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Décisions

CA Colmar, 2e ch. A, 25 octobre 2024, n° 23/02998

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Dépannages (SAS), Océane (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diepenbroek

Conseillers :

Mme Robert-Nicoud, Mme Hery

Avocats :

Me Bischoff - De Oliveira, Me Chamy, Me Frick, Me Brunner

TJ Mulhouse, du 21 juill. 2023, n° 23/02…

21 juillet 2023

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Dépannages [I] a pour objet social, notamment, l'exploitation de toutes activités de dépannage pour autoroutes et réseau routier, activité de fourrière, entretien de tout véhicule, transports routiers.

Son capital social est détenu à 50 % par M. [Y] [I], président de cette société, et à 50 % par Mme [K] [I], née [X].

Chacun d'entre eux détient également 50 % des parts de la SCI Océane, propriétaire d'un ensemble immobilier situé à Rixheim.

Par acte signifié le 30 septembre 2022, Mme [I] [X] a assigné M. [I] et les deux sociétés précitées devant le juge des référés aux fins de voir désigner un administrateur provisoire pour ces deux sociétés.

Par ordonnance du 21 juillet 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Mulhouse a rejeté la demande de Mme [I] [X] et l'a condamnée à payer à chacun des défendeurs la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Pour statuer ainsi, il a retenu que Mme [I] [X] ne produisait aucun élément de nature à démontrer les conditions nécessaires à la désignation d'un administrateur provisoire pour la SCI Océane, qu'aucune circonstance n'avait rendu impossible le fonctionnement des deux sociétés et qu'il n'existait pas de péril imminent.

Le 1er août 2023, Mme [I] [X] a interjeté appel de cette décision.

Le 28 août 2023, la présidente de chambre a fixé l'affaire à l'audience de plaidoirie du 7 juin 2024 et le greffier a adressé aux avocats l'avis de fixation de l'affaire à bref délai.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 janvier 2024, Mme [I] [X] demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- infirmer la décision entreprise,

statuant à nouveau :

- désigner la Selarl AJA Associés, respectivement Maître [L] [J], en qualité d'administrateur provisoire avec pour mission de gérer les intérêts des deux sociétés pour une durée de six mois renouvelable sur demande de l'administrateur, et ce, jusqu'à ce que la lumière soit faite sur les dépenses et investissements faits pour le compte de ces sociétés,

- dire que l'administrateur :

- analysera les décisions prises pour le compte des deux sociétés au cours de deux dernières années avec étude de leur impact sur la pérennité de l'activité,

- donnera toute information utile afin d'éclairer le tribunal sur la situation économique, financière et sociale des deux sociétés,

- valorisera ces sociétés, en tenant compte de l'ensemble des paramètres permettant d'avoir une idée précise sur leur patrimoine et sur leur valeur économique,

- fixer la rémunération de l'administrateur pendant la période de l'administration,

- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [I] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

En soutenant, en substance, que :

- contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, la désignation d'un mandataire n'est pas subordonnée à la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d'un péril imminent ; il suffit d'un conflit sérieux entre les associés,

- en l'espèce, ils possèdent chacun 50 % des actions et parts des sociétés ; mariés sous le régime de la communauté universelle, ils sont en procédure de divorce depuis 2011, laquelle est l'aboutissement de leur mésentente durable,

- M. [I] dirige la société comme bon lui semble depuis plusieurs années et cherche à nuire aux intérêts de son épouse en vidant la société de toute substance (il vide les comptes et les réserves, il encaisse des espèces, des paiements en espèces n'apparaissent pas sur les comptes et ne sont pas facturés, il conclut des prêts, bloque des comptes, n'informe pas son associée, refuse l'inscription de résolutions à l'ordre du jour, acquiert des véhicules pour lui et d'autres personnes, demande une rémunération de dirigeant, tout en indiquant au juge aux affaires familiales ne percevoir que sa retraite, il n'organise pas les assemblées et fait transmettre les documents par son expert-comptable pour qu'elle les signe tels quels, la seule fois où il y a eu une assemblée générale, les votes ont été partagés et l'ordre du jour lui a été communiqué à la dernière minute pour l'empêcher de demander l'inscription à l'ordre du jour, notamment des montants encaissés en espèces et ne figurant pas dans les comptes, il refuse des avances de fonds qu'elle sollicite),

- l'affectio societatis de la société se trouve paralysé, ce qui rend difficile son fonctionnement serein,

- elle n'a pas accès aux dividendes, car M. [I] décide seul de tout affecter aux réserves, ce qui est un non-sens sur le plan du fonctionnement de la société et sur le plan fiscal,

- ses explications sont mensongères ou incohérentes ; il commet des détournements et abus de biens sociaux, y compris au bénéfice d'une nouvelle société qu'il a créée,

- il existe un conflit d'intérêt tant personnel que professionnel entre les parties,

- le sort de la SCI est intimement lié à celui de la société commerciale ; la SCI n'est que l'outil immobilier permettant le fonctionnement de l'activité commerciale ; la demande de désignation d'un administrateur concernant la SCI va de soi compte tenu de la structure juridique et surtout du régime matrimonial.

Par leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 mars 2024, la SAS Dépannages [I], la SCI Oceane et M. [I] demandent à la cour de :

- rejeter l'appel interjeté par Mme [X],

- confirmer la décision entreprise,

- débouter en conséquence Mme [X] de toutes ses fins et prétentions,

- condamner Mme [X] à leur payer la somme de 3 000 euros pour procédure abusive,

- condamner Mme [X] à payer à chacun d'entre eux la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens d'appel.

En soutenant, en substance, que :

- la nomination d'un administrateur provisoire nécessite des circonstances exceptionnelles menaçant la pérennité de la société,

- il n'existe aucune de ces circonstances en l'espèce : on ne voit pas Maître [J] administrer la société à la place du président qui la connaît parfaitement ; la structure des sociétés n'a rien à voir avec le cas d'une absence ou d'un dysfonctionnement des organes de direction ; la société ne connaît pas de difficultés financières, ayant même eu un projet de croissance externe, qui n'a échoué qu'en raison de Mme [X] ; la réserve a été constituée exercice après exercice depuis 18 ans, sans que celle-ci ne le conteste jusqu'au divorce, participant à toutes les décisions ; Mme [X] refuse tout depuis le début du divorce ; la société est toujours bien dirigée ; les décisions de gestion, d'acquisition et de pratiques financières sont justifiées ;

- Mme [X] n'a jamais demandé une expertise de gestion ou contesté les assemblées générales ; sa plainte pénale n'est que compilation d'allégations mensongères et insultantes et il y a répondu par une plainte pour dénonciation calomnieuse.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

1. Sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire :

La désignation judiciaire d'un administrateur provisoire d'une société, chargé de gérer ladite société, doit être distinguée de la nomination d'un mandataire ad hoc chargé d'une mission limitée.

Mesure exceptionnelle, cette désignation suppose que soit rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent.

Le conflit entre associés est à lui seul insuffisant pour conduire à la nomination d'un administrateur provisoire.

De plus, la mission d'un administrateur provisoire ne peut avoir pour objet la préservation des droits d'un associé, celle-ci ne pouvant concerner que ceux de la société. Ainsi, les moyens développés par Mme [X] fondés sur un non-respect ou 'pillage' de ses propres droits sont inopérants pour fonder une demande en nomination d'un administrateur provisoire.

En l'espèce, M. [I] et Mme [X], mariés, mais en instance de divorce, sont tous deux associés à parts égales dans la SAS Dépannages [I] et dans la SCI Océane qui loue à la première des locaux pour l'exercice de son activité. Les deux sociétés sont dirigées par M. [I].

S'agissant de la SAS Dépannages [I], selon les procès-verbaux des assemblées générales ordinaires annuelles, signés, des 28 septembre 2018, 28 juin 2019, 4 juin 2020, 31 décembre 2020, 30 juin 2021 et 31 mars 2023, les assemblées générales se sont tenues, les résolutions ont été adoptées et, de surcroît, il n'est pas soutenu, ni démontré, qu'une action en contestation ait été introduite contre lesdites assemblées.

L'assemblée générale du 30 mai 2023 s'est aussi tenue, selon le procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale correspondante, et ce sans qu'une action en contestation n'ait été introduite. Lors de cette assemblée générale, si trois résolutions ont été adoptées à l'unanimité, deux résolutions, portant sur l'approbation des comptes de l'exercice 2022, la distribution de dividendes et l'affectation du solde aux réserves, ont cependant été rejetées, chacun des associés ayant voté en sens contraire.

Pour autant, il résulte des pièces produites, et notamment de l'attestation de l'expert-comptable du 24 novembre 2022, que la société Dépannages [I] a développé, chaque année, de 2017 à 2022, un chiffre d'affaires et un résultat importants et dispose, en fin d'exercice annuels, des fonds propres et d'une trésorerie également importants, les relevés bancaire du mois de janvier 2023, mais également ceux du mois de novembre 2023 produits par Mme [X], confirmant ce dernier point.

Ainsi, il en résulte que la société Dépannages [I] fonctionne.

Il n'est pas démontré que son dirigeant détourne ou ait le projet de détourner les moyens et contrats de cette société, au profit d'une autre, fût-ce celle dans laquelle le fils de M. [I] est associé. De plus, le courriel du 9 octobre 2023 invoqué par Mme [X] évoque un projet de rachat d'une société 'dans le cadre du développement de la SAS Dépannages [I]'.

Il convient, en outre, d'ajouter, que l'administrateur qu'il est demandé de nommer avec une mission de gestion de la société, ne pourra pas voter à la place des associés, de sorte qu'il ne résoudrait pas le blocage résultant d'un partage de voix lié à leur mésentente.

De même, les vérifications que souhaite voir réaliser Mme [X] en ce qui concerne les abus de biens sociaux et malversations qu'elle dénonce ne peuvent pas être du ressort de l'administrateur, ses pouvoirs et ses compétences ne s'étendant pas à ceux d'un expert dans le cadre d'une expertise de gestion, ni à ceux d'un enquêteur en matière pénale.

S'agissant de la SCI Océane, selon les procès-verbaux des assemblées générales ordinaires des 28 juin 2019, 8 juin 2020 et 30 juin 2021, produits aux débats, les assemblées générales se sont tenues, les résolutions ont été adoptées et il n'est pas soutenu ni démontré qu'une action en contestation ait été introduite contre lesdites assemblées. Aucun élément n'est fourni quant à l'activité de la SCI Océane.

Ainsi, il n'est pas démontré l'existence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de l'une ou l'autre société et menaçant l'une ou l'autre d'un péril imminent.

En conséquence, Mme [X] ne justifie pas de la réunion des conditions nécessaires pour désigner un administrateur provisoire.

L'ordonnance sera dès lors confirmée.

2. Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive :

Les intimés ne démontrent pas que le droit d'agir de Mme [X] a dégénéré en abus. Leur demande sera dès lors rejetée.

3. Sur les frais et dépens :

L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a statué sur les frais et dépens.

Mme [X] sera condamnée à supporter les dépens d'appel et à payer à chacun des intimés la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Mulhouse du 30 septembre 2022 ;

Y ajoutant :

REJETTE la demande de dommages-intérêts formée par la SAS Depannages [I], la SCI Oceane et M. [Y] [I] ;

CONDAMNE Mme [K] [I], née [X] à supporter les dépens d'appel ;

CONDAMNE Mme [K] [I], née [X] à payer à la SAS Dépannages [I] la somme de 500 (cinq cents) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [K] [I], née [X] à payer à la SCI Oceane la somme de 500 (cinq cents) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [K] [I], née [X] à payer à M. [Y] [I] la somme de 500 (cinq cents) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.