Livv
Décisions

Cass. 2e civ., 23 mai 2024, n° 22-11.175

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme MARTINEL

Paris, du 28 septembre 2021

28 septembre 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 2021) et les productions, de l'union de M. [K] et de Mme [S] est né l'enfant [N], [G] [K] le 6 octobre 2015. La famille a résidé en Ukraine à compter de septembre 2018.

2. Alors qu'une procédure judiciaire était en cours devant le juge ukrainien concernant la détermination des modalités d'exercice de l'autorité parentale envers l'enfant, son père, M. [K] l'a ramené d'Ukraine en France, le 11 avril 2019.

3. Le 28 avril 2020, Mme [S] a saisi l'autorité ukrainienne d'une demande de retour de l'enfant, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

4. Le 30 novembre 2020, le procureur de la République d'un tribunal judiciaire a assigné M. [K] devant un juge aux affaires familiales, à cette fin. Mme [S] est intervenue volontairement à l'instance.

5. Par jugement du 21 janvier 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire a constaté que le déplacement de l'enfant était illicite et que l'enfant s'était intégré depuis mai 2019 en France. Il a rejeté la demande de retour de l'enfant mineur en Ukraine.

6. Mme [S] a relevé appel de cette décision le 26 janvier 2021, en intimant M. [K] et le procureur général. L'affaire a été orientée à bref délai.

7. Par ordonnance du 15 juin 2021 dont Mme [S] a relevé appel, le président de la chambre saisie a déclaré caduque la déclaration d'appel en constatant que l'appelante n'avait signifié sa déclaration d'appel qu'à M. [K] et non au procureur général.

Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche Enoncé du moyen

8. Mme [S] fait grief à l'arrêt de déclarer caduque sa déclaration d'appel à l'égard du ministère public et de M. [K], alors « qu'aux termes de l'article 905-1 du code de procédure civile, lorsque l'affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l'appelant signifie la déclaration d'appel dans les dix jours de la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; que cependant, si, entre-temps, l'intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat ; qu'en application de l'article 902 du même code, le greffe qui reçoit une déclaration d'appel relevant de la procédure avec représentation obligatoire par avocat adresse aussitôt cette déclaration à l'intimé pour lui permettre de se constituer ; que l'objectif recherché par la signification de la déclaration d'appel à l'intimé est uniquement de remédier au défaut de constitution de ce dernier à la suite de ce premier avis du greffe, l'acte de signification rappelant que l'intimé qui ne constitue pas dans les quinze jours suivant cet acte s'expose à ce qu'un arrêt soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ; que le ministère public, étant dispensé de constituer avocat lorsqu'il est partie à l'instance d'appel, l'appelant est par conséquent lui-même dispensé de signifier la déclaration d'appel au procureur général qui en a reçu communication par le greffe dès son dépôt par l'appelant ; qu'en déclarant caduque la déclaration d'appel au motif que Mme [S] n'avait pas signifié au procureur général sa déclaration d'appel dans les dix jours de l'avis de fixation, la cour d'appel a violé les articles 905-1, 902 du code de procédure civile, L 312-7 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article 905-1, alinéa 1, du code de procédure civile, lorsque l'affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l'appelant signifie la déclaration d'appel dans les dix jours de la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; cependant si entre-temps, l'intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat.

10. Ce texte, qui n'établit aucune distinction selon la qualité de l'intimé et ne prévoit aucune exception à la règle quand l'intimé est le procureur général, doit être interprété en ce sens que l'appelant est tenu de signifier sa déclaration d'appel au procureur général lorsqu'il est intimé.

11. Le moyen, qui procède d'un postulat erroné, manque en droit.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

12. Mme [S] fait le même grief à l'arrêt, alors « que dès lors que l'obligation faite à l'appelant, par les articles 902 et 905-1 du code de procédure civile, de signifier la déclaration d'appel à l'intimé tend à remédier au défaut de constitution de ce dernier à la suite du premier avis du greffe, imposer à l'appelant cette obligation à l'égard du ministère public, partie à l'instance d'appel qui est dispensée de constituer avocat, sous peine de caducité de la déclaration d'appel revient à lui imposer une charge procédurale inutile dont la sanction le prive définitivement de son droit de former appel principal et constitue en conséquence une atteinte disproportionnée et injustifiée au droit d'accès au juge consacré par l'article 6§1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en déclarant caduque la déclaration d'appel de Mme [S] au seul motif qu'elle n'avait pas signifié au ministère public sa déclaration d'appel dans les dix jours de l'avis de fixation, la cour d'appel a violé la disposition conventionnelle susvisée. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et les articles 905-1 et 1210-4 du code de procédure civile :

13. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

14. En application des deuxièmes, les autorités centrales instituées par la Convention doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants. En particulier, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées pour introduire ou favoriser l'ouverture d'une procédure judiciaire ou administrative, afin d'obtenir le retour immédiat de l'enfant. 

15. Selon le quatrième, l'autorité centrale désignée dans le cadre des instruments internationaux et européens relatifs au déplacement illicite international d'enfants transmet au procureur de la République près le tribunal judiciaire territorialement compétent la demande de retour dont elle est saisie. Lorsque la demande concerne un enfant déplacé ou retenu en France, le procureur de la République peut, notamment, saisir le juge compétent pour qu'il ordonne les mesures provisoires prévues par la loi ou introduire une procédure judiciaire afin d'obtenir le retour de l'enfant.

16. Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.

17. En matière de mise en oeuvre d'une procédure de retour des enfants, la Cour européenne des droits de l'homme, dans l'arrêt [P] c. France du 5 novembre 2015 (n° 21444/11, § 65 et 66), a retenu, en vertu de la Convention de La Haye et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'au vu des conséquences entraînées par l'irrecevabilité du pourvoi provoqué du père, tenant essentiellement à l'irrecevabilité du pourvoi principal due à une négligence du procureur qui avait un rôle central et particulier dans la procédure de retour immédiat des enfants sur le fondement de la Convention de La Haye, le père s'était vu imposer une charge disproportionnée qui rompait le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d'autre part, le droit d'accès au juge. En effet, le requérant n'avait pu voir examiner par la Cour de cassation l'argument principal soulevé, à savoir qu'il n'existait aucun élément susceptible de constituer une exception au retour immédiat des enfants au sens de l'article 13 a) de la Convention de La Haye, alors que la procédure de retour d'enfants est susceptible d'avoir des conséquences très graves et délicates pour les personnes concernées.

18. Pour confirmer l'ordonnance ayant déclaré caduque la déclaration d'appel de Mme [S], après avoir constaté que le ministère public avait conclu devant la cour d'appel, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'appelante, qui a intimé dans sa déclaration d'appel tant M. [K] que le procureur général près la cour d'appel, n'a signifié sa déclaration d'appel qu'à M. [K], non au procureur général, contrairement à ce qu'exige l'article 905-1, et que s'agissant d'un litige dans lequel le ministère public est partie principale, la caducité de la déclaration d'appel prend effet à l'égard de toutes les parties, y compris à l'égard de M. [K].

19. En statuant ainsi, en faisant prévaloir dans la procédure de retour immédiat engagée sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le principe de l'obligation, pour l'appelant, de signifier sa déclaration d'appel à tous les intimés y compris le procureur général, ce qui, à défaut d'une telle signification au ministère public a eu pour effet de rendre caduque la déclaration d'appel de Mme [S] à l'égard de l'ensemble des intimés, alors qu'elle avait constaté que le procureur général avait conclu devant elle et que la déclaration d'appel avait été signifiée à M. [K], la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif et a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.