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Cass. crim., 22 octobre 2024, n° 24-84.548

COUR DE CASSATION

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Cassation

Cass. crim. n° 24-84.548

22 octobre 2024

N° W 24-84.548 F-D

N° 01417

ODVS
22 OCTOBRE 2024

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 OCTOBRE 2024

M. [Z] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa, en date du 3 juillet 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de complicité de tentative de meurtre, vol en bande organisée avec arme, destruction en bande organisée et associations de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Z] [N], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, l'avocat ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, M. Tarabeux, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans une information ouverte à l'occasion d'une succession d'actions violentes commises à compter du 13 mai 2024 en Nouvelle-Calédonie, M. [Z] [N] a été mis en examen des chefs susmentionnés et, par ordonnance du 22 juin 2024, placé en détention provisoire, sous mandat de dépôt criminel, à la maison d'arrêt de [Localité 1].

3. M. [N] a interjeté appel de cette décision.

4. La veille de l'audience devant la chambre de l'instruction, l'intéressé s'est entretenu par visioconférence avec son avocat qui se trouvait en Nouvelle-Calédonie. Le courriel comportant les modalités de connexion pour la visioconférence précisait que l'entretien serait enregistré.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la nullité du débat contradictoire et a confirmé le placement en détention provisoire de M. [Z] [N], alors :

« 1°/ que la loyauté, l'équité et la contradiction doivent présider à tout débat de procédure pénale et plus particulièrement en matière de détention ; lorsque le juge de la liberté et de la détention saisi d'une demande de mise en détention et le parquet savent qu'il est envisagé en cas de placement en détention par un juge ultramarin, que cette détention soit effectuée en métropole à 17.000 km de là, en éloignant le mis en examen de façon substantielle du juge, de sa défense, de sa famille et de tous ses repères, cet élément de nature à jouer dans l'élaboration de la défense de l'intéressé devant le juge des libertés et de la détention doit, à peine de déloyauté interdite, être placé dans le débat contradictoire ; en l'espèce, il résulte des pièces de la procédure qu'à l'issue même de la décision de placement en détention, un mandat a été délivré immédiatement aux fins d'incarcération en métropole et le mis en examen a été placé dans un avion préparé manifestement à l'avance pour y être conduit sans désemparer, sans que cet élément ait jamais été mis ni évoqué dans le débat contradictoire ; en validant ce débat et la décision de placement en détention provisoire qui l'a suivi, la chambre de l'instruction a violé les principes précités, les articles préliminaire et 145 du code de procédure pénale, les articles 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les droits de la défense ; la cassation devra intervenir sans renvoi après constatation de la nullité du débat contradictoire d'origine ;

2°/ que de surcroît, l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale ; il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est justifiée par un intérêt public et proportionnée au regard des circonstances invoquées ; en l'espèce, M. [N] faisait valoir dans son mémoire que son transfèrement et son incarcération en France métropolitaine, soit à plus de « 17.000 kilomètres de la Nouvelle-Calédonie » où il a sa résidence, étaient de nature à le priver de toute visite de sa famille, en raison notamment des « coûts d'un billet d'avion », du « temps nécessaire au déplacement » et du fait que « le centre de détention soit situé à plusieurs heures de toute arrivée par voie aérienne », et portaient ainsi « atteinte à son droit à une vie privée et familiale normale » ; pour néanmoins écarter toute atteinte en ce sens, l'arrêt se borne à énoncer que « l'éloignement du mis en examen relève d'une mesure de sûreté publique tant à raison de l'extrême gravité des infractions qui lui sont reprochées que des risques de troubles violents que créerait l'incarcération de toutes les personnes mises en examen dans ce dossier au centre pénitentiaire de [Localité 3] qui a été le théâtre de mutineries les 13 et 14 mai » ; en statuant par ces motifs hypothétiques et insuffisants à justifier l'atteinte grave portée au droit à une vie privée et familiale de M. [N], la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légal au regard des textes susvisés et a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que de la même manière, l'intérêt supérieur de l'enfant tel que consacré par l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant adoptée le 20 novembre 1989 par l'Assemblée générale des Nations Unies, impose un maintien des relations entre l'enfant et son parent placé en détention ; qu'en affirmant de façon inopérante, pour écarter toute violation de ce principe dont M. [N] se prévalait dans son mémoire, que ses enfants, dont les plus jeunes sont âgés de 15 et 4 ans, « demeurent protégés par leur mère » sans rechercher comme elle y était invitée s'ils conservaient la possibilité de visiter leur père, la chambre de l'instruction a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article sus énoncé et a de nouveau violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

6. Pour rejeter le grief tiré de la nullité du débat contradictoire et confirmer le placement en détention provisoire de l'intéressé, l'arrêt attaqué énonce que le débat contradictoire, institué par l'article 145 du code de procédure pénale dans l'hypothèse où un placement en détention provisoire est envisagé, porte sur le principe d'une incarcération provisoire et non sur ses modalités pratiques, de sorte que l'absence d'observations préalables de la personne mise en examen sur le lieu de l'incarcération n'entraîne pas la nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire.

7. Les juges ajoutent qu'il résulte de la combinaison des articles D. 53 du code de procédure pénale et D. 211-4 du code pénitentiaire, invoqués par la personne mise en examen au soutien de son grief, que le premier juge avait la possibilité de prévoir une incarcération dans une maison d'arrêt autre que celle de [Localité 3] s'il considérait que des garanties de sécurité suffisantes n'étaient pas offertes.

8. Ils observent, à cet égard, que le compte-rendu d'une réunion présidée par M. [P] [B] désignait les « places de l'Etat (gendarmeries, Camp est, subdivisions) » comme des cibles et que des brigades de gendarmerie avaient effectivement été attaquées, le personnel de la brigade territoriale de [Localité 2] ayant dû être évacué, que le centre pénitentiaire de [Localité 3] avait été le foyer de deux mutineries les 13 et 14 mai 2024 au cours desquelles des surveillants pénitentiaires avaient été pris en otage, l'un d'eux ayant été grièvement blessé, de sorte que le juge des libertés et de la détention pouvait légitimement considérer que ce centre pénitentiaire n'offrait pas de garanties de sécurité suffisantes puisqu'au-delà du risque de concertation entre les personnes mises en examen qui y seraient incarcérées, il existait un risque réel de nouveaux troubles.

9. Ils en concluent que l'éloignement ordonné par le juge des libertés et de la détention n'est pas en lui-même une cause d'annulation de la décision de placement en détention.

10. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes et principes visés au soutien du grief.

11. En effet, il ne résulte d'aucune disposition du code de procédure pénale que le juge des libertés et de la détention doive informer la personne mise en examen du lieu de détention où elle pourrait être incarcérée si elle était placée en détention provisoire.

12. Il s'ensuit que l'absence de débat contradictoire sur cette information ne constitue pas la violation d'une formalité substantielle au sens de l'article 802 du code de procédure pénale ni ne porte atteinte aux droits de la défense au cours dudit débat.

13. Ainsi, le grief doit être écarté.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

14. Pour rejeter les griefs tirés de l'atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale et de l'intérêt supérieur de l'enfant, l'arrêt attaqué énonce que toute détention entraîne par nature une restriction de la vie privée et familiale de l'intéressé en ce qu'elle implique nécessairement une séparation entre le père incarcéré et ses enfants.

15. Les juges ajoutent que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne donne pas aux détenus le droit de choisir leur lieu de détention et que le deuxième paragraphe de ce texte admet que l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale peut faire l'objet d'une ingérence par l'autorité publique si elle est prévue par la loi et si elle constitue une mesure nécessaire à la sûreté publique.

16. Ils observent que, d'une part, la loi autorise le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention à choisir l'établissement pénitentiaire dans lequel il place toute personne mise en examen, d'autre part, dans le cadre de la présente affaire, l'éloignement de la personne mise en examen relève d'une mesure de sûreté publique tant à raison de l'extrême gravité des infractions qui lui sont reprochées que des risques de troubles violents que créerait l'incarcération de toutes les personnes mises en examen dans ce dossier au centre pénitentiaire de [Localité 3] qui a été le théâtre de mutineries.

17. Ils relèvent encore qu'il résulte de l'enquête de personnalité, réalisée par une association d'accès au droit, qu'aucun enfant mineur ne serait laissé hors la présence de l'autre parent, les deux enfants mineurs de l'intéressé, âgés de 15 et 4 ans, vivant avec leur mère à [Localité 3] et demeurant ainsi protégés par celle-ci de sorte qu'aucune méconnaissance de leur intérêt supérieur n'est établie.

18. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

19. En effet, d'une part, elle a, comme elle le devait, répondu sans insuffisance, à ce stade de la détention, à l'argumentation du demandeur qui invoquait une atteinte excessive à son droit au respect de la vie familiale et de l'intérêt supérieur de ses enfants mineurs du fait de son incarcération en France métropolitaine, d'autre part, le demandeur n'a pas sollicité un changement d'établissement pénitentiaire.

20. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré régulière la procédure devant la chambre de l'instruction et a confirmé l'ordonnance de placement en détention provisoire, alors :

2°/ que le droit, pour le mis en examen, de communiquer avec son avocat hors de portée d'écoute d'un tiers figure parmi les exigences élémentaires du procès équitable dans une société démocratique ; la méconnaissance de ce principe porte nécessairement atteinte aux droits de la défense ; pour rejeter en l'espèce toute atteinte aux droits de la défense du fait de l'enregistrement par le ministère public de l'unique entretien par visioconférence entre M. [N] et son avocat en préparation de l'audience devant la chambre de l'instruction, l'arrêt énonce que cet enregistrement n'a été réalisé qu'à la suite d'une « erreur de manipulation » et qu'« il n'est pas établi que l'enregistrement a été écouté » ; en statuant ainsi, quand le seul enregistrement constituait déjà une irrégularité portant nécessairement atteinte aux droits de la défense, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire et 706-71 du code de procédure pénale, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et 6 §3 b) de la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 3, b, de la Convention européenne des droits de l'homme et 706-71 du code de procédure pénale :

22. Il résulte de ces textes que, pour que soit garanti le droit effectif et concret à l'assistance d'un avocat, la personne mise en examen qui comparaît par visioconférence à l'audience de la chambre de l'instruction statuant en matière de détention provisoire doit pouvoir s'entretenir avec son avocat au préalable et confidentiellement par ce même moyen de communication, dès lors que l'avocat a choisi de se trouver auprès de la juridiction.

23. Pour écarter le grief pris de la méconnaissance du droit pour la personne mise en examen de s'entretenir avec son avocat de façon confidentielle par un moyen de télécommunication audiovisuelle avant l'audience devant la chambre de l'instruction, l'arrêt attaqué énonce que la mention sur le courriel adressé à l'avocat avant l'audience selon laquelle « la réunion sera enregistrée », est générée lors de visioconférences organisées durant les procès d'assises, type de visioconférence qui a été mis en oeuvre à la suite d'une erreur de manipulation.

24. Les juges ajoutent qu'il résulte d'une capture d'écran réalisée par l'avocat que les mentions « Réunion enregistrée » et « Enregistrement » étaient visibles lorsque ce dernier s'est entretenu avec son client.

25. Ils observent enfin qu'il n'est pas établi que l'enregistrement a été écouté.

26. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

27. En effet, l'irrégularité résultant de l'enregistrement de l'entretien entre l'avocat et la personne mise en examen préalable à l'audience devant la chambre de l'instruction statuant en matière de détention provisoire fait, à elle seule, nécessairement grief à la personne concernée, dès lors qu'elle affecte irrévocablement les droits de la défense en touchant à la liberté des échanges de M. [N] avec son avocat, peu important que ledit enregistrement n'ait pas été écouté.

28. Par conséquent, la cassation est encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.

Portée et conséquences de la cassation

29. Il n'y a pas lieu à mise en liberté de M. [Z] [N] dès lors que la validité du mandat de dépôt n'est pas affectée par la cassation ainsi prononcée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa, en date du 3 juillet 2024, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

DIT N'Y AVOIR LIEU à mise en liberté de M. [Z] [N] ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille vingt-quatre.