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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 5, 17 octobre 2024, n° 22/03984

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/03984

17 octobre 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 17 OCTOBRE 2024

(n° 2024/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/03984 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFPM5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/09426

APPELANTE

Madame [M] [J]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Flore AUBIGNAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P 141

INTIMEE

S.A.S. SIACI SAINT HONORE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Slim BEN ACHOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1077

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre et de la formation

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-José BOU, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 4 juin 2018, Mme [M] [J] a été engagée à compter du 1er octobre suivant 2018 par la société SIACI Saint Honoré (ci-après la société), qui exerce une activité de courtage d'assurances, en qualité de directeur VIP professions réglementées risques spéciaux, statut cadre, classe HC au sein de la direction RAE avec reprise de son ancienneté à compter du 2 mai 1999. Le contrat prévoyait une rémunération annuelle brute de 250 003 euros outre une partie variable.

La relation entre les parties était régie par la convention collective des entreprises de courtage d'assurances et/ou de réassurance et la société occupait habituellement au moins 11 salariés lors de la rupture du contrat de travail.

En fin d'année 2019, le directeur général de la société, M. [Z], a quitté l'entreprise et a été remplacé par M. [L].

Par lettre du 2 mars 2020, Mme [J] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 13 mars suivant. Cet entretien a été plusieurs fois repoussé du fait de la crise sanitaire et s'est finalement tenu le 11 juin 2020. Par lettre du 16 juin 2020, la société a notifié à Mme [J] son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits Mme [J] a saisi le conseil des prud'hommes de Paris, lequel, par jugement du 31 janvier 2022 auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales et de la procédure antérieure, a débouté Mme [J] de l'ensemble de ses demandes, débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné Mme [J] aux dépens.

Par déclaration transmise par voie électronique le 17 mars 2024, Mme [J] a interjeté appel de ce jugement dont elle a reçu notification le 22 février 2022.

Par conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 23 avril 2024, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [J] demande à la cour de :

recevoir Mme [J] en ses conclusions et l'y déclarer bien fondée,

infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Madame [J] de ses demandes,

Statuant à nouveau,

juger que le licenciement de Mme [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

condamner la société au règlement des sommes suivantes :

334 477 euros brut à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

98 000 euros brut à titre de dommages-intérêts pour perte de plus-value,

100 000 euros brut au titre de la nullité de la clause de non-concurrence,

100 000 euros brut au titre de dommages-intérêts au titre du licenciement vexatoire,

condamner la société au règlement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par conclusions transmises par le RPVA le 23 avril 2024, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

confirmer la décision en ce qu'elle a :

débouté Mme [J] de l'ensemble de ses demandes ;

condamné Mme [J] aux dépens.

Et, statuant à nouveau,

condamner Mme [J] à verser à la société la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

La cour observe préalablement que Mme [J], qui a relevé appel du jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes dont celle de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et légèreté blâmable, ne formule pas une telle demande de sorte que le jugement est confirmé de ce chef.

Sur le bien-fondé du licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

« Suite à notre entretien préalable en date du 11 Juin 2020, au cours duquel vous n'avez pas su nous fournir d'explications satisfaisantes face aux motifs invoqués, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour insuffisance professionnelle.

Comme vous l'a indiqué votre Manager, [F] [L], au cours de l'entretien précité, vous n'avez pas atteint vos objectifs annuels 2019.

Ainsi, en 2019 le Département que vous managez présente un EBITDA négatif de 840 millions d'€. Votre performance est donc très insuffisante.

De plus s'agissant de vos autres objectifs annuels, vous ne les avez, en grande partie, pas atteints :

Vous n'avez pas gagné de Profession Réglementée ;

Pour le domaine de « l'Individuelle Accident », votre mise en ordre de cette activité n'est que partielle et il subsiste une grande dispersion dans l'entreprise d'équipes traitant de ce sujet ; Quant au Développement du « Fine Art », il n'a pas eu lieu.

En début 2020, ces résultats ne se sont pas améliorés.

Dans ces circonstances, vous nous contraignez à procéder à la rupture de votre contrat de travail. ».

Mme [J] invoque avoir été licenciement verbalement, soutenant en avoir été avisée en janvier 2020 puis au vu d'une note du 4 février 2020 dont il résulte qu'elle ne faisait plus partie du CODIR de la DRAE. En outre, elle se prévaut de la suppression de son poste, soulignant la proximité temporelle entre l'arrivée de M. [L] et son départ et la réorganisation de la direction voulue par lui, en déduisant que la véritable cause de son licenciement est économique. Enfin, elle conteste l'insuffisance professionnelle alléguée, faisant valoir en substance que la situation de son département ne se détériorait pas, que la lettre de licenciement comporte une erreur manifeste de chiffre, que la baisse du chiffre d'affaires n'est pas établie et qu'elle n'était contractuellement pas soumise à un objectif chiffré à atteindre mais à une évaluation de ses performances qui a été positive.

La société nie l'existence du licenciement verbal allégué. Elle conteste la réorganisation invoquée par Mme [J] comme étant à l'origine de son licenciement, notant en particulier que le formulaire de rupture conventionnelle produit n'est pas probant et que le rapprochement avec le cabinet de courtage Diot-LSN est intervenu un an et demi après le licenciement. Elle affirme que l'insuffisance professionnelle de Mme [J] est avérée, arguant des relations privilégiées qui existaient entre M. [Z] et elle et de la non atteinte de chacun des objectifs qui lui ont été fixés à l'occasion de son entretien annuel de début 2019.

Mme [J] prétend d'abord avoir été licenciée verbalement.

Il appartient au salarié qui prétend avoir été licencié verbalement d'en rapporter la preuve.

L'appelante produit un courriel du 14 janvier 2020 de la personne chargée du département spectacles sollicitant son aide à la suite d'une demande concernant les ETP de son équipe. L'appelante prétend que cette demande aurait dû lui être adressée mais il s'agit d'une allégation que rien ne corrobore. Elle argue également de l'absence permanente de communication de son supérieur vis-à-vis d'elle mais il s'agit là encore d'une affirmation de sa part non corroborée par des éléments objectifs. L'appelante invoque aussi une note d'information sur la nouvelle organisation de la DRAE du 4 février 2020 dans laquelle elle n'apparaît pas. Mais cette circonstance est insuffisante à établir que son congédiement lui a été signifié avant la notification écrite de son licenciement. Enfin, si elle produit une attestation d'une personne indiquant que lors d'un salon professionnel, début février 2020, plusieurs autres personnes lui ont annoncé le licenciement de Mme [J], cela ne justifie pas non plus que son employeur lui ait fait connaître son intention de se séparer d'elle avant la notification écrite de son licenciement.

L'existence d'un licenciement verbal n'est donc pas avérée.

Mme [J] prétend ensuite que son licenciement a une cause économique.

Le juge doit rechercher la cause exacte d'un licenciement lorsque le salarié soutient que le véritable motif est autre.

Comme le relève Mme [J], son licenciement est survenu seulement quelques mois après l'arrivée du nouveau directeur et elle prouve qu'au mois de janvier 2020, une proposition de rupture conventionnelle lui a été faite par la DRH. Il est exact aussi que la note précitée du 4 février 2020 sur la nouvelle DRAE à laquelle elle appartenait ne la mentionnait plus. Enfin, elle fait valoir le rapprochement de la société avec le cabinet de courtage Diot-LSN survenu en novembre 2021 non contesté par la société. Si ces éléments sont de nature à jeter un doute sur la véritable cause du licenciement, ils sont néanmoins insuffisants à justifier que celui-ci avait en réalité un motif économique comme résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivé en l'absence de preuve notamment que le rapprochement précité ait été préparé de longue date comme l'affirme l'appelante.

Mme [J] conteste enfin l'insuffisance professionnelle visée dans la lettre de licenciement.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

L'insuffisance professionnelle, qui se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié d'exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, constitue une cause légitime de licenciement distincte de la faute. L'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal. Pour autant, l'insuffisance alléguée doit reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur. Pour justifier le licenciement, les motifs formulés doivent être suffisamment pertinents et matériellement vérifiables et le salarié doit avoir bénéficié des moyens nécessaires pour accomplir sa mission.

En l'espèce, à l'occasion de l'entretien annuel du 15 mai 2019, les objectifs de l'année à venir de Mme [J] ont été définis comme suit :

'Atteindre le budget DRAE en revenus et en EBITDA (25% de la performance en 2019),

Atteindre le budget VIP & Risques Spéciaux en 2019 en revenus et en contribution EBITDA (35% de la performance 2019),

Gain d'une profession réglementée avec effet si possible 2019 au minimum au 1er janvier 2020 (15% de la performance 2019),

Mettre au carré l'Individuelle Accident plus particulièrement sur les appels d'offres et les grands comptes (15% de la performance 2019),

Apporter son support à [R] [V] dans le développement et le succès mondial du volet Fine Arts & JB, Diamond (10% de la performance 2019)'.

En premier lieu, la lettre de licenciement invoque un EBITDA du département de Mme [J] négatif de 840 millions d'euros.

Comme l'admet la société, la lettre de licenciement présente une erreur grossière dans ce chiffre en ce que l'EBITDA n'était pas de 840 millions d'euros mais au pire de 840 000 euros, ce qui représente une différence considérable. Ensuite, ce montant négatif de 840 000 euros ne concerne que le secteur VIP, pas le budget DRAE qui faisait aussi partie de l'évaluation de la performance de la salariée. Il résulte encore du tableau FY 19 communiqué par l'employeur qu'en réalité, l'EBITDA du secteur VIP et risques spéciaux n'a été que de 660 000 euros, 840 000 euros étant le résultat hors cinéma. Selon ce même tableau et l'échange de mails entre Mme [S] et Mme [J] du 10 octobre 2019, il apparaît également qu'en termes de chiffre d'affaires, Mme [J] avait un objectif de 3 623 000 euros et qu'elle a atteint un chiffre d'affaires supérieur, soit 3 636 000 euros, de sorte que l'objectif de chiffre d'affaires a été dépassé.

Ainsi, sur l'EBITDA négatif, la lettre est erronée et, en tout état de cause, l'objectif du budget VIP et risques spéciaux a été en partie atteint.

Mme [J] fait valoir aussi qu'avant son arrivée, il existait déjà un EBITDA négatif de 900 000 euros et force est de constater que la société, qui pourtant dispose de toutes les données chiffrées utiles, ne s'explique pas de manière précise sur ce point.

Enfin, il convient de rappeler en toute hypothèse que l'atteinte du budget VIP & risques spéciaux en 2019 en revenus et en contribution EBITDA ne représentait lui-même que 35% de l'appréciation de la performance 2019 de Mme [J].

En deuxième lieu, la lettre de licenciement évoque le fait que Mme [J] n'a pas gagné de profession réglementée.

Selon l'entretien du 15 mai 2019, l'objectif fixé était le gain d'une profession réglementée avec effet si possible en 2019 et au minimum au 1er janvier 2020. La société prétend sur la base d'un courriel adressé par Mme [S] à Mme [J] le 6 mai 2019 qu'un objectif de 100 000 euros de nouveaux clients lui avait été assigné mais cet objectif n'a fait l'objet d'aucune approbation par Mme [J] qui, au contraire, dès le 11 juin 2019, a indiqué qu'il serait très difficile à atteindre.

Mme [J] soutient qu'au cours de l'année 2019, a été gagnée une responsabilité civile professionnelle pour une entité de courtage du groupe Klesia. La société ne conteste pas ce gain mais prétend que Mme [J] n'est pour rien dans cette signature et que l'activité de courtage n'est pas une profession réglementée. Le seul courriel produit aux débats ne prouve pas l'absence d'implication sur ce compte de Mme [J], lequel mail démontre au contraire son intervention à ce titre, outre que doivent être pris en considération les résultats du service dirigé par la salariée. Il ne résulte pas des pièces versées aux débats que les parties aient défini la notion de profession réglementée. Celle-ci s'entend généralement d'une activité soumise à des conditions d'accès et/ou des conditions d'exercice ou d'exploitation fixées par des dispositions législatives ou réglementaires, ce qui est incontestablement le cas du courtage d'assurance qui est réglementé tant concernant son accès que son exercice supposant la souscription d'un contrat d'assurance responsabilité civile professionnelle.

Ainsi, l'objectif du gain d'une profession réglementée a été rempli, étant de surcroît observé qu'aucune pièce versée aux débats n'établit la non atteinte de l'objectif chiffré de nouveaux clients.

En troisième lieu, la lettre évoque l'individuelle accident dont la mise en ordre n'a été que partielle avec la subsistance d'une grande dispersion.

Les parties sont opposées à cet égard, Mme [J] considérant qu'elle a bien rempli l'objectif de 'mise au carré' tandis que la société soutient qu'elle n'a pas mis en ordre cette activité.

Contrairement à ce que prétend la société, les écritures de première instance de Mme [J] ne permettent pas de retenir qu'elle a reconnu son abstention de ce chef. En outre, l'insuffisance alléguée sur ce point ne repose sur aucun élément précis et concret. Elle n'est pas établie.

En quatrième lieu, la lettre de licenciement évoque l'absence de développement de l'activité 'Fine Art'.

Mme [J] affirme que l'objectif Fine Art de 100 000 euros a été légèrement dépassé, ce que conteste la société qui fait valoir que la salariée a argué en première instance d'un chiffre d'affaires de 25 000 euros, montant quatre fois inférieur à l'objectif fixé.

La société se fonde sur le courriel du 6 mai 2019 de Mme [S] destiné à Mme [J] lui indiquant une enveloppe de développement de 100 000 euros sur cette activité. L'échange de courriels entre Mme [S] et Mme [J] du 10 octobre 2019 corrobore que cette dernière avait un objectif de 100 000 euros au titre du Fine Art.

Mme [J] affirme avoir réalisé un chiffre d'affaires de 105 000 euros en reproduisant dans ses écritures un tableau de résultat Fine Art qui contient ce montant. La société répond que ce tableau n'est pas produit en pièce, ce qui est exact. Pour autant, la cour relève que le tableau FY 2019 communiqué par l'employeur lui-même fait bien état d'un chiffre d'affaires de 105 000 euros au titre du Fine Art, ce qui confirme l'affirmation de Mme [J]. Il résulte par ailleurs du tableau inclus dans le mail de Mme [S] du 6 mai 2019 qu'en 2018, le chiffre d'affaires de cette activité a été de 23 289 euros de sorte que le poste Fine Art a progressé de plus de 80 000 euros en une année.

Dès lors, le développement du Fine Art est réel et l'insuffisance alléguée à ce titre n'est pas constituée.

Il en résulte que pour l'essentiel, la non atteinte des objectifs 2019 n'est pas constituée. En outre, il n'est pas établi que l'EBITDA négatif soit imputable à Mme [J] qui argue de difficultés structurelles sur ce point. Son licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Compte tenu de son ancienneté de 21 ans lors du licenciement, de son âge (née en 1964), de l'effectif de l'entreprise, de son salaire brut tel que Mme [J] s'en prévaut de 20 906,82 euros, de sa capacité à retrouver un emploi et des justificatifs qu'elle produit sur sa situation après son licenciement (bulletin de salaire du mois de mai 2021 concernant un emploi de directeur de clientèle au sein de la société Marsh depuis le 25 janvier 2021 pour un total brut menusel de 10 195,29 euros), il est alloué à Mme [J], qui a droit à une indemnité comprise entre 3 et 16 mois de salaire, la somme de 250 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef.

En outre il est ordonné à la société de rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à Mme [J] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement vexatoire

Mme [J] se plaint d'avoir été isolée et mise à l'écart dans les mois qui ont précédé son licenciement et d'avoir été licenciée sans explication. La société conclut au rejet de la demande.

La demande de Mme [J] concerne des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire. Or, les développements qu'elle formule concernent pour l'essentiel l'attitude de son employeur dans les mois qui ont précédé la mise en oeuvre de la procédure de licenciement de sorte qu'ils ne peuvent caractériser un licenciement vexatoire. En outre, le grief selon lequel elle aurait été licenciée sans explication est contredit par l'entretien préalable qui s'est tenu et par la lettre de licenciement qui lui a été envoyée, même si la cour a jugé qu'il n'existait pas de cause réelle et sérieuse. En tout état de cause, Mme [J], qui fait état pour justifier sa demande de sa difficulté à retrouver un emploi et des moindres responsabilité et rémunération attachées à son nouveau poste, ne justifie pas avoir subi un préjudice distinct de celui déjà réparé par l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle est déboutée de sa demande, le jugement étant confirmé en ce sens.

Sur les dommages-intérêts pour perte de plus-value

Mme [J] prétend que pour l'encourager à la rejoindre, la société lui avait vanté une opération de LBO très rentable à laquelle elle a souscrit en investissant 100 000 euros et que du fait du licenciement, elle a perdu toute chance de réaliser une plus-value. Elle évalue son préjudice à 98 000 euros.

La société fait valoir que la notion de préjudice automatique a disparu, que Mme [J] ne produit pas d'éléments démontrant la nature et l'étendue de son préjudice, que sa demande est disproportionnée et qu'en toute hypothèse, son licenciement est fondé.

Mme [J] produit une notification d'exercice de promesse unilatérale de vente indiquant qu'elle a souscrit le 7 novembre 2018 à 100 000 actions pour un prix unitaire de 1 euro et qu'à la suite de son licenciement et conformément à la promesse prise, elle s'est engagée à céder les actions concernées, le prix d'exercice de la promesse étant fixé au prix unitaire de 1 euro. Elle justifie que lors de son investissement, quatre scenarii de business plan avaient été présentés avec un coefficient multiplicateur allant de 0,51 à 2,73 pour une sortie en 2022. Elle indique qu'au débouclage du LBO, les montants investis ont été multiplis par 1,27.

Le licenciement de Mme [J] étant dénué de cause réelle et sérieuse, la société a commis une faute à son égard. La société ne conteste pas que du fait de ce licenciement, Mme [J] a perdu la possibilité de lever les options de souscription des actions qui lui avaient été attribuées.

Comme elle le fait elle-même valoir, le préjudice de Mme [J] ne consiste qu'en une perte de chance de réaliser une plus-value.

En considération des pièces et explications fournies, la cour est en mesure d'évaluer le préjudice résultant de la perte de chance subie à ce titre par Mme [J] à la somme de 10 000 euros le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur les dommages-intérêts au titre de la nullité de la clause de non-concurrence

Mme [J] soutient qu'en investissant dans l'opération de LBO, elle a signé un pacte d'actionnaires incluant une clause de non concurrence qui ne prévoit aucune contrepartie financière. Or, elle fait valoir que la société n'a pas renoncé à la clause et qu'elle est restée liée par un engagement irrégulier pendant 7 mois. Elle réclame une indemnisation à hauteur de 100 000 euros.

La société réplique que la contrepartie financière de cette clause est constituée par les titres en la possession de Mme [J] et que cette dernière n'a pas respecté la clause puisqu'elle a retrouvé un poste au sein de la société Marsh à compter du 12 janvier 2021.

Mme [J] a signé un pacte d'actionnaires prévoyant en son son article 8.1 une clause de non-concurrence lui interdisant, aussi longtemps qu'elle détiendrait des titres de la société émettrice, d'exercer directement ou indirectement en quelque qualité que ce soit une activité concurrente.

Une clause de non-concurrence n'est valable que si elle comporte l'obligation pour l'employeur de verser une contrepartie financière.

En l'espèce, cette contrepartie n'est pas fixée, Mme [J] faisant justement valoir que les titres ne sont pas la contrepartie de la clause mais la contrepartie du prix qu'elle a versé sur ses fonds propres pour les acquérir, de sorte que la clause est nulle.

La société n'a pas non renoncé à cette clause et Mme [J] l'a respectée de la date de son départ de l'entreprise, ayant été dispensée de préavis, jusqu'à ce qu'elle commence à travailler pour la société Marsh en janvier 2021, sans percevoir une quelconque indemnité compensatrice. En conséquence, la nullité de la clause lui a causé un préjudice qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société est condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à Mme [J] la somme de 3 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, la société étant déboutée de sa propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe :

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Mme [J] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et légèreté blâmable ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et la société SIACI Saint Honoré de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés et ajoutant :

Dit que le licenciement de Mme [J] est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société SIACI Saint Honoré à payer à Mme [J] les sommes suivantes :

- 250 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de réaliser une plus-value ;

- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la nullité de la clause de non-concurrence ;

- 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne à la société SIACI Saint Honoré de rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à Mme [J] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société SIACI Saint Honoré aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE