CJUE, 8e ch., 7 novembre 2024, n° C-178/23
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
ERB New Europe Funding II
Défendeur :
YI
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jääskinen (rapporteur)
Juges :
M. Gavalec, M. Csehi
Avocat général :
Mme Kokott
Avocat :
Me Lefter
LA COUR (huitième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), du vingt-troisième considérant de celle-ci ainsi que du principe d’effectivité.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ERB New Europe Funding II (ci-après « ERB »), une société de recouvrement de créances, à YI, un consommateur, au sujet du caractère abusif de certaines clauses contenues dans un contrat de crédit.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes des vingt-troisième et vingt-quatrième considérants de la directive 93/13 :
« considérant que les personnes ou les organisations ayant, selon la législation d’un État membre, un intérêt légitime à protéger le consommateur, doivent avoir la possibilité d’introduire un recours contre des clauses contractuelles rédigées en vue d’une utilisation généralisée dans des contrats conclus avec des consommateurs, et en particulier, contre des clauses abusives, soit devant une autorité judiciaire soit devant un organe administratif compétents pour statuer sur les plaintes ou pour engager les procédures judiciaires appropriées ; que cette faculté n’implique, toutefois, pas un contrôle préalable des conditions générales utilisées dans tel ou tel secteur économique ;
considérant que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs [...] »
4 L’article 7, paragraphe 1, de cette directive dispose :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit roumain
La loi no 193/2000 sur les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs
5 L’article 1er de la Legea nr. 193/2000 privind clauzele abuzive din contractele încheiate între profesioniști și consumatori (loi no 193/2000 sur les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs), du 6 novembre 2000 (republiée dans le Monitorul Oficial al României, partie I, no°543 du 3 août 2012), prévoit :
« 1. Tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur en vue de la vente de marchandises ou de la prestation de services contient des clauses contractuelles claires, non équivoques et qui ne nécessitent pas de connaissances spécifiques pour être comprises.
2. En cas de doute sur l’interprétation de clauses contractuelles, ces dernières sont interprétées en faveur du consommateur.
3. Les professionnels ont l’interdiction d’insérer des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. »
6 L’article 4, paragraphe 1, de cette loi dispose :
« Une clause contractuelle qui n’a pas été négociée directement avec le consommateur est considérée comme abusive si, prise isolément ou en combinaison avec d’autres stipulations du contrat, elle crée, au détriment du consommateur et contrairement aux exigences de bonne foi, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. »
7 L’article 6 de ladite loi énonce :
« Les clauses abusives incluses dans le contrat et constatées soit personnellement, soit par l’intermédiaire des organismes légalement habilités, ne produisent pas d’effets à l’égard du consommateur, et le contrat se poursuit, avec l’accord de ce dernier, uniquement si cela est encore possible après la suppression desdites clauses. »
La loi no 134/2010, portant code de procédure civile
8 L’article 431 de la Legea nr. 134/2010 privind Codul de procedură civilă (loi no 134/2010, portant code de procédure civile), du 1er juillet 2010 (republiée dans le Monitorul Oficial al României, partie I, no 247 du 10 avril 2015), intitulé « Les effets de l’autorité de la chose jugée », prévoit :
« 1. Nul ne peut être poursuivi deux fois en la même qualité, en vertu de la même cause et pour le même objet.
2. Chacune des parties peut opposer l’autorité de la chose jugée dans un autre litige, si cette autorité est en rapport avec le règlement de ce dernier. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
9 Le 25 juillet 2007, YI, en sa qualité de consommateur, a conclu un contrat de crédit avec l’établissement de crédit Bancpost S.A. București.
10 Le 10 mai 2018, YI, sans être assisté d’un avocat, a saisi la Judecătoria Sectorului 2 București (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest, Roumanie), une juridiction du siège du professionnel, d’un recours (ci-après la « première procédure juridictionnelle ») tendant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses figurant dans ce contrat. Ce recours, qui visait les clauses dudit contrat concernant les commissions d’ouverture et de gestion du prêt, la faculté unilatérale du professionnel de modifier les taux d’intérêts contractuels, les commissions et les autres charges du prêt ainsi que la commission de remboursement anticipé, était dirigé contre ERB, une société de recouvrement de créances, en faveur de laquelle la créance du même contrat avait été transférée.
11 Par jugement du 26 novembre 2018, dont la date de signification aux parties n’est pas connue, cette juridiction a rejeté ledit recours comme étant non fondé (ci-après la « première décision juridictionnelle »). YI n’ayant pas interjeté appel de ce jugement, celui-ci est devenu définitif.
12 Le 14 août 2019, YI, représenté cette fois par un avocat, a formé un recours devant la juridiction de son domicile, la Judecătoria Sighișoara (tribunal de première instance de Sighișoara, Roumanie) (ci-après la « seconde procédure juridictionnelle »). Ce recours était formé contre la même partie défenderesse que celle en cause dans le cadre de la première procédure juridictionnelle et visait, dans une large mesure, les mêmes clauses contractuelles que celles visées au point 10 du présent arrêt. Plus particulièrement, étaient en cause les clauses contractuelles concernant les commissions d’ouverture du prêt et de gestion mensuelle de celui-ci, ainsi que celle concernant le taux annuel effectif global.
13 Par jugement du 5 décembre 2019, cette juridiction a accueilli ledit recours.
14 ERB a interjeté appel de ce jugement devant le Tribunalul Specializat Mureș (tribunal spécialisé de Mureș, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi. Par jugement du 6 avril 2021, cette juridiction a fait droit aux griefs de ERB en ce qui concerne la commission de gestion du prêt, tout en confirmant le caractère abusif des autres clauses contractuelles visées au point 12 du présent arrêt.
15 Ladite juridiction ne s’étant pas prononcée sur la question de l’autorité de la chose jugée de la première décision juridictionnelle, ERB a formé un recours extraordinaire en révision devant la même juridiction. Ce recours était fondé sur un moyen tiré de l’omission par la juridiction d’appel d’examiner l’exception procédurale de l’autorité de la chose jugée, invoquée par ERB.
16 Dans le cadre de ce recours extraordinaire, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la façon dont il conviendrait de mettre en balance les droits du consommateur et le principe de l’autorité de la chose jugée. Elle précise que, selon les informations dont elle dispose, il semblerait que, dans le cadre de la première procédure juridictionnelle, YI, qui n’a pas été assisté d’un avocat, n’ait pas eu les connaissances appropriées pour faire valoir ses droits découlant du régime de protection des consommateurs. Pour cette raison, YI aurait saisi une juridiction du siège du professionnel, alors qu’il pouvait saisir la juridiction compétente de son propre domicile. La juridiction de renvoi relève, en outre, que le consommateur n’a pas participé aux débats devant la Judecătoria Sectorului 2 București (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest) et que, dès qu’il a été assisté d’un avocat, le caractère abusif des clauses contractuelles en cause a été confirmé, dans une large mesure, par deux juridictions distinctes.
17 Dans ces conditions, le Tribunalul Specializat Mureș (tribunal spécialisé de Mureș) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13], [lu] à la lumière, notamment, du vingt-troisième considérant de cette directive et du principe d’effectivité, doit-il être interprété en ce sens qu’il n’exclut pas la possibilité pour une juridiction nationale d’examiner les soupçons de caractère abusif de clauses contractuelles figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, même lorsque ceux-ci ont été examinés auparavant par une autre juridiction nationale dans le cadre d’une procédure de première instance introduite à la demande d’un consommateur qui n’a pas participé aux débats et qui n’a pas été dûment assisté ou représenté par un avocat et que ces soupçons ont été écartés par une décision de justice que le consommateur n’a pas soumise à un contrôle juridictionnel – et qui a donc acquis l’autorité de la chose jugée (res judicata) en droit procédural national –, s’il ressort de manière plausible et raisonnable des circonstances particulières du litige que ce consommateur n’a pas fait usage de la voie de recours dans la première procédure en raison de ses connaissances ou de ses informations limitées ? »
Sur la question préjudicielle
Sur la recevabilité
18 D’une part, ERB soutient, dans ses observations écrites, qu’il n’est ni nécessaire ni opportun de saisir la Cour d’une question préjudicielle, puisque les interrogations de la juridiction de renvoi portent principalement sur le régime de l’autorité de la chose jugée dans le droit procédural civil roumain et non dans le droit de l’Union.
19 D’autre part, sans soulever explicitement une exception d’irrecevabilité, le gouvernement roumain relève, dans ses observations écrites, qu’il ne ressort pas clairement de la décision de renvoi si les clauses contractuelles examinées dans les première et seconde procédures juridictionnelles sont identiques. Si ces clauses s’avéraient différentes, le principe de l’autorité de la chose jugée ne saurait s’appliquer en l’occurrence.
20 Selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, lesquelles bénéficient d’une présomption de pertinence. Partant, dès lors que la question posée porte sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer, sauf s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à cette question (arrêt du 27 avril 2023, AxFina Hungary, C 705/21, EU:C:2023:352, point 27 et jurisprudence citée).
21 Il est également de jurisprudence constante que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, qui est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour interpréter et appliquer des dispositions de droit national, tandis que la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union, à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (arrêt du 27 avril 2023, AxFina Hungary, C 705/21, EU:C:2023:352, point 28 et jurisprudence citée).
22 S’agissant des arguments d’ERB, il suffit d’observer que, par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour, conformément aux exigences posées par la jurisprudence citée au point 20 du présent arrêt, d’interpréter la directive 93/13 ainsi que le principe d’effectivité. En outre, il ressort clairement des informations contenues dans la décision de renvoi que cette question d’interprétation du droit de l’Union est utile pour la juridiction de renvoi afin qu’elle puisse déterminer s’il est permis, sur le fondement de la directive 93/13, de déroger, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, au principe de l’autorité de la chose jugée.
23 S’agissant des doutes du gouvernement roumain quant à l’applicabilité du principe de l’autorité de la chose jugée dans le cadre de l’affaire au principal, il y a lieu d’observer que, conformément à la jurisprudence citée au point 21 du présent arrêt, il appartient, en définitive, à la seule juridiction de renvoi d’apprécier si et dans quelle mesure les clauses contractuelles examinées dans le cadre des première et seconde procédures juridictionnelles sont identiques.
24 Étant donné que le contrôle de la recevabilité des demandes de décision préjudicielle est limité au non-respect manifeste des exigences mentionnées au point 20 du présent arrêt et qu’il ne ressort pas de manière manifeste du dossier dont dispose la Cour que ces exigences n’ont pas été respectées en l’occurrence, il ne saurait être déduit de l’absence éventuelle d’identité complète entre les clauses contractuelles examinées dans le cadre de ces deux procédures que la demande de décision préjudicielle est irrecevable.
25 Il s’ensuit que la question préjudicielle est recevable.
Sur le fond
26 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 30 mai 2024, Raiffeisen Bank, C 176/23, EU:C:2024:443, point 37 et jurisprudence citée).
27 Il appartient à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction de renvoi, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal (arrêt du 30 mai 2024, Raiffeisen Bank, C 176/23, EU:C:2024:443, point 38 et jurisprudence citée).
28 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la juridiction de renvoi s’interroge principalement sur la conformité avec la directive 93/13 du déroulement concret de la première procédure juridictionnelle et, par voie de conséquence, se demande si, compte tenu de la manière dont s’est déroulée celle-ci, une autre juridiction nationale peut, en dépit de l’autorité de la chose jugée dont est revêtue la première décision juridictionnelle, examiner ultérieurement le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles faisant l’objet de cette décision. S’agissant de cette première procédure, la juridiction de renvoi indique notamment que le consommateur a choisi le for du professionnel pour introduire son recours, qu’il n’a pas été assisté d’un avocat au cours de celle-ci, qu’il n’a pas participé aux débats et qu’il n’a pas interjeté appel de la première décision juridictionnelle en temps utile.
29 Ainsi, il convient de considérer que, par son unique question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il convient d’interpréter l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière de son vingt-quatrième considérant, du principe d’effectivité et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), en ce sens qu’il impose à une juridiction nationale d’examiner le caractère éventuellement abusif des clauses d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur lorsque ces clauses ont déjà été examinées par une autre juridiction nationale dont la décision est revêtue de l’autorité de la chose jugée si, devant cette première juridiction, le consommateur n’a pas été assisté d’un avocat, n’a pas participé aux débats et n’a pas fait usage d’une voie de recours qui lui était ouverte en raison de ses connaissances ou de ses informations limitées.
30 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces « afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel » [arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C 582/21, EU:C:2024:282, point 73 et jurisprudence citée].
31 Dans ce contexte, il convient d’observer que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, de sorte que celles-ci relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, à condition, toutefois, qu’elles respectent les principes d’équivalence et d’effectivité [arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C 582/21, EU:C:2024:282, point 74 et jurisprudence citée].
32 À cet égard, la Cour a déjà souligné l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause [arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C 582/21, EU:C:2024:282, point 37 et jurisprudence citée].
33 Partant, le droit de l’Union n’impose pas, en principe, au juge national d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle, même si cela permet de remédier à une situation nationale incompatible avec ce droit [arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C 582/21, EU:C:2024:282, point 38 et jurisprudence citée].
34 S’agissant du respect des exigences découlant des principes d’équivalence et d’effectivité, celui-ci doit être analysé en tenant compte de la place des règles concernées dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de celle-ci et des particularités de ces règles devant les diverses instances nationales [arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C 582/21, EU:C:2024:282, point 41 et jurisprudence citée].
35 Dès lors, si les règles de procédure internes applicables comportent la possibilité, sous certaines conditions, pour le juge national de revenir sur une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée pour rendre la situation compatible avec le droit national, cette possibilité doit prévaloir, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, si ces conditions sont réunies, afin que soit restaurée la conformité de la situation en cause avec le droit de l’Union [arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C 582/21, EU:C:2024:282, point 42 et jurisprudence citée].
36 S’agissant, plus spécifiquement, des exigences découlant du principe d’effectivité, seul visé par la question préjudicielle, il convient de souligner que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment pour les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée également à l’article 47 de la Charte. Cette exigence s’applique, en particulier, aux modalités procédurales relatives aux actions en justice fondées sur des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union [arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C 582/21, EU:C:2024:282, point 76 et jurisprudence citée].
37 En l’occurrence, les doutes de la juridiction de renvoi portent principalement sur la conformité avec la directive 93/13 du déroulement concret de la première procédure juridictionnelle et non de la réglementation nationale pertinente. En effet, aucun élément résultant de la décision de renvoi n’indique que la réglementation nationale applicable, relative aux modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée dans le cadre des recours formés par les consommateurs visant à faire constater le caractère abusif des clauses contractuelles, ne serait pas conforme au principe d’effectivité, en ce qu’elle rendrait impossible ou excessivement difficile l’application de la protection que la directive 93/13 entend conférer aux consommateurs ou qu’elle porterait atteinte, pour une autre raison, à l’effet utile de la directive 93/13, ce qu’il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier.
38 À cet égard, il importe de relever que l’obligation du juge national de procéder à un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles est justifiée par la nature et l’importance de l’intérêt public sous-tendant la protection que la directive 93/13 confère aux consommateurs de sorte qu’un contrôle efficace du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles, tel qu’exigé par la directive 93/13, ne saurait être garanti si l’autorité de la chose jugée s’attachait aux décisions juridictionnelles qui ne font pas état d’un tel contrôle (arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C 600/19, EU:C:2022:394, point 50).
39 En revanche, il y a lieu de considérer que cette protection serait assurée si, dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi parvenait au constat que, au cours de la première procédure juridictionnelle, le juge compétent a effectué le contrôle du caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné et que cet examen, motivé au moins sommairement, n’a révélé l’existence d’aucune clause abusive et que le consommateur a été dûment informé que, en l’absence d’appel dans le délai fixé par le droit national, il serait forclos à faire ultérieurement valoir le caractère éventuellement abusif de ces clauses (voir, par analogie, arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C 600/19, EU:C:2022:394, point 51).
40 En effet, l’issue défavorable d’un contrôle effectif du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles ne saurait, à elle seule, constituer un élément susceptible de remettre en cause le principe de l’autorité de la chose jugée.
41 De même, les circonstances visées au point 28 du présent arrêt n’impliquent pas nécessairement que la première procédure juridictionnelle n’aurait pas été à même de garantir un contrôle adéquat des clauses contractuelles prétendument abusives et d’assurer, par voie de conséquence, une protection juridictionnelle effective au consommateur, garantie par l’article 47 de la Charte, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de contrôler. En particulier, cette juridiction doit vérifier que la première décision juridictionnelle a été dûment signifiée au consommateur avec l’indication des voies de recours dont il disposait et qu’il n’existe pas d’autres raisons particulières liées au déroulement de cette procédure, telles que l’absence de motivation de ladite décision, qui auraient pu empêcher ou dissuader le consommateur d’exercer utilement ses droits procéduraux.
42 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière de son vingt-quatrième considérant, du principe d’effectivité et de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à une juridiction nationale d’examiner le caractère éventuellement abusif des clauses d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsque ces clauses ont déjà été examinées par une autre juridiction nationale dont la décision est revêtue de l’autorité de la chose jugée, y compris si, devant cette première juridiction, le consommateur n’a pas été assisté d’un avocat, n’a pas participé aux débats et n’a pas fait usage d’une voie de recours qui lui était ouverte, pour autant que cette décision a été dûment signifiée au consommateur avec l’indication des voies de recours dont il disposait et qu’il n’existe pas d’autres raisons particulières liées au déroulement de cette procédure , telles que l’absence de motivation de ladite décision, qui auraient pu empêcher ou dissuader le consommateur d’exercer utilement ses droits procéduraux.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu à la lumière de son vingt-quatrième considérant, du principe d’effectivité et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doit être interprété en ce sens que :
il n’impose pas à une juridiction nationale d’examiner le caractère éventuellement abusif des clauses d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsque ces clauses ont déjà été examinées par une autre juridiction nationale dont la décision est revêtue de l’autorité de la chose jugée, y compris si, devant cette première juridiction, le consommateur n’a pas été assisté d’un avocat, n’a pas participé aux débats et n’a pas fait usage d’une voie de recours qui lui était ouverte, pour autant que cette décision a été dûment signifiée au consommateur avec l’indication des voies de recours dont il disposait et qu’il n’existe pas d’autres raisons particulières liées au déroulement de cette procédure, telles que l’absence de motivation de ladite décision, qui auraient pu empêcher ou dissuader le consommateur d’exercer utilement ses droits procéduraux.