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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-2, 17 octobre 2024, n° 22/00265

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 22/00265

17 octobre 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 OCTOBRE 2024

N° RG 22/00265 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-U7AH

AFFAIRE :

[P] [Y]

C/

S.E.L.A.R.L. P2G prise en la personne de Maître [U] [N], en sa qualité de commissaire au plan

S.A.R.L. SHANA

S.E.L.A.R.L. JSA en la personne de Me [S] en sa qualité de mandataire judiciaire de la société SHANA

AGS CGEA [Localité 4] UNEDIC

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 novembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Section : C

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Yoann SIBILLE

Me Violaine FAUCON-TILLIER

Me Claude-Marc BENOIT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANTE

Madame [P] [Y]

née le 12 août 1955 à [Localité 11]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentant : Me Yoann SIBILLE de la SELARL SIBILLE AVOCAT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 664

****************

INTIMÉES

S.E.L.A.R.L. P2G prise en la personne de Maître [U] [N], en sa qualité de commissaire au plan

[Adresse 5]

[Localité 7]

Défaillant, déclaration d'appel signifiée par huissier à tiers

S.A.R.L. SHANA

[Adresse 10]

[Localité 9]

Représentant : Me Violaine FAUCON-TILLIER, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 725

S.E.L.A.R.L. JSA en la personne de Me [C] [S] en sa qualité de mandataire judiciaire de la société SHANA

[Adresse 3]

[Localité 8]

Défaillant, déclaration d'appel signifiée par huissier à étude

Association UNEDIC délégation AGS CGEA [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1953

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 juin 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, conseillère chargée du rapport.

Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, présidente,

Madame Valérie DE LARMINAT, conseillère,

Madame Isabelle CHABAL, conseillère,

Greffière lors des débats : Mme Domitille GOSSELIN,

Greffière placée lors de la mise à disposition : Mme Gaëlle RULLIER

EXPOSÉ DU LITIGE

La société à responsabilité limitée Shana, dont le siège social est situé [Adresse 10] à [Localité 9] dans le département des Yvelines, est spécialisée dans le secteur d'activité de la restauration et exerce sous l'enseigne commerciale '[12]'. Elle emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des hôtels, cafés, restaurant du 30 avril 1997.

Mme [P] [Y], née le 12 août 1955, a été engagée par la société Shana par contrat de travail à durée déterminée dans le cadre d'un contrat saisonnier du 4 juin 2016 au 31 août 2016 en qualité de runner (commis de salle), moyennant une rémunération mensuelle brute de 1 650,99 euros outre indemnité de nourriture et primes.

Mme [Y] a continué à travailler pour la société Shana au mois de septembre 2016. Elle soutient avoir travaillé à la fin de cette période en 'extra' sans être déclarée, l'employeur indiquant qu'il ne l'a réembauchée qu'à compter du 1er juin 2017.

Mme [Y] a démissionné par courrier daté du 5 juillet 2017.

La société Shana a été placée en redressement judiciaire le 30 janvier 2020 par jugement du tribunal de commerce de Versailles. La Selarl JSA a été désignée en qualité de mandataire judiciaire et Me [U] [N] en qualité d'administrateur judiciaire.

Par jugement du 4 novembre 2021, le tribunal de commerce de Versailles a arrêté un plan de redressement de la société Shana d'une durée de 7 ans, a maintenu la Selarl JSA prise en la personne de Me [C] [S] en qualité de mandataire judiciaire et a nommé la Selarl P2G, prise en la personne de Me [U] [N], en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par requête du 5 août 2019, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye en présentant les demandes suivantes :

- requalifier la démission en prise d'acte,

- requalifier la prise d'acte en licenciement nul,

- dommages et intérêts pour licenciement nul : 12 760,02 euros,

- indemnité de licenciement : 460,63 euros,

- préavis : 2 126,67 euros,

- congés payés sur préavis : 212,67 euros,

- dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10 633,35 euros,

- rappel heures supplémentaires : 4 883,89 euros,

- congés payés afférents : 488,39 euros,

- travail dissimulé : 12 760,02 euros,

- article 700 du code de procédure civile : 3 500 euros,

- exécution provisoire article 515 du code de procédure civile.

La société Shana avait, quant à elle, demandé que Mme [Y] soit déboutée de ses demandes et sollicité sa condamnation à lui payer les sommes de 534 euros au titre du préavis et de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'Unedic délégation AGS CGEA [Localité 4] avait conclu au débouté des demandes présentées.

Par jugement contradictoire rendu le 25 novembre 2021, la section commerce du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye a :

- débouté Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté les parties défenderesses de leurs « demandes reconventionnelles »,

- laissé les éventuels dépens à la charge de Mme [Y].

Mme [Y] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 26 janvier 2022.

Statuant sur un incident soulevé par la société Shana, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 11 septembre 2023 :

- rejeté l'exception de nullité de la déclaration d'appel,

- dit n'y avoir lieu à prononcer la caducité de la déclaration d'appel,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens au principal.

Par conclusions adressées par voie électronique le 22 avril 2022, Mme [Y] demande à la cour de :

à titre principal,

- fixer au passif de la société Shana la somme de 10 633,35 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- fixer au passif de la société Shana la somme de 4 883,89 euros à titre de rappels d'heures supplémentaires, ainsi que la somme de 488,39 euros au titre des congés afférents,

- fixer au passif de la société Shana la somme de 12 760,02 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- requalifier la démission de Mme [Y] en licenciement nul ou à défaut en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- fixer au passif de la société Shana la somme de 460,63 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- fixer au passif de la société Shana la somme de 2 126,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 212,67 euros de congés payés afférents,

- fixer au passif de la société Shana la somme de 12 760,02 euros à titre de dommages et intérêts,

- fixer au passif de la société Shana la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner à l'AGS de garantir ces condamnations,

à titre subsidiaire,

- condamner la société Shana à payer à Mme [Y] la somme de 10 633,35 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- condamner la société Shana à payer à Mme [Y] la somme de la somme de 4 883,89 euros à titre de rappels d'heures supplémentaires, ainsi que la somme de 488,39 euros au titre des congés afférents,

- condamner la société Shana à payer à Mme [Y] la somme de 12 760,02 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- requalifier la démission de Mme [Y] en licenciement nul ou à défaut en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Shana à payer à Mme [Y] la somme de 460,63 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- condamner la société Shana à payer à Mme [Y] la somme de 2 126,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 212,67 euros de congés payés afférents,

- condamner la société Shana à payer à Mme [Y] la somme de 12 760,02 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Shana à payer à Mme [Y] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner à l'AGS de garantir ces condamnations.

Par conclusions n°2 adressées par voie électronique le 16 avril 2024, la société Shana demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles,

ainsi,

- dire et juger que Mme [Y] n'a pas subi de harcèlement moral,

- dire et juger que la société Shana a bien respecté l'ensemble de ses obligations vis-à-vis de sa salariée, Mme [Y], en termes de paiement de ses heures de travail,

- dire et juger que la rupture du contrat de Mme [Y] en date du 5 juillet 2017 est une rupture anticipée et injustifiée du contrat à l'initiative de la salariée et que Mme [Y] ne justifie d'aucun manquement grave de son employeur empêchant la poursuite de son contrat, cette rupture devant de fait s'analyser comme une démission,

- débouter en conséquence Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes,

et statuant à nouveau,

- dire irrecevable et écarter des débats la pièce 9 de Mme [Y],

- condamner Mme [Y] à verser à la société Shana la somme de 534 euros, correspondant au préjudice subi du fait de la rupture brutale et injustifiée du contrat,

- condamner Mme [Y] aux entiers dépens de première et deuxième instance et à verser à la société Shana la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions adressées par voie électronique le 25 avril 2022, l'UNEDIC délégation AGS CGEA [Localité 4] demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement entrepris,

à titre subsidiaire,

- fixer au passif de la liquidation les créances retenues,

- dire le jugement opposable à l'AGS dans les termes et conditions de l'article L. 3253-19 du code du travail,

vu les articles L. 3253-6, L. 3253-8 et L. 3253-17 du code du travail,

dans la limite du plafond toutes créances brutes confondues,

- exclure de l'opposabilité à l'AGS la créance éventuellement fixée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- exclure de l'opposabilité à l'AGS l'astreinte,

- dire n'y avoir lieu à exécution provisoire en présence de conséquences manifestement excessives,

vu l'article L. 621-48 du code de commerce,

- rejeter la demande d'intérêts légaux,

- dire ce que de droit quant aux dépens sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Par ordonnance rendue le 22 mai 2024, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 juin 2024.

MOTIFS DE L'ARRET

Il convient d'indiquer à titre liminaire qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir 'dire et juger' qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais sont la reprise des moyens des parties.

Mme [Y] soutient qu'elle a été victime de harcèlement moral, notamment du fait des nombreuses heures supplémentaires qu'elle a accomplies et forme des demandes relatives à son temps de travail. Elle demande par ailleurs la requalification de sa démission en licenciement nul ou à défaut en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement des indemnités afférentes.

Sur l'irrecevabilité de la pièce 9 de la salariée

La société Shana demande en cause d'appel que la pièce n°9 produite par Mme [Y] soit écartée des débats dès lors qu'elle constitue une preuve illicite, déloyale et irrégulière, s'agissant d'un constat d'huissier faisant état de l'enregistrement d'une conversation téléphonique entre Mme [Y] et une personne qui serait selon elle M. [O], gérant de la société Shana, réalisée sans l'accord de ce dernier, en violation de son droit au respect de la vie privée. Elle ajoute que l'on est dans l'incapacité d'identifier les interlocuteurs et de dater l'enregistrement.

Mme [Y] soutient que M. [O] l'a contrainte à démissionner et entend le prouver par la production de sa pièce n°9.

L'article 9 du code de procédure civile dispose que "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention".

Dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. Assemblée Plénière, 22 décembre 2023, n°20-20.648).

En l'espèce, Mme [Y] produit en pièce n°9 un procès-verbal de constat daté du 12 janvier 2019 dans lequel Me [W], huissier de justice, retranscrit un fichier audio qui lui a été remis par Mme [Y] sur une clé USB. Ce fichier comporte une conversation téléphonique entre Mme [Y] et un individu de sexe masculin qui se présente lui-même comme étant M. [O]. Alors que Mme [Y] réclame son chèque de salaire, M. [O] évoque un "stc" [solde de tout compte] et conditionne la remise du chèque à la présentation d'une lettre de démission par Mme [Y].

Il est constant que cette conversation a été enregistrée sans l'accord de M. [O], ce qui est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de ce dernier qui est garantie par l'article 9 alinéa 1er du code civil, lequel dispose que "chacun a droit au respect de sa vie privée."

Cependant, la production de cette pièce est indispensable à l'exercice du droit à la preuve de la salariée, s'agissant pour elle de l'unique moyen de démontrer que l'employeur a fait pression sur elle pour obtenir sa démission. En outre, l'atteinte est proportionnée au but poursuivi.

En conséquence, l'utilisation de cette preuve ne porte pas atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, de sorte qu'il y a lieu de débouter la société Shana de sa demande tendant à voir dire irrecevable et à écarter des débats la pièce n°9 de Mme [Y].

Sur les demandes liées au temps de travail

Sur les heures supplémentaires

Mme [Y] expose qu'elle assurait, en plus de ses missions de "runner", le ménage du restaurant, le dressage des tables, la gestion des réservations et la prise en charge des clients car M. [O] ne souhaitait pas embaucher davantage de personnel ; qu'elle a dû organiser plusieurs réceptions telles que des séminaires ou mariages, les horaires de travail devenant alors "inhumains" ; qu'afin de réaliser l'ensemble de ses tâches, elle était contrainte de réaliser des heures supplémentaires qui n'ont été ni rémunérées ni compensées sous la forme de repos.

L'AGS estime que Mme [Y] n'apporte pas le moindre élément au soutient de son allégation.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales ainsi rappelées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Au soutien de sa demande de rappel de salaire, Mme [Y] produit :

- une attestation de Mme [T] [A], assistante de direction du restaurant, qui relate que Mme [Y] a fait une saison de juin à septembre 2016 en qualité de runner, qu'elle a donné satisfaction et a répondu présente pour la saison 2017. Elle écrit que Mme [Y] "a effectué de nombreuses heures étant en sous effectif de personnel" et que "M. [O] n'était pas tendre avec Mme [Y]. Sur place nous avions M. [I] dans le rôle du patron et il lui faisait faire une multitude de choses inconcevables "exemple" garde l'après-midi donc pas de coupure depuis 9 heures le matin. Elle terminait souvent après 23 heures en semaine et le week-end 2 heures ou 3 heures du matin et plus horaires très très chaotiques" (pièce 5 de la salariée),

- une attestation de M. [K] [U], chef cuisinier, qui relate que Mme [Y] était toujours disponible et enchaînait les heures afin que le restaurant puisse "tourner" (pièce 6 de la salariée),

- un décompte des heures supplémentaires qu'elle soutient avoir accomplies du 1er juin au 25 septembre 2016 (tableau pièce 8).

La salariée fournit ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La société soutient en premier lieu que Mme [Y] est irrecevable en sa demande dès lors qu'elle n'a pas dénoncé dans les délais requis le solde de tout compte faisant état d'heures supplémentaires.

L'article L. 1234-20 du code du travail dispose que "Le solde de tout compte, établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail.

Le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.'

En application de cette disposition, l'employeur doit faire l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail et le reçu du solde de tout compte n'a d'effet libératoire que pour les seules sommes qui y sont mentionnées, peu important le fait qu'il soit par ailleurs rédigé en des termes généraux.

En l'espèce, la société Shana se réfère au solde de tout compte délivré le 30 juin 2017 signé par la salariée (sa pièce 5) qui mentionne le paiement de la somme de 1 735,10 euros correspondant aux sommes brutes suivantes :

- salaire horaire : 1 779,15 euros,

- heures supplémentaires 10 % : 223,62 euros,

- avantage en nature repas : 123,90 euros

- indemnité compensatrice de congés payés : 294,42 euros.

Cependant il ne se rapporte qu'aux sommes dues au titre de l'emploi de commis de salle exercé par Mme [Y] du 1er au 30 juin 2017 (pièce 6 de la société), de sorte qu'il ne peut avoir aucun effet libératoire pour les sommes dues par l'employeur au titre du contrat saisonnier de la période estivale 2016.

La société produit également le solde de tout compte daté du 30 septembre 2016 relatif à l'emploi tenu par Mme [Y] du 4 juin 2016 au 30 septembre 2016 qui mentionne le paiement de la somme de 1 790,13 euros correspondant aux sommes brutes suivantes :

- salaire horaire : 1 466,65 euros,

- heures supplémentaires 10 % : 184,34 euros,

- avantage en nature repas : 140,80 euros,

- indemnité compensatrice de congés payés : 722,24 euros.

Toutefois, il ne peut avoir aucun effet libératoire pour l'employeur dès lors qu'il n'est pas signé par la salariée.

La demande de Mme [Y] est en conséquence recevable.

La société Shana soutient en second lieu que le tableau des heures supplémentaires versé au débat par la salariée a été conçu pour les besoins du litige puisque le restaurant ne suivait pas les heures de travail de ses salariés sur un support informatisé ; que Mme [A] transmettait au service comptable un tableau récapitulatif assorti de commentaires et qu'aucun document enregistrant le temps de travail des salariés n'a été retrouvé après son départ ; que les horaires de service étaient de 9 h à 15 h puis de 18h30 à 22h30 avec 1h30 de repas/pause à prendre sur les deux services, du mercredi au samedi et le dimanche matin, le restaurant étant fermé les dimanches après-midi, lundi et mardi. Elle s'étonne que Mme [Y] soit revenue travailler en 2017 dans le restaurant si elle avait accompli en 2016 des heures supplémentaires non payées et fait valoir que les attestations produites sont imprécises sur les horaires effectués.

Mme [Y] a été embauchée en 2016 pour accomplir 39 heures de travail par semaine (pièce 1 de la salariée). Ses bulletins de paie des mois de juin, août et septembre 2016 mentionnent qu'elle était payée pour 151,67 heures de travail outre 17,33 heures supplémentaires (pièce 3 de la salariée), ce qui correspond aux heures contractuellement prévues.

Le tableau versé au débat par Mme [Y] fait état d'heures supplémentaires accomplies au-delà de 39 heures par semaine. Mme [Y] prend en compte un horaire de travail journalier de 7,8 heures ce qui correspond à 39 heures de travail réalisées sur 5 jours. Il ressort de son tableau qu'elle ne travaillait jamais les lundi et mardi et n'assurait pas un service du soir le dimanche, ce qui correspond aux périodes de fermeture du restaurant décrites et justifiées par la société (site internet du restaurant - pièce 17 de la société). Le restaurant servait en effet de 12h à 14h et de 19h30 à 22h sauf les dimanche soir, lundi et mardi.

Il ressort du tableau de Mme [Y] qu'en 2016 elle disposait la plupart du temps d'une pause en milieu de journée de 15 h 30 environ à 18 heures mais qu'elle pouvait parfois faire des journées continues de travail, sans pause, surtout en fin de semaine. Ainsi elle déclare avoir travaillé le samedi 2 juillet 2016 de 9h30 à 0h30 et le dimanche 3 juillet de 10h à 18h30 et le vendredi 8 juillet 2016 et le samedi 9 juillet 2016 de 9h30 à 1 heure et le dimanche 10 juillet 2016 de 10h30 à 19 heures.

Les attestations qu'elle verse au débat, quand bien même elles ne sont pas précises sur les horaires réalisés par la salariée, montrent que Mme [Y] accomplissait de manière effective des heures supplémentaires.

La société reconnaît ne pas être en mesure de justifier des horaires de travail exacts de Mme [Y]. Mme [A] transmettait au service comptable, pour l'édition des bulletins de salaire, des tableaux mentionnant les seuls jours de présence des salariés (pièce 16 de la société).

Dans ces conditions, il sera retenu que Mme [Y] a accompli des heures supplémentaires non rémunérées dont l'indemnisation sera fixée par la cour à la somme de 2 441,95 euros outre 244,20 euros au titre des congés payés afférents, par infirmation de la décision entreprise.

Sur le travail dissimulé :

Mme [Y] fait valoir qu'elle a réalisé un grand nombre d'heures supplémentaires dont M. [O] avait connaissance et qu'il a refusé de payer et qu'en outre, elle a travaillé sans être déclarée d'octobre 2016 à mai 2017.

La société réplique que Mme [Y] n'a travaillé que de manière saisonnière et qu'aucun élément versé au débat ne démontre une dissimulation volontaire d'heures supplémentaires, ce qu'indique également l'AGS.

Conformément à l'article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits de travail dissimulé prévus à l'article L. 8221-5 du code du travail a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Le travail dissimulé est le fait, pour tout employeur :

- soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la déclaration préalable à l'embauche,

- soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paye, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures inférieur à celui réellement accompli,

- soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales.

En l'espèce, le contrat de travail à durée déterminée de Mme [Y] s'achevait le 31 août 2016. Il s'est cependant poursuivi jusqu'au 30 septembre 2016 ainsi qu'il ressort de l'attestation de Mme [A], du bulletin de salaire du mois de septembre 2016, du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi qui ont été délivrés à Mme [Y] (pièces 3 et 5 de la salariée, 25 et 29 de la société).

Néanmoins il ne ressort d'aucune pièce produite par la salariée qu'elle a travaillé de manière non déclarée pour la société Shana entre octobre 2016 et mai 2017, les attestations produites par Mme [Y] démontrant au contraire qu'ayant donné satisfaction lors de son contrat saisonnier de 2016, elle a été réengagée en qualité de saisonnière en juin 2017.

La seule absence de paiement des heures supplémentaires accomplies durant la saison 2016 ne suffit pas à justifier de la volonté de la société Shana de dissimuler l'emploi de Mme [Y], de sorte que cette dernière sera déboutée de sa demande indemnitaire, par confirmation de la décision entreprise.

Il est relevé qu'aucun contrat de travail n'étant produit concernant l'embauche à compter du 1er juin 2017, il doit être retenu que Mme [Y] se trouvait, au moment de la rupture de son contrat de travail, dans les liens d'un contrat à durée indéterminée avec la société Shana, en application de l'article L. 1242-12 du code du travail, lequel dispose en son alinéa 1er que "le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée."

Sur le harcèlement moral

En application des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Aux termes de l'article L. 1154-1 du même code, « Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 [...], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il y a lieu d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il y a lieu d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce Mme [Y] expose qu'elle a subi, comme l'ensemble de l'équipe du restaurant, des faits constitutifs de harcèlement moral.

L'AGS soutient qu'aucun élément n'est versé au débat de nature à vérifier le bien fondé de la demande.

Mme [Y] invoque en premier lieu les violences morales dont elle a fait l'objet. Elle expose que la société Shana a vu son chiffre d'affaires diminuer sur l'année 2016 et que mécontent, M. [O] en a fait peser la responsabilité sur l'équipe ; que M. [O] était coutumier des insultes et menaces en tout genre et refusait de dialoguer avec son équipe ; qu'elle a dû subir des insultes violentes et dénigrantes de sa part, de manière constante et récurrente depuis son embauche.

Elle indique qu'à la suite d'une altercation, M. [O] lui a dit "moi je ne suis pas une pute comme vous". Cependant, outre le fait qu'elle ne date pas cette altercation, elle ne produit aucune pièce pour justifier de sa réalité.

Les attestations de Mme [G] [R] et de M. [L] qu'elle verse au débat, outre qu'elles ne sont pas toujours lisibles et qu'elles ne sont pas accompagnées des pièces d'identité de leurs auteurs, se rapportent à des faits subis par Mme [A] et non par Mme [Y] (pièces 10 et 11).

Mme [Y] relate que la situation a dégénéré lors d'une réunion d'équipe le 2 juin 2017, à tel point que sa collègue de travail Mme [A] a déposé une main courante à l'encontre de M. [O].

Elle produit la déclaration de main courante faite au commissariat de police de [Localité 13] le 5 juin 2017 par Mmes [T] [A] et [G] [R]. Ces dernières ont relaté que "Le vendredi 2 juin 2017, suite à une réunion de travail, lors d'un désaccord, notre patron M. [O] [D] est devenu agressif à notre égard. Il a commencé à nous insulter en ces termes "Va te faire enculer" et à nous faire des gestes grossiers. Il nous a également menacé d'exercer une pression psychologique sur nos personnes, afin de nous faire abandonner notre poste. Nous avons failli en venir aux mains" (pièce 7). Les faits dénoncés ne concernent cependant pas Mme [Y].

Dans une attestation, Mme [A] relate qu'après la réunion du 2 juin 2017, M. [O] a été très désagréable avec Mme [Y] alors qu'elle s'était tenue à distance durant la réunion, n'étant pas concernée car elle était en job d'été. "Elle a juste demandé à M. [O] comment seront rémunérées les heures supplémentaires de la saison et là M. [O] lui a répondu "Toi c'est pareil si cela ne te convient pas, tu dégages."" (pièce 5 de la salariée).

M. [K] [U], chef cuisinier, atteste également que M. [O] a changé de comportement avec Mme [Y] suite à cette réunion et qu'à chaque fois qu'il la voyait il était très agressif et irrespectueux (pièce 6 de la salariée).

Il est ainsi établi que M. [O] a tenu des propos désobligeants à l'égard de Mme [Y].

Mme [Y] soutient en second lieu qu'elle s'est vu imposer une véritable surcharge de travail, effectuant de nombreuses heures supplémentaires ; que lorsqu'elle en faisait part à M. [O], ce dernier l'ignorait ou lui répondait qu'il n'en avait "rien à foutre".

Il a été établi plus avant que Mme [Y] a en effet réalisé des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées au cours de la saison estivale 2016. Aucune pièce ne démontre cependant que M. [O] a tenu à Mme [Y] les propos que cette dernière lui impute.

Le fait est donc partiellement établi.

Mme [Y] explique que ces faits ont porté atteinte à sa santé dès lors qu'elle souffre d'une importante fatigue physique et psychologique ayant entraîné une dépression, sans produire toutefois aucune pièce notamment médicale en justifiant. Elle soutient que les faits compromettent son avenir professionnel au sein de la société Shana puisque ne supportant plus les conditions de travail quotidiennes, elle a été conduite à démissionner.

Sont ainsi matériellement établis des faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Pour prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l'employeur réplique que les propos de Mme [Y] sont très généraux et se rapprochent opportunément du litige en cours entre M. [O] et quatre autres salariés du restaurant, qui ne la concerne pas, et qu'elle n'est pas en mesure de citer un exemple personnel précis, soulignant que Mme [Y] est revenue travailler dans le restaurant en toute connaissance de cause en 2017.

Elle explique que l'incident du 2 juin 2017 concerne une réunion d'équipe demandée par les salariés afin d'évoquer les difficultés de la société, qui s'est déroulée dans une grande tension de part et d'autre. Elle produit une lettre adressée le 27 mai 2017 par Mme [A] à M. [O] sollicitant, au nom de tout le personnel, une rencontre "afin d'envisager notre futur ainsi que celui de l'entreprise qui nous emploie" (pièce 18). Il ressort des attestations de salariés produites par Mme [Y] que cette dernière n'était pas concernée par cette réunion dès lors qu'elle n'était que saisonnière.

La société fait valoir que M. [O] n'était que peu présent au restaurant "[12]" dès lors qu'il se consacrait à son autre restaurant du [Localité 14], "le pavillon des ibis". Elle produit des attestations de salariés ou clients mentionnant sa présence quotidienne dans l'établissement du [Localité 14] (pièces 8 à 15). Elle expose et justifie que la gestion du restaurant "les jardins de la veille fontaine" était assurée par Mme [A], avec laquelle M. [O] s'entretenait au téléphone presque tous les jours (attestation de Mme [V], secrétaire - pièce 8).

La société soutient que M. [O] avait une attitude parfaitement respectueuse à l'égard de ses salariés et produit en ce sens des attestations de salariés ou anciens salariés des deux restaurants (pièces 20 à 23).

Elle explique que les tensions apparues dans l'entreprise en 2017 sont uniquement liées aux difficultés financières dans lesquelles la société Shana se débattait, provenant pour une part d'une dérive des achats, ce qui faisait légitimement l'objet de discussions régulières et de critiques de la part de M. [O]. Elle invoque une amélioration du taux de marge de la société depuis que M. [O] a repris la gestion en direct du restaurant et produit des pièces comptables en ce sens (pièces 26 à 28).

Il s'ensuit qu'en l'état des explications et des pièces fournies, si Mme [Y] a effectué en 2016 des heures supplémentaires non rémunérées, lesquelles sont retenues dans une proportion moindre que la demande, elle disposait régulièrement de ses pauses journalières et la situation ne l'a pas empêchée de revenir travailler dans le même restaurant avec la même équipe durant la saison estivale suivante. Aucune pièce ne démontre de manière objective que M. [O] a proféré à l'égard de Mme [Y] des propos ayant une nature insultante.

Dans ces conditions, il ne sera pas retenu que Mme [Y] a été victime de harcèlement moral et sa demande indemnitaire à ce titre sera rejetée, par confirmation de la décision entreprise.

Sur la demande de requalification de la démission en licenciement

En vertu des dispositions de l'article L. 1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord.

L'article L. 1237-1 du code du travail prévoit que le salarié peut démissionner. La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

La démission du salarié doit avoir été librement consentie, à défaut de quoi la rupture du contrat de travail est imputable à l'employeur et s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, Mme [Y] relate que début juillet 2017, elle n'avait toujours pas été payée pour le mois de juin 2017 alors qu'elle effectuait des heures supplémentaires ; qu'après en avoir référé à M. [O], ce dernier lui a indiqué qu'elle ne méritait pas sa paye ; que le lendemain, elle ne s'est logiquement pas présentée au travail, ce qui a déplu à son employeur, qui lui a demandé le 5 juillet de remettre sa démission, ce qu'elle a refusé, souhaitant juste obtenir le paiement de ce qui lui était dû. Elle estime qu'au cours d'une conversation téléphonique du 12 juillet, M. [O] l'a contrainte à lui remettre une lettre de démission datée du 5 juillet.

Elle demande que sa démission, intervenue dans un contexte de harcèlement moral, soit requalifiée en licenciement nul et à titre subsidiaire qu'elle soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société réplique que le fondement de la demande n'est pas précisé et que Mme [Y] a décidé de son propre chef d'arrêter son travail à la fin de son premier mois de contrat saisonnier, le 30 juin 2017, abandonnant son poste sans préavis et remettant une lettre de démission à son employeur le 5 juillet 2017, sans faire état d'aucun grief et en signant sans réserve son solde de tout compte, sa contestation étant formée 9 mois plus tard. Elle fait valoir que Mme [Y] ne justifie d'aucun manquement grave de son employeur ayant pu l'amener à rompre son contrat et conteste toute contrainte ou violence l'ayant amenée à démissionner.

Mme [Y] a travaillé pour la société Shana de juin à septembre 2016 et elle a de nouveau été engagée à compter du 1er juin 2017. Elle a travaillé jusqu'au 30 juin 2017.

Par courrier daté du 5 juillet 2017, elle a donné sa démission dans les termes suivants :

"Objet : lettre de démission de poste sans préavis remise en main propre

J'ai l'honneur de vous présenter ma démission du poste de runneuse que j'occupe depuis le 1/06/2017 au sein de votre restaurant [12].

Je vous prie de bien vouloir préparer tous les documents indispensables à ma démission, à savoir un certificat de travail, une attestation pôle emploi et un reçu pour solde de tout compte que je viendrai récupérer dans les plus brefs délais.

D'ici là je me tiens à votre disposition pour toute information complémentaire." (pièce 2 de la salariée).

Mme [Y] soutient que son consentement a été vicié et qu'elle n'a donné sa démission qu'à la suite des pressions subies de la part de M. [O].

En premier lieu, il a été exclu que la salariée a fait l'objet d'un harcèlement moral de sorte que sa démission ne peut être requalifiée en licenciement nul du fait de l'existence d'un harcèlement moral et que la décision de première instance doit être confirmée en ce qu'elle a débouté Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul.

En second lieu, il ressort de la conversation téléphonique de M. [O] et Mme [Y], retranscrite dans le procès-verbal de constat d'huissier que la salariée produit en pièce 9, à une date non justifiée que Mme [Y] présente comme étant le 12 juillet 2017, que Mme [Y] a travaillé jusqu'au vendredi 30 juin 2017 et qu'elle n'est pas venue travailler le week-end suivant, sans justifier de son absence par un arrêt de maladie, ce qu'elle reconnait, l'employeur se plaignant d'avoir été "largué comme une merde".

Mme [Y], après avoir téléphoné, est passée voir M. [O] pour réclamer son chèque de salaire du mois de juin 2017. M. [O], qui était absent, l'a rappelée et lui a dit qu'elle aurait son chèque contre la remise de sa lettre de démission.

Lorsque Mme [Y] a indiqué à M. [O] qu'il devait signer sa lettre de démission, ce dernier lui a dit que c'était à elle et non à lui de signer cette lettre. Mme [Y] lui a répondu à deux reprises qu'elle avait déjà signé sa lettre de démission. Les parties ont alors fixé un rendez-vous pour la remise des documents attendus de part et d'autre.

Il en ressort qu'au moment où Mme [Y] a eu cette conversation téléphonique, elle avait déjà signé sa lettre de démission, datée du 5 juillet 2017. Ce n'est donc pas sur injonction de M. [O] du 12 juillet 2017 qu'elle a signé une lettre du démission antidatée au 5 juillet 2017.

Dans la suite de la conversation, Mme [Y] a indiqué à M. [O] qu'elle avait toujours été correcte avec lui "mais c'est pas très sympa aussi de me laisser seule assumer des responsabilités au restaurant aussi".

Ainsi, la démission de Mme [Y] a été donnée sans réserves, de manière claire et non équivoque.

Dès lors, la demande tendant à voir requalifier la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être rejetée, ainsi que les demandes en fixation au passif de la société d'une indemnité de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de dommages et intérêts, par confirmation de la décision entreprise.

Sur la garantie de l'AGS

Compte tenu de la nature des sommes allouées, l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 4] doit sa garantie dans les termes, conditions et plafonds prévus par les articles L. 3253-8 et suivants du code du travail, sur justificatif d'absence de fonds disponibles.

Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 4], la garantie de cette dernière n'étant pas due pour les frais irrépétibles.

Sur la demande reconventionnelle

La société Shana demande que Mme [Y] soit condamnée à lui verser des dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la brusque rupture du contrat saisonnier, qu'elle fixe à 534 euros correspondant aux 8 jours de préavis qui auraient dû être donnés par la salariée, précisant par ailleurs que sa réclamation correspond à l'indemnité compensatrice de préavis. Il sera donc retenu qu'elle sollicite le versement d'une indemnité compensatrice de préavis.

Le préavis est une obligation réciproque. L'inexécution de cette obligation par le salarié ouvre droit au profit de l'employeur à une indemnité compensatrice de préavis.

En l'espèce, aucun contrat de travail valable écrit à compter du 1er juin 2017 n'est produit.

La convention collective prévoit que les employés ayant moins de 6 mois d'ancienneté doivent un préavis de 8 jours en cas de démission.

Mme [Y] a travaillé jusqu'au 30 juin 2017 et n'a pas repris son poste avant de rédiger une lettre de démission le 5 juillet 2017.

Dès lors qu'elle n'a pas respecté le préavis de 8 jours qu'elle devait à son employeur, Mme [Y] sera condamnée à payer la somme de 534 euros à la société Shana, par infirmation de la décision entreprise.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera infirmée en ce qu'elle a laissé les dépens éventuels à la charge de Mme [Y] et débouté cette dernière de sa demande formée au titre des frais irrépétibles mais confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande formée par la société Shana au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens de première instance et d'appel, comprenant les dépens de l'incident, seront fixés au passif de la société Shana ainsi qu'une somme de 1 000 euros au profit de Mme [Y] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'intégralité de la procédure.

La demande formée par la société Shana au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Déboute la société Shana de sa demande tendant à voir dire irrecevable et à écarter des débats la pièce n°9 de Mme [Y],

Infirme le jugement rendu le 25 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye en ce qu'il a :

- débouté Mme [Y] de sa demande formée au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents,

- débouté la société Shana de sa demande reconventionnelle,

- laissé les éventuels dépens à la charge de Mme [Y],

- débouté Mme [Y] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe au passif de la société Shana au profit de Mme [P] [Y] les sommes de :

- 2 441,95 euros au titre des heures supplémentaires dues pour la période courant de juin à septembre 2016,

- 244,20 euros au titre des congés payés afférents,

Condamne Mme [P] [Y] à payer à la société Shana la somme de 534 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

Fixe au passif de la société Shana les dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront les dépens de l'incident,

Fixe au passif de la société Shana au profit de Mme [P] [Y] une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'intégralité de la procédure,

Déboute la société Shana de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déclare le présent arrêt opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 4], hormis pour les frais irrépétibles.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Gaëlle Rullier, greffière placée, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière placée, La présidente,