Décisions
CA Bourges, ch. soc., 18 octobre 2024, n° 23/00607
BOURGES
Arrêt
Autre
SD/EC
N° RG 23/00607 -
N° Portalis DBVD-V-B7H-DR5Y
Décision attaquée :
du 25 mai 2023
Origine :
conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES
--------------------
Mme [J] [D] veuve [N]
Mme [M] [N],
Mme [Z] [N], héritières de [X] [N]
C/
S.A.S. VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS
--------------------
Expéd. - Grosse
Me RAHON 18.10.24
Me FOURCADE 18.10.24
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2024
N° 99 - 12 Pages
APPELANTES :
1) Madame [J] [D] veuve [N], héritière de [X] [N]
[Adresse 1]
2) Madame [M] [N], héritière de [X] [N]
[Adresse 3]
3) Madame [Z] [N], héritière de [X] [N]
[Adresse 4]
Ayant pour avocat postulant Me Hervé RAHON de la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, du barreau de BOURGES
Représentée par Me Naïma BOUABOUD, avocat plaidant, du barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.S. VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS
[Adresse 2]
Représentée par Me Antoine FOURCADE de la SELARL ARENES AVOCATS CONSEILS, avocat postulant, du barreau de BOURGES
et par Me Stéphanie DUMAS de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat plaidant, du barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Mme CHENU, conseiller rapporteur
en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.
Arrêt n° 99 - page 2
18 octobre 2024
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE
en présence de Mme DE AZEVEDO, greffière stagiaire
Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre
Mme de LA CHAISE, présidente de chambre
Mme CHENU, conseillère
DÉBATS : À l'audience publique du 06 septembre 2024, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 18 octobre 2024 par mise à disposition au greffe.
ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 18 octobre 2024 par mise à disposition au greffe.
* * * * *
FAITS ET PROCÉDURE :
La SAS Vinci Construction Grands Projets, spécialisée dans la réalisation de grands projets de génie civil et de bâtiments en France et à l'international, est issue de la fusion successive de plusieurs sociétés, et notamment la société Dumez-GTM, qui était elle-même née des apports d'actif des sociétés Dumez SA et GTM SA, puis de l'absorption de la société GTM International.
Après une période d'activité sur le territoire national au sein de la société GTM BTP, en qualité de maçon coffreur, puis auprès de divers employeurs, M. [X] [N], né le 16 mars 1960, a été embauché par la société GTM International, selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 17 juin 1983, en qualité de chef d'équipe coffreur, 1er échelon, coefficient 210. Il a été affecté à [Localité 5] jusqu'au 9 décembre 1984.
À compter du 15 décembre 1984, M. [N] a bénéficié d'une mutation au sein de la société GTM Caraïbes, en qualité de chef d'équipe coffreur, 2ème échelon, coefficient 240.
M. [N] a ensuite de nouveau été muté au sein de la société GTM BTP à compter du 18 décembre 1988 et jusqu'au 14 avril 1990, date à laquelle il a réintégré la société GTM International pour être affecté en qualité d'expatrié au Nigéria à compter du 17 avril 1990. Il a occupé des fonctions de chef de chantier 1er échelon, puis de chef de chantier 2ème échelon, coefficient 745, jusqu'en octobre 1993.
Après une période de formation auprès du CFPCT de [Localité 6], M. [N] a été muté au sein de la société Dumez-GTM à compter du 1er juillet 1994 et a fait l'objet d'un détachement à l'étranger, plus précisément auprès de la société Friedlander en Guinée, entre le 15 octobre 1994 au 15 février 1995. Cette mise à disposition a ensuite fait l'objet d'un contrat de travail en date du 1er janvier 1995.
Après une promotion en qualité de conducteur de travaux 2ème échelon B.1.1, coefficient 90, statut cadre à partir de janvier 1996, et une nouvelle période de mise à disposition de la société Freidlander entre le 7 mars et le 15 août 1997, M. [N] et la société Dumez-GTM ont signé un nouveau contrat de travail actant l'affectation du salarié en Argentine à compter du 9 septembre 1997.
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La convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise des entreprises de travaux publics, puis des ingénieurs, assimilés et cadre des entreprise de travaux publics, s'est appliquée aux différents contrats de travail de M. [N].
À la suite du licenciement de M. [N] par lettre en date du 22 juillet 1999, la société Dumez-GTM et M. [N] ont signé, le 28 juillet 1999, une transaction aux termes de laquelle chacune des parties 'renoncent irrévocablement à tous autres droits, actions ou indemnités de quelque nature que ce soit qui résulteraient de l'exécution ou de la cessation du contrat de travail'.
Par courrier recommandé en date du 22 février 2020, puis par l'intermédiaire de son conseil le 22 janvier 2021, M. [N] a sollicité des explications et une régularisation de sa situation auprès de la société Vinci Construction Grands Projets après avoir constaté l'absence de validation de 28 trimestres au titre de l'assurance-retraite, correspondant aux périodes d'expatriation à l'étranger.
Arguant de divers préjudices subis du fait de l'absence d'affiliation au régime général de sécurité sociale ou à l'AGIRC pendant ses périodes d'expatriation à l'étranger, de l'application d'une assiette de calcul erronée de ses cotisations de retraite complémentaire et de l'exécution déloyale du contrat de travail par son employeur, M. [N] a saisi, le 28 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Bourges, section encadrement, qui a, par jugement en date du 25 mai 2023, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé :
- déclaré irrecevables car prescrites toutes les demandes de M. [N], et couvertes par l'autorité de la chose jugée,
- débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la SAS Vinci Construction Grands Projets de ses demandes reconventionnelles,
- condamné M. [N] aux entiers dépens.
Le 16 juin 2023, par voie électronique, M. [N] a régulièrement relevé appel de cette décision, qui lui avait été notifiée le 30 mai 2023.
M. [N] est décédé le 25 octobre 2023.
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 septembre 2024 aux termes desquelles Madame [J] [D], épouse de M. [N], Mmes [M] et [Z] [N], ses filles, sollicitent de la cour, en leur qualité d'ayants droit, qu'elle déclare recevable leur intervention volontaire devant elle et poursuivent l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Vinci Construction Grands Projets de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, demandent à la cour de :
Statuant à nouveau,
- débouter la société Vinci Construction Grands Projets des fins de non-recevoir tirées de :
- la prescription de l'action et des demandes de feu M. [N], reprises par elles,
- l'existence de la transaction signée par feu M. [N],
- À titre subsidiaire, ordonner la nullité de la transaction signée par feu M. [N] en raison de la réticence dolosive de la société Dumez-GTM et débouter la société Vinci Construction Grands Projets de sa fin de non-recevoir tirée de l'existence de cette transaction,
- débouter la société Vinci Construction Grands Projets de la fin de non-recevoir concernant les demandes présentées au titre de l'intéressement et de la participation fondée sur l'unicité d'instance,
- débouter la société Vinci Construction Grands Projets de sa fin de non-recevoir concernant les demandes présentées au titre du préjudice de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO et
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fondées sur l'existence de demandes nouvelles,
- Sur les préjudices de retraites de base et complémentaire AGIRC-ARRCO, à titre principal, condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser les sommes suivantes :
- 392 316,58 euros au titre du préjudice de retraite subi par feu M. [N] du fait de l'absence d'affiliation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger,
- 67 382 euros au titre de préjudice financier de retraite complémentaire subi par feu M. [N] du fait de l'assiette de calcul erronée pour le calcul des cotisations de retraite complémentaire,
- À titre subsidiaire, condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser les sommes suivantes :
- 265 978,10 euros en tenant compte de la déduction des points supplémentaires CRE, au titre du préjudice de retraite subi par feu M. [N] du fait de l'absence d'affiliation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger,
- 67 382 euros au titre de préjudice financier de retraite complémentaire subi par feu M. [N] du fait de l'assiette de calcul erronée pour le calcul des cotisations de retraite complémentaire,
- À titre très subsidiaire, condamner la société Vinci Construction Grands Projets à verser les sommes suivantes :
- à Mme [J] [N], 222 028 euros au titre des préjudices de pensions de réversion (retraite de base et complémentaire), compte tenu du préjudice de retraite subi par feu M. [N], du fait de l'absence d'affiliation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger entraînant la perte de 28 trimestres et de l'application d'une assiette de calcul erronée au titre de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO,
- à Mmes [J], [M] et [Z] [N], 13 104 euros au titre du préjudice de retraite subi par feu M. [N], du fait de l'absence d'affiliation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger entraînant la perte de 28 trimestres et de l'application d'une assiette de calcul erronée au titre de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO,
- À titre infiniment subsidiaire sur la perte de chance liée au manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information relative à l'absence de cotisation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger et à la possibilité d'adhérer à la Caisse des français de l'étranger (CFE) pour maintenir l'acquisition de ses trimestres de retraite, condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser la somme de 392 316,58 euros au titre de la perte de chance liée au manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information,
- À titre infiniment infiniment subsidiaire sur la perte de chance susvisée, condamner la Vinci Construction Grands Projets à verser :
- à Mme [J] [D] épouse [N] la somme de 222 028 euros au titre des préjudices de pensions de réversion (retraite de base et complémentaire), compte tenu du préjudice de retraite subi par feu M. [N] du fait du manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information relative à l'absence de cotisation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger et à la possibilité
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d'adhérer à la Caisse des français de l'étranger (CFE) pour maintenir l'acquisition de ses trimestres de retraite et du fait de l'application d'une assiette de calcul erronée au titre de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO,
- à Mmes [N] la somme de 13 104 euros au titre du préjudice de retraite subi par feu M. [N] du fait du manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information relative à l'absence de cotisation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger et à la possibilité d'adhérer à la Caisse des français de l'étranger (CFE) pour maintenir l'acquisition de ses trimestres de retraite et du fait de l'application d'une assiette de calcul erronée au titre de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO.
- Sur les autres demandes, ordonner à la société Vinci Construction Grands Projets de communiquer :
o les bulletins de paie de M. [N] de 1979 à 1995 et de mars à juin 1996,
o l'ensemble des accords d'intéressement, de participation et d'épargne salariale applicable dans l'entreprise de 1983 à 1999 (périodes d'expatriation) ainsi que les éléments chiffrés permettant de calculer le montant des primes d'intéressement et de participation que Monsieur [N] aurait dû percevoir s'il n'avait pas été exclu du bénéfice de ces dispositions ainsi que le montant de l'abondement annuel s'il n'avait pas été exclu du bénéficie des plans d'épargne salariale,
o les documents annuels des résultats de l'intéressement et la participation mentionnant les montants minimum et maximum distribués par la société ainsi que ceux de l'abondement de 1983 à 1999 (périodes d'expatriation),
o les montants des primes de participation et d'intéressement perçues par les salariés travaillant en France bénéficiant d'une rémunération équivalente à celle de M. [N] de 1983 à 1999 (périodes d'expatriation),
o ainsi que les procès-verbaux annuels de réunions du Comité d'entreprise sur le montant de la réserve spéciale de participation et du bénéfice net de l'entreprise
ainsi que les résultats au titre de l'intéressement de 1983 à 1999 (périodes d'expatriation).
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser la somme de 10 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et 150 000 euros au titre du préjudice moral subi,
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser à la somme de 68 000 euros correspondant au calcul des rappels des primes annuelles d'intéressement et de participation sur 17 ans sur une moyenne annuelle estimative de 4 000 euros,
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser la somme de 34 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier de l'abondement annuel financé par l'entreprise dans le cadre des plans d'épargne salariale,
- ordonner que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de l'introduction de la demande et à défaut, de la réception par la société Vinci Construction Grands Projets de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du Conseil de prud'hommes, avec capitalisation conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1343-2 du code civil,
- débouter la société Vinci Construction Grands Projets de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser la somme de 21 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 septembre 2024 aux termes desquelles la société Vinci Construction Grands Projets, qui déclare venir aux droits des sociétés Dumez-GTM et GTM International, demande à la cour de :
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À titre principal:
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevables car prescrites toutes les demandes de M. [N] et irrecevables car couvertes par l'autorité de la chose jugée liée à la transaction signée le 28 juillet 1999 les demandes afférentes à la période d'emploi chez Dumez-GTM entre le 1 er juillet 1994 et le 28 juillet 1999, en ce qu'il l'en a débouté et condamné aux dépens,
- en conséquence, débouter les héritières de M. [N] de l'ensemble de leurs demandes en leur qualité d'ayants droit,
- déclarer irrecevables les héritières de M. [N] de leur demande au titre de leur préjudice moral propre, et en conséquence les en débouter,
- au surplus, infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- en conséquence, condamner les héritières de M. [N] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du même code,
- condamner les héritières de Monsieur [N] aux entiers dépens.
À titre subsidiaire :
- si la cour devait annuler la transaction signée le 28 juillet 1999 :
o condamner les héritières de M. [N] à lui rembourser la somme de 3 048 euros avec intérêts au taux légal à compter du jour de la saisine du conseil,
- si la cour devait entrer en voie de condamnation à son encontre :
o limiter, au titre de la perte de chance pour ses héritières de percevoir une pension de réversion, sa condamnation à dommages-intérêts à une fraction du coût du rachat permettant à M. [N] de racheter les 28 trimestres manquants, soit à 54 000 euros,
o limiter, au titre de la retraite complémentaire AGIRC, sa condamnation à dommages-intérêts à la somme de 3 267 euros,
o débouter les héritières de M. [N] de leur demande de communication de pièces et de l'intégralité de leurs autres demandes.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 4 septembre 2024, entraînant l'irrecevabilité de toutes conclusions au fond signifiées postérieurement,
Vu les conclusions d'incident notifiées le 4 septembre 2024, postérieurement à l'ordonnance de clôture, par voie électronique aux termes desquelles la SAS Vinci Construction Grands Projets demande à la cour de :
- à titre principal, déclarer irrecevables, au visa des articles 15 et 16 du code de procédure civile, les conclusions d'appelant responsives et récapitulatives notifiées le 3 septembre 2024 à 17h40 par les appelants,
- à titre subsidiaire, ordonner le report de la date de clôture fixée au 4 septembre 2024 à 10h00 et/ou la révocation de cette ordonnance, ainsi que le report de la date de plaidoirie pour lui permettre de se mettre en état de répondre aux conclusions querellées de l'appelant, en application des mêmes dispositions des articles 15 et 16 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.
MOTIFS de la DÉCISION :
À titre liminaire, il convient de recevoir l'intervention volontaire de Mmes [J] [D] épouse [N], [M] [N] et [Z] [N], en qualité d'ayants droit de M. [X] [N].
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1) Sur la recevabilité des conclusions des ayants droit de l'appelant notifiées par RPVA le 3 septembre 2024 à 17h40 et la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :
Il résulte de l'article 15 du code de procédure civile que les parties doivent se faire connaître mutuellement, en temps utile, les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.
L'article 16 du même code dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
En l'espèce, la société Vinci Construction Grands Projets conteste la recevabilité des dernière conclusions des appelantes notifiées par RPVA le 3 septembre 2024 à 17h40 et demande, à titre subsidiaire, la révocation de l'ordonnance de clôture.
Elle soutient ne pas avoir disposé du temps utile pour répondre aux conclusions notifiées par les appelantes la veille de l'audience de clôture de l'affaire, soit le 3 septembre 2024 à 17h40, en soulignant que ces dernières avaient déjà contrevenu à l'exigence de contradiction antérieurement, en notifiant des conclusions le 26 août 2024, soit la veille de la précédente audience de mise en état.
Mmes [N], ayants droit de l'appelant, ont en effet notifié par RPVA des conclusions accompagnées de nouvelles pièces le 26 août 2024, auxquelles la société Vinci Construction Grands Projets n'a répondu que le 3 septembre 2024 à 11h35, soit la veille de l'audience de mise en état du 4 septembre 2024 à 10h00, qui avait été fixée sur demande de renvoi de sa part et en fonction de la date de plaidoirie retenue pour cette affaire.
En adressant des conclusions la veille de l'audience de clôture à 11h35, alors même qu'elle avait sollicité le renvoi du dossier à l'audience de mise en état du 27 août 2024, la société Vinci Construction Grands Projets s'exposait à la notification, dans les heures suivantes, de nouvelles conclusions en réponse.
Dès lors, la société Vinci Construction Grands Projets ne saurait se prévaloir de la tardiveté des conclusions de Mmes [N] alors même qu'elles ne font que répondre, en des termes particulièrement succincts et limités à l'analyse d'une seule pièce, à ses conclusions elles-mêmes tardives.
Chaque partie ayant disposé du temps utile pour détailler son argumentation et répondre à l'argumentation adverse, dans le strict respect du principe du contradictoire, il n'y a pas lieu d'écarter les dernières conclusions notifiées le 3 septembre 2024 par Mmes [N].
Dès lors, en l'absence de cause grave, il n'y avait pas lieu à révocation de l'ordonnance de clôture avant l'ouverture des débats.
2 ) Sur la prescription de l'action intentée par M. [N] et reprise par Mmes [N] :
Selon l'article 2224, dans sa version issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, en vigueur depuis
le 19 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
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L'article 2232, tel qu'issu de la même loi du 17 juin 2008, modifié par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, prévoit par ailleurs que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive
au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
Le premier alinéa n'est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244. Il ne s'applique pas non plus aux actions relatives à l'état des personnes.
En l'espèce, les appelantes reprochent aux premiers juges d'avoir accueilli la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [N], en rappelant que le délai de prescription de droit commun de cinq ans, prévu par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Elles précisent qu'en matière de retraite de base ou complémentaire, la jurisprudence retient que le préjudice résultant d'une absence d'affiliation ou d'un versement insuffisant de cotisations par l'employeur ne devient certain qu'au jour où l'assuré se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension. Elles en déduisent que M. [N] ayant engagé son action avant même de faire valoir ses droits à la retraite, le délai de prescription de l'article 2224 n'avait pas commencé à courir à son égard.
Elles estiment, par ailleurs, que :
- l'article 2232 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer au présent litige, puisque le point de départ de l'action n'a fait l'objet ni d'un report, ni d'une suspension ou d'une interruption,
- le délai butoir de 20 ans n'est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244 du code civil,
- qu'une telle application méconnaîtrait le droit à un procès équitable prévu à l'article 6-1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lorsqu'il serait déjà expiré avant même que le délai de droit commun de prescription n'ait commencé à courir,
- M. [N] avait déjà sollicité de son employeur la régularisation de sa situation par un courrier recommandé du 22 février 2020, puis du 22 janvier 2021, et a ainsi engagé son action dans le délai de prescription de 5 ans, s'il devait être tenu compte d'un autre point de départ du délai de prescription de son action que la liquidation de ses droits à la retraite.
Enfin, elles objectent que la décision de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 mai 2023, dont se prévaut l'intimée, n'est pas transposable au cas d'espèce, dès lors qu'elle concerne une action de nature quasi-délictuelle.
Pour soulever la prescription de l'action de Mmes [N], la société Vinci Constructions Grands Projets s'appuie en effet sur l'évolution jurisprudentielle ayant conduit à un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 17 mai 2023 retenant, selon elle, une position de principe selon laquelle, par application du délai butoir de l'article 2232 du Code civil, aucun droit ne peut être exercé plus de vingt ans après sa naissance.
Elle estime ainsi que les demandes soumises à la cour ont pour fait générateur le paiement des salaires et le versement des cotisations afférentes, intervenu dans la période de 1983 à 1999, soit plus de vingt ans avant l'introduction de l'instance le 28 janvier 2022.
L'action en responsabilité engagée par M. [N] contre son employeur fondée sur l'absence d'affiliation au régime général de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger, la prise en compte d'une assiette de calcul erronée pour le calcul des cotisations de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO ou encore des manquements dans la mise en oeuvre des
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dispositions applicables en matière d'intéressement et de participation est une action en responsabilité civile contractuelle.
Il n'est pas contesté qu'elle devait être engagée dans le délai de prescription de droit commun de 5 ans, tel qu'encadré par l'article 2224 du code civil.
Si l'introduction de l'instance dans le délai de l'article 2224 précité n'est pas remise en cause par l'argumentation de la société Vinci Construction Grands Projets, qui tend à voir tirer les conséquences de l'application du délai butoir prévu par l'article 2232 précité, les appelantes soutiennent que les dispositions de l'article 2232 ne sauraient leur être opposées dès lors que le délai de prescription de 5 années n'avait pas commencé à courir à l'encontre de M. [N], qui n'avait pas fait valoir ses droits à retraite.
Pour autant, l'instauration de ce délai butoir, par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, répond à une volonté du législateur de préservation de la sécurité juridique, intérêt légitime et proportionné justifiant une limitation du droit d'accès au juge au terme d'un délai particulièrement long, tel que l'invoque l'intimée avec pertinence.
Le fait qu'au cas présent, l'écoulement du délai de l'article 2232 soit intervenu avant même que le salarié fasse valoir ses droits à la retraite, et avant même le courrier en date du 22 février 2020 qui, par son contenu, démontre que M. [N] avait connaissance des faits lui permettant d'exercer son action et marque la date à laquelle le délai de prescription de l'article 2224 a commencé à courir, ne remet pas en cause la légitimité de l'objectif de sécurisation juridique poursuivi et la proportionnalité de la limitation d'accès au juge qui en résulte.
Il s'en évince que les actions de M. [N] étaient soumises au respect du délai butoir de l'article 2232, sans qu'il en résulte une atteinte au principe de l'accès effectif à un juge garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel que les appelantes tentent de le soutenir.
À ce titre, le fait que les dispositions de l'article 2232 ne soient pas applicables dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244, tel que l'invoquent les ayants droit du salarié, est sans pertinence dès lors qu'aucun argument ne vient soutenir, et a fortiori ne conduit à retenir, que le présent litige justifie de faire application des exceptions ainsi listées.
Il est de même sans conséquence que les dispositions de l'article 2232 visent les cas de report du point de départ, la suspension ou l'interruption du délai de prescription, dès lors que ce texte s'applique également aux prescriptions dont le point de départ est «glissant», comme tel est le cas du délai de prescription de droit commun de l'article 2224 du code civil.
Par ailleurs, Mmes [N] ne sauraient limiter les apports de l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 mai 2023 (Ass. plén., 17 mai 2023, n°20-20.559) aux seuls cas des actions quasi-délictuelles, alors même que se référant à cette décision, la chambre mixte de la Cour de cassation a pu rappeler dans son arrêt du 21 juillet 2023 (Ch. mixte., 21 juillet 2023, n° 20-10.763) que le délai de l'article 2232, alinéa 1er, issu de la loi du 17 juin 2008, constitue le délai-butoir de droit commun des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées, et ce sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les droits nés antérieurement ou postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi.
Compte-tenu des périodes d'absence d'assujettissement au régime général de sécurité sociale français et de cotisations de l'employeur au régime de retraite et de prise en compte d'une assiette de calcul erronée pour le calcul des cotisations de retraite complémentaire
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AGIRC-ARRCO, invoquées par le salarié, correspondant aux dates du paiement des salaires qui devaient selon lui générer une cotisation au régime de retraite, situées entre 1984 et 1999, et de la date d'introduction de l'instance auprès du conseil de prud'hommes de Bourges, le 28 janvier 2022, la prescription du droit à créance de M. [N] est acquise, et ce quant bien même il a engagé son action dans le délai d'exercice de ce droit.
Il en est de même s'agissant des demandes formulées par M. [N] au titre du rappel des primes annuelles d'intéressement et de participation et de la perte de chance de bénéficier de l'abondement annuel financé par l'entreprise, correspondant aux années d'emploi comprises entre 1983 et 1999.
C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir tirée de la prescription dont ils étaient saisis et ont rejeté l'ensemble des demandes de M. [N], reprises à hauteur d'appel par Mmes [N] en qualité d'ayants droit.
La décision déférée sera donc confirmée de ce chef.
Par voie d'ajout à celle-ci, les demandes en paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice de pension de réversion et de la perte de chance liée au manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information, formées à hauteur d'appel et à titre personnel par les appelantes, fondées sur le même fait générateur datant de plus de vingt années avant l'introduction de l'instance, doivent de même être rejetées, car prescrites.
3) Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral :
En vertu de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, Mmes [N] invoquent un préjudice moral dans la mesure où, à la suite du décès de son conjoint, Mme [J] [N] s'est trouvée seule et sans revenu, dans l'attente du versement d'une pension de réversion dont le montant sera moindre du fait des manquements de la société à ses obligations conventionnelles et contractuelles et ses filles ont été particulièrement affectées par le décès de leur père qu'elles n'ont pu voir obtenir gain de cause de son vivant, ni profiter de sa retraite.
La société Vinci Constructions Grands Projets s'oppose à la demande ainsi présentée en soulignant, d'une part, que la demande d'indemnisation au titre du préjudice moral personnel des ayants droit, consécutif au décès du salarié qu'elles imputent à l'employeur, ne saurait prospérer en dehors de la procédure en faute inexcusable devant les juridictions de sécurité sociale et, d'autre part, que les appelantes ne produisent pas d'élément justificatif du montant du préjudice invoqué.
L'action en responsabilité engagée par M. [N] à l'encontre de la société Vinci Construction Grands Projets ayant été déclarée prescrite, les manquements allégués, et non établis, ne sauraient fonder la demande de Mmes [N] au titre de leur préjudice moral.
Par ailleurs, celles-ci, qui n'invoquent pas l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur qui exclurait la compétence de la juridiction prud'homale, contrairement à ce que soutient l'intimée, n'apportent aucun élément établissant un lien entre le décès de M. [N] et les conditions d'exécution du contrat de travail de ce dernier par son employeur.
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Ainsi, la demande indemnitaire présentée par Mmes [N] n'est pas fondée, si bien qu'elles doivent, par voie d'ajout à la décision déférée, en être déboutées.
4) Sur la demande de communication de pièces :
Mmes [N] présentent une demande de communication de diverses pièces relatives aux accords d'intéressement et de participation applicable dans l'entreprise alors même qu'elles ont formulé des prétentions financières à ce titre, qui ont par ailleurs été déclarées irrecevables par la cour.
La demande de production de pièces n'apparaît donc ni légitime ni utile à la solution du présent litige et sera donc écartée par voie d'ajout à la décision déférée.
5) Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Compte-tenu de la décision rendue, le jugement querellé est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Mmes [N], qui succombent principalement, sont condamnées aux dépens d'appel et déboutées de leur demande formée sur le fondement des dispositions de l'article 700 code de procédure civile.
L'équité commande, par ailleurs, de débouter la SAS Vinci Construction Grands Projets de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
REÇOIT l'intervention volontaire de Mmes [J] [D] épouse [N], [M] [N] et [Z] [N], en qualité d'ayants droit de M. [X] [N] ;
CONFIRME la décision déférée en ses dispositions soumises à la cour ;
Y AJOUTANT,
REJETTE les demandes formées par Mmes [J] [D] épouse [N], [M] [N] et [Z] [N] en paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice de pension de réversion et au titre de la perte de chance liée au manquement de la société SAS Vinci Construction Grands Projets à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de M. [X] [N] et à son obligation d'information, comme étant prescrites ;
DÉBOUTE Mmes [J] [D], épouse [N], [M] [N] et [Z] [N] de leurs demande de communication de pièces et en paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
DÉBOUTE la SAS Vinci Construction Grands Projets de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mmes [J] [D] épouse [N], [M] [N] et [Z] [N] aux dépens d'appel et les déboute de leur demande d'indemnité de procédure.
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Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE
N° RG 23/00607 -
N° Portalis DBVD-V-B7H-DR5Y
Décision attaquée :
du 25 mai 2023
Origine :
conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES
--------------------
Mme [J] [D] veuve [N]
Mme [M] [N],
Mme [Z] [N], héritières de [X] [N]
C/
S.A.S. VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS
--------------------
Expéd. - Grosse
Me RAHON 18.10.24
Me FOURCADE 18.10.24
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2024
N° 99 - 12 Pages
APPELANTES :
1) Madame [J] [D] veuve [N], héritière de [X] [N]
[Adresse 1]
2) Madame [M] [N], héritière de [X] [N]
[Adresse 3]
3) Madame [Z] [N], héritière de [X] [N]
[Adresse 4]
Ayant pour avocat postulant Me Hervé RAHON de la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, du barreau de BOURGES
Représentée par Me Naïma BOUABOUD, avocat plaidant, du barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.S. VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS
[Adresse 2]
Représentée par Me Antoine FOURCADE de la SELARL ARENES AVOCATS CONSEILS, avocat postulant, du barreau de BOURGES
et par Me Stéphanie DUMAS de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat plaidant, du barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Mme CHENU, conseiller rapporteur
en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE
en présence de Mme DE AZEVEDO, greffière stagiaire
Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre
Mme de LA CHAISE, présidente de chambre
Mme CHENU, conseillère
DÉBATS : À l'audience publique du 06 septembre 2024, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 18 octobre 2024 par mise à disposition au greffe.
ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 18 octobre 2024 par mise à disposition au greffe.
* * * * *
FAITS ET PROCÉDURE :
La SAS Vinci Construction Grands Projets, spécialisée dans la réalisation de grands projets de génie civil et de bâtiments en France et à l'international, est issue de la fusion successive de plusieurs sociétés, et notamment la société Dumez-GTM, qui était elle-même née des apports d'actif des sociétés Dumez SA et GTM SA, puis de l'absorption de la société GTM International.
Après une période d'activité sur le territoire national au sein de la société GTM BTP, en qualité de maçon coffreur, puis auprès de divers employeurs, M. [X] [N], né le 16 mars 1960, a été embauché par la société GTM International, selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 17 juin 1983, en qualité de chef d'équipe coffreur, 1er échelon, coefficient 210. Il a été affecté à [Localité 5] jusqu'au 9 décembre 1984.
À compter du 15 décembre 1984, M. [N] a bénéficié d'une mutation au sein de la société GTM Caraïbes, en qualité de chef d'équipe coffreur, 2ème échelon, coefficient 240.
M. [N] a ensuite de nouveau été muté au sein de la société GTM BTP à compter du 18 décembre 1988 et jusqu'au 14 avril 1990, date à laquelle il a réintégré la société GTM International pour être affecté en qualité d'expatrié au Nigéria à compter du 17 avril 1990. Il a occupé des fonctions de chef de chantier 1er échelon, puis de chef de chantier 2ème échelon, coefficient 745, jusqu'en octobre 1993.
Après une période de formation auprès du CFPCT de [Localité 6], M. [N] a été muté au sein de la société Dumez-GTM à compter du 1er juillet 1994 et a fait l'objet d'un détachement à l'étranger, plus précisément auprès de la société Friedlander en Guinée, entre le 15 octobre 1994 au 15 février 1995. Cette mise à disposition a ensuite fait l'objet d'un contrat de travail en date du 1er janvier 1995.
Après une promotion en qualité de conducteur de travaux 2ème échelon B.1.1, coefficient 90, statut cadre à partir de janvier 1996, et une nouvelle période de mise à disposition de la société Freidlander entre le 7 mars et le 15 août 1997, M. [N] et la société Dumez-GTM ont signé un nouveau contrat de travail actant l'affectation du salarié en Argentine à compter du 9 septembre 1997.
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La convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise des entreprises de travaux publics, puis des ingénieurs, assimilés et cadre des entreprise de travaux publics, s'est appliquée aux différents contrats de travail de M. [N].
À la suite du licenciement de M. [N] par lettre en date du 22 juillet 1999, la société Dumez-GTM et M. [N] ont signé, le 28 juillet 1999, une transaction aux termes de laquelle chacune des parties 'renoncent irrévocablement à tous autres droits, actions ou indemnités de quelque nature que ce soit qui résulteraient de l'exécution ou de la cessation du contrat de travail'.
Par courrier recommandé en date du 22 février 2020, puis par l'intermédiaire de son conseil le 22 janvier 2021, M. [N] a sollicité des explications et une régularisation de sa situation auprès de la société Vinci Construction Grands Projets après avoir constaté l'absence de validation de 28 trimestres au titre de l'assurance-retraite, correspondant aux périodes d'expatriation à l'étranger.
Arguant de divers préjudices subis du fait de l'absence d'affiliation au régime général de sécurité sociale ou à l'AGIRC pendant ses périodes d'expatriation à l'étranger, de l'application d'une assiette de calcul erronée de ses cotisations de retraite complémentaire et de l'exécution déloyale du contrat de travail par son employeur, M. [N] a saisi, le 28 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Bourges, section encadrement, qui a, par jugement en date du 25 mai 2023, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé :
- déclaré irrecevables car prescrites toutes les demandes de M. [N], et couvertes par l'autorité de la chose jugée,
- débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la SAS Vinci Construction Grands Projets de ses demandes reconventionnelles,
- condamné M. [N] aux entiers dépens.
Le 16 juin 2023, par voie électronique, M. [N] a régulièrement relevé appel de cette décision, qui lui avait été notifiée le 30 mai 2023.
M. [N] est décédé le 25 octobre 2023.
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 septembre 2024 aux termes desquelles Madame [J] [D], épouse de M. [N], Mmes [M] et [Z] [N], ses filles, sollicitent de la cour, en leur qualité d'ayants droit, qu'elle déclare recevable leur intervention volontaire devant elle et poursuivent l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Vinci Construction Grands Projets de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, demandent à la cour de :
Statuant à nouveau,
- débouter la société Vinci Construction Grands Projets des fins de non-recevoir tirées de :
- la prescription de l'action et des demandes de feu M. [N], reprises par elles,
- l'existence de la transaction signée par feu M. [N],
- À titre subsidiaire, ordonner la nullité de la transaction signée par feu M. [N] en raison de la réticence dolosive de la société Dumez-GTM et débouter la société Vinci Construction Grands Projets de sa fin de non-recevoir tirée de l'existence de cette transaction,
- débouter la société Vinci Construction Grands Projets de la fin de non-recevoir concernant les demandes présentées au titre de l'intéressement et de la participation fondée sur l'unicité d'instance,
- débouter la société Vinci Construction Grands Projets de sa fin de non-recevoir concernant les demandes présentées au titre du préjudice de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO et
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fondées sur l'existence de demandes nouvelles,
- Sur les préjudices de retraites de base et complémentaire AGIRC-ARRCO, à titre principal, condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser les sommes suivantes :
- 392 316,58 euros au titre du préjudice de retraite subi par feu M. [N] du fait de l'absence d'affiliation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger,
- 67 382 euros au titre de préjudice financier de retraite complémentaire subi par feu M. [N] du fait de l'assiette de calcul erronée pour le calcul des cotisations de retraite complémentaire,
- À titre subsidiaire, condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser les sommes suivantes :
- 265 978,10 euros en tenant compte de la déduction des points supplémentaires CRE, au titre du préjudice de retraite subi par feu M. [N] du fait de l'absence d'affiliation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger,
- 67 382 euros au titre de préjudice financier de retraite complémentaire subi par feu M. [N] du fait de l'assiette de calcul erronée pour le calcul des cotisations de retraite complémentaire,
- À titre très subsidiaire, condamner la société Vinci Construction Grands Projets à verser les sommes suivantes :
- à Mme [J] [N], 222 028 euros au titre des préjudices de pensions de réversion (retraite de base et complémentaire), compte tenu du préjudice de retraite subi par feu M. [N], du fait de l'absence d'affiliation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger entraînant la perte de 28 trimestres et de l'application d'une assiette de calcul erronée au titre de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO,
- à Mmes [J], [M] et [Z] [N], 13 104 euros au titre du préjudice de retraite subi par feu M. [N], du fait de l'absence d'affiliation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger entraînant la perte de 28 trimestres et de l'application d'une assiette de calcul erronée au titre de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO,
- À titre infiniment subsidiaire sur la perte de chance liée au manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information relative à l'absence de cotisation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger et à la possibilité d'adhérer à la Caisse des français de l'étranger (CFE) pour maintenir l'acquisition de ses trimestres de retraite, condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser la somme de 392 316,58 euros au titre de la perte de chance liée au manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information,
- À titre infiniment infiniment subsidiaire sur la perte de chance susvisée, condamner la Vinci Construction Grands Projets à verser :
- à Mme [J] [D] épouse [N] la somme de 222 028 euros au titre des préjudices de pensions de réversion (retraite de base et complémentaire), compte tenu du préjudice de retraite subi par feu M. [N] du fait du manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information relative à l'absence de cotisation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger et à la possibilité
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d'adhérer à la Caisse des français de l'étranger (CFE) pour maintenir l'acquisition de ses trimestres de retraite et du fait de l'application d'une assiette de calcul erronée au titre de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO,
- à Mmes [N] la somme de 13 104 euros au titre du préjudice de retraite subi par feu M. [N] du fait du manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information relative à l'absence de cotisation au régime général d'assurance vieillesse de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger et à la possibilité d'adhérer à la Caisse des français de l'étranger (CFE) pour maintenir l'acquisition de ses trimestres de retraite et du fait de l'application d'une assiette de calcul erronée au titre de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO.
- Sur les autres demandes, ordonner à la société Vinci Construction Grands Projets de communiquer :
o les bulletins de paie de M. [N] de 1979 à 1995 et de mars à juin 1996,
o l'ensemble des accords d'intéressement, de participation et d'épargne salariale applicable dans l'entreprise de 1983 à 1999 (périodes d'expatriation) ainsi que les éléments chiffrés permettant de calculer le montant des primes d'intéressement et de participation que Monsieur [N] aurait dû percevoir s'il n'avait pas été exclu du bénéfice de ces dispositions ainsi que le montant de l'abondement annuel s'il n'avait pas été exclu du bénéficie des plans d'épargne salariale,
o les documents annuels des résultats de l'intéressement et la participation mentionnant les montants minimum et maximum distribués par la société ainsi que ceux de l'abondement de 1983 à 1999 (périodes d'expatriation),
o les montants des primes de participation et d'intéressement perçues par les salariés travaillant en France bénéficiant d'une rémunération équivalente à celle de M. [N] de 1983 à 1999 (périodes d'expatriation),
o ainsi que les procès-verbaux annuels de réunions du Comité d'entreprise sur le montant de la réserve spéciale de participation et du bénéfice net de l'entreprise
ainsi que les résultats au titre de l'intéressement de 1983 à 1999 (périodes d'expatriation).
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser la somme de 10 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et 150 000 euros au titre du préjudice moral subi,
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser à la somme de 68 000 euros correspondant au calcul des rappels des primes annuelles d'intéressement et de participation sur 17 ans sur une moyenne annuelle estimative de 4 000 euros,
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser la somme de 34 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier de l'abondement annuel financé par l'entreprise dans le cadre des plans d'épargne salariale,
- ordonner que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de l'introduction de la demande et à défaut, de la réception par la société Vinci Construction Grands Projets de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du Conseil de prud'hommes, avec capitalisation conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1343-2 du code civil,
- débouter la société Vinci Construction Grands Projets de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets à leur verser la somme de 21 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Vinci Construction Grands Projets aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 septembre 2024 aux termes desquelles la société Vinci Construction Grands Projets, qui déclare venir aux droits des sociétés Dumez-GTM et GTM International, demande à la cour de :
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À titre principal:
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevables car prescrites toutes les demandes de M. [N] et irrecevables car couvertes par l'autorité de la chose jugée liée à la transaction signée le 28 juillet 1999 les demandes afférentes à la période d'emploi chez Dumez-GTM entre le 1 er juillet 1994 et le 28 juillet 1999, en ce qu'il l'en a débouté et condamné aux dépens,
- en conséquence, débouter les héritières de M. [N] de l'ensemble de leurs demandes en leur qualité d'ayants droit,
- déclarer irrecevables les héritières de M. [N] de leur demande au titre de leur préjudice moral propre, et en conséquence les en débouter,
- au surplus, infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- en conséquence, condamner les héritières de M. [N] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du même code,
- condamner les héritières de Monsieur [N] aux entiers dépens.
À titre subsidiaire :
- si la cour devait annuler la transaction signée le 28 juillet 1999 :
o condamner les héritières de M. [N] à lui rembourser la somme de 3 048 euros avec intérêts au taux légal à compter du jour de la saisine du conseil,
- si la cour devait entrer en voie de condamnation à son encontre :
o limiter, au titre de la perte de chance pour ses héritières de percevoir une pension de réversion, sa condamnation à dommages-intérêts à une fraction du coût du rachat permettant à M. [N] de racheter les 28 trimestres manquants, soit à 54 000 euros,
o limiter, au titre de la retraite complémentaire AGIRC, sa condamnation à dommages-intérêts à la somme de 3 267 euros,
o débouter les héritières de M. [N] de leur demande de communication de pièces et de l'intégralité de leurs autres demandes.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 4 septembre 2024, entraînant l'irrecevabilité de toutes conclusions au fond signifiées postérieurement,
Vu les conclusions d'incident notifiées le 4 septembre 2024, postérieurement à l'ordonnance de clôture, par voie électronique aux termes desquelles la SAS Vinci Construction Grands Projets demande à la cour de :
- à titre principal, déclarer irrecevables, au visa des articles 15 et 16 du code de procédure civile, les conclusions d'appelant responsives et récapitulatives notifiées le 3 septembre 2024 à 17h40 par les appelants,
- à titre subsidiaire, ordonner le report de la date de clôture fixée au 4 septembre 2024 à 10h00 et/ou la révocation de cette ordonnance, ainsi que le report de la date de plaidoirie pour lui permettre de se mettre en état de répondre aux conclusions querellées de l'appelant, en application des mêmes dispositions des articles 15 et 16 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.
MOTIFS de la DÉCISION :
À titre liminaire, il convient de recevoir l'intervention volontaire de Mmes [J] [D] épouse [N], [M] [N] et [Z] [N], en qualité d'ayants droit de M. [X] [N].
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1) Sur la recevabilité des conclusions des ayants droit de l'appelant notifiées par RPVA le 3 septembre 2024 à 17h40 et la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :
Il résulte de l'article 15 du code de procédure civile que les parties doivent se faire connaître mutuellement, en temps utile, les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.
L'article 16 du même code dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
En l'espèce, la société Vinci Construction Grands Projets conteste la recevabilité des dernière conclusions des appelantes notifiées par RPVA le 3 septembre 2024 à 17h40 et demande, à titre subsidiaire, la révocation de l'ordonnance de clôture.
Elle soutient ne pas avoir disposé du temps utile pour répondre aux conclusions notifiées par les appelantes la veille de l'audience de clôture de l'affaire, soit le 3 septembre 2024 à 17h40, en soulignant que ces dernières avaient déjà contrevenu à l'exigence de contradiction antérieurement, en notifiant des conclusions le 26 août 2024, soit la veille de la précédente audience de mise en état.
Mmes [N], ayants droit de l'appelant, ont en effet notifié par RPVA des conclusions accompagnées de nouvelles pièces le 26 août 2024, auxquelles la société Vinci Construction Grands Projets n'a répondu que le 3 septembre 2024 à 11h35, soit la veille de l'audience de mise en état du 4 septembre 2024 à 10h00, qui avait été fixée sur demande de renvoi de sa part et en fonction de la date de plaidoirie retenue pour cette affaire.
En adressant des conclusions la veille de l'audience de clôture à 11h35, alors même qu'elle avait sollicité le renvoi du dossier à l'audience de mise en état du 27 août 2024, la société Vinci Construction Grands Projets s'exposait à la notification, dans les heures suivantes, de nouvelles conclusions en réponse.
Dès lors, la société Vinci Construction Grands Projets ne saurait se prévaloir de la tardiveté des conclusions de Mmes [N] alors même qu'elles ne font que répondre, en des termes particulièrement succincts et limités à l'analyse d'une seule pièce, à ses conclusions elles-mêmes tardives.
Chaque partie ayant disposé du temps utile pour détailler son argumentation et répondre à l'argumentation adverse, dans le strict respect du principe du contradictoire, il n'y a pas lieu d'écarter les dernières conclusions notifiées le 3 septembre 2024 par Mmes [N].
Dès lors, en l'absence de cause grave, il n'y avait pas lieu à révocation de l'ordonnance de clôture avant l'ouverture des débats.
2 ) Sur la prescription de l'action intentée par M. [N] et reprise par Mmes [N] :
Selon l'article 2224, dans sa version issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, en vigueur depuis
le 19 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
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L'article 2232, tel qu'issu de la même loi du 17 juin 2008, modifié par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, prévoit par ailleurs que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive
au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
Le premier alinéa n'est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244. Il ne s'applique pas non plus aux actions relatives à l'état des personnes.
En l'espèce, les appelantes reprochent aux premiers juges d'avoir accueilli la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [N], en rappelant que le délai de prescription de droit commun de cinq ans, prévu par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Elles précisent qu'en matière de retraite de base ou complémentaire, la jurisprudence retient que le préjudice résultant d'une absence d'affiliation ou d'un versement insuffisant de cotisations par l'employeur ne devient certain qu'au jour où l'assuré se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension. Elles en déduisent que M. [N] ayant engagé son action avant même de faire valoir ses droits à la retraite, le délai de prescription de l'article 2224 n'avait pas commencé à courir à son égard.
Elles estiment, par ailleurs, que :
- l'article 2232 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer au présent litige, puisque le point de départ de l'action n'a fait l'objet ni d'un report, ni d'une suspension ou d'une interruption,
- le délai butoir de 20 ans n'est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244 du code civil,
- qu'une telle application méconnaîtrait le droit à un procès équitable prévu à l'article 6-1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lorsqu'il serait déjà expiré avant même que le délai de droit commun de prescription n'ait commencé à courir,
- M. [N] avait déjà sollicité de son employeur la régularisation de sa situation par un courrier recommandé du 22 février 2020, puis du 22 janvier 2021, et a ainsi engagé son action dans le délai de prescription de 5 ans, s'il devait être tenu compte d'un autre point de départ du délai de prescription de son action que la liquidation de ses droits à la retraite.
Enfin, elles objectent que la décision de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 mai 2023, dont se prévaut l'intimée, n'est pas transposable au cas d'espèce, dès lors qu'elle concerne une action de nature quasi-délictuelle.
Pour soulever la prescription de l'action de Mmes [N], la société Vinci Constructions Grands Projets s'appuie en effet sur l'évolution jurisprudentielle ayant conduit à un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 17 mai 2023 retenant, selon elle, une position de principe selon laquelle, par application du délai butoir de l'article 2232 du Code civil, aucun droit ne peut être exercé plus de vingt ans après sa naissance.
Elle estime ainsi que les demandes soumises à la cour ont pour fait générateur le paiement des salaires et le versement des cotisations afférentes, intervenu dans la période de 1983 à 1999, soit plus de vingt ans avant l'introduction de l'instance le 28 janvier 2022.
L'action en responsabilité engagée par M. [N] contre son employeur fondée sur l'absence d'affiliation au régime général de sécurité sociale durant ses périodes d'expatriation à l'étranger, la prise en compte d'une assiette de calcul erronée pour le calcul des cotisations de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO ou encore des manquements dans la mise en oeuvre des
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dispositions applicables en matière d'intéressement et de participation est une action en responsabilité civile contractuelle.
Il n'est pas contesté qu'elle devait être engagée dans le délai de prescription de droit commun de 5 ans, tel qu'encadré par l'article 2224 du code civil.
Si l'introduction de l'instance dans le délai de l'article 2224 précité n'est pas remise en cause par l'argumentation de la société Vinci Construction Grands Projets, qui tend à voir tirer les conséquences de l'application du délai butoir prévu par l'article 2232 précité, les appelantes soutiennent que les dispositions de l'article 2232 ne sauraient leur être opposées dès lors que le délai de prescription de 5 années n'avait pas commencé à courir à l'encontre de M. [N], qui n'avait pas fait valoir ses droits à retraite.
Pour autant, l'instauration de ce délai butoir, par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, répond à une volonté du législateur de préservation de la sécurité juridique, intérêt légitime et proportionné justifiant une limitation du droit d'accès au juge au terme d'un délai particulièrement long, tel que l'invoque l'intimée avec pertinence.
Le fait qu'au cas présent, l'écoulement du délai de l'article 2232 soit intervenu avant même que le salarié fasse valoir ses droits à la retraite, et avant même le courrier en date du 22 février 2020 qui, par son contenu, démontre que M. [N] avait connaissance des faits lui permettant d'exercer son action et marque la date à laquelle le délai de prescription de l'article 2224 a commencé à courir, ne remet pas en cause la légitimité de l'objectif de sécurisation juridique poursuivi et la proportionnalité de la limitation d'accès au juge qui en résulte.
Il s'en évince que les actions de M. [N] étaient soumises au respect du délai butoir de l'article 2232, sans qu'il en résulte une atteinte au principe de l'accès effectif à un juge garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel que les appelantes tentent de le soutenir.
À ce titre, le fait que les dispositions de l'article 2232 ne soient pas applicables dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244, tel que l'invoquent les ayants droit du salarié, est sans pertinence dès lors qu'aucun argument ne vient soutenir, et a fortiori ne conduit à retenir, que le présent litige justifie de faire application des exceptions ainsi listées.
Il est de même sans conséquence que les dispositions de l'article 2232 visent les cas de report du point de départ, la suspension ou l'interruption du délai de prescription, dès lors que ce texte s'applique également aux prescriptions dont le point de départ est «glissant», comme tel est le cas du délai de prescription de droit commun de l'article 2224 du code civil.
Par ailleurs, Mmes [N] ne sauraient limiter les apports de l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 mai 2023 (Ass. plén., 17 mai 2023, n°20-20.559) aux seuls cas des actions quasi-délictuelles, alors même que se référant à cette décision, la chambre mixte de la Cour de cassation a pu rappeler dans son arrêt du 21 juillet 2023 (Ch. mixte., 21 juillet 2023, n° 20-10.763) que le délai de l'article 2232, alinéa 1er, issu de la loi du 17 juin 2008, constitue le délai-butoir de droit commun des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées, et ce sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les droits nés antérieurement ou postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi.
Compte-tenu des périodes d'absence d'assujettissement au régime général de sécurité sociale français et de cotisations de l'employeur au régime de retraite et de prise en compte d'une assiette de calcul erronée pour le calcul des cotisations de retraite complémentaire
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AGIRC-ARRCO, invoquées par le salarié, correspondant aux dates du paiement des salaires qui devaient selon lui générer une cotisation au régime de retraite, situées entre 1984 et 1999, et de la date d'introduction de l'instance auprès du conseil de prud'hommes de Bourges, le 28 janvier 2022, la prescription du droit à créance de M. [N] est acquise, et ce quant bien même il a engagé son action dans le délai d'exercice de ce droit.
Il en est de même s'agissant des demandes formulées par M. [N] au titre du rappel des primes annuelles d'intéressement et de participation et de la perte de chance de bénéficier de l'abondement annuel financé par l'entreprise, correspondant aux années d'emploi comprises entre 1983 et 1999.
C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir tirée de la prescription dont ils étaient saisis et ont rejeté l'ensemble des demandes de M. [N], reprises à hauteur d'appel par Mmes [N] en qualité d'ayants droit.
La décision déférée sera donc confirmée de ce chef.
Par voie d'ajout à celle-ci, les demandes en paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice de pension de réversion et de la perte de chance liée au manquement de la société à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation d'information, formées à hauteur d'appel et à titre personnel par les appelantes, fondées sur le même fait générateur datant de plus de vingt années avant l'introduction de l'instance, doivent de même être rejetées, car prescrites.
3) Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral :
En vertu de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, Mmes [N] invoquent un préjudice moral dans la mesure où, à la suite du décès de son conjoint, Mme [J] [N] s'est trouvée seule et sans revenu, dans l'attente du versement d'une pension de réversion dont le montant sera moindre du fait des manquements de la société à ses obligations conventionnelles et contractuelles et ses filles ont été particulièrement affectées par le décès de leur père qu'elles n'ont pu voir obtenir gain de cause de son vivant, ni profiter de sa retraite.
La société Vinci Constructions Grands Projets s'oppose à la demande ainsi présentée en soulignant, d'une part, que la demande d'indemnisation au titre du préjudice moral personnel des ayants droit, consécutif au décès du salarié qu'elles imputent à l'employeur, ne saurait prospérer en dehors de la procédure en faute inexcusable devant les juridictions de sécurité sociale et, d'autre part, que les appelantes ne produisent pas d'élément justificatif du montant du préjudice invoqué.
L'action en responsabilité engagée par M. [N] à l'encontre de la société Vinci Construction Grands Projets ayant été déclarée prescrite, les manquements allégués, et non établis, ne sauraient fonder la demande de Mmes [N] au titre de leur préjudice moral.
Par ailleurs, celles-ci, qui n'invoquent pas l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur qui exclurait la compétence de la juridiction prud'homale, contrairement à ce que soutient l'intimée, n'apportent aucun élément établissant un lien entre le décès de M. [N] et les conditions d'exécution du contrat de travail de ce dernier par son employeur.
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Ainsi, la demande indemnitaire présentée par Mmes [N] n'est pas fondée, si bien qu'elles doivent, par voie d'ajout à la décision déférée, en être déboutées.
4) Sur la demande de communication de pièces :
Mmes [N] présentent une demande de communication de diverses pièces relatives aux accords d'intéressement et de participation applicable dans l'entreprise alors même qu'elles ont formulé des prétentions financières à ce titre, qui ont par ailleurs été déclarées irrecevables par la cour.
La demande de production de pièces n'apparaît donc ni légitime ni utile à la solution du présent litige et sera donc écartée par voie d'ajout à la décision déférée.
5) Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Compte-tenu de la décision rendue, le jugement querellé est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Mmes [N], qui succombent principalement, sont condamnées aux dépens d'appel et déboutées de leur demande formée sur le fondement des dispositions de l'article 700 code de procédure civile.
L'équité commande, par ailleurs, de débouter la SAS Vinci Construction Grands Projets de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
REÇOIT l'intervention volontaire de Mmes [J] [D] épouse [N], [M] [N] et [Z] [N], en qualité d'ayants droit de M. [X] [N] ;
CONFIRME la décision déférée en ses dispositions soumises à la cour ;
Y AJOUTANT,
REJETTE les demandes formées par Mmes [J] [D] épouse [N], [M] [N] et [Z] [N] en paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice de pension de réversion et au titre de la perte de chance liée au manquement de la société SAS Vinci Construction Grands Projets à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de M. [X] [N] et à son obligation d'information, comme étant prescrites ;
DÉBOUTE Mmes [J] [D], épouse [N], [M] [N] et [Z] [N] de leurs demande de communication de pièces et en paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
DÉBOUTE la SAS Vinci Construction Grands Projets de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mmes [J] [D] épouse [N], [M] [N] et [Z] [N] aux dépens d'appel et les déboute de leur demande d'indemnité de procédure.
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Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE