'agit d'infractions à des règlements SNCF. Cette dernière instruction s'entend des infractions spécifiques aux règlements SNCF et inhérents à l'activité de l'établissement.

En l'espèce, la lettre de notification de la radiation des cadres indique au salarié qu'il lui est reproché des 'dysfonctionnements importants relatifs à l'utilisation des cartes affaires sur son entité et aux dépenses générées par 10 collaborateurs dont lui-même', ainsi qu''un management non exemplaire voire transgressif avec une tolérance de comportements inappropriés d'agents placés sous sa responsabilité managériale (...)'; enfin 'des allusions à forte connotation sexiste, religieuse, raciste discriminatoires à l'égard de certains membres du personnel (...)' . Les motifs énoncés sont suffisants pour permettre au salarié de connaître la nature exacte des faits qui lui sont reprochés et qui sont sanctionnés, en sorte que le salarié ne justifie pas d'un préjudice résultant de l'inobservation du référentiel RH00144 de la SNCF.

La demande d'indemnisation du salarié à ce titre n'est pas fondée et le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a rejeté ladite demande.

- Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect des dispositions relatives au suivi et au contrôle de la charge de travail dans le cadre d'une convention de forfait

Le salarié soutient que ses journées de travail étaient interminables, sans oublier les déplacements et le travail des week-ends et jours fériés et aussi des nuitées ; qu'elles dépassaient les limites légales imposées. Il sollicite la somme de 50 000 euros au titre du manquement de l'employeur à ses obligations en matière de sécurité, précisant que cela n'altère en rien ses droits de réclamer le paiement des heures supplémentaires et les accessoires.

La société n'a pas conclu sur cette demande.

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L'article L. 3121-64 du code du travail, créé par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 prévoit notamment que l'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié.

Et l'inobservation par l'employeur d'un accord collectif, dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours, prive d'effet la convention de forfait en jours, ce qui permet au salarié de prétendre au paiement d'heures supplémentaires.

En l'espèce, le salarié, rémunéré en application d'une convention de forfait en jours ne réclame pas le paiement d'heures supplémentaires, mais invoque des journées de travail interminables sans plus de précisions.

Il produit en outre des pièces médicales, soit en l'espèce, un arrêt de travail initial à compter du 24 janvier 2019, prolongé le 28 février 2019 en raison d'un épuisement psychologique, ainsi qu'un courrier d'adressage du 24 janvier 2019 pour une consultation auprès d'un médecin addictologue.

Compte tenu de l'obligation de l'employeur de contrôler la charge de travail dans le cadre d'une convention de forfait en jours, c'est à ce dernier de prouver qu'il a rempli son obligation.

L'absence d'élément de la part de ce dernier alors même que le salarié a été en arrêt de travail pour épuisement psychologique du 24 janvier 2019 au15 mai 2019, conduit à considérer que le salarié a subi un préjudice à ce titre qui sera entièrement réparé par la somme de 2.000 euros.

Le jugement déféré qui a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du non-respect des dispositions relatives au suivi et au contrôle de la charge de travail dans le cadre d'une convention de forfait est par conséquent infirmé.

- Sur les demandes accessoires

Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par la société nationale SNCF, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile. Le jugement déféré qui a jugé que chacune des parties supportera ses dépens est infirmé en ce sens.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel, dans la mesure énoncée au dispositif .

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;

Dans la limite de la dévolution,

CONFIRME le jugement déféré sauf sur le rejet de la demande de dommages-intérêts pour non-respect des dispositions relatives au suivi et au contrôle de la charge de travail dans le cadre d'une convention de forfait et sur la charge des dépens

Statuant à nouveau sur ces chefs et y ajoutant

CONDAMNE la société nationale SNCF à payer à M.[R] [S] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de suivi et de contrôle de la charge de travail dans le cadre d'une convention de forfait

DÉBOUTE le salarié de sa demande au titre des congés payés, des jours de RTT et de la prime de fin d'année et au titre de la délivrance des documents de fin de contrat

CONDAMNE la société nationale SNCF à payer à M. [R] [S] la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel

CONDAMNE la société nationale SNCF aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE