CA Lyon, ch. soc. B, 18 novembre 2022, n° 22/00418
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Gambro Industries (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Regnier
Conseillers :
Mme Chanez, M. Devaux
Avocats :
Me Tudela, Me Laffly, Me Sebaoui
* * * *
Exposé des faits :
Selon déclaration adressée par lettre recommandée avec avis de réception le 24 mai 2018, Mme [L] [V] a relevé appel d'un jugement du conseil des prud'hommes de Lyon du 26 avril 2018, statuant en sa formation de départage, dans le litige l'opposant à la SAS Gambro Industries, qui a :
* dit que le licenciement économique dont elle a fait l'objet repose sur une cause réelle et sérieuse,
* débouté en conséquence Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,
* dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
* condamné Mme [V] aux dépens.
La SAS Gambro Industries a constitué avocat le 6 juin 2018.
Mme [V] a adressé ses conclusions d'appelante au greffe et à l'avocat de la SAS Gambro Industries selon lettre recommandée avec accusé de réception du 27 juillet 2018.
La SAS Gambro Industries a saisi le conseiller de la mise en état aux fins de dire que la déclaration d'appel régularisée par Mme [V] est caduque, subsidiairement que l'appel formé est irrecevable, en soutenant que la notification des conclusions de l'appelante par LRAR est irrégulière.
Mme [V] s'est opposée à cette demande.
Selon ordonnance du 13 décembre 2018, le conseiller de la mise en état a dit que la déclaration d'appel de Mme [V] du 24 mai 2018 est caduque, a rejeté la demande de la SAS Gambro Industries au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné Mme [V] aux dépens d'appel.
Par arrêt sur déféré du 28 mars 2019, la cour d'appel de Lyon a confirmé l'ordonnance et condamné Mme [V] à payer à la SAS Gambro Industries la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par arrêt du 4 novembre 2021, la Cour de Cassation, Chambre Sociale, a cassé cette décision aux motifs que pour déclarer caduque la déclaration d'appel, la cour d'appel retient qu'aucun texte du Code de procédure civile ne prévoyant, à défaut de notification par le réseau privé virtuel des avocats, que les actes entre avocats puissent être notifiés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la notification des conclusions de l'appelante faite selon cette forme équivaut à une absence de notification, alors qu'elle avait constaté que Mme [V] avait notifié par lettre recommandée avec avis de réception ses conclusions d'appelant à l'avocat de l'intimé dans le délai de trois mois suivant régularisation de la déclaration d'appel ; que la cour d'appel, qui a prononcé la caducité de la déclaration d'appel, sans avoir préalablement annulé l'acte de notification dans les conditions prévues à l'article 114 du code de procédure civile, a violé les articles 114, alinéa 2, et 911 du Code de procédure civile.
La Cour a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.
Par déclaration du 7 janvier 2022, Mme [V] a saisi ladite cour en application de l'article 1032 du Code de procédure civile.
Par conclusions transmises par voie électronique le 13 juin 2022, Mme [V] demande à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée, de déclarer recevables son appel ainsi que ses conclusions et pièces transmises par lettre recommandée avec avis de réception le 27 juillet 2018, de débouter la SAS Gambro Industries de ses réclamations, de renvoyer l'affaire la mise en état et de condamner la société à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
- ses conclusions adressées le 27 juillet 2018, dans les trois mois de la déclaration d'appel, sont parfaitement valables et recevables dans la mesure où :
- elle pouvait les notifier par lettre recommandée avec accusé de réception en application des dispositions des article 930-1 et 948-1 du Code de procédure civile, étant au surplus d'un barreau extérieur et la postulation étant exclue en matière prud'homale ;
-la SAS Gambro Industries ne justifie en tout état de cause d'aucun grief alors même qu'elle ne démontre aucunement que les conclusions transmises à la cour seraient différentes ou antérieures à celles effectivement notifiées par courrier ;
- son appel n'est donc pas caduc ;
- son appel est recevable en ce que, appartenant à un barreau extérieur, elle ne pouvait le transmettre par voie électronique ; qu'une telle circonstance constitue une cause étrangère au sens de l'article 930-1 du Code du travail l'autorisant à interjeter appel par lettre recommandée à accusé de réception.
Par conclusions transmises par voie électronique le 24 juin 2022, la SAS Gambro Industries demande à la cour d'annuler l'acte de notification des conclusions de Mme [V] et de prononcer la caducité de la déclaration d'appel. Subsidiairement, elle demande de déclarer l'appel irrecevable. Elle sollicite enfin la condamnation de Mme [V] à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- la notification des conclusions du 27 juillet 2018 est nulle en ce qu'elle a été faite par courrier recommandé avec accusé de réception et en ce que cette irrégularité lui a causé un grief dans la mesure où elle n'a pu s'assurer que le contenu des conclusions était identique à celui des conclusions remises à la cour ni connaître la date de transmission de ces dernières déclenchant son délai pour conclure ; que l'annulation de la notification entraîne son anéantissement rétroactif ;
- la déclaration d'appel est caduque faute pour Mme [V] d'avoir conclu dans le délai de trois mois imparti à l'article 908 du Code de procédure civile ;
- subsidiairement, l'appel est irrecevable faute d'avoir été formé par voie électronique comme le prévoit l'article 930-1 du Code de procédure civile ; qu'aucun texte n'exclut la postulation en matière sociale ; que par ailleurs l'appartenance à un barreau extérieur au ressort de la cour d'appel ne constitue pas une cause étrangère au sens du 2ème alinéa de l'article 930-1 du Code de procédure civile.
SUR CE :
- Sur la caducité de la déclaration d'appel :
Attendu qu'aux termes de l'article 114 du Code de procédure civile : 'Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. / La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.' ;
Attendu qu'en l'espèce l'acte de notification des conclusions de Mme [V] à la SAS Gambro Industries en date du 27 juillet 2018 est atteinte d'un vice de forme en qu'il a été fait par lettre recommandée avec avec avis de réception alors même qu'aucune disposition légale ne l'autorise, seuls étant prévus la notification par RPVA, l'acte d'huissier ou la remise directe en double exemplaire en vertu des articles 748-1, 672 et 673 du Code de procédure civile ;
Attendu toutefois que la SAS Gambro Industries ne justifie d'aucun grief du fait de cette notification irrégulière ; qu'elle invoque en effet un simple préjudice hypothétique tenant aux inertitudes résultant de l'impossibilité de vérifier la date et le contenu des conclusions transmises à la cour sans pour autant établir ni même prétendre d'une part que ce contenu serait différent de celui des conclusions remises le 27 juillet 2018, d'autre part qu'elle n'aurait pas pu conclure dans les délais légalement impartis du fait d'une transmission des conclusions au greffe de la cour antérieure à la date susvisée ;
Attendu que, faute de justification d'un grief, la SAS Gambro Industries est déboutée de sa demande tendant à la nullité de l'acte de notification des conclusions de Mme [V] ; que sa demande tendant à voir déclarer l'appel caduc faute de notification des conclusions dans le délai imparti à l'article 908 du Code de procédure civile est par voie de conséquence rejetée ;
- Sur l'irrecevabilité de l'appel :
Attendu que, selon l'article 930-1 du Code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ; que lorsqu'un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe ou lui est adressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ;
Attendu qu'en l'espèce l'avocat du salarié, inscrit à un barreau extérieur, ne pouvait avoir accès au RPVA de la cour d'appel de Lyon, cela pour des raisons techniques ne lui étant pas imputables ; qu'une telle circonstance constitue une cause étrangère au sens du texte susvisé ; qu'il a donc valablement pu adresser au greffe sa déclaration d'appel par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; que son appel est donc recevable ;
- Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité d'allouer à Mme [V] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés devant le conseiller de la mise en état et la cour statuant sur déféré ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme l'ordonnance déférée,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute la SAS Gambro Industries de ses demandes,
La condamne à payer à Mme [L] [V] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés devant le conseiller de la mise en état et la cour statuant sur déféré,
Renvoie l'affaire à la mise en état de la section A du 8 décembre 2022.