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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-8a, 29 octobre 2024, n° 23/06508

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 23/06508

29 octobre 2024

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a

ARRÊT AU FOND

DU 29 OCTOBRE 2024

N°2024/376

Rôle N° RG 23/06508 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLIWX

Me [Y] [T] - Mandataire de S.C.P. [I] [5] [I]

S.C.P. [I] [5] [I]

C/

URSSAF PACA

[Z] [V]

[S] [P]

Copie exécutoire délivrée

le : 29 octobre 2024

à :

- Me [T] [Y]

- Me Edouard BAFFERT de la SARL BAFFERT-MALY, avocat au barreau de MARSEILLE

- URSSAF PACA

- Me Aude ADJEMIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du Tribunal Judiciaire de Marseille en date du 07 Avril 2023,enregistré au répertoire général sous le n° 17/01371.

APPELANTE

Me [T] [Y] - Mandataire de S.C.P. [I] [5] [I], demeurant [Adresse 3]

non comparant

S.C.P. [I] [5] [I], demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Edouard BAFFERT de la SARL BAFFERT-MALY, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

URSSAF PACA, demeurant [Adresse 6]

représentée par Mme [K] [U] en vertu d'un pouvoir spécial

PARTIES INTERVENANTES

Madame [Z] [V] Assignée en intervention forcée par l'URSSAF PACA, demeurant [Adresse 1]

Madame [S] [P] Assignée en intervention forcée par l'URSSAF PACA, demeurant [Adresse 2]

toutes deux représentées par Me Aude ADJEMIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Septembre 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Octobre 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Octobre 2024

Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Suite à un contrôle inopiné de l'URSSAF PACA au titre de la lutte contre le travail dissimulé, le 2 février 2015, la SCP [I] [5] [I] a fait l'objet d'un redressement lequel a abouti à la notification d'une lettre d'observation à la société, le 15 septembre 2015, relevant deux chefs de redressement:

- une taxation forfaitaire dans le cadre d'un travail dissimulé- dissimulation d'emploi salarié, soit 24 593 euros,

- l'annulation des réductions Fillon suite au constat de travail dissimulé, soit 30 429 euros.

Les observations de la société ont été rejetées par l'URSSAF qui a maintenu l'intégralité du redressement.

Le 4 janvier 2016, l'URSSAF PACA a mis en demeure la SCP des huissiers de justice de lui payer la somme de 55 020 euros à titre de cotisations, 6 125 euros, à titre de majorations de redressement et 7 456 euros à titre de majorations de retard.

La SCP a saisi la commission de recours amiable de l'URSSAF de sa contestation de la mise en demeure.

Suite au rejet de son recours, la SCP a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône de sa contestation.(affaire enrôlée sous le n° 17/01371)

Le 10 mai 2017, l'URSSAF a décerné à l'encontre de la société une contrainte d'un montant de 66 944,26 euros et la lui a signifiée le 15 mai 2017.

Le 22 mai 2017, la SCP a saisi le même tribunal de son opposition à la contrainte. (affaire enrôlée sous le n° 17/03907)

Le 7 juillet 2017, l'URSSAF a encore décerné à l'encontre de la SCP une contrainte d'un montant de 2 326,17 euros.

Le 21 juillet 2017, la SCP a encore saisi le tribunal d'une opposition à contrainte. (affaire enrôlée sous le n° 17/05200)

Par jugement contradictoire du 7 avril 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a:

- ordonné la jonction des trois affaires,

- déclaré la procédure de contrôle régulière,

- débouté la SCP [I] [5] [I] de ses demandes,

- maintenu le redressement et validé les deux contraintes,

- condamné en conséquence la SCP au paiement de la somme de 68 178 euros,

- condamné la même à payer à l'URSSAF PACA la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCP aux dépens.

Le tribunal a, en effet, considéré que:

- la procédure de contrôle est conforme aux dispositions de l'article L 8113-7 et L 8221-1 du code du travail et de l'articcle R 243-59 du code de la sécurité sociale, l'URSSAF n'ayant pas l'obligation de transmettre la liste des salariés entendus ou la copie des procès-verbaux et ayant respecté le principe du contradictoire;

- l'absence de poursuites pénales pour les faits de travail dissimulé visant Mme [P] est sans incidence sur l'action en recouvrement des cotisations et contributions née du constat de l'infraction relevée;

- la société n'a pas produit d'éléments suffisants pour contredire les constatations des agents assermentés, selon lesquelles Mme [P] et Mme [V] ont été identifiées en situation de travail;

- l'annulation de la réduction Fillon a été régulièrement effectuée en application des textes applicables.

La SCP [I] [5] [I] a été dissoute suite à sa liquidation amiable, suivant procès-verbal d'assemblée générale du 19 septembre 2018. Elle a ensuite été radiée, le 28 février 2019. Par ordonnance du 1er juin 2022, Me [Y] [T] a été désigné en qualité de mandataire ad hoc de la SCP.

Par déclaration électronique du 11 mai 2023 puis par lettre recommandée avec avis de réception expédiée le 12 mai 2023, la SCP [I] [5] [I], représentée par Me [T], a relevé appel du jugement.

L'URSSAF a fait assigner en intervention forcée Mme [S] [P] et Mme [V].

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions visées à l'audience, dûment notifiées aux autres parties, développées au cours de l'audience et auxquelles elle s'est expressément référée pour le surplus, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

- déclarer irrecevable en cause d'appel les interventions forcées des Mesdames [V] et [P] à la demande l'URSSAF ;

- débouter l'URSSAF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre du travail dissimulé ;

- annuler la procédure de contrôle effectuée et tous les redressements et contraintes qui en sont la conséquence.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de :

- annuler la procédure de contrôle effectuée et tous les redressements et contraintes qui en sont la conséquence dans la mesure ou ceux-ci incluent des sommes pouvant être dues du fait du travail de Madame [P],

- juger qu'en ne procédant à l'audition que de Mesdames [G] et [E], les Inspecteurs de l'URSSAF ont agi d'une manière partiale.

A titre encore plus subsidiaire, elle sollicite de la cour de :

- juger que la période de travail dissimulé retenue par les Inspecteurs concernant Madame [V] est erronée et de ce fait les redressements effectués inexacts,

- juger l'application faite de l'article L133-4-2, concernant les avantages FILLON erronée.

En conséquence,

- annuler la procédure de contrôle effectuée et tous les redressements et contraintes qui en sont la conséquence,

- débouter l'URSSAF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner l'URSAFF au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions au titre de la nullité de la procédure de contrôle, l'appelante fait valoir que l'URSSAF a enfreint le principe du contradictoire et les dispositions de l'article R 243-59 du code de la sécurité sociale en ne produisant pas les procès-verbaux d'enquête et d'auditions sur lesquels elle s'est basée.

Au titre de la nullité du redressement relatif à Mme [P], elle souligne que l'URSSAF n'a pas caractérisé le lien de subordination et rappelle que le procureur de la république a estimé ne pas devoir poursuivre ces faits et a proposé une composition pénale à M. [N] [I] pour les faits visant Mme [V] uniquement.

Elle soulève l'irrecevabilité de l'intervention forcée de Mmes [P] et [V] en cause d'appel, faute d'avoir été faite devant le pôle social.

Sur le fond, elle critique le jugement qui a refusé les attestations par elle produites. Elle fait valoir que le choix des témoins interrogés par l'URSSAF a été partial et non objectif et que les conclusions tirées de ces auditions ne sont pas probantes. Elle indique que Mme [P], ancienne salariée de l'étude, était venue pour la chandeleur distribuer des crêpes. Elle expose que Mme [V], ancienne collaboratrice, a eu une activité limitée à deux jours par semaine à compter de juin 2014 et était payée 100 euros par jour. Elle indique que l'intervention d'un ancien clerc parfaitement indépendante pour rédiger des actes deux jours par semaine ne saurait caractériser l'existence d'un travail dissimulé en l'absence d'un lien de subordination. Elle souligne que la lettre d'observation est imprécise quant au nombre d'heures de travail dissimulé constaté et qu'à tout le moins, il convient de limiter les cotisations et contributions réclamées.

Enfin, s'agissant de la réduction Fillon, elle expose que la rémunération mensuelle versée à Mme [V] est inférieure à la réunération mensuelle minimale et que la réduction aurait du être faite à due proportion. Elle indique que de même les mois sur lesquels une éventuelle annulation des réductions devrait porter auraient dû être limités à la seule période d'activité de Mme [V], de juin 2014 à février 2015.

Par conclusions visées à l'audience, dûment notifiées aux autres parties, développées au cours de l'audience et auxquelles elle s'est expressément référée pour le surplus, l'URSSAF PACA demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la SCP à lui verser la somme de 2 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée réplique que le contrôle inopiné effectué à l'étude des huissiers de justice a établi le travail dissimulé par dissimulation de l'emploi de mmes [P] et [V].

Elle rappelle qu'elle n'est pas tenue de communiquer les auditions des différentes personnes en cause et a pour seule obligation d'adresser la lettre d'observations à l'issue des opérations de contrôle. Elle mentionne néanmoins la communication du procès-verbal d'audition de Me [I] afin de démontrer que les propos de ce dernier n'ont pas été déformés et attestent de l'existence de la situation de travail dissimulé.

Elle expose encore que conformément aux dispositions de l'article L 133-4-2 du code de la sécurité sociale, les mesures de réduction et exonération des cotisations ou contributions sont annulées puisque les dispositions de l'article L 8221-1 du code du travail n'ont pas été respectées.

Par conclusions visées à l'audience, dûment notifiées aux autres parties, développées au cours de l'audience et auxquelles elle s'est expressément référée pour le surplus, Mme [V] demande à la cour de:

- déclarer irrecevable l'intervention forcée en cause d'appel de Madame [V], formée par l'URSSAF PACA par assignation délivrée le 16 aout 2024,

- débouter l'URSSAF PACA de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner l'URSSAF PACA à lui verser la somme de 1.200 € au titre des frais irrépétibles, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens.

Par conclusions visées à l'audience, dûment notifiées aux autres parties, développées au cours de l'audience et auxquelles elle s'est expressément référée pour le surplus, Mme [P] forme des demandes identiques.

Elles font chacune valoir que les conditions des dispositions de l'article 555 du code de procédure civile ne sont pas respectées et que l'URSSAF aurait dû procéder aux mises en cause dès la première instance.

Sur le fond, chacune conteste le lien de subordination retenu par l'URSSAF.

MOTIVATION

1- sur la jonction des deux procédures:

Il convient d'ordonner la jonction des procédures 23/06508 et 23/06601 sous le seul numéro 23/06508, par souci de bonne administration de la justice, s'agissant d'une même affaire.

2- Sur la recevabilité de l'intervention forcée de Mme [P] et Mme [V]:

Aux termes de l'article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

Selon les dispositions de l'article 555 du même code, ces mêmes personnes peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause.

Aux termes de l'article 14 du code de procédure civile, nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.

En outre, l'article L.311-2 du code de la sécurité sociale dispose que sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat.

Il est constant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que la cour d'appel, saisie d'un litige portant sur la requalification de la relation de travail en salariat, est tenue de s'assurer que les 'travailleurs' intéressés ont été appelés en la cause, aux fins de les entendre.( Civ 2ème 9 mars 2017 n° 16-11.535 et n°16-11.536; Civ 2ème 29 novembre 2018 n°17-19.242; Civ 2ème 10 octobre 2019 n° 18-17.877 ; Civ 2ème 18 février 2021 n°20-12.013; Civ 2ème 23 septembre 2021 n°20-16.338; Civ 2ème 25 novembre 2021 n°20-14.759).

Il est constant que l'URSSAF PACA a attendu l'instance d'appel pour assigner Mmes [P] et [V] en intervention forcée.

Il est également certain que le lien de subordination de ces deux anciennes salariées de la société d'huissiers de justice faisant débat entre les parties, cette assignation s'imposait.

Cependant, la SCP et les deux intervenantes font justement valoir que cette mise en cause aurait dû être faite par l'URSSAF PACA dès l'instance devant le pôle social.

En effet, la jurisprudence citée ci-avant n'est pas nouvelle et l'organisme du recouvrement ne saurait, à bon droit, se prévaloir d'une évolution du litige depuis le jugement querellé puisqu'elle n'est caractérisée que par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci modifiant les données juridiques du procès.

Dès lors, la cour déclare les interventions forcées de Mmes [P] et [V] pour la première fois devant la cour d'appel irrecevables.

3- Sur les conséquences de cette irrecevabilité sur le redressement:

L'irrecevabilité déclarée ci-dessus a pour conséquence que la cour n'est pas mise en mesure de statuer sur le bien-fondé du redressement notifié à la SCP [I] [5] [I].

Dès lors, la cour annule ce redressement sans avoir à analyser les autres moyens soulevés par les parties et annule, en conséquence, la mise en demeure du 4 janvier 2016 et la contrainte décernée le 10 mai 2017.

Le jugement est donc infirmé en toutes ses dispositions.

4- Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile:

L'URSSAF PACA est condamnée aux entiers dépens et à verser à la SCP [I] [5] [I] la somme de 1 500 euros, à Mme [P] et à Mme [V], à chacune d'entre elles, la somme de 800 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La demande formée par l'URSSAF PACA au titre des frais irrépétibles est nécessairement rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour

Ordonne la jonction des procédures 23/06508 et 23/06601 sous le seul numéro 23/06508,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour

Statuant à nouveau

Déclare les interventions forcées de Mmes [P] et [V] pour la première fois devant la cour irrecevables,

Annule le redressement notifié à la SCP [I] [5] [I] par lettre d'observations du 15 septembre 2015,

En conséquence,

Annule la mise en demeure du 4 janvier 2016 et la contrainte décernée le 10 mai 2017,

Déboute l'URSSAF PACA de sa demande en paiement,

Condamne l'URSSAF PACA aux entiers dépens,

Condamne l'URSSAF PACA à payer à la SCP [I] [5] [I] la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'URSSAF PACA à payer à Mme [S] [P] et à Mme [Z] [V], à chacune d'entre elles, la somme de 800 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute l'URSSAF PACA de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente