CA Bastia, ch. civ. sect. 2, 9 octobre 2024, n° 23/00300
BASTIA
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
GFA de Liceto (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lebreton
Conseillers :
Mme Zamo, M. Desgens
Avocats :
Me Talamoni, Me Susini
EXPOSE DES FAITS :
Par décision du 11 avril 2023, le tribunal judiciaire de Bastia a annulé les délibérations adoptées lors de l'assemblée générale du Gfa de Liceto du 27 avril 2022, a rejeté toutes autres demandes et a condamné madame [Z] et madame [B] aux dépens.
Par déclaration du 18 avril 2023, [E] [B] et [V] [Z] ont interjeté appel, limité à : en ce que le tribunal judiciaire a rejeté les demandes formées par elles tendant au prononcé de la révocation du gérant monsieur [B] [O] de son
mandat de gérant du Gfa de Liceto, à la désignation de [V] [Z] et subsidiairement d'un administrateur provisoire aux fins de gérer le Gfa jusqu'à la nomination d'un nouveau gérant et de convoquer l'assemblée générale des associés afin qu'il soit procédé à cette nomination, à la condamnation de monsieur [B] à titre personnel à payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et la condamnation aux dépens, en ce qu'il a condamné les appelantes aux dépens.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 12 juillet 2023, que la cour vise pour l'exposé des moyens et prétention, les appelantes sollicitent l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, prononcer la révocation de [O] [B] ès qualités de gérant du Gfa de Liceto, confier à [V] [Z] ou à un adminisrateur provisoire la gestion du Gfa jusqu'à la convocation d'un nouveau gérant et convoquer une assemblée générale des associés afin qu'il soit procédé à cette nomination, condamner [O] [B] à payer une somme de 5 000 euros en première instance et 3 000 euros en appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 21 septembre 2023, que la cour vise, pour l'exposé de ses moyens et prétentions, les intimés sollicitent de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bastia le 11 avril 2023, débouter madame épouse [Z] et madame [B] de toutes leurs demandes, condamner in solidum madame [V] [B] épouse [Z] et madame [E] [I] épouse [B] à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à monsieur [A] [B] et au GFA de Liceto, condamner in solidum mesdames [V] [B] épouse [Z] et [E] [I] épouse [B] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 avril 2024.
SUR CE :
Sur la demande de révocation du gérant :
Selon l'article L 332-1 du code rural et de la pêche maritime, le groupement foncier agricole est une société civile formée entre personnes physiques.
L'article L 322-6 dudit code précise, que ce groupement foncier agricole a pour objet soit la création ou la conservation d'une ou plusieurs exploitations agricoles, soit l'une et l'autre de ces opérations. Il assure ou facilite la gestion des exploitations dont il est propriétaire, notamment en les donnant en location dans les conditions prévues au titre Ier du livre IV du présent code portant statut du fermage et du métayage.
Selon l'article 1846 du code civil, la société civile est gérée par une ou plusieurs personnes associées nommées soit par statut, soit par acte distinct, soit par une décision des associés ;
le gérant est nommé par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales.
L'article 1848 du même code précise, que le gérant peut accomplir tous les actes que demande l'intérêt de la société.
Selon l'article 1851 du code civil, le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales ou par les tribunaux pour cause légitime à la demande de tout associé.
L'article 19 des statuts du Gfa mis à jour le 3 août 2015 prévoit également la révocation du gérant pour cause légitime.
Les appelantes sollicitent la révocation du gérant car ce dernier n'a jamais réuni les associés en assemblée générale depuis 2011, n'a jamais présenté aux associés de rapport écrit sur le compte rendu de sa gestion, violant ainsi les statuts, les autres associés étant privés de leur droit de participer aux réunions collectives ; elles ajoutent que les ressources sont captées par le gérant alors qu'il n'a aucun droit à distribution des bénéfices en sa qualité de nu-propriétaire.
Elles ajoutent qu'il y a un défaut de comptabilité et un manquement à la poursuite d'un intérêt social au profit d'un intérêt personnel.
Les intimés contestent les éléments des appelantes et indiquent que ces dernières sont motivées par le conflit familial patent entre lui et son père et sans lien avec ses compétences de gérant. Monsieur [B] conteste la mauvaise gestion qui doit être démontrée par les appelantes, il ajoute qu'elles ont été convoquées le 5 septembre 2022, pour une assemblée générale qui s'est tenue le 26 septembre 2022, convocation à laquelle était joint le rapport de gestion annuel. Il ajoute avoir consigné les loyers qu'il soit, a convoqué les associés à une assemblée générale et a saisi en annulation des effets d'une assemblée générale irrégulière.
Sur l'intérêt personnel, il indique que les loyers sont consignés à la Carpa.
Il indique que le jugement est parfaitement motivé et que la nomination d'un administrateur ne serait pas dans l'intérêt du groupement qui est endetté vis-à-vis du crédit agricole.
Il sollicite le débouté des appelantes et la condamnation au titre des frais irrépétibles et des dépens des appelantes.
La cour relève qu'envertu de l'article 1851 du code civil, la cause légitime de révocation du gérant existe dès lors qu'une mésentente familiale est de nature à compromettre l'intérêt social.
Sur les causes alléguées par les appelantes, il convient de voir le défaut de reddition des comptes, le défaut de convocation des associés en assemblée générale, le défaut de comptabilité et le manquement à la poursuite de l'intérêt social au profit d'un intérêt
personnel.
Sur la reddition des comptes et les convocations des associés en assemblée générale :
Selon l'article 1855 et 1856 du code civil, les associés ont le droit d'obtenir au moins une fois par an communication des livres, documents sociaux et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale ; les gérants doivent au moins une fois par an rendre compte de leur gestion, cette réddition des comptes doit comporter un rapport écrit de l'exercice écoulé avec indication des bénéfices et pertes.
Les statuts du GFA de liceto mis à jour le 3 août 2015, dans leur article 15 mentionne également cette obligation de communication annuelle des documents sociaux.
En l'espèce, [O] [B] a été désigné gérant du Gfa le 21 juin 2011 en remplacement de [E] [B] démissionnaire.
Les obligations de reddition des comptes et de convocation de l'assemblée générale sont donc à rechercher de 2012 à 2022.
Les pièces produites aux débats montrent qu'une assemblée générale a été convoquée et s'est tenue entre les associés du Gfa le 26 septembre 2022 où la question de l'approbation du rapport écrit est posé, de même que la demande de désignation d'un expert comptable, l'affectation des résultats, la discussion au sujet du paiement des loyers et de la taxe foncière.
Bien qu'aucune résolution n'ait été votée, les associés présents et représentés ont signé le procès-verbal d'assemblée générale.
Aucun autre document n'est produit aux débats pour attester le respect par monsieur [B] de ses obligations inhérentes à la convocation des assemblées générales et à la reddition des comptes.
Au contraire, les appelantes ont sommé le 10 septembre 2022, le gérant de fournir des informations, en l'absence de convocation aux assemblées générales, aux absences de répartition des dividendes et de fournir les documents comptables relatant les dépenses et recettes inscrites sur la comptabilité du Gfa et à cet égard, monsieur [B] a indiqué n'avoir pu récupérer lors de son déménagement en 2018 les documents du Gfa restés dans le bureau de son père monsieur [B] au siège du Gfa.
Dans le cadre de la mise en état, les appelantes ont sommé monsieur [B] de communiquer les procès-verbaux d'assemblée générale des années 2017 à 2021, le rapport écrit relatif à la gestion, les éléments comptables en vain.
Or, depuis 2018, aucun élément comptable n'est produit aux débats par les intimés.
Or, il est acquis que monsieur [B] exerce les fonctions de gérant depuis 2011 après l'intermède d'un administrateur ad hoc.
Le jugement du tribunal judiciaire de Bastia du 16 novembre 2022, a confirmé dans ses motifs qu'aucune reddition des comptes n'a été faite.
Ces éléments relatifs aux convocations aux assemblées générales et à la reddition des comptes sont donc manquants avant l'assemblée générale de septembre 2022.
Il y a donc bien eu un manquement du gérant à ses obligations inhérentes à la convocation des assemblées générales de 2017 à 2021 et à la reddition des comptes.
Sur le défaut de comptabilité :
Selon l'article 1848 du code civil, le gérant peut accomplir tous les actes de gestion.
Si les exigences comptables d'une société civile telle qu'un Gfa sont moindres que pour une société commerciale, il n'en demeure pas moins qu'un minimum d'éléments comptables doit exister.
En l'espèce, il s'agit pour le gérant de produire un rapport annuel pour rendre compte de sa gestion et de la situation de la société et les pièces produites montrent que si monsieur [B] a convoqué l'assemblée générale en septembre 2022, il a communiqué un rapport sur la situation financière en demandant la désignation d'un expert comptable, mais aucun élément probant relatif à la tenue régulière d'une comptabilité n'est produite par le gérant.
Il peut donc être reproché à monsieur [B] un défaut de comptabilité, ce d'autant que l'activité du Gfa est de donner en location les biens qu'elle possède et de récupérer les loyers, qui ne sont pas tous payés.
Sur le manquement à la poursuite d'un intérêt social au profit d'un intérêt personnel :
Les appelantes indiquent que le Gfa a consenti à la sasu Kyrnabio un bail à ferme le 30 novembre 2010 pour une durée de 20 ans, ce bail met à la charge du preneur l'obligation de payer un loyer mensuel de 2 500 euros qui n'a jamais été encaissé par le Gfa, le preneur étant [A] [B] car unique associé de la société Kyrnabio.
Elles reprochent à ce dernier de n'avoir jamais accompli de diligence en vue de recouvrer les loyers impayés, il a donc manqué à ses obligations et a fait prévaloir son intérêt personnel.
Monsieur [B] indique que les loyers ont été consignés à la Carpa, à la différence de madame [Z] qui ne règle pas ses loyers.
La cour relève que la pièce 8 des intimés montre que la société Kyrnabio a consigné ses loyers à la Carpa pour un montant de 12 593,75 euros.
Elle relève également et cela est confirmé par madame [Z] dans ses écritures que cette dernière ne paye pas du tout les loyers qu'elle doit au Gfa.
Il est manifeste que la consignation et de fait le non paiement des loyers par le gérant au Gfa constitue un manquement, car elle aggrave le passif du groupement, de même que le non paiement du loyer par madame [Z] qui souhaite devenir gérante.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments du dossier que la négligence à convoquer l'assemblée générale, le défaut de rapport sur les comptes, le défaut de reddition des comptes, le non-paiement des loyers au Gfa, l'existence d'une mésentente avérée entre les associés constituent un motif légitime de révocation du gérant, un juste motif car ces éléments compromettent l'intérêt social de la société s'agissant notamment de l'étendue de la créance du crédit agricole (un montant de 747 719,48 euros est évoqué) et des conséquences financières sur la survie du Gfa.
En effet, la notion de juste motif se définit non pas seulement en fonction du comportement du gérant mais aussi et surtout en fonction des conséquences pour l'intérêt social. Tel est le cas en l'espèce, lorsque la société subit de graves difficultés auxquelles il est difficile de remédier du fait de conflits personnels en résultant, ce qui est le cas en l'espèce avec les problèmes financiers, ayant conduit le crédit agricole à solliciter un réglement amiable.
Cette mésentente, doublée des fautes de gestion du gérant qui par l'absence d'éléments comptables, l'absence de convocations aux assemblées générales n'a pas respecté les dispositions légales ; de même la consignation d'un loyer n'est pas un paiement de loyers et cela aggrave la situation du Gfa et rend la situation de la société critique.
A cet égard, la désignation de madame [Z] n'est pas souhaitable, compte tenu de la mésentente familiale avérée et de l'absence de paiements de ses propres loyers.
En conséquence, il sera prononcé la révocation du gérant et la désignation d'un administrateur provisoire.
L'équité ne commande pas que quiconque soit condamné en première instance et en cause d'appel à une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile et chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME en toutes ses dispositions jugement du tribunal judiciaire de Bastia du 11 avril 2023
STATUANT A NOUVEAU
PRONONCE la révocation du gérant du Gfa de Liceto, monsieur [O] [B]
DESIGNE
[X] [J]
[Adresse 10]
[Localité 4]
Port : [XXXXXXXX01]
Courriel : [Courriel 16]
en qualité d'administratrice provisoire du Gfa de Liceto
Sa mission consiste à assurer l'administration courante de la société, en se faisant communiquer les livres, les documents sociaux et fiscaux, et en cas de besoin, recourir à un expert comptable, afin d'établir la comptabilité sociale des derniers exercices avec un rapport écrit par exercice mentionnant les bénéfices et les pertes.
Il sera également chargé de réunir une assemblée générale afin de statuer sur l'approbation des comptes des exercices clos du 31 décembre 2023 à ce jour, fixer l'ordre du jour des assemblées générales et notamment la désignation d'un nouveau gérant, tenir ces assemblées et en assurer le bon déroulement
DIT que les émoluments de l'administrateur provisoire seront à la charge du Gfa de Liceto
DEBOUTE Madame [V] [B] épouse [Z] et Madame [E] [I] épouse [B] de toutes leurs autres demandes
DEBOUTE [A] [B] et le Gfa de liceto de toutes ses demandes
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
LAISSE à chacune des parties la charge de ses dépens.