Décisions
CA Versailles, ch. civ. 1-5, 17 octobre 2024, n° 24/00333
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 39H
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 OCTOBRE 2024
N° RG 24/00333 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WJIL
AFFAIRE :
[U] [T] épouse [F]
...
C/
S.A.R.L. EUROTAX La Société EUROTAX
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 10 Janvier 2024 par le Président du TJ de NANTERRE
N° RG : 22/01993
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 17.10.2024
à :
Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES (626)
Me Dan ZERHAT, avocat au barreau de VERSAILLES (731)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [U] [T] épouse [F]
née le 07 Janvier 1982 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
S.A.S. FISCALEAD
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 26328
Plaidant : Me Jonathan BELLAICHE, du barreau de Paris
APPELANTES
****************
S.A.R.L. EUROTAX
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 332 089 218
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078018
Plaidant : Me Nelly MACHADO, du barreau de Lyon
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Septembre 2024, Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseillère ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas VASSEUR, Président,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI
EXPOSE DU LITIGE
La S.A.R.L. Eurotax a pour objet l'assistance à des entreprises dans leurs obligations déclaratives auprès de l'administration fiscale et leurs demandes de remboursement de taxes.
Le 10 octobre 2017, Mme [F] a été embauchée par la société Eurotax en qualité de directrice des opérations fiscales et douanières.
Le 4 décembre 2017, Mme [E] [H] a également été embauchée par la société Eurotax en qualité de chef de projet en ingénierie douanière et fiscale.
Les ruptures conventionnelles de Mme [F] et de Mme [H] ont été concomitamment actées le 19 novembre 2020.
Le 13 novembre 2020, Mme [H] a créé la société Pangee, dont elle est l'unique associée, ayant pour activité des services de conseil en matière d'affaires et de gestion, et en développement de solutions informatiques.
Le 24 novembre 2020, Mme [F] a également créé une société, la société [T], dont elle est l'unique associée, ayant la même activité. Mme [H] et Mme [F] ont ensemble créé la S.A.S. Fiscalead le 28 décembre 2020, ayant pour activité l'assistance opérationnelle en fiscalité indirecte, comprenant la douane et les droits d'accises.
Par ordonnance du 21 mai 2021, le juge des requêtes du tribunal judiciaire de Nanterre a autorisé la société Eurotax à faire procéder par un huissier de justice, au domicile de la société Fiscalead et à celui de ses associées, à des opérations de constats et de saisie destinées à établir la preuve d'actes de concurrence déloyale.
Par ordonnance rendue sur requête du 18 juin 2021, le président du tribunal judiciaire de Nanterre a ordonné le placement sous séquestre provisoire des documents saisis.
Par ordonnance du 24 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a rejeté la demande en rétractation de la société Fiscalead ainsi que la demande reconventionnelle en levée de séquestre de la société Eurotax.
Par arrêt du 23 mars 2023, la cour d'appel de Versailles a :
- confirmé l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a statué sur le séquestre ;
- rejeté l'exception de nullité soulevée par la société Fiscalead ;
- précisé la mission de l'huissier en y ajoutant les termes suivants : 'tous documents, toutes correspondances, factures, contrats, tous fichiers établis entre le 1er août 2020 et le 21 mai 2021" ;
- ordonné à l'étude d'huissier ID FACTO de procéder à un nouveau tri des éléments appréhendés obtenus hors du périmètre ainsi modifié ;
- ordonné à l'huissier la restitution à la société Fiscalead de tous les éléments prélevés en contradiction de cette restriction de la mission ordonnées en appel ;
- dit que l'appelante pourra saisir le juge de premier degré dans le délai d'un mois selon les modalités décrites aux articles R. 153-3 à R. 153-9 du code de commerce ;
- rejeté le surplus des demandes ;
- condamné la société Fiscalead à verser à la société Eurotax la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Fiscalead aux dépens d'appel.
Par actes des 18 et 19 avril 2023, la société Fiscalead et Mme [F] ont fait assigner en référé la société Eurotax d'une demande avant-dire droit de restitution des pièces, et au fond, d'une demande de mise en oeuvre de la procédure de levée de séquestre conformément aux dispositions prévues aux articles R. 153-3 et R. 153-9 du code de commerce.
Par ordonnance contradictoire rendue le 10 janvier 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- déclaré irrecevable la demande de la société Fiscalead et de Mme [F] de non-communication de pièces qui seraient couvertes par le secret des affaires,
- ordonné la main-levée du séquestre provisoire prononcé par ordonnance du 18 juin 2021 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre,
- enjoint à l'étude de commissaire de justice ID FACTO de communiquer à la société Eurotax l'intégralité des pièces séquestrées le 18 juin 2021, à l'exception de celles pour lesquelles une restitution à la société Fiscalead a déjà été ordonnée par arrêt du 23 mars 2023 de la cour d'appel de Versailles,
- condamné in solidum la société Fiscalead et Mme [F] aux dépens,
- condamné in solidum la société Fiscalead et Mme [F] à payer à la société Eurotax la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration reçue au greffe le 12 janvier 2024, la société Fiscalead et Mme [F] ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 30 juillet 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Fiscalead et Mme [F] demandent à la cour, au visa des articles L.151-1, L.153-1, R.153-1, R153-3 et suivants du code de commerce, 145, 700 et 754 du code de procédure civile, de :
'- déclarer la société Fiscalead recevable et bien fondée en son appel et en ses prétentions ;
- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 10 janvier 2024 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre (RG 22/01993) en ce qu'elle a :
- déclaré irrecevable la demande de la société Fiscalead et de Mme [U] [T] de non communication de pièces qui seraient couvertes par le secret des affaires,
- ordonné la main-levée du séquestre provisoire prononcé par ordonnance du 18 juin 2021 par
le président du tribunal judiciaire de Nanterre,
- enjoins à l'étude de commissaire de justice ID Facto de communiquer à la société Eurotax l'intégralité des pièces séquestrées le 18 juin 2021, à l'exception de celles pour lesquelles une restitution à la société FISCALEAD a déjà été ordonnée par arrêt du 23 mars 2023 de la cour d'appel de Versailles,
- condamné in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] aux dépens,
- condamné in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] à payer à la société Eurotax la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
et statuant à nouveau,
- déclarer recevable la demande de la société Fiscalead et Mme [U] [T] de mise en 'uvre de la procédure sur la protection du secret des affaires selon les articles R.153-3 et suivants du
code de commerce ;
- déclarer recevable la demande de la société Fiscalead et Mme [U] [T] de non communication des pièces séquestrées au sein de l'étude d'huissier qui sont couvertes par le secret des affaires ;
en conséquence,
à titre principal,
- juger que la procédure de levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'étude d'huissier ID Facto le 17 juin 2021 doit se faire conformément aux articles R.153-3 à R.1539 du code de commerce ;
- demander à la société Fiscalead et Mme [U] [T], dans un délai d'un mois à compter du présent arrêt à intervenir, de :
- procéder à un tri des pièces séquestrées, en les regroupant en quatre catégories :
- catégorie A : les pièces pouvant être communiquées sans examen ;
- catégorie B : les pièces concernées par le secret des affaires que la société Fiscalead et Mme [U] [T] refusent entièrement de communiquer ;
- catégorie C : les pièces concernées par le secret des affaires que la société Fiscalead et Mme [U] [T] acceptent de communiquer partiellement ;
- catégorie D : les pièces qui ne sont pas concernées par le secret des affaires mais que la société Fiscalead et Mme [U] [T] refusent de communiquer.
- dire que ce tri sera communiqué à l'étude d'huissier ID Facto, en la personne de l'un de ses associés, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;
- dire que l'intégralité de la rémunération de l'étude ID Facto, commissaire de justice, sera pris en charge directement et intégralement par la société Eurotax ;
- juger que pour les 3 307 pièces concernées par le secret des affaires, la société Fiscalead et
Mme [U] [T] communiqueront à la cour un mémoire précisant de manière détaillée, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires ;
- remettre à la cour d'appel de Versailles sur une clé usb, dans ce même délai d'un mois, pour les 3 307 pièces concernées par le secret des affaires, le mémoire ;
- juger que le juge pourra entendre la société Fiscalead et Mme [U] [T], représentées par leur conseil ;
à titre subsidiaire,
- juger que la procédure de levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'étude d'huissier ID Facto le 17 juin 2021 doit se faire conformément aux articles R.153-3 à R.1539 du code de commerce ;
- renvoyer les parties devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre pour les opérations de levée de séquestre dans les conditions prévues par les articles R.153-3 à R.153-10 du code de commerce, à charge pour ce dernier de fixer le délai pour la remise des documents et la mise en 'uvre de la procédure de la levée du séquestre ;
en tout état de cause,
- déclarer irrecevable comme nouvelle en cause d'appel la demande formulée par la Société Eurotax de « condamner in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] à régler à la société Eurotax la somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil » ;
- débouter la société Eurotax de toutes ses demandes, fins, prétentions et conclusions ;
- condamner la société Eurotax à régler à la société Fiscalead et à Mme [U] [T] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Eurotax aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par Maître
Mélina Pedroletti avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure
civile'
Dans ses dernières conclusions déposées le 1er juillet 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Eurotax demande à la cour, au visa des articles L.153-1, R.153-1 et suivants du code de commerce, 4, 16, 32-1 et 954 du code de procédure civile et 1240 du code civil, de :
'1. à titre principal,
- confirmer l'ordonnance de référé du 10 janvier 2024 en tous ses chefs,
par conséquent,
- débouter la société Fiscalead de l'ensemble de ses demandes,
2. à titre subsidiaire, si par extraordinaire, l'ordonnance de première instance devait être infirmée en ce qu'elle a prononcé l'irrecevabilité de la demande de non communication :
statuant à nouveau :
- déclarer que la cour n'est pas saisie des demandes formulées par les appelantes, au dispositif, par les termes « juger que », « demander »
- déclarer que la cour n'est pas saisie de la demande de mise en 'uvre de la procédure de tri et, en particulier, d'une demande de fixation d'un délai pour le dépôt des mémoires et versions ;
par conséquent,
- confirmer la levée du séquestre ordonnée en première instance ;
- débouter les appelantes de leur demande de renvoi devant le juge de première instance ;
- débouter les appelantes de toutes leurs demandes ;
3. en tout état de cause,
- réformer l'ordonnance de référé rendue 10 Janvier 2204 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu'elle rejette : « les demandes plus amples ou contraires. »
en conséquence ;
- condamner in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] à régler à la société Eurotax la somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;
- condamner in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] à régler à la société Eurotax la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité des demandes de la société Fiscalead et Mme [T]
La société Fiscalead et Mme [T] affirment que, dans son arrêt du 23 mars 2023, la présente cour n'avait fixé un délai d'un mois que pour la saisine du tribunal judiciaire de Nanterre, délai qu'elles ont respecté, et contestent que ce délai ait pu correspondre à la communication des mémoires et des versions des pièces dès lors que la procédure de tri n'avait pas commencé.
Elles exposent que le président du tribunal judiciaire de Nanterre ne leur a jamais fixé de délai pour la remise des mémoires et des versions des pièces, les privant ainsi de leur droit de bénéficier de la procédure de tri sur le secret des affaires.
Les appelantes indiquent que, jusqu'au 6 septembre 2023, le commissaire de justice n'avait pas donné à Mme [T] la copie des pièces saisies à son domicile et réfutent l'attestation contraire de Maître [G] en faisant valoir qu'il n'était pas présent lors de la saisie.
Elles en déduisent qu'il ne pouvait en conséquence leur être ordonné, dans le délai d'un mois octroyé par la cour, de procéder à la remise des pièces alors même qu'elles n'en avaient pas connaissance et que le commissaire de justice devait procéder à un nouveau tri.
Invoquant les dispositions de l'article R. 153-3 du code de commerce, la société Fiscalead et Mme [T] affirment qu'il appartient au juge chargé de la procédure de tri de fixer un délai pour la remise des mémoires et des pièces.
Elles exposent que le juge de la rétractation n'est pas le juge compétent pour se prononcer sur la levée du séquestre dès lors que deux instances sont en cours devant le même juge des référés, ce qui était le cas en l'espèce puisque, alors que la société Fiscalead avait engagé une instance en rétractation devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre, la société Eurotax avait de son côté intenté une procédure en levée de séquestre devant le même juge, aucune jonction n'ayant été ordonnée entre ces deux instances.
Les appelantes expliquent que le président du tribunal judiciaire de Nanterre avait préalablement rendu le 31 août 2023 une ordonnance mettant en oeuvre les premières modalités de la procédure de tri, ce qui implique nécessairement qu'il les avait estimées recevables en leurs demandes.
La société Fiscalead et Mme [T] font ensuite valoir que le président du tribunal judiciaire de Nanterre a violé le principe du contradictoire en retenant un moyen qui n'avait pas été invoqué ni débattu entre les parties.
Elles soutiennent que le président du tribunal judiciaire de Nanterre n'a jamais fixé de délai pour la remise des mémoires et des pièces, les termes de l'ordonnance du 31 août 2023 étant clairs sur ce point.
Elles contestent enfin toute irrecevabilité de leurs demandes fondée sur une prétendue violation du principe du contradictoire, exposant avoir produit la liste des pièces au soutien de la procédure.
La société Fiscalead et Mme [T] sollicitent en conséquence l'infirmation de la décision querellée et de les déclarer recevables dans leur demande de mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires.
Concluant à l'inverse à la confirmation de l'ordonnance attaquée, la société Eurotax indique que, dans son arrêt du 23 mars 2023, la cour, qui pouvait statuer sur mainlevée totale ou partielle du séquestre, a ordonné la procédure de tri et qu'en application de l'article R. 153-3 du code de commerce, il appartenait à Mme [T] et à la société Fiscalead, sous peine d'irrecevabilité, de remettre dans le délai d'un mois au greffe la version confidentielle intégrale des pièces concernées par le secret des affaires, une version non confidentielle ou un résumé et un mémoire comportant la motivation de leur demande.
Elle fait valoir que, lors de l'audience de plaidoiries, le juge des référés a interrogé les parties sur le délai d'un mois fixé par la cour et qu'il ne s'agit pas d'un moyen relevé d'office.
L'intimée expose que les listes des éléments saisis ont été remis à Mme [T] et la société Fiscalead à la fin des opérations de constat et que celles-ci disposaient donc de tous les éléments pour déposer les mémoires et versions requis dans le délai d'un mois qui leur était imparti.
La société Eurotax fait valoir que, à supposer même que le délai d'un mois fixé par l'arrêt de la cour ne correspondait pas au délai dans lequel les appelantes devaient déposer les mémoires et versions, celles-ci n'ont en tout état de cause pas davantage déposé lesdits mémoires dans le délai fixé par le juge de première instance, à savoir le 10 octobre 2023 tel qu'indiqué dans l'ordonnance, ou à tout le moins le 15 novembre 2023, date de l'audience.
Elle soutient également que les appelantes ont refusé de communiquer avant l'audience du 15 novembre la liste des pièces dont elles réclament la protection par le secret, liste qu'elles ne produisent d'ailleurs toujours pas devant la cour, cette violation du principe du contradictoire devant entraîner selon l'intimée l'irrecevabilité des demandes de Mme [T] et la société Fiscalead.
La société Eurotax affirme que ne peuvent bénéficier de la protection du secret des affaires que les pièces qui ne seraient pas utiles à la solution du litige et que l'ensemble des documents saisis sont en l'espèce des preuves nécessaires dans le cadre du litige l'opposant aux appelantes.
Sur ce,
En vertu des dispositions de l'article R 153-3 du code de commerce 'à peine d'irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci :
1° La version confidentielle intégrale de cette pièce ;
2° Une version non confidentielle ou un résumé ;
3° Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires.
Le juge peut entendre séparément le détenteur de la pièce, assisté ou représenté par toute personne habilitée, et la partie qui demande la communication ou la production de cette pièce'.
En l'espèce, si la cour a indiqué dans son arrêt du 23 mars 2023 'que l'appelante pourra saisir le juge de premier degré dans le délai d'un mois selon les modalités décrites aux articles R. 153-3 à R. 153-9 du code de commerce', cette formulation ne permet pas d'en déduire que ce délai correspondait au délai imparti par le juge pour fournir les versions et mémoires au sens de l'article R. 153-3 susvisé, étant au surplus souligné d'une part que la cour renvoyait la mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires devant le juge de premier ressort qui seul pouvait en organiser les modalités pratiques et d'autre part que, le périmètre de la saisie étant réduit et le commissaire de justice étant amené à effectuer un nouveau tri des éléments appréhendés, la société Fiscalead et Mme [T] ne se trouvaient à l'évidence pas en mesure de faire parvenir au juge dans le délai d'un mois les pièces concernées par le secret des affaires alors même qu'elles ne connaissaient pas les éléments encore concernés par la saisie.
De même, il ne peut être déduit de la rédaction de l'ordonnance du 31 août 2023 qui 'ordonne à Fiscalead et Mme [T] de communiquer avant le 10 octobre la liste des pièces dont elles estiment qu'elles ne peuvent être communiquées à la société Eurotax parce qu'elles sont couvertes par un secret protégé' qu'il était attendu des appelantes qu'elles fournissent pour cette date les versions et mémoires, l'article R. 153-3 n'étant pas visé dans cette ordonnance, dans laquelle en outre il manque une partie de la motivation de sorte que les attentes précises du juge des référés ne sont pas connues.
A titre surabondant, il y a lieu de dire que, dès lors que le juge des référés avait accepté le 31 août 2023 de commencer à mettre en oeuvre la procédure de tri, il existe une certaine incohérence à finalement le 10 janvier 2024 déclarer irrecevables Mme [T] et la société Fiscalead en leurs demandes à ce titre pour un motif antérieur à la première ordonnance.
Dès lors qu'il est constant que Mme [T] et la société Fiscalead ont saisi le juge des référés d'une demande de mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires dans le mois ayant suivi l'arrêt du 23 mars 2023, il convient en conséquence de déclarer recevable cette demande et l'ordonnance querellée sera infirmée.
Sur la mise en oeuvre de la procédure de protection du secret des affaires
Mme [T] et la société Fiscalead indiquent que 10 211 pièces ont été saisies par le commissaire de justice et qu'elles souhaitent :
- l'exclusion totale de 2 785 pièces en intégralité,
- l 'exclusion partielle de 522 pièces (caviardage partiel),
les pièces restant (6 904 pièces) n'étant selon elles pas couvertes par le secret des affaires.
Elles exposent produire leur pièce n°23 qui est la liste des pièces dont elles souhaitent qu'elles soient exclues totalement ou partiellement.
Les appelantes précisent être en relation avec la société UPS et lui fournir un service IOR-EOR, i.e. importateur et exportateur tiers pour le compte de travaux étrangers, service qui n'est pas proposé par la société Eurotax et qui fait l'objet de travaux de recherche et développement. Elles en déduisent que la transmission des pièces saisies relatives à ces contrats leur serait très dommageable et que ces pièces sont couvertes par le secret des affaires.
Elles font valoir que certaines pièces n'ont été saisies que parce que des documents leur ont été envoyés par des clients via le transporteur UPS, ou en raison de l'utilisation du terme 'follow ups'.
Elles affirment que le commissaire de justice a saisi des documents internes à la société Fiscalead incluant des notes stratégiques, des chiffrages comprenant des noms de clients et des idées de développement et divers documents confidentiels (accords de confidentialité, document commercial 'IOSS FSL').
Mme [T] et la société Fiscalead soutiennent que le commissaire de justice a également saisi:
- des correspondances confidentielles et des lettres de mission échangées avec leur ancien conseil,
- les notes internes de la société Fiscalead concernant ses budgets prévisionnels, son plan et sa stratégie de développement,
- tous les documents comprenant le mot 'Eurotax' alors même que les anciennes salariées de cette société l'ont naturellement mentionné sur leurs CV et leurs correspondances, notamment avec leurs banques, les administrations fiscale et des douanes ou l'assurance maladie.
Elles exposent que l'utilisation des mots clés 'Decantalo' et 'Crown' a conduit à la saisie de documents confidentiels (comptes de résultat, grands livres, liste de clients, business plan, plaquette commerciale de présentation et contrats signés) ainsi que toutes les correspondances avec ces sociétés clientes.
Les appelantes contestent également la saisie des contrats de services et de nombreux courriels comprenant des informations sur ses services, prix et conditions tarifaires.
Mme [T] et la société Fiscalead concluent que ces informations sont protégées par le secret des affaires, dès lors qu'elles ne sont connues que d'un nombre restreint de personnes, qu'elles ont une valeur commerciale effective ou potentielle et qu'elles font l'objet de mesures de protection raisonnable, la circonstance que les sociétés Eurotax et Fiscalead dispensent une activité sur des segments très proches étant de nature à permettre à l'intimée d'accaparer la stratégie, les marques distinctives, la méthodologie et les travaux de la société Fiscalead et de proposer des services similaires à des tarifs plus avantageux.
Mme [T] et la société Fiscalead sollicitent la fixation d'un délai pour la remise des documents et l'organisation de la procédure de tri devant la cour d'appel.
Elles indiquent que les formulations de 'dire' et 'demander' sont classiquement utilisées dans les procédures de tri et qu'elles correspondent à des prétentions.
A titre subsidiaire, les appelantes sollicitent le renvoi devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour la mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires.
La société Eurotax affirme que ne peuvent bénéficier de la protection du secret des affaires que les pièces qui ne seraient pas utiles à la solution du litige et que l'ensemble des documents saisis sont en l'espèce des preuves nécessaires dans le cadre du litige l'opposant aux appelantes.
L'intimée expose que la cour n'est pas saisie par les demandes de 'juger' et 'demander' qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, elle en déduit qu'aucune procédure de tri ne peut donc être mise en oeuvre par la cour.
Elle soutient que, si la cour considérait la demande recevable de la société Fiscalead et de Mme [T], elle serait compétente pour statuer sur la mise en 'uvre de la procédure prévue aux articles R.153-3 et suivants du code de commerce, aucun élément ne justifiant un renvoi devant le juge de première instance.
Sur ce,
Si la cour rappelle classiquement qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constater' ou de 'dire et juger' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, il n'en est pas de même des demandes formées en l'espèce par Mme [T] et la société Fiscalead qui tendent explicitement à l'application de la procédure de secret des affaires et qui saisissent valablement la cour.
Il est en conséquence nécessaire d'organiser, à hauteur d'appel, une procédure de levée de séquestre en chambre du conseil.
A cette fin, l'affaire est renvoyée à l'audience du 20 novembre à 9h30 en salle 5 ;
Pour cette audience, il sera demandé à la société Fiscalead et à Mme [T] de procéder à un tri de l'intégralité des pièces saisies en les regroupant en quatre catégories, chacune devant comporter un inventaire précis des pièces contenues :
- catégorie A : les pièces pouvant être communiquées sans examen ;
- catégorie B : les pièces concernées par le secret des affaires et que les intimées refusent de communiquer totalement ;
- catégorie C : les pièces concernées par le secret des affaires et que les intimées refusent de communiquer partiellement ;
- catégorie D : les pièces qui ne sont pas concernées par le secret des affaires mais que les intimées refusent de communiquer ou estiment sans intérêt pour le litige.
Ce tri, où chaque pièce sera identifiée par une numérotation distincte, sera communiqué au commissaire de justice pour que soit effectué un contrôle de cohérence avec les fichiers séquestrés.
Pour les pièces concernées par le secret des affaires, la société Fiscalead et Mme [T] produiront, conformément à l'article R. 153-3 du code de commerce :
- la version confidentielle intégrale de chacune de ces pièces ;
- une version non confidentielle ou un résumé ;
- un mémoire précisant de manière détaillée, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires.
Il convient de rappeler aux appelantes qu'elles ne peuvent, sous couvert de cette procédure, remettre en cause les mots-clés tels qu'ils ont été fixés par le juge des requêtes et confirmés par la cour.
En application de l'article R. 153-6 précité, la société Eurotax sera invitée à désigner une personne physique pouvant avoir accès, le cas échéant, aux pièces nécessaires à la solution du litige mais portant potentiellement atteinte au secret des affaires telles qu'elles seront sélectionnées par la juridiction de céans.
Outre les avocats des parties, cette personne pourra assister à l'audience, ainsi qu'une personne physiques désignée pour la société Fiscalead et Mme [T] en application de l'article L. 153-1 du code de commerce.
En tant que de besoin, et comme le prévoit le dernier alinéa de l'article R. 153-3 du code de commerce, il pourra être procédé à l'audience à une audition séparée des représentants de la société Eurotax, d'une part, de ceux la société Fiscalead et Mme [T], d'autre part.
Enfin, l'avocat de la société Eurotax sera invité à indiquer, en préambule à cette audience, s'il entend maintenir la demande de communication concernant l'ensemble des pièces séquestrées.
S'il entend réduire à cet égard le champ de sa demande, il lui est demandé de l'indiquer à son adversaire dans les trois semaines précédant l'audience, afin que ce dernier n'ait pas à préparer une défense qui deviendrait sans objet.
Sur la demande au titre de la procédure abusive
Mme [T] et la société Fiscalead invoquent l'irrecevabilité de la demande formée par la société Eurotax au titre de la procédure abusive au motif qu'elle est nouvelle en appel.
Elles concluent sur le fond à son débouté, faisant valoir qu'elles ont toujours respecté les décisions judiciaires et qu'elles souhaitent clore le litige le plus rapidement possible, tout en obtenant le bénéfice de la procédure de tri qui leur a été refusée en première instance.
Elles affirment qu'il ne leur appartient pas de remettre directement des pièces à la société Eurotax sans contrôle préalable du commissaire de justice et sans ordonnance en ce sens.
Elles soutiennent que la société Eurotax ne justifie d'aucun préjudice.
La société Eurotax affirme qu'il est établi que de manière totalement dilatoire et abusive, la société Fiscalead et Mme [T] ne cessent de retarder la remise des documents saisis, ce qui doit conduire à leur condamnation pour procédure abusive.
Elle conteste que cette demande puisse être qualifiée de nouvelle et la qualifie d'accessoire et de conséquence des prétentions formulées en première instance.
L'intimée rappelle la chronologie de la procédure et fait valoir qu'il ne peut être sérieusement allégué par les appelantes que plus de 3 000 pièces pourraient être concernées par le secret des affaires.
Elle précise que, alors que les appelantes avaient donné devant le premier juge leur accord à la remise de 6 904 pièces, elles se sont ensuite opposées à cette transmission
Sur ce,
Si la demande de la société Eurotax au titre de la procédure abusive ne peut être déclarée irrecevable au motif qu'elle serait nouvelle en appel alors qu'elle est le complément de celles formées en première instance au sens de l'article 566 du code de procédure civile, elle est cependant mal fondée dès lors que Mme [T] et la société Fiscalead obtiennent gain de cause en appel. L'intimée sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les demandes accessoires
Mme [T] et la société Fiscalead étant accueillies en leur recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Il y a lieu de réserver les dépens.
En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance attaquée,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable la demande de Mme [T] et de la société Fiscalead au titre de la mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires ;
Renvoie l'examen de cette demande, en chambre du conseil, à l'audience du 20 novembre à 9h30 en salle 5 ;
Enjoint à la société Fiscalead et à Mme [T] de :
- procéder à un tri des pièces séquestrées, en les regroupant en trois catégories, devant chacune comporter un inventaire précis des pièces contenues :
- catégorie A : les pièces pouvant être communiquées sans examen ;
- catégorie B : les pièces concernées par le secret des affaires et que les appelantes refusent de communiquer totalement ;
- catégorie C : les pièces concernées par le secret des affaires et que les appelantes refusent de communiquer partiellement ;
- catégorie D: les pièces qui ne sont pas concernées par le secret des affaires mais que les appelantes refusent de communiquer ou qui sont sans intérêt pour le litige ;
- communiquer ce tri où chaque pièce sera identifiée par une numérotation distincte, au commissaire de justice avant le 4 novembre 2024 pour que soit effectué un contrôle de cohérence avec les fichiers initiaux séquestrés et communiquer concomitamment une copie de ce tri à la cour ;
- dit que le commissaire de justice devra faire parvenir à la cour avant le 15 novembre un courrier attestant avoir procédé au contrôle de cohérence ;
- verser au commissaire de justice une provision de 1 000 euros à valoir sur ses honoraires ;
- remettre à la cour avant le 10 novembre à 14 heures pour les pièces concernées par le secret des affaires :
- la version confidentielle intégrale de chacune de ces pièces ;
- une version non confidentielle ou un résumé de ces pièces, sauf pour celles dont elles accepteraient finalement la communication sans discussion ;
- un mémoire précisant de manière détaillée, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires sauf pour celles dont elles accepteraient finalement la communication sans discussion ;
Rappelle aux appelantes qu'à défaut de respect de ce délai, elles seront irrecevables à invoquer le secret des affaires ;
Invite la société Eurotax à désigner une personne physique pouvant avoir accès aux pièces litigieuses ;
Indique aux parties qu'il pourra être décidé au cours de cette audience que les débats se poursuivront hors la présence des représentants de la société Eurotax ;
Limite la présence à cette audience à une seule personne physique par partie outre les conseils ;
Invite l'avocat de la société Eurotax à indiquer, préalablement à cette audience, s'il entend maintenir la demande de communication concernant l'ensemble des pièces séquestrées et, s'il entend réduire à cet égard le champ de sa demande, l'invite à indiquer à son adversaire dès que possible et, en tout état de cause, dans les deux semaines précédant l'audience les pièces dont il renonce à obtenir la communication ;
Dit que les frais exposés pour le tri des pièces seront ultérieurement compris dans les dépens ;
Rejette la demande au titre de la procédure abusive ;
Réserve les dépens ;
Rejette les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président
DE
VERSAILLES
Code nac : 39H
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 OCTOBRE 2024
N° RG 24/00333 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WJIL
AFFAIRE :
[U] [T] épouse [F]
...
C/
S.A.R.L. EUROTAX La Société EUROTAX
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 10 Janvier 2024 par le Président du TJ de NANTERRE
N° RG : 22/01993
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 17.10.2024
à :
Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES (626)
Me Dan ZERHAT, avocat au barreau de VERSAILLES (731)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [U] [T] épouse [F]
née le 07 Janvier 1982 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
S.A.S. FISCALEAD
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 26328
Plaidant : Me Jonathan BELLAICHE, du barreau de Paris
APPELANTES
****************
S.A.R.L. EUROTAX
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 332 089 218
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078018
Plaidant : Me Nelly MACHADO, du barreau de Lyon
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Septembre 2024, Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseillère ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas VASSEUR, Président,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI
EXPOSE DU LITIGE
La S.A.R.L. Eurotax a pour objet l'assistance à des entreprises dans leurs obligations déclaratives auprès de l'administration fiscale et leurs demandes de remboursement de taxes.
Le 10 octobre 2017, Mme [F] a été embauchée par la société Eurotax en qualité de directrice des opérations fiscales et douanières.
Le 4 décembre 2017, Mme [E] [H] a également été embauchée par la société Eurotax en qualité de chef de projet en ingénierie douanière et fiscale.
Les ruptures conventionnelles de Mme [F] et de Mme [H] ont été concomitamment actées le 19 novembre 2020.
Le 13 novembre 2020, Mme [H] a créé la société Pangee, dont elle est l'unique associée, ayant pour activité des services de conseil en matière d'affaires et de gestion, et en développement de solutions informatiques.
Le 24 novembre 2020, Mme [F] a également créé une société, la société [T], dont elle est l'unique associée, ayant la même activité. Mme [H] et Mme [F] ont ensemble créé la S.A.S. Fiscalead le 28 décembre 2020, ayant pour activité l'assistance opérationnelle en fiscalité indirecte, comprenant la douane et les droits d'accises.
Par ordonnance du 21 mai 2021, le juge des requêtes du tribunal judiciaire de Nanterre a autorisé la société Eurotax à faire procéder par un huissier de justice, au domicile de la société Fiscalead et à celui de ses associées, à des opérations de constats et de saisie destinées à établir la preuve d'actes de concurrence déloyale.
Par ordonnance rendue sur requête du 18 juin 2021, le président du tribunal judiciaire de Nanterre a ordonné le placement sous séquestre provisoire des documents saisis.
Par ordonnance du 24 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a rejeté la demande en rétractation de la société Fiscalead ainsi que la demande reconventionnelle en levée de séquestre de la société Eurotax.
Par arrêt du 23 mars 2023, la cour d'appel de Versailles a :
- confirmé l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a statué sur le séquestre ;
- rejeté l'exception de nullité soulevée par la société Fiscalead ;
- précisé la mission de l'huissier en y ajoutant les termes suivants : 'tous documents, toutes correspondances, factures, contrats, tous fichiers établis entre le 1er août 2020 et le 21 mai 2021" ;
- ordonné à l'étude d'huissier ID FACTO de procéder à un nouveau tri des éléments appréhendés obtenus hors du périmètre ainsi modifié ;
- ordonné à l'huissier la restitution à la société Fiscalead de tous les éléments prélevés en contradiction de cette restriction de la mission ordonnées en appel ;
- dit que l'appelante pourra saisir le juge de premier degré dans le délai d'un mois selon les modalités décrites aux articles R. 153-3 à R. 153-9 du code de commerce ;
- rejeté le surplus des demandes ;
- condamné la société Fiscalead à verser à la société Eurotax la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Fiscalead aux dépens d'appel.
Par actes des 18 et 19 avril 2023, la société Fiscalead et Mme [F] ont fait assigner en référé la société Eurotax d'une demande avant-dire droit de restitution des pièces, et au fond, d'une demande de mise en oeuvre de la procédure de levée de séquestre conformément aux dispositions prévues aux articles R. 153-3 et R. 153-9 du code de commerce.
Par ordonnance contradictoire rendue le 10 janvier 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- déclaré irrecevable la demande de la société Fiscalead et de Mme [F] de non-communication de pièces qui seraient couvertes par le secret des affaires,
- ordonné la main-levée du séquestre provisoire prononcé par ordonnance du 18 juin 2021 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre,
- enjoint à l'étude de commissaire de justice ID FACTO de communiquer à la société Eurotax l'intégralité des pièces séquestrées le 18 juin 2021, à l'exception de celles pour lesquelles une restitution à la société Fiscalead a déjà été ordonnée par arrêt du 23 mars 2023 de la cour d'appel de Versailles,
- condamné in solidum la société Fiscalead et Mme [F] aux dépens,
- condamné in solidum la société Fiscalead et Mme [F] à payer à la société Eurotax la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration reçue au greffe le 12 janvier 2024, la société Fiscalead et Mme [F] ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 30 juillet 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Fiscalead et Mme [F] demandent à la cour, au visa des articles L.151-1, L.153-1, R.153-1, R153-3 et suivants du code de commerce, 145, 700 et 754 du code de procédure civile, de :
'- déclarer la société Fiscalead recevable et bien fondée en son appel et en ses prétentions ;
- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 10 janvier 2024 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre (RG 22/01993) en ce qu'elle a :
- déclaré irrecevable la demande de la société Fiscalead et de Mme [U] [T] de non communication de pièces qui seraient couvertes par le secret des affaires,
- ordonné la main-levée du séquestre provisoire prononcé par ordonnance du 18 juin 2021 par
le président du tribunal judiciaire de Nanterre,
- enjoins à l'étude de commissaire de justice ID Facto de communiquer à la société Eurotax l'intégralité des pièces séquestrées le 18 juin 2021, à l'exception de celles pour lesquelles une restitution à la société FISCALEAD a déjà été ordonnée par arrêt du 23 mars 2023 de la cour d'appel de Versailles,
- condamné in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] aux dépens,
- condamné in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] à payer à la société Eurotax la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
et statuant à nouveau,
- déclarer recevable la demande de la société Fiscalead et Mme [U] [T] de mise en 'uvre de la procédure sur la protection du secret des affaires selon les articles R.153-3 et suivants du
code de commerce ;
- déclarer recevable la demande de la société Fiscalead et Mme [U] [T] de non communication des pièces séquestrées au sein de l'étude d'huissier qui sont couvertes par le secret des affaires ;
en conséquence,
à titre principal,
- juger que la procédure de levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'étude d'huissier ID Facto le 17 juin 2021 doit se faire conformément aux articles R.153-3 à R.1539 du code de commerce ;
- demander à la société Fiscalead et Mme [U] [T], dans un délai d'un mois à compter du présent arrêt à intervenir, de :
- procéder à un tri des pièces séquestrées, en les regroupant en quatre catégories :
- catégorie A : les pièces pouvant être communiquées sans examen ;
- catégorie B : les pièces concernées par le secret des affaires que la société Fiscalead et Mme [U] [T] refusent entièrement de communiquer ;
- catégorie C : les pièces concernées par le secret des affaires que la société Fiscalead et Mme [U] [T] acceptent de communiquer partiellement ;
- catégorie D : les pièces qui ne sont pas concernées par le secret des affaires mais que la société Fiscalead et Mme [U] [T] refusent de communiquer.
- dire que ce tri sera communiqué à l'étude d'huissier ID Facto, en la personne de l'un de ses associés, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;
- dire que l'intégralité de la rémunération de l'étude ID Facto, commissaire de justice, sera pris en charge directement et intégralement par la société Eurotax ;
- juger que pour les 3 307 pièces concernées par le secret des affaires, la société Fiscalead et
Mme [U] [T] communiqueront à la cour un mémoire précisant de manière détaillée, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires ;
- remettre à la cour d'appel de Versailles sur une clé usb, dans ce même délai d'un mois, pour les 3 307 pièces concernées par le secret des affaires, le mémoire ;
- juger que le juge pourra entendre la société Fiscalead et Mme [U] [T], représentées par leur conseil ;
à titre subsidiaire,
- juger que la procédure de levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'étude d'huissier ID Facto le 17 juin 2021 doit se faire conformément aux articles R.153-3 à R.1539 du code de commerce ;
- renvoyer les parties devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre pour les opérations de levée de séquestre dans les conditions prévues par les articles R.153-3 à R.153-10 du code de commerce, à charge pour ce dernier de fixer le délai pour la remise des documents et la mise en 'uvre de la procédure de la levée du séquestre ;
en tout état de cause,
- déclarer irrecevable comme nouvelle en cause d'appel la demande formulée par la Société Eurotax de « condamner in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] à régler à la société Eurotax la somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil » ;
- débouter la société Eurotax de toutes ses demandes, fins, prétentions et conclusions ;
- condamner la société Eurotax à régler à la société Fiscalead et à Mme [U] [T] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Eurotax aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par Maître
Mélina Pedroletti avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure
civile'
Dans ses dernières conclusions déposées le 1er juillet 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Eurotax demande à la cour, au visa des articles L.153-1, R.153-1 et suivants du code de commerce, 4, 16, 32-1 et 954 du code de procédure civile et 1240 du code civil, de :
'1. à titre principal,
- confirmer l'ordonnance de référé du 10 janvier 2024 en tous ses chefs,
par conséquent,
- débouter la société Fiscalead de l'ensemble de ses demandes,
2. à titre subsidiaire, si par extraordinaire, l'ordonnance de première instance devait être infirmée en ce qu'elle a prononcé l'irrecevabilité de la demande de non communication :
statuant à nouveau :
- déclarer que la cour n'est pas saisie des demandes formulées par les appelantes, au dispositif, par les termes « juger que », « demander »
- déclarer que la cour n'est pas saisie de la demande de mise en 'uvre de la procédure de tri et, en particulier, d'une demande de fixation d'un délai pour le dépôt des mémoires et versions ;
par conséquent,
- confirmer la levée du séquestre ordonnée en première instance ;
- débouter les appelantes de leur demande de renvoi devant le juge de première instance ;
- débouter les appelantes de toutes leurs demandes ;
3. en tout état de cause,
- réformer l'ordonnance de référé rendue 10 Janvier 2204 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu'elle rejette : « les demandes plus amples ou contraires. »
en conséquence ;
- condamner in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] à régler à la société Eurotax la somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;
- condamner in solidum la société Fiscalead et Mme [U] [T] à régler à la société Eurotax la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité des demandes de la société Fiscalead et Mme [T]
La société Fiscalead et Mme [T] affirment que, dans son arrêt du 23 mars 2023, la présente cour n'avait fixé un délai d'un mois que pour la saisine du tribunal judiciaire de Nanterre, délai qu'elles ont respecté, et contestent que ce délai ait pu correspondre à la communication des mémoires et des versions des pièces dès lors que la procédure de tri n'avait pas commencé.
Elles exposent que le président du tribunal judiciaire de Nanterre ne leur a jamais fixé de délai pour la remise des mémoires et des versions des pièces, les privant ainsi de leur droit de bénéficier de la procédure de tri sur le secret des affaires.
Les appelantes indiquent que, jusqu'au 6 septembre 2023, le commissaire de justice n'avait pas donné à Mme [T] la copie des pièces saisies à son domicile et réfutent l'attestation contraire de Maître [G] en faisant valoir qu'il n'était pas présent lors de la saisie.
Elles en déduisent qu'il ne pouvait en conséquence leur être ordonné, dans le délai d'un mois octroyé par la cour, de procéder à la remise des pièces alors même qu'elles n'en avaient pas connaissance et que le commissaire de justice devait procéder à un nouveau tri.
Invoquant les dispositions de l'article R. 153-3 du code de commerce, la société Fiscalead et Mme [T] affirment qu'il appartient au juge chargé de la procédure de tri de fixer un délai pour la remise des mémoires et des pièces.
Elles exposent que le juge de la rétractation n'est pas le juge compétent pour se prononcer sur la levée du séquestre dès lors que deux instances sont en cours devant le même juge des référés, ce qui était le cas en l'espèce puisque, alors que la société Fiscalead avait engagé une instance en rétractation devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre, la société Eurotax avait de son côté intenté une procédure en levée de séquestre devant le même juge, aucune jonction n'ayant été ordonnée entre ces deux instances.
Les appelantes expliquent que le président du tribunal judiciaire de Nanterre avait préalablement rendu le 31 août 2023 une ordonnance mettant en oeuvre les premières modalités de la procédure de tri, ce qui implique nécessairement qu'il les avait estimées recevables en leurs demandes.
La société Fiscalead et Mme [T] font ensuite valoir que le président du tribunal judiciaire de Nanterre a violé le principe du contradictoire en retenant un moyen qui n'avait pas été invoqué ni débattu entre les parties.
Elles soutiennent que le président du tribunal judiciaire de Nanterre n'a jamais fixé de délai pour la remise des mémoires et des pièces, les termes de l'ordonnance du 31 août 2023 étant clairs sur ce point.
Elles contestent enfin toute irrecevabilité de leurs demandes fondée sur une prétendue violation du principe du contradictoire, exposant avoir produit la liste des pièces au soutien de la procédure.
La société Fiscalead et Mme [T] sollicitent en conséquence l'infirmation de la décision querellée et de les déclarer recevables dans leur demande de mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires.
Concluant à l'inverse à la confirmation de l'ordonnance attaquée, la société Eurotax indique que, dans son arrêt du 23 mars 2023, la cour, qui pouvait statuer sur mainlevée totale ou partielle du séquestre, a ordonné la procédure de tri et qu'en application de l'article R. 153-3 du code de commerce, il appartenait à Mme [T] et à la société Fiscalead, sous peine d'irrecevabilité, de remettre dans le délai d'un mois au greffe la version confidentielle intégrale des pièces concernées par le secret des affaires, une version non confidentielle ou un résumé et un mémoire comportant la motivation de leur demande.
Elle fait valoir que, lors de l'audience de plaidoiries, le juge des référés a interrogé les parties sur le délai d'un mois fixé par la cour et qu'il ne s'agit pas d'un moyen relevé d'office.
L'intimée expose que les listes des éléments saisis ont été remis à Mme [T] et la société Fiscalead à la fin des opérations de constat et que celles-ci disposaient donc de tous les éléments pour déposer les mémoires et versions requis dans le délai d'un mois qui leur était imparti.
La société Eurotax fait valoir que, à supposer même que le délai d'un mois fixé par l'arrêt de la cour ne correspondait pas au délai dans lequel les appelantes devaient déposer les mémoires et versions, celles-ci n'ont en tout état de cause pas davantage déposé lesdits mémoires dans le délai fixé par le juge de première instance, à savoir le 10 octobre 2023 tel qu'indiqué dans l'ordonnance, ou à tout le moins le 15 novembre 2023, date de l'audience.
Elle soutient également que les appelantes ont refusé de communiquer avant l'audience du 15 novembre la liste des pièces dont elles réclament la protection par le secret, liste qu'elles ne produisent d'ailleurs toujours pas devant la cour, cette violation du principe du contradictoire devant entraîner selon l'intimée l'irrecevabilité des demandes de Mme [T] et la société Fiscalead.
La société Eurotax affirme que ne peuvent bénéficier de la protection du secret des affaires que les pièces qui ne seraient pas utiles à la solution du litige et que l'ensemble des documents saisis sont en l'espèce des preuves nécessaires dans le cadre du litige l'opposant aux appelantes.
Sur ce,
En vertu des dispositions de l'article R 153-3 du code de commerce 'à peine d'irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci :
1° La version confidentielle intégrale de cette pièce ;
2° Une version non confidentielle ou un résumé ;
3° Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires.
Le juge peut entendre séparément le détenteur de la pièce, assisté ou représenté par toute personne habilitée, et la partie qui demande la communication ou la production de cette pièce'.
En l'espèce, si la cour a indiqué dans son arrêt du 23 mars 2023 'que l'appelante pourra saisir le juge de premier degré dans le délai d'un mois selon les modalités décrites aux articles R. 153-3 à R. 153-9 du code de commerce', cette formulation ne permet pas d'en déduire que ce délai correspondait au délai imparti par le juge pour fournir les versions et mémoires au sens de l'article R. 153-3 susvisé, étant au surplus souligné d'une part que la cour renvoyait la mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires devant le juge de premier ressort qui seul pouvait en organiser les modalités pratiques et d'autre part que, le périmètre de la saisie étant réduit et le commissaire de justice étant amené à effectuer un nouveau tri des éléments appréhendés, la société Fiscalead et Mme [T] ne se trouvaient à l'évidence pas en mesure de faire parvenir au juge dans le délai d'un mois les pièces concernées par le secret des affaires alors même qu'elles ne connaissaient pas les éléments encore concernés par la saisie.
De même, il ne peut être déduit de la rédaction de l'ordonnance du 31 août 2023 qui 'ordonne à Fiscalead et Mme [T] de communiquer avant le 10 octobre la liste des pièces dont elles estiment qu'elles ne peuvent être communiquées à la société Eurotax parce qu'elles sont couvertes par un secret protégé' qu'il était attendu des appelantes qu'elles fournissent pour cette date les versions et mémoires, l'article R. 153-3 n'étant pas visé dans cette ordonnance, dans laquelle en outre il manque une partie de la motivation de sorte que les attentes précises du juge des référés ne sont pas connues.
A titre surabondant, il y a lieu de dire que, dès lors que le juge des référés avait accepté le 31 août 2023 de commencer à mettre en oeuvre la procédure de tri, il existe une certaine incohérence à finalement le 10 janvier 2024 déclarer irrecevables Mme [T] et la société Fiscalead en leurs demandes à ce titre pour un motif antérieur à la première ordonnance.
Dès lors qu'il est constant que Mme [T] et la société Fiscalead ont saisi le juge des référés d'une demande de mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires dans le mois ayant suivi l'arrêt du 23 mars 2023, il convient en conséquence de déclarer recevable cette demande et l'ordonnance querellée sera infirmée.
Sur la mise en oeuvre de la procédure de protection du secret des affaires
Mme [T] et la société Fiscalead indiquent que 10 211 pièces ont été saisies par le commissaire de justice et qu'elles souhaitent :
- l'exclusion totale de 2 785 pièces en intégralité,
- l 'exclusion partielle de 522 pièces (caviardage partiel),
les pièces restant (6 904 pièces) n'étant selon elles pas couvertes par le secret des affaires.
Elles exposent produire leur pièce n°23 qui est la liste des pièces dont elles souhaitent qu'elles soient exclues totalement ou partiellement.
Les appelantes précisent être en relation avec la société UPS et lui fournir un service IOR-EOR, i.e. importateur et exportateur tiers pour le compte de travaux étrangers, service qui n'est pas proposé par la société Eurotax et qui fait l'objet de travaux de recherche et développement. Elles en déduisent que la transmission des pièces saisies relatives à ces contrats leur serait très dommageable et que ces pièces sont couvertes par le secret des affaires.
Elles font valoir que certaines pièces n'ont été saisies que parce que des documents leur ont été envoyés par des clients via le transporteur UPS, ou en raison de l'utilisation du terme 'follow ups'.
Elles affirment que le commissaire de justice a saisi des documents internes à la société Fiscalead incluant des notes stratégiques, des chiffrages comprenant des noms de clients et des idées de développement et divers documents confidentiels (accords de confidentialité, document commercial 'IOSS FSL').
Mme [T] et la société Fiscalead soutiennent que le commissaire de justice a également saisi:
- des correspondances confidentielles et des lettres de mission échangées avec leur ancien conseil,
- les notes internes de la société Fiscalead concernant ses budgets prévisionnels, son plan et sa stratégie de développement,
- tous les documents comprenant le mot 'Eurotax' alors même que les anciennes salariées de cette société l'ont naturellement mentionné sur leurs CV et leurs correspondances, notamment avec leurs banques, les administrations fiscale et des douanes ou l'assurance maladie.
Elles exposent que l'utilisation des mots clés 'Decantalo' et 'Crown' a conduit à la saisie de documents confidentiels (comptes de résultat, grands livres, liste de clients, business plan, plaquette commerciale de présentation et contrats signés) ainsi que toutes les correspondances avec ces sociétés clientes.
Les appelantes contestent également la saisie des contrats de services et de nombreux courriels comprenant des informations sur ses services, prix et conditions tarifaires.
Mme [T] et la société Fiscalead concluent que ces informations sont protégées par le secret des affaires, dès lors qu'elles ne sont connues que d'un nombre restreint de personnes, qu'elles ont une valeur commerciale effective ou potentielle et qu'elles font l'objet de mesures de protection raisonnable, la circonstance que les sociétés Eurotax et Fiscalead dispensent une activité sur des segments très proches étant de nature à permettre à l'intimée d'accaparer la stratégie, les marques distinctives, la méthodologie et les travaux de la société Fiscalead et de proposer des services similaires à des tarifs plus avantageux.
Mme [T] et la société Fiscalead sollicitent la fixation d'un délai pour la remise des documents et l'organisation de la procédure de tri devant la cour d'appel.
Elles indiquent que les formulations de 'dire' et 'demander' sont classiquement utilisées dans les procédures de tri et qu'elles correspondent à des prétentions.
A titre subsidiaire, les appelantes sollicitent le renvoi devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour la mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires.
La société Eurotax affirme que ne peuvent bénéficier de la protection du secret des affaires que les pièces qui ne seraient pas utiles à la solution du litige et que l'ensemble des documents saisis sont en l'espèce des preuves nécessaires dans le cadre du litige l'opposant aux appelantes.
L'intimée expose que la cour n'est pas saisie par les demandes de 'juger' et 'demander' qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, elle en déduit qu'aucune procédure de tri ne peut donc être mise en oeuvre par la cour.
Elle soutient que, si la cour considérait la demande recevable de la société Fiscalead et de Mme [T], elle serait compétente pour statuer sur la mise en 'uvre de la procédure prévue aux articles R.153-3 et suivants du code de commerce, aucun élément ne justifiant un renvoi devant le juge de première instance.
Sur ce,
Si la cour rappelle classiquement qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constater' ou de 'dire et juger' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, il n'en est pas de même des demandes formées en l'espèce par Mme [T] et la société Fiscalead qui tendent explicitement à l'application de la procédure de secret des affaires et qui saisissent valablement la cour.
Il est en conséquence nécessaire d'organiser, à hauteur d'appel, une procédure de levée de séquestre en chambre du conseil.
A cette fin, l'affaire est renvoyée à l'audience du 20 novembre à 9h30 en salle 5 ;
Pour cette audience, il sera demandé à la société Fiscalead et à Mme [T] de procéder à un tri de l'intégralité des pièces saisies en les regroupant en quatre catégories, chacune devant comporter un inventaire précis des pièces contenues :
- catégorie A : les pièces pouvant être communiquées sans examen ;
- catégorie B : les pièces concernées par le secret des affaires et que les intimées refusent de communiquer totalement ;
- catégorie C : les pièces concernées par le secret des affaires et que les intimées refusent de communiquer partiellement ;
- catégorie D : les pièces qui ne sont pas concernées par le secret des affaires mais que les intimées refusent de communiquer ou estiment sans intérêt pour le litige.
Ce tri, où chaque pièce sera identifiée par une numérotation distincte, sera communiqué au commissaire de justice pour que soit effectué un contrôle de cohérence avec les fichiers séquestrés.
Pour les pièces concernées par le secret des affaires, la société Fiscalead et Mme [T] produiront, conformément à l'article R. 153-3 du code de commerce :
- la version confidentielle intégrale de chacune de ces pièces ;
- une version non confidentielle ou un résumé ;
- un mémoire précisant de manière détaillée, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires.
Il convient de rappeler aux appelantes qu'elles ne peuvent, sous couvert de cette procédure, remettre en cause les mots-clés tels qu'ils ont été fixés par le juge des requêtes et confirmés par la cour.
En application de l'article R. 153-6 précité, la société Eurotax sera invitée à désigner une personne physique pouvant avoir accès, le cas échéant, aux pièces nécessaires à la solution du litige mais portant potentiellement atteinte au secret des affaires telles qu'elles seront sélectionnées par la juridiction de céans.
Outre les avocats des parties, cette personne pourra assister à l'audience, ainsi qu'une personne physiques désignée pour la société Fiscalead et Mme [T] en application de l'article L. 153-1 du code de commerce.
En tant que de besoin, et comme le prévoit le dernier alinéa de l'article R. 153-3 du code de commerce, il pourra être procédé à l'audience à une audition séparée des représentants de la société Eurotax, d'une part, de ceux la société Fiscalead et Mme [T], d'autre part.
Enfin, l'avocat de la société Eurotax sera invité à indiquer, en préambule à cette audience, s'il entend maintenir la demande de communication concernant l'ensemble des pièces séquestrées.
S'il entend réduire à cet égard le champ de sa demande, il lui est demandé de l'indiquer à son adversaire dans les trois semaines précédant l'audience, afin que ce dernier n'ait pas à préparer une défense qui deviendrait sans objet.
Sur la demande au titre de la procédure abusive
Mme [T] et la société Fiscalead invoquent l'irrecevabilité de la demande formée par la société Eurotax au titre de la procédure abusive au motif qu'elle est nouvelle en appel.
Elles concluent sur le fond à son débouté, faisant valoir qu'elles ont toujours respecté les décisions judiciaires et qu'elles souhaitent clore le litige le plus rapidement possible, tout en obtenant le bénéfice de la procédure de tri qui leur a été refusée en première instance.
Elles affirment qu'il ne leur appartient pas de remettre directement des pièces à la société Eurotax sans contrôle préalable du commissaire de justice et sans ordonnance en ce sens.
Elles soutiennent que la société Eurotax ne justifie d'aucun préjudice.
La société Eurotax affirme qu'il est établi que de manière totalement dilatoire et abusive, la société Fiscalead et Mme [T] ne cessent de retarder la remise des documents saisis, ce qui doit conduire à leur condamnation pour procédure abusive.
Elle conteste que cette demande puisse être qualifiée de nouvelle et la qualifie d'accessoire et de conséquence des prétentions formulées en première instance.
L'intimée rappelle la chronologie de la procédure et fait valoir qu'il ne peut être sérieusement allégué par les appelantes que plus de 3 000 pièces pourraient être concernées par le secret des affaires.
Elle précise que, alors que les appelantes avaient donné devant le premier juge leur accord à la remise de 6 904 pièces, elles se sont ensuite opposées à cette transmission
Sur ce,
Si la demande de la société Eurotax au titre de la procédure abusive ne peut être déclarée irrecevable au motif qu'elle serait nouvelle en appel alors qu'elle est le complément de celles formées en première instance au sens de l'article 566 du code de procédure civile, elle est cependant mal fondée dès lors que Mme [T] et la société Fiscalead obtiennent gain de cause en appel. L'intimée sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les demandes accessoires
Mme [T] et la société Fiscalead étant accueillies en leur recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Il y a lieu de réserver les dépens.
En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance attaquée,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable la demande de Mme [T] et de la société Fiscalead au titre de la mise en oeuvre de la procédure de secret des affaires ;
Renvoie l'examen de cette demande, en chambre du conseil, à l'audience du 20 novembre à 9h30 en salle 5 ;
Enjoint à la société Fiscalead et à Mme [T] de :
- procéder à un tri des pièces séquestrées, en les regroupant en trois catégories, devant chacune comporter un inventaire précis des pièces contenues :
- catégorie A : les pièces pouvant être communiquées sans examen ;
- catégorie B : les pièces concernées par le secret des affaires et que les appelantes refusent de communiquer totalement ;
- catégorie C : les pièces concernées par le secret des affaires et que les appelantes refusent de communiquer partiellement ;
- catégorie D: les pièces qui ne sont pas concernées par le secret des affaires mais que les appelantes refusent de communiquer ou qui sont sans intérêt pour le litige ;
- communiquer ce tri où chaque pièce sera identifiée par une numérotation distincte, au commissaire de justice avant le 4 novembre 2024 pour que soit effectué un contrôle de cohérence avec les fichiers initiaux séquestrés et communiquer concomitamment une copie de ce tri à la cour ;
- dit que le commissaire de justice devra faire parvenir à la cour avant le 15 novembre un courrier attestant avoir procédé au contrôle de cohérence ;
- verser au commissaire de justice une provision de 1 000 euros à valoir sur ses honoraires ;
- remettre à la cour avant le 10 novembre à 14 heures pour les pièces concernées par le secret des affaires :
- la version confidentielle intégrale de chacune de ces pièces ;
- une version non confidentielle ou un résumé de ces pièces, sauf pour celles dont elles accepteraient finalement la communication sans discussion ;
- un mémoire précisant de manière détaillée, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires sauf pour celles dont elles accepteraient finalement la communication sans discussion ;
Rappelle aux appelantes qu'à défaut de respect de ce délai, elles seront irrecevables à invoquer le secret des affaires ;
Invite la société Eurotax à désigner une personne physique pouvant avoir accès aux pièces litigieuses ;
Indique aux parties qu'il pourra être décidé au cours de cette audience que les débats se poursuivront hors la présence des représentants de la société Eurotax ;
Limite la présence à cette audience à une seule personne physique par partie outre les conseils ;
Invite l'avocat de la société Eurotax à indiquer, préalablement à cette audience, s'il entend maintenir la demande de communication concernant l'ensemble des pièces séquestrées et, s'il entend réduire à cet égard le champ de sa demande, l'invite à indiquer à son adversaire dès que possible et, en tout état de cause, dans les deux semaines précédant l'audience les pièces dont il renonce à obtenir la communication ;
Dit que les frais exposés pour le tri des pièces seront ultérieurement compris dans les dépens ;
Rejette la demande au titre de la procédure abusive ;
Réserve les dépens ;
Rejette les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président